• chapitre 16
— On trouve que tu te comportes bizarrement depuis que t'es chez eux.
Le menton logé dans le creux de sa main, Jisung soupira et leva les yeux vers Ryujin. Son expression préoccupée lui provoqua un pincement au cœur. Elle se faisait du souci pour lui, et pour cause, il peinait à suivre les cours cette semaine ou même à travailler pour ses exposés à venir. Alors qu'ils n'étaient que tous les deux dans la bibliothèque — Felix et Jeongin avaient préféré partir pour travailler chez eux —, la jeune femme tentait désespérément de le faire parler. Mais Jisung était réticent. Il avait confiance en elle, ce n'était pas le souci, il avait surtout peur de la voir s'inquiéter davantage s'il le révélait tout ce qui lui passait par la tête.
— C'est pas contre toi, tu sais.
Il déglutit et acquiesça.
— Je sais Ryu. C'est juste que… j'ai besoin de réfléchir à tout ça.
— Tout ça quoi ?
Il ferma les yeux un court instant. Dans le fond, il savait que parler le libérerait d'un poids trop lourd à porter. Mais il y avait des choses qu'il n'avait pas envie d'entendre. Ce qu'il vivait avec Minho, cette tension constante, il l'aimait autant qu'il la détestait. Elle le faisait se sentir vivant, important, autant que minable et vulnérable. Il ne l'expliquait pas, mais l'électricité qui gorgeait l'air quand ils se retrouvaient à proximité de Minho l'excitait terriblement. C'était comme devoir relever un défi, celui de survivre et de paraître le plus détendu possible. Parfois il y arrivait. D'autres fois il perdait le pari et son beau-frère le déstabilisait d'un simple regard. Il ne savait même pas ce qu'il pensait de lui, peut-être n'en avait-il rien à faire et voulait seulement s'amuser de ses réactions ? Après tout, il n'en aurait même pas été étonné, il avait l'air fourbe et manipulateur, ça devait le faire jubiler.
Et malgré cela, Jisung y trouvait du plaisir. Un plaisir un peu malsain. Imaginer que cet homme puisse jouir de son mal-être le faisait se sentir spécial. Mais pouvait-il décemment en parler à Ryujin ?
— À ce qui se passe dans ma vie, dit-il.
— Ah… Tu parles de ton beau-frère ?
Dans le mille ! Il pinça ses lèvres entre elles sans pour autant répondre, mais son amie avait bien mis le doigt sur quelque chose.
— Comment ça se passe avec lui ?
Il soupira encore.
— J'en sais trop rien.
Ryujin croisa les bras sur sa poitrine et le fixa.
— Si, tu sais très bien.
Il ne pouvait rien lui cacher, tout du moins pas indéfiniment. C'était peut-être le moment de vider son sac une bonne fois pour toutes et de profiter de ne pas avoir Felix et Jeongin qui allaient mettre leur grain de sel dans cette histoire. Il les adorait, mais il aurait bien assez de Ryujin sur son dos pour le moment.
— C'est tendu.
— Tendu ? Dans quel sens ?
— Tendu dans le sens qu'il y a un truc pas clair entre nous. Enfin, comment dire ?
Il chercha de quelle manière il pouvait exprimer ce qu'il ressentait. Il n'avait pas envie de paraître trop sûr de lui, car il ne l'était pas du tout sur ce coup-là, mais il voulait que Ryujin comprenne au mieux la situation.
— Il te cherche ?
— Oui ! s'exclama-t-il un peu trop fort.
Des regards accusateurs se posèrent sur lui, il s'excusa d'une petite voix aux autres étudiants qui l'entouraient.
— C'est exactement ça, j'ai l'impression qu'il me cherche.
— Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— Ses regards. Je les trouve insistants. Même sa manière de se comporter à mes côtés, il y a toujours quelque chose de très…
— Sexuel ? proposa Ryujin.
Jisung se figea quelques secondes, papillonnant des yeux. Elle n'avait jamais rencontré Minho, mais elle était très perspicace.
— Oui, c'est ça. Il a une aura très érotique. Chaque mot, chaque geste, j'ai l'impression qu'il…
— Qu'il te fait l'amour.
Une vague de chaleur le submergea sans prévenir et son estomac se tordit. Il plaqua une main sur son ventre, comme pour retenir le déferlement de désir en lui, mais il était trop tard. Un puissant frisson remontant le long de sa colonne vertébrale l'ébranla. Cette simple phrase avait fait s'immiscer des images obscènes, à la hauteur des rêves qu'il avait déjà pu faire au sujet de Minho. Il leva les yeux vers son amie pour lui faire comprendre qu'elle était peut-être allée trop loin, mais elle se contenta de sourire avec satisfaction.
— Donc je résume, il te plaît vraiment beaucoup et t'as l'impression que c'est réciproque.
— J'ai l'impression. Mais en même temps je me dis que c'est pas trop possible.
— Pourquoi ?
Jisung jeta un coup d'œil autour de lui, les étudiants à proximité commençaient à partir.
— Parce qu'on joue pas dans la même cour et qu'il est marié à ma demi-sœur.
— Alors déjà ça ne veut rien dire, et ensuite oui il est marié avec Dayoung mais qui te dit qu'ils s'aiment ?
— Elle a l'air de l'aimer.
— Elle. T'as dit elle. Pas lui.
Il resta immobile et muet. Sans s'en rendre compte, il avait exposé une vérité que personne ne pouvait contester. Si Dayoung essayait souvent d'avoir des gestes d'affection envers Minho, qu'elle le regardait avec une certaine admiration — et peut-être même avec amour —, ce dernier n'en faisait pas autant. Bien au contraire. Il y avait des moments où il était juste sympathique et poli, mais il l'ignorait dans la plupart des cas. Quel mari aimant agirait de la sorte ? Il n'était même pas question de pudeur ou de timidité, c'était de l'indifférence pure et dure. Minho n'agissait même pas ainsi envers ses employés.
— Je crois qu'en effet, il ne l'aime pas. Mais c'est pas pour autant que ce que je ressens pour lui c'est bien.
— Ça se contrôle pas, t'y peux rien.
— Oui mais j'aurais pu tomber sous le charme de n'importe qui, mais pas de lui. Y'a des tas d'autres mecs sur Terre, pourquoi je me liquéfie devant le seul que je peux pas atteindre ? Pourquoi je le veux lui et pas un autre ? Alors que je le connais à peine et qu'il est franchement étrange.
Ryujin lui tapota amicalement l'épaule, sans rien ajouter de plus. Elle compatissait, il le savait, mais elle n'avait aucune solution à lui apporter. C'était une situation délicate dans laquelle il pouvait perdre gros s'il cédait à la tentation, et si ses sentiments étaient réciproques.
— Tout ce que je veux c'est que tu ne souffres pas.
— Ça risque d'être compromis. Je suis déjà à la limite là. D'un côté je suis dans le flou le concernant, et d'un autre je culpabilise énormément de ressentir ça pour lui.
— Et donc, c'est quoi la solution ?
Jisung soupira lourdement et Ryujin reprit :
— Tu peux t'éloigner d'eux, mais ça changera rien au fait qu'il t'attire. Ce sera peut-être plus facile de pas le voir, mais est-ce que ça règlera le problème ? Non.
— C'est vrai. Mais ça me permettrait de prendre du recul. Sauf qu'avec mon studio, je suis bloqué. C'est tellement compliqué, surtout que je travaille pour lui maintenant.
L'information lui avait échappé et il n'était pas en mesure de la rattraper. Son amie se redressa, les yeux écarquillés.
— T'as accepté ?
Il hocha la tête et s'affala sur la table, les bras croisés.
— J'en avais vraiment envie, et il a su me convaincre.
— Dans le fond, t'as pas envie de t'en éloigner, c'est ça ?
Nouveau hochement de tête. Il était devenu accro à Minho, il n'arrivait pas à s'en défaire et en fait, il n'en avait surtout pas envie. Sa présence le mettait mal à l'aise, mais il l'appréciait. Parce qu'il était mystérieux, parce qu'il était inaccessible, parce qu'il était l'homme difficile à atteindre.
— Peut-être que c'est juste parce que je sais que je ne peux pas l'avoir que je m'y accroche.
— Ça, tu le sauras seulement si tu arrives à l'avoir un jour.
Cette perspective lui provoqua un nouveau frisson. C'était un peu inespéré, il ne voulait pas se bercer d'illusions, mais il avait envie que cela se réalise. Les conséquences en seraient désastreuses, il en avait conscience, et il culpabilisait déjà bien assez, mais son corps le désirait plus que tout. Si Minho ressentait la même chose et qu'ils venaient à commettre l'irréparable, Dayoung le détesterait. Ses parents le renieraient. Ils découvriraient tous qui il était réellement, un jeune homme égoïste qui avait préféré tout gâcher pour une obsession qui finirait par s'évaporer un jour.
Une relation comme celle-ci lui semblait vouée à l'échec même avant de débuter. Et il n'était pas certain que le jeu en vaille la chandelle. Que cherchait-il à prouver ? Il avait tout ce dont il avait besoin, sa vie était en marche de devenir celle dont il avait toujours rêvée, était-il prêt à lui faire prendre un virage violent ?
— Tu dois me prendre pour un vrai connard.
— Mais non, pas du tout. Comment tu veux contrôler ça ?
— Je pourrais juste ne pas hésiter et me dire que c'est moralement déplacé d'espérer plus avec lui.
— Si seulement c'était aussi simple. T'es pas un connard, je t'assure. Et je suis contente que tu m'en aies parlé.
Jisung fit la moue et remercia Ryujin. Il était on ne peut plus soulagé d'avoir pu discuter avec elle, même s'il n'avait pas pu trouver de solution à son problème. Ils essayèrent de travailler un peu sur leur exposé, puis il vit son téléphone s'allumer sur la table. Le nom de Minho apparut, Jisung manqua de s'étouffer avec sa salive.
— C'est lui ? demanda Ryujin, curieuse.
— Hm, oui.
— Regarde ce qu'il te veut.
Elle fit un signe de tête en direction du portable et Jisung prit une grande inspiration. Il le déverrouilla pour consulter la notification, l'homme lui envoyait un message pour lui demander s'il avait terminé les cours.
— Qu'est-ce que je réponds ? Je suis sûr qu'il va proposer de venir me chercher.
— Si ça peut t'éviter de repartir en métro ou en bus. Et puis, ce sera en bonne compagnie.
Il n'en fallut pas plus pour le convaincre et, comme il l'avait prédit, Minho serait là dans une dizaine de minutes.
Très curieuse, Ryujin avait tenu à accompagner son ami hors du campus afin de voir son beau-frère de ses propres yeux. Elle l'avait déjà aperçu sur des photos lors de son mariage avec Dayoung, mais ce n'était pas pareil. Sans vraiment se hâter, ils arrivèrent à l'extérieur. Jisung savait parfaitement où Minho l'attendait, non loin de l'arrêt de bus comme la dernière fois. Il ne fut pas vraiment surpris lorsque le grand Range Rover blanc arriva dans son champ de vision. Il était imposant, étincelant, et il rêvait déjà d'y pénétrer pour observer Minho le conduire.
— Ah ouais, ça plaisante pas.
Il se tourna vers Ryujin et lui adressa un petit sourire, à la fois fier et embarrassé. C'était assez plaisant que quelqu'un se déplace pour lui. Et surtout qu'il s'agisse de Minho. Ils arrivèrent à proximité du véhicule et la vitre côté passager descendit. Aussitôt, la jeune femme s'inclina pour saluer le conducteur. Ce dernier fit un signe de tête en guise de réponse avant de poser les yeux sur Jisung.
— Tu grimpes ?
Il hocha la tête, dit au revoir à Ryujin, puis monta dans le 4x4 qui démarra avant même qu'il n'ait pu attacher sa ceinture. Il la boucla en route, un peu secoué par la conduite brusque de son beau-frère. Il gardait les sourcils froncés et les mains cramponnées au volant.
— C'était qui ?
Jisung cligna des yeux à plusieurs reprises, pris de court par la question soudaine et le ton rude qu'il venait d'employer. Il ne comprenait pas pourquoi Minho se comportait ainsi. Pour faire ça, il aurait presque préféré qu'il ne vienne pas le chercher à la sortie du campus.
— Ta petite amie ?
Cette fois, il ne put retenir un rire.
— Ryujin ? Absolument pas !
— Hm, d'accord.
Sa voix avait changé, elle s'était nettement adoucie. Était-ce un semblant de jalousie que Jisung venait de discerner chez Minho ? Il s'était montré si dur d'un seul coup, seulement parce qu'il l'avait vu avec une jeune femme et qu'il pensait qu'ils étaient potentiellement ensemble. C'était… surprenant.
— C'est juste une amie, et ça ne sera jamais plus que ça, jugea-t-il bon de préciser.
Minho déglutit bruyamment.
— Tu n'as pas à te justifier.
— Vous aviez l'air…
— Je posais seulement la question, l'interrompit-il. C'est tout.
Inutile de continuer cette discussion, elle ne menait à rien et l'homme semblait ne pas avoir envie d'en entendre davantage. Discrètement, Jisung soupira. Ces sautes d'humeur étaient difficiles à gérer et à comprendre. La personnalité de Minho était complexe, mais ça ne le rebutait pas. Il aurait dû prendre tout cela comme des signaux importants pour s'éviter bien des situations pénibles à l'avenir. Il préférait les ignorer. Non, il les voyait en réalité, mais cela n'était pas aussi puissant que l'attirance qu'il ressentait.
La discussion qu'il avait eue avec Ryujin se mit à tourner en boucle dans son esprit. La situation devenait de plus en plus complexe, et ses sentiments pour Minho semblaient le pousser vers un chemin très incertain et surtout très périlleux. Alors que le véhicule avançait, il tenta de chasser les pensées tumultueuses qui le tourmentaient, se concentrant sur la route qui défilait. Minho, quant à lui, gardait le silence. La tension entre eux était là, elle était intense même s'ils n'avaient aucune interaction. Le seul fait de se trouver l'un à côté de l'autre était suffisant pour rendre l'atmosphère lourde. C'était bien ce que Ryujin avait énoncé plus tôt, il y avait quelque chose de très sexuel entre eux, sans même qu'ils n'aient besoin de se toucher. Il secoua la tête quand un frisson lui parcourut le corps et cela attira le regard de Minho.
— Tout va bien ?
— Oui, j'avais juste… un peu froid.
— Hm, tu n'es pas assez couvert, dit-il en augmentant le chauffage dans l'habitacle. Les températures vont vite dégringoler maintenant, tu ferais mieux de prendre les devants si tu ne veux pas tomber malade.
— Je suis résistant, ça va aller.
Minho profita d'être à l'arrêt à un feu rouge pour se pencher vers la banquette arrière. Il attrapa une veste qu'il confia à Jisung.
— Pour te réchauffer.
Il la saisit et la déplia sur lui pour ne pas le contrarier. Il n'avait pas froid, c'était plutôt l'inverse, mais il n'oserait jamais le lui dire. Et puis, le vêtement portait la délicieuse et enivrante odeur de son beau-frère. Il ferma les yeux et inspira lentement, la laissant s'insinuer dans ses narines pour lui faire tourner la tête. Il rêvait de la sentir sur sa peau nue, d'en être totalement imprégné comme s'il lui appartenait.
— Merci.
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