Chapitre 6.

Ils arrivèrent dans un grand gymnase où, déjà, deux équipes se disputaient une partie de basket. Ils se mêlèrent aux détenus présents et prirent place dans les estrades. Isaac reçut quelques regards mauvais qu'il ignora de son mieux : sans doute des amis de Johnsson ou des détenus qui avaient remarqué sa tenue orange. Aux quatre coins du terrain, des gardiens surveillaient tout ce petit monde en faisant des rondes.

La partie avait l'air assez brutale. C'était un moyen, pour les détenus, d'évacuer leur colère et leur frustration, alors personne ne se retenait. Sur le terrain, il remarqua que Chaz était présent. Il avait noué ses dreads en une queue de cheval derrière sa tête pour pouvoir jouer. Il parvint à arracher le ballon à un autre joueur et il le fit dribbler en courant pour déjouer chacun de ses adversaires. Il avait l'air doué. Il s'élança vers le panier en sautant et mit la balle à l'intérieur en attrapant le rebord métallique d'une main.

Quand ses pieds retrouvèrent le sol, il se tourna brièvement vers l'assistance et, depuis les estrades, ils eurent un échange de regard qui ne dura que quelques secondes. Ce fut assez pour qu'Isaac sente son ventre se serrer en pensant à ce soir...

— Qu'est-ce que tu as ? lui demanda Wayne.

Il ne pouvait décidément pas lui dire la vérité... alors, il secoua la tête et s'efforça de coller un sourire sur ses lèvres.

— Rien, dit-il, je me disais juste que tous ces gars étaient vraiment bons et que je ne voudrais pas me retrouver face à n'importe lequel d'entre eux.

— Les bagarres sont inévitables en prison : on ne peut pas enfermer ensembles autant d'hommes violents et espérer qu'il ne se passe rien. Mais si tu fréquentes les bonnes personnes et que tu tiens à carreaux, tu peux en éviter une majorité.

Isaac hocha lentement la tête, absent. Il s'était déjà battu le premier jour, alors il parvenait mal à imaginer la perspective de passer plusieurs années ici sans que ce genre de situation ne se reproduise.

Entre temps, Chaz avait fait une passe qui avait menée à un autre panier et il avait lui-même marqué une autre fois. Il avait eu sans doute beaucoup de temps pour se perfectionner dans ce sport...

— À quelle heure est le dîner ?

— À 11h15 la semaine et à midi le week-end. On peut se lever une heure plus tard la fin de semaine et avoir plus de temps pour nos occupations. J'espère que la nourriture sera bonne, aujourd'hui !

— J'espère aussi..., murmura-t-il, mais le cœur n'y était pas.

Il ne faisait que penser à ce soir et à ce qui lui arriverait. Du coin de l'œil, il vit deux détenus échanger discrètement quelque chose. Quand il se tourna vers Wayne avec un regard interrogatif, le blond se contenta d'hausser les épaules.

— Je te l'ai dit : l'endroit est idéal pour marchander. Les détenus échangent de la drogue, des armes, des téléphones portables ou des produits de la cantine. Il y a même une loterie, parfois. Quand on gagne, on peut remporter des paquets de soupe.

— Les denrées de la cantine ont l'air prisées, fit remarquer Isaac, ne cachant pas sa surprise.

— C'est que les détenus n'ont pas beaucoup d'argent et que, la cantine, c'est cher. Si tu as de la chance, ta famille t'envoie de l'argent tous les mois ou tu as un emploi à la prison, payé quelques trente sous par jour, mais autrement, tu n'as rien. Et c'est dur de passer plusieurs années ici sans même s'octroyer un petit plaisir de temps à autres. La cantine, c'est une des seules choses qui rend l'incarcération de plusieurs détenus un peu plus... « normale ». Est-ce que ta famille t'envoi de l'argent ?

Il secoua la tête.

— Non, mais j'ai quelques économies.

— Si tu achètes des trucs à la cantine, tu peux facilement les revendre plus cher à d'autres ou les échanger : ça te fera un bon montant, tu verras.

— Ce n'est pas illégal de faire ça ?

Wayne ricana.

— La prison à ses règles, les détenus ont les leurs : parfois pour survivre à l'un, il faut enfreindre l'autre.

La légalité n'avait pas sa place ici. Ils n'étaient pas des enfants de chœurs. Isaac n'était pas certain d'être fait pour cet univers, mais il n'avait pas vraiment le choix. C'était manger ou être mangé.

L'heure du dîner arriva et ils furent reconduits dans la cafétéria. Suivant les conseils de Wayne, Isaac attendit que les détenus influents et plus menaçant se mettent en ligne, obtenant leur plateau de nourriture, avant de faire lui aussi la file avec son nouvel ami. Chaz était déjà assis à sa table respective, parlant avec les membres principaux de son gang.

— Il y a plusieurs groupes, lui expliqua Wayne quand il posa la question. Il y a les Musulmans, les membres de la mafia Sicilienne ; les Italiens, les bikers, les Aryens et les Afro-Américains. Ce sont eux qui mènent la prison. Ils sont plus nombreux. Chaz, ton codétenu, est leur chef. À l'extérieur, il était le chef d'un gang nommé « Red Spider ». Il continue de gérer certaines choses depuis l'intérieur.

— Il y a des détenus qui n'appartiennent à aucun groupe ?

Isaac avait appris que les prisonniers se nommaient toujours « détenus » entre eux, car le terme « prisonnier » n'était employé que par ceux qui n'y connaissaient rien à la vie derrière les barreaux.

— Oui, quelques-uns, ce sont les solitaires, mais ils sont souvent pris pour cible, c'est pour cela qu'il faut rapidement rejoindre un groupe, même si ça vient avec de nombreux problèmes aussi... Quelques solitaires s'en sortent bien. Soit parce qu'ils sont ici depuis même avant ta naissance, soit parce qu'ils restent en cellule d'isolement, loin de toutes les bagarres de gang et de quiconque voulant les agresser.

— Et toi ? Tu fais partie de quel gang ?

Vérifiant qu'aucun gardien ne les regardait, Wayne souleva son haut rapidement pour montrer à Isaac tous les tatouages qui couvraient son torse et son dos jusque sur ses épaules. Le jeune détenu en remarqua un qui le frappa tout particulièrement : une tête de mort ornée d'ailes sur un tapis de roses épineuses.

— Je suis un biker. Je faisais partie d'un club dehors ; les Skull's Head. Ici, je ne me tiens pas vraiment avec les autres motards, juste de temps à autres. Je n'aime pas les problèmes.

Isaac regarda autour de lui, repérant les différents clans et se demandant s'il devait en rejoindre un pour sa propre survie.