Chapitre 37.

— Ton aide pourrait nous être très précieuse, Isaac, affirma Grayson.

Près du bureau du directeur, un homme en uniforme du FBI se tenait debout. Isaac ne l'avait jamais vu avant. Il avait une barbe bien entretenue et des cheveux châtains retenus en une toque derrière sa tête.

— Je te présente l'agent Wilds, il nous vient tout droit du FBI.

L'intéressé fit un petit hochement de tête en direction du détenu.

— Il doit enquêter dans notre prison, poursuivit le directeur.

— Je ne comprends pas ce que cela a à voir avec moi.

Isaac n'y comprenait rien. Il ne savait pas pourquoi on l'avait convoqué dans le bureau de Grayson. À vrai dire, au départ, il avait cru que quelqu'un avait entendu parler du plan d'évasion de Wayne et qu'on cherchait à l'interroger ou l'accuser à ce sujet, mais apparemment... il n'en était rien.

— Au contraire, il se trouve que vous êtes directement impliqué dans l'affaire sur laquelle nous enquêtons, dit l'agent du FBI, prenant la parole pour la première fois. Vous avez transporté de la cocaïne, non ? Connaissez-vous le nom de la personne qui vous a demandé de le faire ?

— C'était quelque chose comme... Garcia, répondit-il du bout des lèvres.

— Bien sûr, cette personne ne trônait pas en haut de la chaîne alimentaire ; elle travaillait pour quelqu'un d'autre, le grand patron : le baron de la drogue. Nous avons toutes les raisons de croire que si nous ne sommes pas parvenus à le coincer, c'est qu'il n'était pas à portée de mains... autrement dit, nous croyons qu'il œuvre depuis la prison et qu'il est déjà incarcéré ici, à West Island. Nous pensons également que votre aide nous serait précieuse pour l'identifier. Il sait probablement qui vous êtes même si vous ignorez qui il est. Si vous prétextez vouloir reprendre du service à l'intérieur de la prison ou lorsque vous sortirez, il y a fort à parier qu'il vous contactera, ce qui nous permettra de le pincer une bonne fois pour toute.

Isaac resta figé, immobile sur la chaise. Il assimilait encore ce que venait de lui débiter l'agent du FBI. L'histoire lui paraissait... surréaliste. D'abord, Wayne lui présentait un plan d'évasion digne des plus grands films Hollywoodiens et voilà qu'on lui proposait une genre de mission d'infiltration ultra dangereuse à la James Bond !

— Je ne suis pas certain...

De vouloir faire ça..., termina-t-il dans sa tête avant de ne se faire couper par Grayson :

— Isaac, c'est très important. Si tu aides la police, tu seras récompensé. Tu pourrais obtenir une remise de peine et une liberté conditionnelle si tu coopères.

Il serait mentir que de dire que l'offre n'avait rien d'alléchante... Plusieurs détenus tueraient pour avoir pareille opportunité.

— Et vous ne serez pas seul, rajouta l'agent Wilds, je compte infiltrer la prison et me faire passer pour un détenu. Je serai avec vous pour vous guider tout au long du processus.

Isaac comprit soudainement pourquoi l'homme avait les cheveux aussi longs et une telle barbe (ce qui était en général inhabituel pour un agent) : il devait se préparer pour sa mission d'infiltration depuis déjà plusieurs semaines. Il voulait avoir l'air d'un prisonnier.

Le Californien se mordit la lèvre, indécis. Ses poings menottés se serrèrent imperceptiblement sur ses cuisses.

— Pensez-vous vraiment pouvoir vous faire passer pour un détenu sans griller votre couverture ? demanda-t-il, un peu embarrassé de poser une telle question à un agent.

Néanmoins, c'était une question importante. Si Wilds se faisait découvrir et que sa mission tombait à l'eau, il abandonnerait, repartirait chez-lui et serait mis sur une autre mission dès le lendemain, mais si on découvrait qu'Isaac l'avait aidé... lui, on ne l'enverrait nulle part ailleurs, il serait forcé de rester à West Island et de payer le prix de ses actes, de sa trahison.

— Ce n'est pas la première fois que je fais de l'infiltration, je suis un agent d'expérience. J'ai beaucoup étudié les milieux carcéraux. Bien sûr, chaque établissement a ses propres règles et je compte sur vous pour m'apprendre celles qui règnent ici. Si les choses en venaient à mal se passer, vous seriez protégé. N'ayez craintes de ce côté-là.

Isaac avait du mal à le croire. Il n'était qu'un détenu... L'administration et la loi feraient ce qu'elles voudraient de lui. Qui accepterait de croire un prisonnier face à pareilles institutions ? Tant qu'il serait enfermé à West Island, sa parole n'aurait aucune valeur. Il avait tout intérêt à se méfier.

D'un autre côté, la perspective d'une liberté conditionnelle était tentante. Même si en un mois il s'était passablement endurcit, Isaac avait toujours cette impression de ne pas être fait pour la prison ou que la prison n'était pas faite pour lui. Huit ans, c'était long. Sa peine lui paraissait interminable et il n'osait imaginer ce que ce devait être pour des prisonniers tel que Chaz qui n'avaient aucune lueur d'espoir au bout du tunnel. De plus, il donnerait cher pour mettre la main sur l'homme dont le trafique de stupéfiants l'avait fait emprisonner. Il avait eu besoin d'argent, certes, mais on l'avait manipulé pour qu'il accepte de transporter la cargaison par-delà la frontière Mexicaine. On lui avait menti en lui disant que c'était sûr et qu'il n'y avait pas de risques, que les douaniers avaient été soudoyés... Rien de tout cela n'était vrai. À la place, il s'était fait pincer comme un débutant et il était, seul, allé en prison.

— Pensez-vous vraiment pouvoir m'assurer une sécurité quelconque ?

C'est Grayson qui répondit :

— Si tu acceptes, Isaac, tu seras transféré dans la cellule de l'agent Wilds. Ce sera plus facile de cette faction pour le bien de l'enquête et ta sécurité. De plus, j'ai cru comprendre que tu ne t'entendais pas très bien avec ton présent codétenu...

Échanger un protecteur pour un autre, un autre qui ne le violerait sans doute pas. L'idée faisait son chemin dans la tête du Californien. Ce n'était pas sans danger, mais c'était peut-être sa meilleure option pour survivre à West Island tout en limitant les dommages.

— C'est bon, j'accepte ; je coopérerai à l'enquête.

Grayson sourit.

— C'est la meilleure décision. D'ailleurs, j'y pense, mais ça fait un mois que tu es arrivé environ, non ? Passe au bureau d'accueil, ils te redonneront les vêtements que tu as amenés avec toi en arrivant ; tu n'es plus forcé de porter la combinaison orange. Tu n'es plus un nouveau détenu de West Island, tu es un détenu modèle.

— Merci, votre aide à l'enquête sera appréciée, le salua Wilds d'un hochement de tête. Le transfert de cellule sera effectif dès demain. Nous ferons comme si j'étais arrivé durant la nuit. Je vous donnerai alors toutes les informations sur ma nouvelle identité.

Là-dessus, le dossier fut clos. Et final.