Chapitre 6 : Partie 1 : Maudite et Miraculé
Vendredi 18 Mars 2020, 6h
Bip bip bip.
Lily émergea doucement des brumes du sommeil alors que sa main tatonnait, à la recherche du bouton pour éteindre cet insupportable réveil.
Et quand ce fut chose faite, elle se retourna dans son lit puis se recouvrit de sa couette, dans l'optique de prolonger sa nuit.
Malheureusement, sa mère ne semblait pas de cet avis comme le prouvait son bref passage dans l'entrebâillement de la porte :
— Allez Lily, il faut que tu te réveilles, tu vas rater ton train sinon !
L'adolescente grogna avant de finalement se lever, à contre-cœur.
Ses cheveux en batailles et les cernes qui creusaient son visage témoignaient de sa nuit agitée, mais son apparence matinal ne l'étonnait plus depuis bien longtemps. À vrai dire, elle ne se souvenait même plus de la dernière fois où son sommeil s'était avérée réellement reposant.
Comme chaque matin, elle se traina plus qu'autre chose jusqu'à son armoire où elle extirpa l'une de ses robes et l'un de ses pulls favoris. Et une fois habillée, elle descendit en traînant la patte jusqu'à la salle à manger.
Sa mère n'y était déjà plus. Ni son père, d'ailleurs. Tout deux étaient partit travailler.
Toupie, par contre, l'attendait, sa queue battant de droite à gauche avant qu'elle ne se jette sur la jeune fille pour l'accueillir comme il se le devait, en lui faisant la fête, avec des gémissements et des miaulements à la place des aboiements. Parce que ce chien, malgré son statut de canidé, avait parfois des réactions de chat.
Après avoir câliné son chien comme le voulait sa routine matinale, Lily se dirigea vers plusieurs armoires de la cuisine, ainsi que le frigo, afin de sortir le nécessaire pour son petit déjeuner. Elle se prépara ensuite un cacao ainsi qu'un porridge digne de ce nom, avec du chocolat et un peu de sucre.
Trois-quart d'heure plus tard, passée devant un épisode de Doctor Who, la jeune fille se leva et fit un peu de rangement avant de se préparer.
Elle avait un bus et un train à prendre.
Une fois sa veste mise, son sac sur le dos, elle partit vers l'arbre-à-chat où elle fit un bisou sur le dos de Capus. Elle se dirigea ensuite vers Toupie, affalée sur sa couverture, se pencha et lui fit à elle aussi un bisou.
Puis Lily partit avec hâte, son félin profitant pour sortir dehors gambader dans les champs, et elle mit son casque de vélo puis enfourcha ce dernier avant de s'élancer sur le chemin qui la mènerait à l'arrêt de bus.
Moins d'une dizaine de minutes plus tard, elle arriva à un abri-à-vélo où elle parqua le sien, puis courut attraper son moyen de locomotion.
Une fois dedans, Lily laissa sa tête reposée sur la fenêtre, ses pensées se chevauchant l'une à l'autre afin d'être prédominante aux autres ; cauchemars nocturnes, souvenirs désagréables, disputes parentales, séances de dédicaces et imagination débordante se bousculaient dans sa tête.
Heureusement, quand elle arriva à la gare, ses pensées cessèrent. Car une autre préoccupation apparaissait, celle de trouver son train et de le prendre avant qu'il ne parte.
Cinq minutes plus tard, Lily était enfin assise dans un wagon, en direction de son école, et elle était posée pour un bon trois-quart d'heure. Elle pouvait donc enfin respirer.
8h
Lily se trouvait devant les portes de l'école, avec cette impression constante d'être épiée qui ne la lâchait pas. Elle jeta un œil à droite, un autre à gauche, mais personne, sauf des adolescents, tout ce qu'il y avait de plus normal.
La jeune fille ferma ses yeux quelques secondes et prit une grande inspiration.
Elle ne devait pas avoir peur.
Rien ne lui était arrivé depuis quatre ans, sauf cette fameuse nuit où elle avait sentit quelque chose lui agripper le pied... Mais sans doute était-ce une hallucination.
Dû à la fatigue. La pression que cette impression d'être tout le temps observé apportait. Et sa créativité plutôt fertile...
Oui. Ça devait être une hallucination.
Rien ne lui était arrivé depuis quatre ans, et ce n'était pas durant l'année de ses 15 ans que ça allait recommencer.
Lily rouvrit les yeux et franchit la porte.
Il y avait devant elle un couloir, et à sa droite, une salle confortable où pouvait aller n'importe qui le matin ; mais réservé aux dernières années durant les différentes récréations.
L'adolescente, voyant qu'il y avait un divan de libre dans un coin de la pièce, le plus proche du bureau des éducateurs, décida de s'y asseoir. Elle sortit alors le livre qu'elle lisait en ce moment, avant de remarquer, du coin de l'œil, un membre de l'équipe éducative pester sur l'une des pages du journal de classe d'un élève plus âgé qu'elle ;
— Hier, c'était ton trente-cinquième jour d'absence, Aselum ! Tu te rends compte de ce que ça représente ? Plus d'un mois d'absence ! Injustifié ! Parce que non, sortir à tort et à travers « raisons familiales » ça passe pas trente-cinq fois ! Il va vraiment falloir que tu te reprennes en main si tu veux réussir ta cinquième année !
Ledit Aselum roula des yeux. L'adulte s'esclaffa.
— Et il faudrait aussi changer votre comportement, jeune homme !
L'adolescent regarda l'éducateur droit dans les yeux.
— Je suis le premier de la classe avec toujours des notes excellentes, alors franchement, qu'est-ce que mes jours d'absence peuvent vous foutre ?
Et il conclua sa tirade d'un doigt d'honneur bien placé, avant de passer devant Lily pour rejoindre les portes coulissantes menant à la cour de récréation.
La jeune fille de quinze ans n'y prêta pas plus attention, et se replongea dans la lecture de son roman.
12h
Elle eut soudain l'impression qu'on lui déchirait les entrailles, la forçant à se plier en deux.
Personne ne le remarqua. La sonnerie venait de sonner et tous les élèves se dépêchaient de ranger leurs affaires afin de partir hors de l'école pour la pause de midi. Et même s'il le faisait avec moins d'empressement, le professeur aussi pliait bagage.
Lily ferma ses yeux quelques secondes avant de fermer son visage, afin de ne rien laisser entrapercevoir. Elle rangea son ordinateur dans sa housse puis le glissa, tout comme son journal de classe, dans son cartable. Et quand elle eut fini de tout rassembler en un seul endroit, elle se releva, ignorant l'impression que ses os eux-mêmes poignardaient sa chair et ses os, puis quitta la classe.
Elle se précipita aux toilettes, respira un grand coup, et s'assit. La douleur sembla s'estomper un moment, avant de s'intensifier. Lily serra ses mains contre ses genoux. Et au moment de s'essuyer, d'apporter le papier toilette usagé à ses yeux, elle ne put que gémir ; du rouge.
Elle le jeta dans la cuvette, appuya son dos contre le mur et inspira un grand coup.
Foutu mathématiques.
Lily se releva avec peine, se rhabilla et sortit de sa cabine. Et avant de sortir à l'air libre, elle se nettoya puis s'essuya les mains.
L'air... Elle ne savait pas si ça l'aidait vraiment. Sa douleur semblait l'assaillir par vagues, à un degré de plus en plus intense.
Mais elle fit comme si.
Comme si tout allait bien.
L'adolescente chercha de ses yeux son groupe d'amies, celui qu'elle côtoyait depuis maintenant deux ans, mais il était nul part. Elle haussa les épaules, et quitta l'école.
Elles étaient certainement quelque part à la grande place.
Lily les trouva plutôt rapidement, assises autour d'une petite table ronde et métallique.
Lisie, Sophianah et Samantha — qui les avait rejoint l'année dernière et s'était tout de suite fait une place parmi elles — discutaient de façon animé.
L'adolescente leur adressa un sourire, qu'elles lui rendirent, s'empara d'une chaise qui se trouvait à une autre table et l'approche de celle autour de laquelle ses amis parlaient. Et elle écouta simplement, ne sachant pas trop quoi dire, et parce que ses nerfs sensoriels brûlaient littéralement dans son ventre.
— Et il t'a juste ignoré !? S'exclama Lisie, une main devant sa bouche et les yeux écarquillés.
Samantha hocha gravement la tête. Sophianah secoua sa tête, dépitée, avant de murmurer.
— Après le coup qu'il t'a fait, franchement...
Lily, ne comprenant absolument rien à la discussion, cligna des yeux, et timidement, osa les questionner.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
Samantha se tourna vers elle.
— C'est Érik. Je quittais l'école et je lui ai envoyé un SMS pour savoir s'il voulait qu'on aille se manger un tacos rien qu'à deux pendant la pause de midi. Et après avoir envoyé le message, j'ai rangé mon téléphone puis relevé ma tête... Et je l'ai vu. Sa tête penchée sur le sien et alors qu'il le mettait dans sa poche, le mien a vibré. J'ai vu Érik mettre son bras autour des épaules d'une autre fille... J'ai regardé mon téléphone : il refusait parce qu'il devait réviser pour un contrôle d'anglais...
Lily hocha sa tête. Elle se garda de commenter quoique ce soit ; parce que d'un point de vue tout à fait personnel, elle se disait que peut-être que cette fille était une amie d'Érik ou quelqu'un qui allait l'aider à réviser... Mais ne sachant pas si elle pouvait dire ça, si c'était pertinent, si ça n'allait pas empiéter sur le privé, elle se contenta de se taire.
Et les trois filles reprirent leur discussion, à base de commentaires désapprobateurs et réconfortants pour Samantha. Lily restant juste spectatrice de la scène.
Elle eut l'impression qu'une lance venait de lui perforer le ventre.
Lily grimaça une bref seconde avant de se lever.
— Je... Je ne me sens pas bien... Je vais... Je vais aller voir les éducateurs...
Les trois filles hochèrent leur tête, lui souhaitèrent bon courage et bon rétablissement, puis reprirent leur discussion alors que Lily repartait pour l'école.
Mais les éducateurs ne purent rien faire, si ce n'est appelé sa mère et son père, sauf que personne ne répondait.
Tous les deux travaillaient.
Alors l'adolescente s'affala sur un divan, endurant sa souffrance dans le mutisme.
Elle n'en pouvait plus.
Elle n'en pouvait juste plus.
Elle avait l'impression que sa gorge se comprimait à cause de la douleur, et ca l'empêchait de respirer correctement.
Elle avait ce sentiment de suffoquer sans pour autant vraiment suffoquer. Elle respirait encore, mais cette désagréable sensation était là, constante.
Une bombe explosait en elle.
Voilà la pensée qui fusa dans son esprit.
La seule description qu'elle pouvait donner à cette souffrance sans équivoque.
Une bombe explosait et écorchait tout l'intérieur de son anatomie ; tout volait, partait en morceau, en lambeaux, se désintégrait.
Insupportable.
Les minutes ressemblaient à des heures.
Et alors que treize heures, l'heure de reprendre les cours, allait bientôt sonner, son groupe d'amies se dirigea vers elle. Sophianah à sa tête.
Celle-ci se plaça devant elle. Son visage n'affichait aucun sourire.
— Hey, tu vas mieux ? On peut te parler dehors ?
Lily secoua lentement sa tête. Elle ne pouvait vraiment pas se lever. Sophianah se pinça les lèvres.
— D'accord... alors voilà. On tenait à te dire que ça nous fait chier, là. Tu viens, tu t'incrustes, et tu poses une question totalement indiscrète sur un sujet qui ne te concerne pas du tout et est privé. Si on était parti sans toi, c'est qu'on ne voulait pas de toi, c'est clair quand même ?! Tu es toujours à nos baskets, comme un chien chien, et ça nous emmerde. On a essayé de te le faire savoir comme ce midi en partant sans toi, mais bon, tu ne piges rien ! On t'a accueilli parce que, ok, se faire des amis, ce n'est pas simple. Mais là, c'est trop. Tu n'es pas notre amie. Ok ? Vas faire ta vie sans nous. Où tu veux mais sans nous.
Alors que son flot de paroles parvenait petit à petit aux oreilles puis au cerveau de la jeune Lily, des élèves de la classe de cette dernière commençaient à s'amasser autour d'eux.
Les yeux de la jeune fille se remplirent de larmes.
Elle aurait aimé être partout. Absolument partout, qu'ici.
Ici où son ventre était roué par les coups du martyr et où des dizaines d'yeux la scrutaient comme une bête de foire.
Si sa douleur était moindre comparé à ce soir-là, la honte qu'elle ressentait, elle, était d'autant plus grande.
Au moins, cette nuit-là, et toutes les autres fois où elle les avait vu, ils portaient un masque.
Ils étaient d'un inconnu.
Eux, eux étaient des gens de sa classe.
Lily se mordit sa lèvre inférieure droite pour empêcher ses larmes de couler et s'excusa d'une voix à peine audible.
— Je suis désolée... Je... Je ne voulais pas m'immiscer... Mais... Mais je ne suis pas la seule à être toujours là... Lisie, Samantha... Vous êtes toujours à trois alors... Pourquoi est-ce que... Je ne pourrais pas...?
Elle ne comprenait pas.
Elle ne comprenait vraiment pas.
Elle n'était pas plus avec Sophianah que Lisie ou Samantha... Alors pourquoi ?
Celle qu'elle pensait depuis tout ce temps être une amie haussa ses sourcils, alors que les chuchotements des autres élèves s'élevaient.
— Mais tu n'es pas mon amie, elles si ! C'est ça la différence !
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