~ Correspondance VII ~
Ma chère Finna,
Je suis libre !
Et non pas fou comme cette exclamation pourrait te le faire croire. Encore que parfois, je doute moi-même d'être sain d'esprit. Ne t'en fais pas, je vais te conter ce pour quoi je parais si dérangé.
C'est hier, je crois, je ne sais plus, les jours s'égrènent sans que je ne les voie passer, que je me suis aperçu d'une chose en me levant bien tard. Dès que j'ai ouvert les yeux, j'ai su que j'avais dépassé l'heure habituelle à laquelle je me réveille et je me mets en route à l'ordinaire. Il devait être onze heures ou midi et je me suis senti coupable une bonne partie de la journée de ce que je n'aurais pas fait mes huit heures de marche quotidiennes. Et puis en m'arrêtant le soir-même un peu après la course du soleil, j'ai réalisé que j'aurais pu m'arrêter avant et que personne ne m'en aurait empêché attendu que je chemine absolument seul. Par conséquent, je suis complètement, définitivement et simplement libre. Tu me diras que je suis un idiot de ne pas m'en être aperçu plus tôt, je le sais, mais mieux vaut tard que jamais. Ce qui m'amène à penser que notre liberté se définit uniquement en fonction des autres : seul, je suis un oiseau, je vole, je pars, j'atterris, je chante à ma guise ; à plusieurs, il faut s'entendre, se comprendre, ne pas déranger, ne pas outrepasser les règles, vivre en société enfin. Je trouve cela bien plus compliqué et pourtant, la solitude me pèse tellement que sans Sysso qui me réconforte, tes lettres qui me rendent joyeux et ma résolution qui me donne du courage, je quitterais aussitôt cette terre désolée et cette voie solitaire que je me suis choisie pour retrouver la civilisation. Il est vrai que je ne sais plus où elle est et que si je me suis perdu, c'est peut-être pour toujours car ma carte m'indique des villages que je ne vois pas ou qui n'existent plus. Parfois je rencontre des ruines et je prends soin de m'en éloigner, j'ai eu trop peur une première fois pour être curieux encore. Cependant, peut-être me faudra-t-il y aller fouiller pour dénicher de quoi me sustenter.
Ne t'avais-je pas dit que mes provisions s'amoindrissaient grandement ? Et bien elles sont maintenant tout-à-fait taries de sorte que je me vois dans l'obligation de chasser les lézards. Je ne m'en plains pas : ils sont gras et je ne sais où ils trouvent de quoi aussi bien se nourrir mais j'aimerais être chanceux ou petit comme eux. Quoi qu'il en soit, ils me permettent de tenir malgré la faim qui me tenaille de temps à autre. Quand c'est le cas, je pense au coin de paradis que tu m'as décrit et je t'imagine au bord de ce lac aux eaux féeriques. Que n'ai-je pas envie de trouver à mon tour un pareil endroit pour t'y inviter ! Et pourtant tu l'as dit toi-même : c'est chose possible uniquement si on ne cherche pas. Je me résigne donc à ne jamais avoir la chance de me trouver en pareil lieu puisque, informé de sa présence quelque part, je ne cesserai jamais de le chercher durant mon voyage, je me connais.
Au fait, le paysage évolue quelque peu. Hier ou la semaine passée, tout était rouge. Désormais, l'honneur est à un beau jaune qui me rappelle les épis de blé des champs de ma petite jeunesse. Je m'amusais souvent à arroser tout ceux qui travaillaient à la faux et ils m'en remerciaient. J'ignore pourquoi j'étais le seul maître de l'eau des environs. Les autres étaient des élémentaires de terre et s'ils savaient cultiver la terre, ils avaient de sérieux problèmes d'irrigation. Heureusement que j'étais là pour les aider ! À la saison chaude, les cultures n'étaient arrosées que par moi et la pluie des orages et des averses. Cela me faisait beaucoup de travail mais je m'en voyais récompensé lorsque les pousses perçaient la terre et grandissaient jusqu'à toucher le ciel. C'était du moins l'impression que j'en avais lorsque j'avais cinq ans et que je n'étais encore pas bien haut. Je ne sais encore trop si je regrette cette période de ma vie et cette insouciance passée trop vite ou si je suis heureux de l'avoir quittée pour la connaissance et l'aventure que me procure ma situation d'aujourd'hui. J'en suis tout de même nostalgique et si j'ai quelque moment à pleurer, ce sera ces années-là. Cependant, il faut que je rende justice à tout ce que tu m'as appris et qui restera gravé en moi pour toujours. Du moins, je l'espère et je maudis souvent mon étourderie qui me fait oublier même les choses les plus importantes. J'aimerais être comme toi, un puits de connaissances sans fond qui partage et enseigne aux autres. Hélas, je ne suis pas fait ainsi et malgré mes efforts, je crains de ne jamais parvenir à mémoriser autre chose que ce que ma tête voudra bien, c'est-à-dire bien peu.
Tu sais, malgré mes défauts, je m'estime chanceux d'avoir ton affection, même si tu ne me la transmets que par des morceaux de papier pour le moment. Un jour, j'en suis certain, nous nous rencontrerons et nous pourrons enfin connaître et goûter aux plaisirs d'une conversation libre d'entraves et de questions sans réponses. En attendant, le soleil continue de taper fort et une ambiance sinistre règne. Je ne sais exactement ce qui a pu se produire en ces lieux mais cela devait être bien sombre et bien triste pour que la terre elle-même en garde les stigmates. La civilisation n'a pas reparu et j'espère la retrouver un jour.
Pardonne-moi de ne pas t'en conter davantage, mais aujourd'hui la fatigue me ferme les yeux et j'aimerais t'envoyer cette lettre avant de dormir pour que tu n'aies pas à t'inquiéter de moi. J'espère que de ton côté, tu as pu reprendre ta route en toute sécurité et que tu n'as pas fait de mauvaises rencontres. D'ailleurs, j'y pense, et si nous nous croisions un jour sans nous reconnaître ? Ce serait affreux ! Peut-être devrais-je me décrire pour que tu sois à même de me reconnaître ? Si je me dépeins, j'ignore si le portrait sera fidèle mais tant pis, j'essaie et tu seras seule juge. Je suis donc d'un blond assez clair et mes cheveux s'arrêtent à mes épaules en boucles constamment désordonnées parce que je n'aime pas me peigner, surtout quand je n'ai personne à qui me montrer. Mes yeux sont bleus, non pas comme l'azur du ciel mais plutôt comme l'obscurité de la nuit tombante. J'ai un petit nez, je crois. Il était petit en tout cas par rapport à ceux des élémentaires de terre et de mes parents mais quant à ma taille, je suis à peu près comme tout le monde, il me semble. Ni petit, ni grand, juste assez pour monter un cheval sans paraître ridicule comme l'était ce roi minuscule dont je ne me rappelle ni le nom ni celui de son royaume. Honte à ma mémoire ! D'ailleurs, je suis distrait et j'ai souvent la tête dans les nuages. Cela doit se voir physiquement puisqu'on m'a reproché ce « défaut » plusieurs fois. J'aime à penser que je suis rêveur et non inattentif mais il paraît que je suis bien le seul... Je porte au cou un collier de ma mère que tu reconnaîtras facilement puisqu'il est tout bleu. Ce n'est pas du saphir, nous n'étions pas assez riches pour cela, mais cependant il a de la valeur sentimentale à mes yeux et je serai fort attristé de le perdre. Lui aussi me remonte le moral et me ramène auprès de mes parents quand je suis nostalgique.
Je pense que j'ai... fini.
Ai-je vraiment écrit cela ? Je viens de me relire. Quel fou je fais ! La fatigue m'abrutit : je ne pensais pas à Sysso qui sera là pour que nous nous reconnaissions. Cependant, il ne me semble pas t'avoir jamais demandé à quoi tu ressemblais et j'en suis soudain fort curieux. Si tu le veux bien, tu pourrais te décrire comme je me suis décrit. Si tu es plus à l'aise en peinture ou en dessin et que tu as le matériel nécessaire, tu peux aussi en faire usage à ton bon vouloir ! Au plaisir d'avoir de tes nouvelles prochainement.
Que l'esprit de l'eau veille sur toi !
Eleyan Eredor.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro