Ma chère Finna,

J'ai à peine fini la lecture de ta lettre que je suis parti : tu ne me demandais que de l'espoir – que je t'envoie avec joie – et plus rien ne me retenait dans la maison de mon maître. Je lui ai dit adieu et il m'a souhaité bonne chance. Je pars le cœur léger mais les souvenirs se teintent déjà de nostalgie. Qu'il est difficile de quitter tout ce que l'on a connu pour quelque chose d'autre ! De plus grand, certes et de plus beau, peut-être, mais toujours aussi mystérieux. Ce n'est pourtant pas la grandeur de l'univers qui va m'effrayer ! Je me suis procuré une carte du monde connu et en y cherchant le nom de ton village, je ne l'y ai pas trouvé. Il doit être trop petit pour y figurer mais dis-moi si tu connais une ville suffisamment importante non loin de là où tu te trouves. Ainsi, je pourrais enfin savoir te situer sur ma jolie carte. Elle m'a coûté un peu cher mais pas suffisamment pour entamer sérieusement mes économies. Surtout qu'en ce moment, je ne les use guère : je dors à la belle étoile et n'achète que du pain. Ici, c'est la saison chaude et ainsi, je peux dormir dehors sans craindre le froid. Je n'ai pas encore essuyé mon premier orage malgré le temps lourd, et j'espère que cet instant tardera encore ! Si tu savais la sensation que me procurent les orages, tu saurais toi aussi qu'il vaut mieux que je les évite.

Tu dois te sentir bien seule à voyager sans compagnon et à mon tour, j'aimerais que tu sois auprès de moi, à marcher sur les routes. Si nous étions deux à cheminer, tout serait plus beau, j'en suis sûr ! Le sentier s'étire à l'infini devant mes pas. J'erre vers le sud. Je compte quitter mon pays, où les élémentaires d'eau ne sont pas rares et où personne n'a besoin de mes services, car je compte bien gagner ma vie. Dans le sud, on a plus besoin d'eau que dans le nord où il pleut souvent. En voilà des évidences !

Tu sais, sur le bord des routes, pendant ma pause et même en alignant mes pieds l'un devant l'autre, je songe à toi. Souvent, un oiseau passe, chante, ou une cigale, ou un écureuil et ils me distraient, mais le reste du temps je me languis d'une présence amie. J'imagine nos conversations. Nous pourrions disserter sur de nombreux sujets, tu ne crois pas ? Tu me partagerais ta science et tes connaissances et je t'écouterais avec joie. J'ai tant envie de te rencontrer ! Comme moi, tu aurais certainement ri en voyant la figure du berger barbu lorsqu'une mouche a osé se poser sur son petit veau. Son museau était encore tout tâché du lait qu'il avait bu. Je l'ai trouvé attendrissant. Ttout autant que moi, tu aurais sursauté lorsque hier soir, en m'installant pour la nuit, un oiseau au plumage de feu que tu connais bien a fait craquer la branche au-dessus de ma tête.

Ah ! Je te demande de m'excuser : voilà que je te décris une joie qui n'est que mienne alors que je devrais prendre de tes nouvelles ! Informe-moi, je t'en prie ! J'attends chacune de tes lettres avec impatience et les conserve précieusement. Elles sont en permanence avec moi et je ne m'en séparerais pour rien au monde. J'espère toujours que celle-ci ou celle-là n'est pas la dernière et que ma réponse te trouvera saine et sauve. Je m'inquiète, sais-tu ? Si seulement je pouvais être à tes côtés ! Mais la vie n'en a pas voulu ainsi : nous voilà séparés, pauvres âmes qui vagabondent sans trouver le chemin qui leur permettra de se retrouver. J'espère que je ne fais pas fausse route et que tu es toi aussi en cavale vers le sud. À l'est ou à l'ouest, cela m'est égal mais vers le nord, je serais obligé de faire la route en sens inverse !

Te rends-tu compte ? J'arrive à me plaindre d'une situation tout-à-fait acceptable ! Alors ? De ton côté ? Manges-tu bien ? Bois-tu assez ? Dors-tu confortablement ? Ma plume va plus vite que ma pensée. Je l'arrête. Cependant d'autres questions me hantent l'esprit. Ma conscience veut que je ne les pose pas mais ma curiosité insatisfaite me crie le contraire. Alors bon, je me lance en espérant que tu n'en prennes pas ombrage.

Je me demande si tu sais qui te poursuit ? Si tu connais leurs objectifs et leur destination ? S'ils sont proches de t'attraper ? Oh ! Non ! Je préfère ne pas y penser. J'espère que tu les fuis encore et toujours même si cela doit-être épuisant. Mais peut-être que si tu leur parlais, ils cesseraient cette poursuite ridicule ? À quoi bon t'en vouloir à toi, bonté sur terre ? Peut-être qu'ouvrir un dialogue suffirait à dissiper ce malentendu ?

Peut-être... Il est si facile d'espérer dans ma situation. Cela l'est certainement moins dans celle où tu te trouves ! Je prie pour que la joie et l'espoir puissent rester dans ton cœur. N'abandonne jamais l'espoir, il est la clé de tout. Sans lui, je ne donnerais pas cher de ma pauvre vie. Ne perds pas espoir. Songe qu'un jour, nous nous retrouverons. Cette pensée te réconfortera, je le souhaite, en attendant notre véritable rencontre.

Espère et vis, c'est tout ce que je peux te demander de ma place.

En souhaitant justement que mon écriture un peu brouillonne t'apportera un petit rayon de lumière, je te salue.

Que l'esprit de l'eau veille sur toi !

Eleyan Eredor.