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Chapitre 10 : L'énigme Bailliafus


S'extirpant de la maison de son hôte en tanguant un peu, Craven rentra à l'aurore. Il croisait les doigts pour qu'aucun de ses subordonnés ne le surprît à conduire en état d'ivresse. Exceptionnellement heureux de l'absence de Molly en arrivant chez lui, il monta maladroitement l'escalier menant à sa chambre pour s'effondrer sur le lit sans se déshabiller. Après quelques heures d'un sommeil lourd et peu réparateur, il émergea avec l'impression d'une urgence à régler.

La salle de bain lui parut l'endroit approprié pour chasser les dernières vapeurs d'alcool qui lui embrouillaient l'esprit. La mémoire lui revint alors qu'il s'aspergeait le visage d'une giclée d'eau froide. Suspendant son geste, il prit de plein fouet les révélations de la nuit : l'histoire d'un clan viking poussé à l'exil par un enfant démon, miraculeusement sauvé par un arc-en-ciel apparu au milieu de la brume et un bond dans le temps.

Une année en arrière, il aurait secoué la tête d'un air débonnaire en songeant que toute cette histoire prêtait à rire. Depuis, il avait aménagé sur Andhon Island, il y avait enquêté, et ce qu'il y avait vécu révisait son jugement sur tout ce qui s'apparentait aux évènements surnaturels. L'île regorgeait de mystères, pas vraiment bienveillants, et il ressentait un danger latent.

Au fil des mois, George avait appris à se méfier des apparences. Pour la plupart des touristes, les gens d'ici avaient l'air normaux, mis à part qu'ils restaient repliés dans une tradition catholique un peu désuète et qu'ils avaient tendance à ne pas faire confiance aux étrangers. Lui savait que, sous ce vernis tranquille, certains se démenaient dans d'effrayantes histoires occultes, qui l'enverrait d'office sur le divan d'un psychiatre si sa hiérarchie se doutait qu'il leur accordait foi.

Ce qui se déroulait sur cette île dépassait l'entendement. Jusque-là, ses enquêtes et ses mésaventures précédentes se soldaient toutes par une victoire. Victoire qui ne lui en paraissait pas moins à chaque fois relative. Il avait la conviction que le mobile réel de toutes ces étrangetés lui échappait. Soit il n'avait pas accès à toutes les informations, soit il passait à côté d'un élément essentiel. Dans les deux cas, il se sentait manipulé et il détestait cela.

L'histoire de Dirk relançait la machine, tout en lui soufflant qu'il tenait là une pièce importante du puzzle qu'il entrevoyait. Son instinct lui criait de ne surtout pas ignorer cette piste, même si les révélations du jarl soulevaient en lui plus de questions qu'elles n'en résolvaient.

À l'heure actuelle, une seule personne était peut-être en capacité de lui apporter des réponses et il était bien décidé à les obtenir. Cette personne était aussi sa commanditaire, et cela tombait bien. Négligeant de se raser, il passa un coup de fil afin d'avertir ses collègues de ne pas l'attendre avant quinze heures, et de ne surtout pas le déranger d'ici là, sauf urgence. Sa voix pâteuse rendue un peu rauque accréditait le prétexte d'un méchant coup de froid.

Son second appel fut pour Wes. Pragmatique, il s'en tint à l'essentiel lorsque son ami décrocha.

— Il faut qu'on se voie. J'ai les infos qu'il te manque.

À l'autre bout du fil, la réponse fut tout aussi restreinte.

— Où ?

Même endroit que la dernière fois, mais en hauteur. Tu sais où je me gare, rejoins-moi dans la voiture.

Cette fois-ci, George refusait de crapahuter jusqu'en bas du phare. Le gel rendait le sentier glissant, et le froid vif de ce mois de décembre ne l'incitait pas à la promenade. Conciliant, Romero se contenta de demander :

Quand ?

D'ici une demi-heure. Si tu peux.

— J'arrive.

Craven raccrocha avec la satisfaction du travail bien fait. C'était à la fois suffisamment vague s'ils étaient sur écoute, et assez précis pour que Romero sût où le retrouver. Prenant son manteau, il se hâta d'atteindre son véhicule en vérifiant que personne ne l'épiait. Il démarra de même, sans cesser de jeter de fréquents regards dans le rétroviseur. Une fine pellicule de neige s'était installée durant la nuit, et la rue demeurait déserte. Il ne remarqua rien de suspect le temps de gagner la route longeant la mer.

Plus détendu, il dépassa le phare. Il avait hâte de rencontrer son ami. Au-delà de l'espoir de comprendre ce qui ne tournait pas rond sur cette île, cette histoire l'inquiétait. Enfin, il atteignit le parking au sommet de la falaise. Sans hésiter, il gara sa voiture au plus bas de la combe, là où les touffes d'herbes sèches en surplomb la dissimulaient. Celle du journaliste s'y trouvait déjà. Deux claquements de portière plus tard, Wes s'installait près de lui, du côté passager.

— Tu as fait vite, nota George en guise de bonjour.

— Depuis le temps que j'attends que tu me fasses ton rapport, te faire lambiner m'aurait paru masochiste. À ta mine de papier mâché, je suppose que tu as franchi l'épreuve de Yule avec succès.

Ignorant la pique amicale, Craven se cala plus confortablement sur son siège pour répliquer :

— J'ai ta réponse. Te connaissant, tu vas adorer.

— Bien, alors raconte.

Rassemblant ses idées en prenant une grande inspiration, George lui conta toute l'histoire. Malgré l'apparition d'un léger mal de crâne, il tentait d'omettre le moins de détails possible. Concentré et silencieux, Wes l'écoutait religieusement. Il se contentait de secouer la tête de temps à autre, comme s'il approuvait, ce qui, compte tenu de la nature peu conventionnelle de ses propos, pouvait passer pour étonnant.

Le policier connaissait heureusement suffisamment son ami pour savoir que l'irrationnel ne le rebutait pas. Au contraire, il semblait même s'y complaire, tant l'étrange, le merveilleux et l'inexplicable faisaient partie intégrante de sa vie. Et pour cause, Romero était lui-même un de ces êtres surnaturels que le commun des mortels taxait d'affabulation. Par son père, directement issu de la sphère céleste. Ce qui faisait de lui un demi-ange, même si son physique de bûcheron s'opposait au côté androgyne que l'imagerie populaire prêtait à son ascendance séraphine. En somme, un excellent travestissement qui détournait les soupçons.

Par contre coup, leur amitié finissait par désinhiber Craven lorsque celui-ci devait évoquer sérieusement ce genre de question. Vivre sur Andhon Island vous immunisait contre la platitude d'une réalité supposée essentiellement cartésienne.

Au fur et à mesure de son exposé, George mesurait l'intérêt de Romero à son mutisme. Visiblement, son histoire le passionnait, tout en déclenchant chez lui une houle de perplexité s'il se fiait à la ride de concentration qui creusait le front du journaliste entre ses sourcils broussailleux. Lorsqu'enfin il se tut, il s'attendait à un interrogatoire en règle sur ses impressions et le degré de véracité qu'il accordait à toute cette histoire. La première question de son ami fut nettement plus pragmatique.

— Que vas-tu dire à Terry ?

Craven étouffa un soupir ennuyé. S'il existait une personne qu'il évitait depuis son retour, c'était bien Terry. Au point de s'astreindre à faire un petit détour pour gagner la route de la côte, afin de ne pas passer devant la bibliothèque.

Impatient de connaître le résultat de son enquête, ce dernier n'avait pas manqué de lui laisser un message sur son répondeur. Déjà, pour le rassurer sur l'état d'esprit de Molly, avec laquelle il avait passé une excellente soirée. Chassant la pointe de jalousie qui l'avait effleuré au mot « excellente », George lui était redevable d'avoir veillé sur la quiétude de son aimée. Ce premier point exposé, Terrry ne lui avait pas caché qu'il attendait un retour précis de son immersion en pleine célébration de Yule, et surtout de ses découvertes sur l'étrange installation du groupe.

Concrètement, le commissaire lui devait beaucoup. Sans lui, jamais il n'aurait réussi à approcher Dirk et les siens de façon aussi cordiale. Hook subodorait en outre depuis bien plus longtemps que lui l'existence d'un décalage temporel expliquant leur arrivée. Sa manière sibylline d'évoquer leur origine, alors qu'il l'accompagnait pour l'introduire dans le campement, devenait à présent claire et le lui confirmait.

En se basant sur ses observations et ses déductions, étayées par ses connaissances culturelles étendues, ce passionné d'histoire avait compris que l'originalité de ces Scandinaves ne résidait pas dans un simple mimétisme du passé. Il soupçonnait l'incroyable. En fait, il avait résolu l'énigme avant lui, même si ce n'était que de façon intuitive. Ne lui restait qu'à obtenir la confirmation de ses doutes et à découvrir le récit du périple qui les corroborait. L'informer relevait d'une logique équitable.

Plus qu'un auxiliaire, le bibliothécaire était son ami, à l'égal de Wes, même si leurs rapports se nourrissaient d'une complicité différente.

Hook était pourtant bien placé pour l'écouter. Certains secrets de l'île ne relevaient plus du mystère pour lui. Ce qui lui avait déjà valu de se retrouver embarquer dans des histoires dangereuses et incroyables. Ils avaient même collaboré lors de sa première enquête sur l'île, dont la résolution s'était révélée particulièrement sombre. Alors oui, il était fiable, fidèle et loyal, mais moins armé émotionnellement et physiquement que Romero pour affronter ce genre de mystères, qui faisait la particularité d'Andhon Island.

Qu'il eût précédemment été mêlé à d'autres affaires étranges n'y changeait rien. Il s'y était retrouvé plongé par un pur hasard. Craven ne désirait pas lui mentir, mais il aurait aimé savoir à minima où il posait les pieds avant de lui parler. Son instinct le mettait en garde. Il subodorait un lien de plus en plus étroit entre toutes les histoires bizarres de l'île et un danger qui ne faisait que croître.

En tenant compte de tous ces a priori, sa réponse à la question de Wes fut étonnante.

— Je pense lui dire la vérité.

L'air à la fois surpris et interrogateur du journaliste lui arracha un sourire de connivence. Apparemment, ce dernier nourrissait les mêmes craintes que lui à l'encontre de Terry.

— Enfin, la vérité arrangée, précisa-t-il. Que le hasard d'une folle équipée les a menés jusqu'à nous par le biais d'un arc-en-ciel miraculeux.

Ce n'était pas le hasard, répondit Wes.

— Exact, acquiesça sombrement George, mais je préfère attendre avant de le lui faire savoir. Même s'il se doute déjà de tout un tas de choses, j'ai besoin d'acquérir des certitudes.

Le rire de Romero emplit l'habitacle.

Tu espères révolutionner la science ? Dans ce domaine, tu es optimiste. Et puis tu connais la curiosité de Hook. Bon courage pour détourner ses questions.

— Je veux surtout éviter qu'il se fourre dans des emmerdes pas possibles, répliqua Craven. En général il est prudent, mais sur ce coup il a déjà enquêté avant moi, et tu le sais. Je n'aime pas la lueur d'intérêt qui s'allume dans son œil dès qu'on évoque ce campement.

— Pour un passionné d'histoire, ce n'est pas tous les jours non plus qu'on tombe sur d'authentiques rescapés du moyen-âge, objecta le journaliste. Tu aurais été le premier à foncer si ton flair de flic n'avait pas été pris en défaut.

Pinçant les lèvres, le policier admit :

— Certes, mais nous jouons dans des catégories différentes. Si ces gens ne représentent aucun danger, je redoute surtout qu'il s'emballe en oubliant l'essentiel. Je n'aime pas la tournure de cette histoire. Dirk est un esprit simple, mais quand il parle de démon je sais qu'il n'affabule pas. Tu penses à ce que je pense ?

Wes s'accorda quelques instants de réflexion avant de répondre :

— Qu'il pourrait s'agir d'une des entités qui semble hanter l'île ? D'après ce qu'il t'a raconté, ce Bailliafus paraissait pressé d'arriver ici, mais imaginer qu'il pourrait exister un lien, c'est oublier un peu vite que ton jarl affirme que son poursuivant s'est retrouvé coincé plus de mille ans en arrière.

Qui peut dire ce qui s'est passé depuis des siècles, argua George.

— Tu as raison, opina son ami. Seulement, pour l'instant, rien n'atteste la présence d'un Bailliafus sur ce sol.

Détournant les yeux sur le parking, Craven soupira avec découragement.

— Ni qu'il s'agissait véritablement d'un démon, admit-il.

— Là, par contre, tu as tort, le détrompa Wes.

Le regard de nouveau tourné vers lui, le policier demanda sans cacher son scepticisme.

Comment cela ?

Un sourire sur les lèvres, le journaliste répliqua :

— Tu n'as pas remarqué l'anagramme ?

Craven savait que Romero n'avançait jamais rien sans raison Il aimait également tester ses partenaires quand il menait des investigations, et là il le faisait incontestablement languir, s'amusant visiblement de son impatience à découvrir l'élément qui lui échappait. Mais il avait beau se torturer les méninges, il ne voyait pas où son comparse trouvait une anagramme. Ravalant un grognement de frustration, il s'avoua vaincu.

Quelle anagramme ?

— Bailliafus. Si tu pars du principe que la langue latine était assez commune à l'époque, et qu'elle attribuait souvent un petit côté étranger chez nos Scandinaves, leur visiteur possédait la façon idéale de se présenter correctement tout en se moquant d'eux. Dirk ne manque pas de qualités, mais c'est quelqu'un de plutôt simple, tout comme ceux de son clan. Le gamin savait qu'aucun d'entre eux ne serait assez cultivé pour comprendre, tout en poussant le vice de garder la possibilité d'affirmer qu'il avait dit la vérité, dans le cas où un érudit le percerait à jour. À mon sens, il ne leur a jamais donné son véritable nom. Il leur a seulement fourni des indications sur sa nature exacte, sans trahir son identité réelle.

Si George n'était pas féru en anagramme, il conservait d'une scolarité tournée vers les lettres des bases latines suffisamment solides pour résoudre l'énigme maintenant que Wes lui en avait remis la clé.

— Bailliafus pour Baal filius, énonça-t-il. Fils de Baal.

Un vigoureux hochement de tête de la part de son comparse approuva sa traduction.

Alors, qu'en dis-tu ? demanda celui-ci.

Craven était loin de posséder les connaissances ésotériques ou religieuses de ce dernier, mais il savait que Baal était un démon majeur.

— Que ça sent effectivement le souffre, rétorqua-t-il. Si mes informations sont exactes, la croyance en Baal remonte à l'antiquité, du côté du Moyen-Orient. Il n'était pas foncièrement mauvais à la base, mais bien trop loin d'un culte monothéiste avec l'arrivée du Yahvé Israélite. Sans compter qu'il tolérait la prostitution sacrée et des sacrifices parfois un peu limites.

— Si tu veux parler des sacrifices d'enfants, on est d'accord, opina le journaliste.

— Oui, j'ai lu ça quelque part, poursuivit George avec emphase. Je crois qu'on l'identifiait à la vénération du veau d'Or, ce qui lui a rapidement valu de sombrer dans le camp des dieux infréquentables.

Heureux d'un savoir qui pour une fois le mettait presque sur un pied d'égalité avec Romero, il exposait ses connaissances avec une certaine satisfaction. La réponse de celui-ci doucha cependant son enthousiasme.

— Tes notions sont intéressantes, et pourtant tu te trompes. Comme tu l'as souligné, le Baal antique n'avait rien de foncièrement mauvais. À la base, c'était un simple nom commun sans connotation religieuse, répandu dans tout le Moyen-Orient. Il désignait un seigneur, un maître, ou un époux. Quelqu'un de révéré. Les Sumériens de l'époque l'ont naturellement accolé au nom de plusieurs divinités. Au point que ce qualificatif a fini par devenir une appellation réductrice pour les adeptes de la religion hébraïque, les Baal étrangers étant alors considérés comme de faux dieux. Une sorte de blasphème qui réfutait l'unicité de leur dieu.

Craven l'écoutait comme un écolier pris en faute. Emporté par le contentement de mettre en place certains faits, il venait d'oublier une règle élémentaire : ne jamais faire preuve de pédanterie face à un spécialiste.

— Mais Bailliafus ne faisait pas référence à ce Baal-là, acheva Wes.

Le policier rebondit aussitôt sur cette assertion.

— Parce qu'il en existe un autre ?

— Oui, et c'est celui-là qui nous intéresse. Les profanes le confondent d'ailleurs souvent avec le premier, mais il n'a rien à voir. Ce dernier se rapporte plus directement à la tradition chrétienne. Plus précisément à son côté obscur et démoniaque. Au sein des légions infernales, son rang est aussi prestigieux que celui de Satan ou de Lucifer. Sais-tu ce qu'on appelle la goétie ?

Humblement, George reconnut son ignorance.

— Non.

C'est une magie incantatoire. Elle sert essentiellement à invoquer des démons malfaisants. Baal, ou Baël, selon les sources, règne sur cette science occulte au service du pan le plus noir de l'ésotérisme. Dans les premiers de la liste. Les érudits précisent qu'il serait le roi de la partie orientale des Enfers et commanderait à 66 légions. On le représente comme une créature tricéphale. Une face humaine, une autre féline et la dernière rappelant celle d'un crapaud. Sa voix rauque le caractérise et il est censé offrir l'invisibilité et la ruse à ceux qui l'invoquent. En contrepartie, il les rend parfois boulimiques jusqu'à vomir tripes et boyaux. Il maîtrise le temps. Il est capable de vieillir des personnes ou des objets en accélérant la course de celui-ci. On le dit aussi susceptible d'absorber la jeunesse de quelqu'un par simple contact physique. Dans la Bible, et plus précisément dans l'Ancien Testament, on le connaît sous plusieurs titres : Roi des Mouches, Dieu de l'Orage, Général en chef des armées infernales ... Des écrits datant du Moyen Âge parlent de ses possessions démoniaques sur des nonnes ou des jeunes filles pures. Il déteste perdre, a un orgueil incommensurable et adore tromper les humains. Il existe plusieurs rites pour l'invoquer, mais le faire, même avec les plus mauvaises intentions du monde, n'est jamais sans danger pour celui qui s'y risque.

— Vraiment charmant, ponctua George, mal à l'aise rien qu'à l'évocation du personnage.

Tu n'as pas idée, confirma Romero.

— Et Bailliafus serait son fils ?

— Pas dans le sens strict, reprit son ami. Son serviteur, plutôt. Et des serviteurs, Baal n'en manque pas.

Pianotant sur son volant, le policier soupira.

— Donc, nous ne sommes pas plus avancés.

— Pour connaître le nom véritable de l'entité qui possédait ce gamin et essayer d'élucider ses manigances ? Non, admit Wes. Par contre, je parierais mon âme que revenir ici était primordial pour lui.

Durant quelques secondes, un lourd silence emplit l'habitacle.

— On nage en plein irrationnel, dit enfin Craven. Je n'ose pas imaginer l'effet d'une telle conversation sur un citoyen lambda. Si ma hiérarchie soupçonne que je crois en des trucs pareils, ma carrière est fichue.

Affichant un air compatissant, son ami tenta de le rassurer.

— Tu n'as rien à craindre sur Andhon Island. La plupart des gens d'ici ont beau se taire, ils savent tous que quelque chose ne tourne pas rond, et plus d'un perçoit le mal qui rode, même s'ils ne le nomment pas.

— Je ne parle pas d'Andhon Island, répliqua le policier.

— Tu envisages de déménager ?

— J'ai surtout envie que toutes ces conneries s'arrêtent, et de savoir que ceux que j'apprécie sont en sécurité. Tu es impacté, Molly a vécu l'enfer, quant à moi, j'ai failli y rester. Où que nous allions, j'ai la conviction que ce qui nous traque nous retrouvera. On doit réussir à vaincre. Mais pour ça, il faut arriver à comprendre ce que veut l'adversaire et que nous l'identifions. Je sens qu'il est multiple, et ça ne me plaît pas.

Songeur, Romero remarqua :

— À mon sens, ce jarl est dans le vrai lorsqu'il dit qu'un vent mauvais souffle du nord.

— L'orphelinat ? demanda Craven.

— C'est en tout cas là-bas que ce démon semblait les pousser, répliqua Wes.

Le commissaire grimaça. Son arrivée sur l'île correspondait à la découverte d'un crime particulièrement sanglant et incompréhensible. Tout, du déroulement du meurtre à la mise en scène macabre du corps de la victime, trahissait une affaire hors du commun. Au fil de ses investigations, il avait acquis la conviction que l'assassin venait de l'orphelinat. Un établissement sur lequel régnait toujours la congrégation de religieuses du couvent dont il dépendait.

Le crime avait finalement été élucidé, menant à un coupable. Il aurait dû en rester là, mais il demeurait persuadé que la mère supérieure ne lui avait pas tout dit. Elle cachait quelque chose. De son côté, les investigations ésotériques de Wes semblaient attester qu'un démon séjournait, ou avait séjourné, là-bas. Qui était-il ? Agissait-il seul ? Quel hôte possédait-il ? Pour quelles raisons ? Autant de questions sans réponse qui faisaient écho aux révélations de leur visiteur moyenâgeux. Le problème résidait dans l'exploitation de ces dernières.

— Seulement Dirk et son clan nous arrivent tout droit du neuvième siècle, remarqua-t-il. Ce qui signifie que Bailliafus est coincé plus de mille ans en arrière. Je vais avoir du mal à mener une enquête sans machine à remonter le temps. Depuis le meurtre qui m'a valu mon installation ici, j'ai fouiné du côté du couvent. Je sais qu'il date du quinzième siècle. Donc bien plus tard que l'escale supposée de ce gamin démoniaque. Tu crois qu'il existait quelque chose de suffisamment attractif pour pousser un démon à rejoindre cette île et plus précisément l'orphelinat, six siècles auparavant ?

Les nonnes ne t'ont apparemment entretenu que de ce qu'elles racontent aux touristes. Elles détestent qu'on les dérange et elles aiment faire court dans ce domaine. Histoire de décourager les curieux par la banalité supposée du lieu. Soit tu n'es pas en odeur de sainteté auprès d'elles, soit tu ne leur as pas posé les bonnes questions.

— Soit elles m'ont sciemment dissimulé une information, compléta George.

— C'est aussi une option, approuva Romero. Pour ma part, j'ai passé des heures à éplucher les archives et elles sont bien plus bavardes que ces vieilles pies.

— Et qu'as-tu découvert ?

— Que leur communauté religieuse remonte en fait au huitième siècle. À l'origine, l'île était occupée par des Celtes. Lorsque les premiers chrétiens ont débarqué, les autochtones avaient déjà connu un premier choc des cultures, suite aux conquêtes romaines. Mais l'endroit était suffisamment pauvre et sans intérêt stratégique pour que ceux-ci n'y établissent pas de colonie. Les premiers insulaires avaient donc pu vivre suivant leurs coutumes, mais aussi leurs traditions religieuses sans être inquiétés. L'arrivée des chrétiens a changé la donne. Ceux-ci obéissaient au pouvoir de Rome, et l'Église était bien décidée à convertir tous les habitants des nouveaux territoires. Plus que tout, elle souhaitait gommer jusqu'au dernier aspect de ce qu'elle considérait comme un paganisme notoire. Cigisberg, un moine contemporain à cette implantation, a eu la bonne idée de consigner dans un grimoire quelques éléments de la vie quotidienne des anciens insulaires, mais aussi de leur culte. On y trouve aujourd'hui les seules informations relatives à l'existence sur Andhon Island avant l'installation chrétienne.

Si je comprends bien, c'était une sorte d'anthropologue avant l'heure, résuma George.

— On peut le définir comme ça, opina Wes. Grâce à ses notes, j'ai pu apprendre que le nord de l'île intéressait les druides. J'ignore pourquoi, mais ils s'y rassemblaient apparemment lors de la treizième lune, pour effectuer un rituel mystérieux la nuit où celle-ci était pleine. Les gens d'ici semblaient particulièrement redouter ce moment, mais Cigisberg n'a pas cru bon de raconter pourquoi. À moins qu'on ne lui ait déconseillé de le faire. Toujours est-il qu'une expédition a été menée pour déloger les druides et ceux-ci n'ont pas résisté face aux glaives de quelques mercenaires grassement payés. Afin de célébrer cette victoire et d'occuper le terrain, une chapelle a été construite. Les fondations du couvent ont rapidement suivi, exactement là où il s'élève aujourd'hui, et la première communauté religieuse s'y est installée avant même que la construction de locaux isolant les moniales soit achevée. Un peu comme si un état d'urgence les poussait à s'imposer sur les lieux. Malgré les siècles écoulés, ce couvent n'est jamais tombé à l'abandon. Des générations de nonnes s'y sont succédées et s'y succèdent encore. Donc pour en revenir à la question qui nous occupe, Bailliafus avait la possibilité d'y débarquer au neuvième siècle. Reste à savoir pourquoi.

À nouveau le silence s'installa dans l'habitacle. Chacun réfléchissait de son côté.

— Terry m'a un jour expliqué que les druides ne s'implantaient jamais quelque part sans raison, émit soudain Craven. Pour que ce lieu les attire ainsi, il existait certainement une raison essentielle.

— Malgré mes recherches, je n'ai toujours rien trouvé de probant, démentit Romero. Les druides protégeaient-ils quelque chose ? L'adoraient-ils ou s'en défiaient-ils ? Autant de questions sans réponses. Pour progresser, il faudrait que les nonnes nous ouvrent leurs archives. Malheureusement, le Cerbère qui leur sert actuellement de mère supérieure n'est guère conciliante.

L'antipathie du commissaire pour la dirigeante du couvent allait dans son sens. Pensif, il répliqua :

Ce qui me dérange, c'est le calme qui semble avoir régné ici durant des siècles. Lors de ma première enquête, j'ai vérifié. L'île et ses résidants ont naturellement connu des périodes de famine, de maladie ou de destructions dues à la guerre, mais rien d'extraordinaire rapporté à l'histoire de la région. Ce n'est qu'à partir de ces dernières décennies que j'ai noté quelques peccadilles non élucidées. Des incidents que tu classerais dans la rubrique des chiens écrasés, mais des chiens méchamment écrasés. Si tu as raison, il a forcément dû se passer quelque chose qui a bousculé des siècles de relative tranquillité. Et si c'est une coïncidence, elle mérite tout de même que je garde un œil sur l'orphelinat.

— Je ne crois pas aux coïncidences sur Andhon Island, répliqua Wes. Je te laisse gérer Terry. Quant à Dirk, pour son bien et celui des siens, je pense qu'il doit rester hors de cette affaire.

— Tu as raison. Je vais endosser ma panoplie de flic incapable de poser un pied hors de la réalité pour lui expliquer que j'ai adoré Yule et qu'il a un don exceptionnel pour raconter des histoires abracadabrantes. Ça va le vexer comme un pou et je ne serai certainement plus le bienvenu dans le camp, mais ce sera mieux que de voir une horde de journalistes débarquer ici si jamais il prenait trop d'assurance et dévoilait son histoire à d'autres.


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