Chapitre 20
Les mains croisées dans son dos, Scarlett observait par la petite fenêtre du zeppelin le paysage se mouvoir sous ses yeux. Dans son dos, la petite assemblée retenait son souffle, attendant patiemment sa prise de parole. La générale ne dit rien pendant quelques secondes encore avant de focaliser son attention sur ceux qui se tenaient près d'elle. Ses yeux vert vif parcourent rapidement les visages de ses soldats.
— Je vois de la détermination sur vos visages, soldats. Vous êtes donc prêts à affronter ce qui vous attend. Cependant, je souhaiterai tout d'abord vous remercier tous pour avoir répondu à mon appel. Je suis heureuse de voir que vous n'avez pas tous été dupés par cette Clé et ses prétendus maîtres. Si vous êtes ici, vous le savez aussi bien que moi. La Clé représente un danger pour ceux qui se laissent aller à son pouvoir.
Scarlett marqua une pause, laissant son regard se promener sur son auditoire avant de reprendre d'une voix forte :
— Aujourd'hui, nous allons mettre fin à son joug, ainsi qu'à cette dictature qui nous contrôle tous depuis trop longtemps maintenant. Je ne suis ni une sainte, ni une héroïne. J'ai du sang sur les mains, comme vous tous ici. Ce que je vous propose, ce n'est pas une possibilité de rédemption ou de salut, je laisse ça à Dieu. Non, ce que je vous propose, c'est la possibilité d'avoir enfin un gouvernement qui nous respecte, nous, l'armée. Depuis trop longtemps nous vivons enchaînés. Mes chers alliés, mes amis. Aujourd'hui est le jour où la junte militaire de Chalkos va entamer sa chute. Aujourd'hui est le jour où tout va changer pour ce pays.
La générale marqua une pause avant de lever son poing en l'air. Le geste ut reprit par le reste des soldats. Scarlett eut un sourire et descendit de l'estrade où elle se trouvait. Elle traversa l'assemblée pour aller voir une personne particulière qui se trouvait dans le fond de l'habitacle.
— Merci Isaiah d'avoir répondu à mon appel. Je vous serai infiniment reconnaissante pour tout ce que vous avez fait pour ce pays, pour moi.
— Je vous l'ai déjà dit, générale. Je ne fais que mon devoir.
— Pas aujourd'hui. Pas ici. Vous êtes un civil, pas un soldat. Vous n'étiez aucunement dans l'obligation de venir, pourtant vous l'avez fait. C'est pour cette raison que je vous remercie.
L'ancien soldat baissa la tête en guise de respect. Même si ses mains étaient crispées sur les roues de son fauteuil roulant, il ne ressentait que de la détermination, du respect pour la femme qui se tenait devant lui, et cette dévotion qui l'a toujours lié à l'escouade de Scarlett.
— Générale Ambrose ?
— Veuillez m'excuser.
Scarlett prit congé d'Isaiah pour aller rejoindre celui qui avait parlé ; le lieutenant-colonel Castleton.
— Que se passe-t-il ?
— J'ai reçu des nouvelles de l'escouade dirigée par la colonel Hammer.
Elle hocha la tête. Elle avait compris que la situation était assez grave.
— Allons dans mon bureau, nous y serons plus tranquilles.
Theodor obtempéra et les deux quittèrent l'habitacle pour rejoindre les quartiers de Scarlett.
— Vous auriez pu m'en parler plus tôt, soupira la générale.
— Certes, mais vous étiez occupée.
— Qu'avez-vous à me dire ?
Si Scarlett était irritée par le fait que Juliet ait parlé à Theodor avant elle, elle ne le fit pas transparaître. L'absurdité de sa pensée lui fit échapper un léger rire. Le lieutenant-colonel était son second. C'était normal qu'il reçoive les informations avant elle. Juliet ne faisait que suivre la procédure.
— La colonel Hammer a bien trouvé le groupe que nous recherchons. Notre hypothèse s'est malheureusement avérée juste. Ils créent des chimères. Cependant leur but est encore inconnu. Et...
Scarlett plissa les yeux en sentant que Theodor était fébrile. Il avait toujours été une personne calme et impassible. Il en fallait beaucoup pour réussir à l'ébranler.
— Il se pourrait que des homoncules aient fait leur apparition...
— Des homoncules ? C'est impossible !
— J'en suis conscient, mais...
— Mais... ?
— La caporale Wilkincraft a trouvé un cercle de transmutation. La colonel Hammer pense qu'il s'agirait du cercle qui a été utilisé pour créer cet homoncules.
Il déposa devant Scarlett le cercle en question. Elle l'étudia en silence pendant quelques secondes avant de soupirer et lever à nouveau les yeux vers Theodor.
— Autre chose ?
— Pour l'instant, ce sont les seules informations dont je dispose. Je vous ai épargné les détails, mais je vous en ferai part dans un rapport détaillé.
— Merci, lieutenant-colonel...
Le regard las de Scarlett n'échappa pas à Theodor.
— Scarlett ? Tu vas bien ?
— J'ai connu mieux...
Avec un sourire triste il s'approcha d'elle et posa ses mains sur ses épaules. Scarlett se détendit à ce toucher et se laissa glisser contre lui. Elle passa ses bras autour de son torse et laissa sa joue se poser sur son épaule.
— Je dois avouer que ça devint de plus en plus dur pour moi... J'ai du mal à survire et à continuer tout ça et...
— Je comprends. Je comprends.
Ils restèrent un long moment ainsi jusqu'à ce que Scarlett s'écarta de lui et plongea ses yeux dans ceux de Theodor.
— Reste avec moi, murmura la générale. Reste avec moi, pour l'instant.
— Je serai toujours là.
⁂
Quand Scarlett se leva le lendemain matin, Theodor était parti. Seule son odeur subsistait encore sur les draps. Elle ferma les yeux, respira doucement et se leva. Elle coiffa rapidement ses cheveux et enfila son uniforme avant de sortir de ses quartiers. Tous ses soldats l'attendaient dans l'habitacle.
Elle inspira profondément et gagna l'estrade sur laquelle elle s'était déjà tenue la veille. Tous les regards étaient rivés sur elle.
— Mes chers alliés, mes amis, mes soldats. Après tant d'efforts, nous sommes enfin sur le point de franchir la dernière volée de marches. Nous livrerons bientôt notre premier combat, qui je le souhaite, se soldera par une victoire.
Scarlett eut un sourire, à présent détendue.
— Je ne vous demande pas de vaincre à tout prix. Je ne vous demande pas de vous sacrifier. Chaque vie compte. Chaque vie est importante. Pour moi, rien n'est plus important que de savoir que vous êtes en vie. Cependant, nous devons arracher la victoire. Il en va de notre survie et celle des générations futures. Alors pour une fois, je vous le demande. Battez-vous. Battez-vous jusqu'à la mort s'il le faut. Votre sacrifice, quel qu'il soit, ne sera jamais vain.
La générale leva son poing en l'air, dans un mimétisme de son discours de la veille.
— Unis nous gagnons, seuls nous chutons.
Le reste du groupe répéta avec une voix forte la devise de l'escouade de la Vague Écarlate. La phrase résonna plusieurs fois avant que les voix ne se taisent.
— Vous avez toutes les informations nécessaires dans les documents que je vous ai apportés. À présent, la réussite de notre mission se trouve entre vos mains.
Scarlett déclama une dernière fois la devise avant de descendre de l'estrade. Les soldats s'éparpillèrent, chacun rejoignant leur supérieur attitré. La générale sourit en voyant tous ces hommes et femmes qui étaient prêts à se battre pour elle, pour l'unité et pour ses principes.
— Le gouvernement aura attendu bien longtemps pour tomber, murmura Theodor à ses côtés.
— J'ai toujours écouté l'adage mieux vaut tard que jamais... néanmoins, depuis le début, c'était une course d'endurance. J'ai besoin de toutes les informations nécessaires pour mener à bien ce que j'ai à faire. Maintenant, j'ai toutes les cartes en main.
Theodor hocha la tête en silence. Dans ses yeux clairs, Scarlett lisait le reflet de tout ce qu'elle ressentait. Un tourbillon d'émotions occupait son cœur et son esprit mais elle n'avait pas peur. C'était la consécration de toute sa vie, de ce à quoi elle avait dédié sa vie.
— À vous de jouer maintenant, soldats, souffla Scarlett en regardant ses hommes sauter en parachute l'un après l'autre.
La générale fit de même après avoir échangé un rapide regard avec Theodor.
— On se revoit bientôt, sourit le lieutenant-colonel en partant dans la direction opposée.
— Sois prudent...
Il opina du chef avant de disparaître entre les rues.
— À nous de jouer, maintenant...
Scarlett retira le parachute de son dos pour le mettre dans le sac qu'elle tenait à la main. Elle se mit à marcher vers le QG du groupe terroriste. L'attaque allait se dérouler en plusieurs étapes. La première, attirer le plus grand nombre possible à l'extérieur. La deuxième, occuper le QG. La troisième, débusquer le chef de l'organisation. Sur le papier, l'opération était classique, simple, voire même trop. Cependant Scarlett n'avait pas peur d'utiliser les tactiques les plus simplistes pour faire tomber son adversaire dans un piège. Ses stratégies lui avaient valu la réputation d'intrépide et irréfléchie, mais c'était exactement son but. Paraître moins forte et talentueuse qu'elle ne l'était vraiment était la meilleure solution pour attaquer quelqu'un au moment où ils n'y attendent le moins.
Une flèche enflammée vint effleurer soudain son épaule. Elle grimaça avant de se retourner. Une silhouette habillée de noir la fixait depuis les toits. Tout son corps était recouvert de tissu sombre, ne laissant apparaître que des yeux gris qui se perdaient parmi les tâches de suie qui colorait son visage. Elle tenait un arc sur lequel était montée une flèche.
— Vous avez mis moins de temps à vous révéler que ce que je pensais.
— Traîtresse ! siffla la silhouette.
— Quand on parle de traîtrise, c'est qu'il y a eu confiance. Arrête de faire la victime, tu n'as jamais eu confiance en moi.
— Mon frère te croyait. Et il est mort pour ça.
Scarlett laissa échapper un léger soupir. Qui aurait cru que le jeune garçon déboussolé deviendrait un aussi talentueux alchimiste ?
— La vengeance fait bien les choses...
Les doigts du jeune homme se posèrent quelques secondes sur la lame du poignard, qui s'enflamma. Scarlett recula d'un pas devant la menaçante langue de feu et dégaina son arme, une longue machette au manche finement sculpté. Elle fit tournoyer la lame autour d'elle avant de se mettre en garde.
— Je te préviens, adolescent ou pas, je ne t'épargnerai pas.
— Je pensais que tu ne voulais même pas faire du mal à une mouche.
— Sauf si ladite mouche a menacé mon unité et mon intégrité. Ce qui est ton cas.
Son interlocuteur n'apprécia pas le fait qu'elle l'ai comparé à une mouche.
— Ça suffit !
Il lança ses poignards que Scarlett esquiva en roulant au sol. Elle fondit sur son ennemi, ventre à terre. Elle tenta de lui faucher les jambes, mais il sauta pour éviter le coup. Il ne fit que tomber dans le piège de Scarlett qui lui décocha un violent coup de pied dans le flanc. Il tomba en arrière dans une grimace de douleur. Scarlett bondit sur ses pieds et se remit en garde. Son regard vert était concentré et ses yeux parcouraient sans arrêt son environnement, tandis qu'elle cherchait le meilleur moyen pour en tirer profit. Son adversaire se releva lentement, massant son flanc.
— Tu m'as bien eu. Mais c'est la dernière fois.
Scarlett darda sa machette sur lui. Elle eut un sourire malicieux.
— On verra bien.
Cette fois, elle s'élança en premier. L'autre resta campé sur ses pieds, prêt à la renvoyer d'un soufflet de feu. Malheureusement pour lui, elle avait anticipé son action. Elle lui bloqua les poignets et le fit basculer dans son dos. Il resta un temps au sol, reprenant sa respiration. Scarlett lui planta un couteau dans l'épaule, le faisant hurler. Le cri sembla réveiller quelque chose dans l'esprit de la générale, dont le regard changea du tout au tout. Elle pressa son pied sur la poitrine de son adversaire, qui s'étrangla.
— Arrête... arrête...
Scarlett lui asséna un coup sur le visage avec le manche de sa machette, le faisant s'évanouir. Ce n'est que quand elle vit son adversaire tomber dans les pommes qu'elle revint à elle. Elle cligna des yeux. Elle n'arrivait pas à y croire. Pourquoi ?
— Je suis désolée...
Elle battit en retraite, les jambes tremblantes. La haine avait de nouveau pris le pouvoir sur elle. Elle s'en était rendue compte quelques années auparavant ; sa dévotion envers ses hommes en devenait parfois maladive et quand quelqu'un, qui qu'il soit, menaçait ses hommes, elle en devenait violente. Voire même trop violente. Ce nouveau côté de sa personnalité l'effrayait et elle avait l'impression de porter un démon en elle. Elle n'avait jamais parlé de ses excès de colère, préférant les garder pour elle-même. Sans même s'en rendre compte, elle vit qu'elle s'était mise à courir à toute allure, comme si elle espérait fuir le démon qui volait au-dessus d'elle.
— Tu es faite. Tu vas mourir ici et maintenant, sale traîtresse.
Scarlett eut même pas le temps de voir le visage de celui qui l'avait interpellée que son couteau vola de sa main pour aller se ficher dans la poitrine de ce dernier. Le sang gicla violemment, tâchant son visage et ses vêtements d'une teinte rouge sombre. Le terroriste s'écroula au sol dans un bruit sourd, aussitôt suivi par Scarlett qui se laissa tomber sur les genoux.
— Arrête... arrête...
Elle se prit la tête entre ses mains, sentant le contrôle de soi lui échapper. Tout son corps tremblait, en proie à une peur terrible. Elle ne voulait pas perdre face à ce démon. Elle ne devait pas perdre. Scarlett se laissa tomber complètement au sol, laissant échapper un long cri de douleur et d'agonie. Des larmes coulaient de ses yeux révulsés sans discontinuer et elle s'arrachait la gorge à hurler, comme si le démon s'enfuirait si elle faisait assez de bruit pour l'effrayer. Sa crise se calma quelques minutes plus tard et elle s'assit pour reprendre ses esprits. Son cœur battait la chamade et sa respiration saccadée ne l'aidait pas à se calmer. Elle ferma les yeux quelques instants pour faire le vide dans son esprit.
Quand elle se releva, ses jambes tremblaient encore, mais elle avait réussi à reprendre le contrôle d'elle-même. Elle se pencha pour récupérer le couteau planté dans le cadavre au sol, à ses pieds.
— Je suis désolée, murmura Scarlett avant de partir en courant.
Sa longue tresses rousse volait dans son sillage, tandis que ses pieds martelaient le sol en cuivre. Elle rejoignit bientôt le quartier général des terroristes, une cathédrale qui se dressait fièrement parmi les mansardes. Ce détail la fit tiquer. Dans son rapport, Juliet avait rapidement évoqué le fait que les terroristes et les renégats pouvaient travailler main dans la main. Et maintenant, elle venait de voir de ses propres yeux une nouvelle corrélation entre les deux groupes. Depuis qu'ils avaient découvert l'existence des alchimistes renégats, les pistes se trouvaient toujours dans des cathédrales.
Une pensée traversa soudain l'esprit de Scarlett. et si les trois groupes qu'ils traquaient formaient une seule et même cellule ? Elle garda l'idée dans un coin de sa tête avant d'entrer dans la cathédrale. Elle sentait une douzaine de paires d'yeux qui la fixaient tandis qu'elle avançait le long de la nef. Au niveau du transept, elle vit du coin de l'œil des mouvements venant des bas-côtés.
— Je sais que vous êtes là ! lança Scarlett d'une voix forte. Montrez-vous !
Les silhouettes jaillirent de tous les côtés. Elle utilisa un grappin pour esquiver les attaques, mais ses jambes subirent plusieurs coups qui la firent grimacer. Elle se propulsa vers le chœur, là où siégeait un autel. Elle se tint debout sur la grande dalle de marbre, légère sur ses appuis. LEs silhouettes la suivirent et se mirent en demi-cercle autour d'elle. Scarlett allait s'élancer vers elles quand elle sentit soudain qu'elle tombait.
Tout devint noir.
Elle eut l'impression de chuter à l'infini quand elle revint brusquement à la réalité.
La première information qui lui parvint fut l'odeur. Une odeur âcre, métallique et forte vint titiller ses narines.
Puis ce fut la couleur. Un rouge profond qui s'étendait partout autour d'elle, sur elle, tel un immense océan.
Ce n'est qu'après qu'elle les vit. Les cadavres. Les corps mutilés étaient éparpillés dans tout le le transept, dans le chœur. Ils étaient horriblement déchiquetés, comme si un animal sauvage venait de les attaquer. Des bras et des jambes sans corps jonchaient le sol et des visages entre reconnaissables reflétaient une terreur sans nom.
— Oh mon dieu...
Scarlett s'écarta d'un bond. En voyant ses mains, ses vêtements, ses armes, elle vit que tout était taché de rouge sombre et suintait de sang.
— Qu'est-ce que j'ai donc fait... ?
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