Si Scarlett pouvait voir dans quelle situation Juliet s'était encore mise, elle s'en mordrait très certainement les doigts. Cette pensée fit sourire Juliet un court instant, mais la jeune femme reprit rapidement son sérieux devant la situation moyennement agréable dans laquelle elle se trouvait. Elle inspira profondément et tenta de calmer sa respiration en regardant les créatures qui se mouvaient devant elle. Des chimères.

— Eh c'est quoi ça ?

— Ça c'est des chimères, Eleanor. Celles-ci sont encore inachevées, mais ce sont bel et bien des chimères. Et elles m'ont l'air pas très commode commode.

— Non, jure ? C'est dommage, j'aurais bien voulu les inviter à un pique-nique.

— Pennington, si tu pouvais la mettre en veilleuse pour une fois, ça serait bien. Ce n'est pas le moment de plaisanter.

Juliet poussa un long soupir.

— Je crois qu'on peut dire que la mission vient de réellement commencer.

Un ricanement se fraya un chemin dans sa gorge. Elle reprit néanmoins rapidement ses esprits et son regard passa de Clementine à Eleanor.

— Fuyez.

Si Clementine obéit immédiatement, Eleanor resta tétanisée par la peur. Le visage et les formes monstrueuses des chimères lui rappelaient ses pires cauchemars.

— Pennington !

Toute trace d'amusement disparut de ses yeux et elle attrapa la main de la Chasseuse pour l'emmener avec elle. Comme un automate, elle se laissa emporter par la main ferme de Juliet. Sa respiration était saccadée et elle était incapable de détacher ses pensées de ces hoerreurs qu'elle venait de voir.

Elle ferma les yeux avec force.

Elle ne voulait plus y penser.

Elle voulait oublier.

Dans les méandres de son esprit, elle entendait kes voix de Clementine et Juliet qui essayaient de la rassurer, mais elle n'y prêtait pas attention.

Peut-être que ce n'était pas pour elle.

Peut-être que c'était trop lourd à porter.

Si Eleanor avait accepté la mission, ce n'était pas par conviction. Elle voulait, et ce, désespérément se racheter. Elle avait conscience des crimes qu'elle avait faits et elle avait commencé à en avoir honte. Détruire le Cœur d'une ville, ce n'était pas anodin. C'était des centaines de personnes qui perdaient leur foyer. Et dans le désert qu'était devenu Chalkos, subsister sans sa ville était impossible, à moins de pouvoir se réfugier dans les rares montagnes.

— Je suis désolée... murmura Eleanor, la voix brisée.

Elle avait tué, certes indirectement, mais elle avait tué tant de vies. Tuer était devenu tellement facile, tellement léger à porter, mais aujourd'hui, plus que jamais le poids de ses crimes lui retombait dessus. Et elle en avait honte. Elle en avait tellement honte.

— Eleanor... Eleanor, regarde-moi !

La Chasseuse leva la tête, hagarde. Un rapide coup d'œil autour d'elle lui apprit qu'elles étaient sorties de la cathédrale. Elle était assise sur le sol en cuivre, tremblante. Clementine était penchée sur elle, inquiète.

— Pennington, tu vas mieux ?

— Je.. euh... oui. Oui.

— Me voilà rassurée...

Juliet allait rajouter autre chose quand elle entendit une porte s'ouvrir à toute volée derrière elle, suivi d'un éclat de voix qu'elle connaissait bien. Madeline.

Éberluée, elle fixa la caporale partir en courant derrière Alistair qui semblait pour le moins... paniqué.

— Colonel Hammer ! Vous voilà enfin !

— Sergent Wilkincraft... que se passe-t-il ?

— Il semblerait qu'Alistair ne soit pas le vrai. Madeline est partie le poursuivre après qu'il ait tenté de s'enfuir.

— D'accord...

Amelia soupira quand elle remarqua l'air peu convaincu de sa supérieure.

— Je sais, c'est bizarre. Moi non plus j'ai du mal à y croire. Qu'avez-vous découvert ?

— Des chimères. Trop de chimères.

Juliet lança un rapide coup d'œil vers Eleanor qui était encore recroquevillée sur le sol.

— C'est étrange. Je savais qu'il y avait des chimères ici, mais pas autant.

— Qu'est-ce que vous insinuez ?

— Rien du tout, soupira Juliet. Simplement...

— Pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus qu'il y avait des chimères ?

Eleanor s'était levée et fixait Juliet d'un regard accusateur.

— Je vous ai dit de faire attention. On ne se méfie jamais trop de l'ombre qui dort.

— Ben voyons ! Parce que vous avez pensé que parler en énigmes allait nous aider ?

Juliet soupira et posa ses mains sur ses hanches.

— Je l'ai dit. J'ignorais qu'il y en avait autant, et qu'elles seraient aussi proches de l'entrée.

— Vous auriez pu le prévoir.

— Je ne suis pas la Pythie, Pennington.

Juliet soupira en voyant le visage teinté de colère et de peur de la Chasseuse. De toute évidence, elle n'était pas habituée à affronter ce genre d'ennemis.

— Rentrez au zeppelin. La sergent Wilkincraft vous accompagnera. Reposez-vous. Vous en avez grand besoin. Nous parlerons de tout cela plus tard. La discussion est close.

Amelia s'approcha d'Eleanor et posa une main sur son épaule. Étonnamment, la Chasseuse ne s'écarta pas.

— Nous sommes tous à cran en ce moment. Pour la colonel Hammer, il est évident que tout le monde est au courant à propos des chimères.

— Sauf que ça ne l'est pas, répliqua sèchement Eleanor.

— Nous le concevons bien. Laissez-nous un peu de temps, même si ce n'est pas un luxe que nous pouvons nous permettre. Venez. Rentrons. Vous avez bien besoin de vous reposer.

Pour la première fois depuis qu'elle était sortie de la cathédrale, Eleanor eut un sourire.

— Merci.

— Je ne fais que mon travail. Nous nous devons de vous protéger.