XXXVI - La Révolte - Cinquième mouvement
Angelus dénicha dans le cabanon ce dont il avait besoin, mais il savait que le travail serait long et laborieux : avec l'envergure étroite de ses ailes et la faiblesse due à sa blessure récente, il pourrait difficilement rapporter plus d'un seau de neige à chaque fois. Pour corser le tout, il devait prendre garde à ne pas servir de cible aux archers qui ne manqueraient pas de l'associer à ses frères rebelles.
Il se demanda combien de temps cette situation terrible pourrait encore durer ; probablement jusqu'à ce les Anges prennent une décision considérant leurs chaînes. L'angelier se trouvait dans un danger imminent. Angelus avait beau chercher un moyen de l'aider, rien ne lui venait à l'esprit. Il faudrait un miracle pour que les circonstances évoluent de façon favorable.
Traînant le seau pesant, il parvint à voleter un peu en contrebas de l'angèlerie, pour atteindre une plaque de neige vierge dans une zone à couvert des archers. Il transporta son maigre butin au pied de la tour et commença à le diviser entre plusieurs cruchons qu'il avait soigneusement frottés, en espérant que les rayons du pâle soleil finiraient par faire fondre les flocons. Soulager la soif des captifs semblait le plus urgent, mais la faim ne manquerait pas de les tenailler bientôt. Et les Anges se retrouveraient tôt ou tard dans ce cas, même s'ils pouvaient jeûner plus longtemps que les humains sans subir d'effets néfastes.
Après plusieurs allers-retours, son aile blessée était devenue tellement douloureuse qu'il n'aurait pas pu s'élever jusqu'au premier étage de la tour. Afin de la reposer – et d'éviter de la heurter en progressant dans les couloirs étroits –, il la replia et la plaqua contre son dos à l'aide d'une grande bande d'étoffe, trouvée dans un des coffres du débarras.
Les anges adultes qui montaient la garde le laissèrent passer avec un regard méprisant ; Angelus savait qu'un terrible gouffre s'était creusé entre eux et lui, mais que pouvait-il faire ? Sans doute avait-il encouru leur dédain en servant les humains, mais s'il ne s'en chargeait pas, qui le ferait ?
Tenant un cruchon dans chaque main, il s'enfonça dans la pénombre de la tour ; comme à Cime, les cachots s'y succédaient, contenant chacun une chaîne. Il s'attendait à être interpellé et insulté, mais les captifs semblaient plus soumis encore que dans le fort du seigneur Euresme.
Il s'arrêta en premier devant la cellule de l'angelier, qui était assis sur la maigre paillasse, le dos courbé. Quand Angelus le héla avec douceur, il releva la tête pour regarder le jeune ange, non sans incompréhension.
« Je suis venu vous porter à boire... » expliqua Angelus maladroitement.
L'homme le fixa de ses yeux délavés :
« Pourquoi fais-tu cela ? demanda-t-il d'une voix triste, dont tout espoir s'était déjà envolé. Après tout, j'ai maltraité tes semblables. »
Le jeune ange se rapprocha légèrement :
« Ce n'est pas pour cela que nous devons nous monter aussi cruel que mon ancien maître, ou que le vôtre. »
Il examina gravement le prisonnier avant de lui tendre un des cruchons à travers les barreaux. Après un temps d'hésitation, l'angelier se leva pour le prendre.
« Tu viens juste d'arriver... Tu ne peux pas savoir ce que nous avons fait.
— Là d'où je viens, ce n'était pas différent.
— Et pourtant, tu défends ma vie ?
— Je ne vois pas comment, si on vous tue, les choses vont s'arranger...
Il soupira et baissa la tête vers les dalles grises.
« Les hommes haïront plus encore les Anges, et les Anges n'en haïront pas moins les hommes... », ajouta-t-il tristement.
« C'est étrange, remarqua l'homme. Tu es le plus jeune de tous les anges que j'ai croisés, et pourtant tu es aussi le plus sage... Mais cela ne suffira sans doute pas pour aider les chaînes à fuir leur destin...
— Je voudrais pouvoir tous vous sauver ! s'exclama Angelus.
— Peut-être que les tiens entendront raison en ce qui concerne les chaînes, mais je doute qu'il en soit de même pour moi... »
Le jeune Ange se sentait peiné pour cet homme qui ne lui paraissait pas fondamentalement mauvais ; son seul crime avait été d'accepter un système injuste, mais n'était-ce pas le cas de tous ici, des humains comme des Anges ?
L'angelier haussa les épaules avec lassitude :
« Ne t'en fais pas pour moi... Je suis seul responsable : j'aurais dû braver plus tôt mon seigneur, refuser ses ordres, le persuader que le traitement infligé aux chaînes était cruel... Mais je me suis montré terriblement lâche. »
Il prit enfin la cruche que lui tendait son visiteur :
« Je te remercie... »
En haussant un sourcil interrogateur, L'angelier attendit qu'il lui dévoile son nom. Il faillit répondre « Angelus », mais il n'avait pas plus envie de lui mentir qu'aux habitants de l'île volante.
« Vous pouvez m'appeler Luciellus.
— je te remercie, Luciellus. »
Le jeune Ange hocha la tête et s'éloigna vers les autres cellules.
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