De prime abord, l'angelier n'osa pas suivre ses instructions... Mais quand Zéphyr se lança dans le vide en étendant largement ses membranes, sa prise se resserra instinctivement autour de la taille du jeune Ange. Angelus songea à sa virée sur Nuée, et combien il avait été impressionné par l'expérience. Cela devait être dix fois, même cent fois plus troublant pour un humain qui n'avait jamais quitté le sol.

Ni les Anges ni les hommes ne parvenaient à se repérer dans la brume, mais les khaïtes devaient posséder un sens particulier qui leur permettait de se diriger sans même voir leur environnement. Zéphyr les conduisit sur la plus haute tour de la forteresse, qui dominait presque les pics aux alentours. À son sommet, une tourelle ronde, sa porte de bois soigneusement close, se dressait en solitaire. Sans doute avait-on estimé cette position suffisamment sûre pour la laisser sans garde. Sur des jambes tremblantes, l'angelier marcha vers le battant et l'examina avec attention :

« À force de m'occuper d'une prison, expliqua-t-il, j'ai fini par m'y connaître en serrure. Bien souvent on m'a confié leur installation et leur réparation. »

Avant son départ de l'angèlerie, ses clefs lui avaient été restituées. Il baissa les yeux vers le trousseau qui cliquetait à sa ceinture, examinant celles qui y pendaient, les unes après les autres. Angelus le regarda faire avec intérêt, pendant qu'Ivara ordonnait à Zéphyr de les attendre tranquillement sur l'aire pavée au sommet la tour. Au bout de quelques tentatives, un claquement sec se fit entendre. Quand Pier tira la porte, elle pivota sur ses gongs en grinçant, révélant une froide pénombre où l'escalier étroit s'enfonçait en spirale.

Après un temps d'hésitation, Ivara décida de les accompagner.

« Si nous devons parler à Arol et qu'il est si craintif qu'on le dit, la présence d'un autre humain... ou ce qui y ressemble devrait le rassurer ! déclara-t-elle. Zéphyr est à l'abri ici... Et si un danger survient, il pourra sans doute se dissimuler dans la brume... »

Au son de sa voix, elle tentait de s'en persuader elle-même ; Angelus songea qu'après ce qui était arrivé à Rafale, c'était tout à fait compréhensible.

Les trois visiteurs s'engagèrent dans l'escalier. Il était difficile de circuler dans un espace aussi étroit quand on avait des ailes ; le jeune ange y laissa quelques plumes. Finalement, ils parvinrent sur un palier qui donnait sur un corps de bâtiment plus étendu.

« Je ne suis jamais venu dans les appartements privés du seigneur Arol, avoua Pier avec un peu de gêne, mais je pense qu'ils doivent se situer par ici... À cette heure, nous ne croiserons pas beaucoup de serviteurs. »

Angelus réalisa qu'il ne savait même pas quelle heure il pouvait être. Le début de l'après-midi, sans doute ? Les Anges ne s'en préoccupaient généralement qu'en raison des contraintes imposées par les hommes. Mais cela importait peu... il n'avait pas vraiment l'impression de reconnaître les bâtiments où il s'était déjà rendu une fois, mais après tout, il avait emprunté un autre chemin.

Après avoir de nouveau erré dans les couloirs, ils entendirent des bruits étranges, comme si, derrière l'une des portes, quelqu'un criait et gémissait.

« Peut-être l'un des blessés ? supposa Ivara à voix basse.

— Je ne pense pas, répondit Angelus pensivement. Ils étaient tous des hommes adultes, à ce que j'ai pu voir... ces plaintes sont celles d'un enfant ou d'une femme.

— Peut-être pouvons-nous aider, d'une manière ou d'une autre ?

— Nous risquons surtout de les effrayer, répondit le jeune Ange tristement. Mieux vaut ne pas entrer et continuer à chercher Arol. »

La jeune fille acquiesça à contrecœur ; mais alors qu'ils poursuivaient leur route, elle ne cessait de se retourner vers la porte close.

« Est-ce que je peux... rester là ? demanda-t-elle finalement. Je veux être sûre que tout se passe bien... Je... »

Elle se mordilla nerveusement la lèvre. Même si sa requête l'intriguait, Angelus sentait son étrange détresse.

« Je ne pense pas que tu risques grand-chose si tu ne quittes pas cet endroit, déclara le jeune Ange en posant une main sur l'épaule de son amie. Après tout, tu es humaine... au moins en apparence. Mais fais attention à toi...

— Je te le promets, répondit-elle solennellement. Au moindre danger, je regagnerai le haut de la tour pour rejoindre Zéphyr, et je vous attendrai là-haut. »

Pier la considéra gravement, puis fouilla dans son trousseau pour en détacher une épaisse clef de fer :

« Elle peut fermer la porte de la tourelle. Si tu es poursuivie, verrouille-la derrière toi. Luciellus pourra toujours s'enfuir par une fenêtre, et moi... »

Il haussa les épaules.

« Je ne risque rien, je pense. »

La résolution était prise. Angelus éprouvait un peu d'inquiétude, mais il savait qu'Ivara possédait assez de ressource pour se tirer d'un mauvais pas... après tout, n'avait-elle pas voyagé jusqu'aux cieux ?