I. 1
- Enfin fini ! Je n'y crois pas !
L'exclamation victorieuse et soulagée émise par ma sœur jumelle Soleïane fait écho dans mon esprit. Elle n'en revient pas d'avoir fini les épreuves du brevet des collèges.
On nous avait souvent dit que ce n'était pas si difficile et que, si l'on travaillait bien tout au long de l'année, ça irait. Mais les professeurs nous mettaient tellement la pression, en disant que si nous ne l'avions pas, nous ne pourrions pas aller dans le lycée que nous voulions, que nous étions terrorisées à l'idée de le rater !
Maintenant, c'est fini et nous rentrons. Avec un peu de chance, en tout cas pour ma part, le collège est derrière nous.
Nous rentrons chez Thérèse. Thérèse Vallières, notre tutrice depuis quatre ans. Elle nous a accueillis avec son mari Georges. Je ne l'ai jamais vraiment aimé, lui. L'année dernière, il voulait l'emmener à l'autre bout du monde (la Russie je crois), afin de « construire une nouvelle vie » avait-il dit. Mais Thérèse avait tout bonnement refusé. Elle n'avait pas besoin d'une nouvelle vie.
Elle se plait avec nous et ne veut pas nous laisser. Car bien sûr, avec ma sœur, on ne faisait pas partie du voyage de Georges.
Contrarié, il s'est évadé dans ce nouveau pays avec une jeune de vingt ans de moins que lui et a laissé seule Thérèse. Depuis, elle se bat contre l'aide sociale, qui juge sa situation trop précaire pour nous garder à ses côtés.
Bien sûr, cela faisait un bout de temps que leur couple battait de l'aile mais Georges devenait de plus en plus colérique et violent. Il n'était jamais d'accord avec Thérèse, qu'il considérait comme inférieure à lui et l'alcool n'arrangeait rien à son comportement machiste. Ça a donc été un soulagement, pour nous tous, qu'il parte.
Récemment elle a eu quelques rendez-vous avec des hommes plus honnêtes et lorsque Georges l'a appris, sa jeune venait de le lâcher pour un autre, qui ne gaspillait pas son argent dans la boisson. Rien d'étonnant à cela. Il est donc revenu en France pour accuser son ancienne compagne de chercher à le remplacer alors qu'ils étaient, sur papier du moins, toujours mariés.
Le voir traverser la moitié du globe pour exposer son complexe de supériorité nous a comblés de joie. En fait, cela le rendait fou à lier de la voir tenter de reconstruire sa vie alors qu'il avait purement et simplement gâché la sienne. Ça a été dur pour Thérèse, car il perdait totalement les pédales et cela nous faisaient peur. Nous la soutenons du mieux que nous pouvons.
Il y avait un troisième enfant avec nous : Jérémy. Grand, jeune et costaud, il maintenait plus ou moins Georges à distance. Mais il y a quelques mois, peu après ses vingt ans, il s'est installé avec Annaëlle, sa fiancée. A présent, je crains que Georges ne mette ses menaces à exécution : c'est-à-dire venir lui demander des comptes en personne.
Voilà pourquoi je pense à cette histoire au lieu de me réjouir d'avoir fini mes épreuves. Georges n'a pas relancé ses intimidations depuis trop longtemps. Pourtant cela m'étonnerait qu'il ait abandonné.
Je ne peux m'empêcher de ressasser cela depuis ces dernières semaines. Quand arrivera-t-il ? Et lorsque qu'il arrivera, que pourrons-nous faire ? Je n'ai pas osé en parler. Ni à Jérémy, ni à Soleïane et encore moins à Thérèse. Peut-être que chacun de nous y pense mais n'ose en parler de peur d'avoir à affronter la vérité en face : il reviendra, c'est certain. Pour ma part, ces questions et suppositions occupent la majeure partie de mes pensées.
Soleïane me donne une tape sur l'épaule :
- Hé Luna, je te parle là. Tu m'écoutes ou tu es encore dans la Lune ? (elle fait semblant de porter un talkie-walkie à sa bouche). Allô la Lune, ici la Terre (elle imite le grésillement sur la ligne), nous essayons d'établir le contact. A vous !
Elle part en fou rire tandis que je la toise du regard. Je déteste lorsqu'on fait un jeu de mot avec mon prénom. Je m'appelle Luna et je suis toujours dans la lune. Dingue ! À croire que l'on a plus le droit de réfléchir tranquillement dans son coin.
- Tu aurais dû dire : Allô la Lune, ici le Soleil. Je m'appelle Soleïane et je commence à chauffer là-bas ! m'exclamai-je d'un air taquin.
- Hé ! Tu n'as pas le droit de te moquer !
Elle me redonne une tape sur l'épaule, cette fois-ci un peu plus forte : avec son gabarit cela équivaut néanmoins à une pichenette. Puis nous partons toutes les deux en fou rire.
Nous rigolons encore sur le reste du chemin que nous faisons à pied, depuis l'arrêt de bus, en nous imaginant respectivement sur la Lune et sur le Soleil en train d'essayer de communiquer. Puis nous partons dans un débat sur ce que l'on doit ressentir lorsqu'on est proche du Soleil, à supposer que l'on soit toujours en vie.
Je m'arrête net au moment où j'aperçois, garée en face de la maison et à moitié cachée par les buissons, la voiture de Georges. Soleïane la remarque à son tour.
- C'est peut-être quelqu'un d'autre, me dit-elle en essayant de s'en convaincre elle-même.
- Je reconnais la plaque d'immatriculation, affirmai-je.
Je le sentais. Ça faisait plusieurs semaines qu'il n'avait plus envoyé de mail de menace, il préparait forcément quelque chose. Évidemment, Thérèse avait déjà prévenu la police de ses incessants messages agressifs. Ils n'avaient malheureusement pas réussi à mettre la main sur lui.
Je laisse tomber mon sac d'école sur le sol et, avant de m'élancer vers la maison en courant, je demande à Soleïane d'appeler Maurice Hemerit, le chef de la police de notre commune. Il est au courant de l'affaire, a vu les mails et nous a demandé de l'appeler si Georges se pointait vraiment à la maison.
J'ouvre la porte d'un coup sec. En entrant, une odeur inhabituelle s'introduit dans mes narines.
[Image par Luk Luk de Pixabay]
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