3 : Au diable les conventions
Honnêtement, Louis n'était pas si surpris d'apprendre que ni la grand-mère édentée, ni Stadir Origan, n'avaient réussi à concevoir de potion pour lui rendre son physique d'adulte.
En revanche, il était moins enjoué en voyant l'expression trop malicieuse de Robin lorsque l'enfant lui demanda comment il avait eu accès à son « plan d'adoption ».
– Quand tu as commencé à devenir célèbre, Olivier était déjà journaliste apprenti, tu te souviens ? démarra l'Élitien.
– En quoi le fait d'avoir un jumeau journaliste explique la situation ? répondit Louis par une question.
– Ça a tout à voir ! Il cherchait un scoop sur toi, et je lui disais souvent qu'avec toi, on aurait une chance... de vaincre les Estaffes...
Son ami avait les yeux remplis d'excuses à la mention de leurs ennemis, et cette vue serra davantage le cœur de Louis que de se souvenir qu'il avait trahi les Élitiens en devenant la marionnette des six Hélios.
– Alors Olivier a décidé de fouiller dans ton passé... Il s'est rendu à ton orphelinat, pour voir s'il restait peut-être des affaires qui t'appartenaient, et qui seraient peut-être intéressantes à exploiter pour un article. En fait, les gardiens de l'orphelinat avaient gardé toutes tes notes de révisions pour l'épreuve du Prétendant, ton doudou et tes écrits.
Louis tressaillit à la mention d'un doudou, se souvenant soudain qu'il en avait eu un pendant plusieurs années et qu'il lui avait terriblement manqué, les premières semaines après avoir intégré l'Élite. Il s'était forcé à ne plus y penser, n'ayant pas envisagé l'avoir simplement oublié à l'orphelinat.
– Est-ce que ton frère a juste pris ce... ce plan, ou est-ce qu'il a emporté d'autres documents ? demanda-t-il pour ne pas paraître trop interloqué.
– Juste tes écrits, il se disait qu'il pourrait les envoyer à un journal de ragots, lorsque tu serais devenu Élitien...
Robin avait un sourire trop grand pour être honnête, si bien que son ami exigea de savoir s'il avait eu une part de responsabilité dans cette idée, ce que le colossal confirma.
– On a pensé avec Julius que de lire tes propres vieilles histoires te dérideraient, se justifia-t-il.
– Julius aussi est au courant ?! s'étrangla Louis.
– Tous les Élitiens, en fait. Et les Cœurs Noirs aussi.
Louis avait passé des années dans les couloirs de l'Élite, à embrasser Armance à la dérobée des regards, et à lui déclarer timidement des poèmes pour l'impressionner. Mais jamais il n'avait rougi de la sorte. Ses joues chauffaient horriblement contre son gré, au sentiment de honte que ses collègues avaient lu son idée stupide pour arrêter le conflit contre les Estaffes. Ils avaient dû le trouver risible lorsqu'il était devenu Élitien par la suite !
– Comme je te connais assez, je me doute que tu as l'impression d'avoir été grotesque, mais je peux t'assurer que cela a fait rire tout le monde, voulut rassurer Robin.
– Pas étonnant qu'ils se soient moqués...
– Ils ne se sont pas moqués de toi. Ils ont bien ri, c'est vrai, mais ça t'a surtout fait passer pour un humain auprès d'eux. Avant cela, tu paraissais toujours être dévoué à l'Élite en toute circonstance, mais tu étais... froid, inabordable. Si je n'avais pas été ami avec toi depuis qu'on s'était rencontré, je dois avouer que je n'aurai pas voulu apprendre à te connaître, lorsque tu étais pré-Élitien.
Louis accepta les mots implicites derrière cette explication, sachant qu'il avait agi trop durement par le passé, s'éloignant de tous comme s'il était un élu qui ne pouvait pas s'embarrasser d'autres personnes qui l'auraient ralenti.
Son immaturité totale pouvait être expliquée quinze ans plus tôt. L'aspect lamentable de son existence, c'est qu'il avait continué d'agir comme s'il était au-dessus de presque tous pendant les quinze années qui avaient suivi.
Et c'était maintenant qu'il avait retrouvé un corps d'enfant qu'il commençait à comprendre ce que cela pouvait être d'agir de manière mature et censée.
– Tu t'es fait des amis ici ? voulut savoir Robin.
– Ce sont des enfants, rétorqua Louis.
– Ça ne t'empêchait pas de demander de l'aide à Mathieu Hidalf lorsque l'occasion se présentait.
– Ce n'est pas non plus mon ami !
Il devait avoir une expression particulièrement boudeuse et enfantine au vu du sourire de Robin, et cette pensée le renforça dans son agacement, faisant éclater de rire son ami.
– Je vais bien ici, finit-il par murmurer. Même si la nourriture servie est moins bonne qu'à l'Élite.
– C'est nourrissant quand même ?
– J'ai mangé pire pendant des missions en forêt, admit l'enfant.
Et ça restait meilleur que dans son premier orphelinat.
– Est-ce qu'il y a du progrès, vis-à-vis des Estaffes ?
– Non, hélas, soupira l'Élitien en se massant la tête. Mais ils n'ont toujours pas repris les attaques : peut-être qu'en détruisant le maléfice de Circé, tu as bel et bien redonné le libre arbitre aux Estaffes. Peut-être qu'ils ont abandonné.
Louis savait que son ami voulait juste le rassurer et qu'il ne le pensait pas vraiment. Les Estaffes n'allaient pas abandonner une mission d'un siècle alors que la noblesse avait failli faire fermer l'école pour eux un peu plus tôt. L'Élite était, actuellement, faible. Leurs ennemis prenaient certainement leur temps pour préparer une attaque décisive.
L'ancien Élitien baissa le regard sur le feuillet de vingt-trois pages dans ses mains comme s'il contenait le savoir dans ce monde pour éradiquer les Estaffes du royaume astrien.
Même si ce serait stupide.
Ça se tentait.
– Est-ce qu'on a une connaissance plus profonde de l'emplacement de leur cachette ? voulut savoir Louis.
– Toujours la forêt à l'Est de la vallée des nymphettes, mais... les indices ont beau nous mener là-bas, on n'y trouve rien. C'est un vrai dédale et les Estaffes nous verraient arriver si on tentait de faire des fouilles de grande ampleur.
Évidemment, les Estaffes seraient capables d'abandonner leur demeure si des Élitiens s'approchaient trop de leur refuge. Mais ils ne prendraient pas la peine de prendre des précautions pour un enfant qu'ils penseraient simplement perdu dans les bois.
Il attendit le soir venu pour se lever à pas de loup jusqu'à l'armoire où était entreposée ses affaires, la crochetant un peu difficilement avant de s'emparer de ce dont il aurait besoin. Il fourra le tout dans un baluchon, qu'il mis sur son dos, jetant un dernier coup d'œil à ses mots d'enfants qui composaient les vingt-trois pages de son plan.
Il avait passé la journée à les apprendre par cœur, pour garder chaque idée en tête et les appliquer.
Jeter les feuilles dans la cheminée de la cuisine fut très facile. Louis se serait attendu à sentir au moins un pincement au cœur, à détruire ainsi une petite part de son passé, peut-être la seule qui aurait pu justifier son départ de l'orphelinat.
C'était insensé d'espérer qu'il trouve les Estaffes, de les convaincre que l'un d'eux était son père, d'imaginer les empêcher d'attaquer l'Élite.
Mais même s'il mourrait dans cette tentative vaine, au moins il ne ferait plus perdre le temps de ses collègues, de Stadir Origan ou de Proserpine pour le retransformer en adulte.
Ils pourraient se concentrer véritablement sur les Estaffes.
Sans un regard en arrière, Louis s'aventura à l'extérieur de l'orphelinat, prêt à accomplir ce plan stupide qu'il avait écrit vingt ans plus tôt.
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