— Non, je ne me calmerai pas ! cria Louis. Je n'ai pas envie de me calmer !

Il savait pertinemment qu'il devait avoir l'air à la fois ridicule et impertinent mais son esprit était trop agité pour qu'il songe au ridicule de la situation.

Armance le regardait avec un mélange de douceur et d'exaspération qui n'aidait de toute façon pas Louis à se calmer. Pas devant ce regard de mère qui devait gronder doucement son enfant.

Il se sentait très mal à l'aise dans ce corps qui avait été le sien mais qu'il n'aurait pas du avoir à présent. Se voir dans un miroir ne lui plaisait pas, puisqu'au lieu de trouver son habituel barbe de quelques jours, il devait à présent affronter son ancien visage d'enfant imberbe et boudeur.

Sa luide flottait autour de lui, si bien que le docteur Soupont avait voulu lui donner quelques vêtements de rechange plus à sa taille, mais l'Élitien était resté buté dans ses positions, refusant d'admettre la vérité qui s'étalait sous les yeux de tous depuis quelques heures.

Circé lui avait jeté un sortilège qui faisait à présent de lui un enfant !

– Louis, soit raisonnable, tu ne peux pas assumer tes fonctions d'Élitiens dans cet état... Et tu vas prendre froid si tu gardes ta luide, elle est largement trop ample pour te couvrir.

– Je suis le capitaine de l'Élite, je ne vais pas me laisser dicter ma tenue vestimentaire par quelqu'un qui n'a jamais porté de luide !

Même Julius lui lança un regard outré face à cette réponse, mais Louis ne comptait pas s'excuser de sitôt. C'était un coup bas de sa part, mais il n'avait pas beaucoup de patience au vu de la situation.

– Je pense que petit Louis va être puni, taquina Robin. Enlève cette luide, on va te donner des vêtements à ta taille.

– Certainement pas, et ne me traites pas comme un enfant, je n'en suis pas un, gronda l'intéressé.

– Louis, si vous ne cessez pas ces enfantillages pour que nous puissions réfléchir à comment vous ramener en adulte, je vous placerai à l'orphelinat, avertit John Mid d'un ton sec. Et vous savez que j'en suis capable.

L'enfant écarquilla ses yeux noirs à cette possibilité, et accepta malgré sa répugnance à se séparer de sa luide. Armance quitta la pièce pour lui laisser un peu plus d'intimité pendant qu'il se changeait.

Les vêtements fournis par le Dr Soupont étaient toujours trop grands pour lui, mais le tissu était doux et épais, un peu réconfortant, ce qui ne soulageait pourtant pas Louis. Il eut du mal à se défaire de sa luide, alors qu'il ne l'avait jamais quitté depuis qu'il l'avait reçu.

À part pour se laver bien sûr, mais ça ne comptait pas vraiment.

Il fut obligé de se faire porter par Robin pour se rendre à la Grille inviolable, qui l'accueillit tout de même. Son ami avait également eu la présence d'esprit de le couvrir avec sa cape noire pour pour le cacher aux élèves qui passaient parfois près d'eux.

Mais après trois heures de réunion avec le conseil des Trente, l'annonce était tombé comme un couperet.

Louis ne pouvait rester dans l'Élite dans cet état, et sa place devait être dans un endroit adapté à ses besoins.

Les adultes avaient rabâchés que la situation était cette injuste, mais qu'il était possible que le sortilège de Circé ait atténué ses capacités mentales et émotives. Il allait peut-être avoir de nouveau l'esprit d'un enfant de six ans.

Le concerné n'avait pas osé protester, sachant que derrière cette décision se cachait aussi son renvoi de l'Élite pour avoir obligé un Prétendant à prononcer le Serment noir des années plus tôt. Il l'avait lui-même admis au cours du conseil, pour leur avouer tout ce qu'il s'était passé dans le labyrinthe. Dont le fait qu'il avait trahi l'Élite sans le savoir.

– Cela ne durera sans doute qu'un temps, lui assura Armance, nous ferons tout pour que tu redeviennes celui que tu es. Proserpine, Stadir Origan et Poucet Bergamote ont réussi l'impossible en séparant Ailes de feu du maléfice de Circé, ils réussiront à te rendre de nouveau adulte.

– Mais je ne serai plus dans l'école, n'est-ce pas ?

La comtesse Dacourt n'était pas réputée pour sa gentillesse, mais Louis eut l'occasion de la découvrir à nouveau alors qu'elle le prenait dans ses bras quelques instants dans une étreinte rassurante.

– L'Élite est tout pour toi, nous le savons tous. Tu pourras toujours revenir en tant que Cœur Noir, tu seras bien accueilli.

– Je reviendrai le plus vite possible. Et je t'assure que je ne ferai plus de favoritisme vis-à-vis de Mathieu Hidalf.

– Quand à moi, je ne l'informerai pas de ce qu'il t'es arrivé. Nous dirons que tu es parti en mission secrète et confidentielle pour le royaume.

Louis sentit ses lèvres s'étirer en un petit sourire en songeant qu'il était préférable que Mathieu Hidalf n'ait aucune connaissance de ce qu'il se produisait. L'enfant n'était pas apte à comprendre la situation, et même si l'ancien Élitien pouvait lui concéder certaines qualités, il était clair qu'il se mettrait en danger en donnant un secret aussi important à l'enfant le plus calculateur, menteur et manipulateur du royaume.

Ses quelques affaires de l'Élite furent vite emballées. Son balluchon contenait bien peu de choses : la plume de son lit dans l'école, qu'il voulait conserver pour lui, une broche donnée par Armance comme signe de leur amour, et son album de l'Élite poussiéreux qu'il avait délaissé des années plus tôt.

Ses collègues avaient tenu à ajouter à ses affaires quelques cadeaux, pour ses services auprès de l'Élite et pour que son retour à l'orphelinat ne lui paraisse pas trop mornes. Certains lui offrirent des boîtes de confiserie, d'autres des cartes de l'Élite extrêmement rares de lui-même. Ceux avec des enfants déposèrent une peluche dans sa sacoche, et Robin lui glissa un manuscrit que Louis reconnut avec étonnement.

– Au cas où tu veux te tenter à redevenir auteur, si tu ne reviens pas parmi nous.

Julius lui donna un cadeau tout aussi précieux à ses yeux en lui donnant une petite cape noire et faite de la même matière que les luides. Il avait certainement dû la négocier en urgence auprès des couturiers de l'école. Armance fut moins démonstrative et se contenta de lui fournir une constitution complète des Élitiens.

– Tu pourras te pavaner devant les autres enfants et la leur prêter, pour te faire des amis, expliqua-t-elle sobrement. Et profites-en un peu pour te détendre : nous allons protéger l'Élite des Estaffes. Ils renonceront peut-être d'eux-mêmes aux combats, grâce à ce que tu as fait.

Louis ne voulait pas être aussi optimiste, mais il offrit à sa petite assistance un sourire sincère et ému, bien rare de sa part.

Ce fut un Cœur Noir qu'il connaissait assez mal qui l'emmena dans un orphelinat du royaume, assez éloigné de l'Élite pour ne pas prendre de risques en cas d'attaque des Estaffes, mais suffisamment proche tout de même pour que le lieu soit bien financé par les nobles.

– Courage, capitaine. Bientôt, vous serez à nouveau avec nous.

Louis sauta hors des bras de l'homme et le salua avec sérieux, avant d'entrer dans l'orphelinat, se préparant à devoir agir à nouveau comme un enfant. Peut-être que cela se passerait mieux que ce qu'il avait vécu des années plus tôt.