Chapitre 14
Dès le lendemain matin, la voiture de Madame de Polignac attendait devant le perron de l'hôtel particulier des Roscoat. Surexcitée, Gabrielle jeta un dernier regard à son miroir et se saisit de la pochette en cuir posée sur son lit. Elle allait enfin pouvoir donner son premier cours de clavecin à la reine. Elle dévala les escaliers sous le regard empli de jalousie de sa cousine et de sa tante et elle se jeta dans le froid du mois de janvier pour rejoindre l'amie de sa mère qui l'attendait installée sur la banquette de son carrosse.
Ma chère Gabrielle, êtes-vous prête pour la journée qui vous attend ?
La jeune femme opina du chef énergiquement.
— Je ne pourrai jamais vous remercier suffisamment pour l'opportunité que vous m'offrez.
— Je suis tellement ravie de pouvoir vous aider. Athénaïs sera très heureuse d'apprendre que nous sommes de si bonnes amies. Comment s'est passée votre après-midi hier ? J'ai dû vous abandonner pour rejoindre la reine.
— Tout s'est passé au mieux, votre charmante fille m'a fait visité Trianon, j'ai la prétention de penser que nous pourrons être de très bonnes amies.
— Cela ne m'étonne pas, Aglaé a toujours su choisir ses amies parmi les jeunes femmes les plus charmantes.
Les deux femmes rirent joyeusement et elles arrivèrent rapidement au pavillon de Marie-Antoinette. Elles pénétrèrent à l'intérieur, mais tous les salons étaient vides. Gabrielle vit Yolande de Polignac froncer les sourcils, étonnée que son amie ne soit pas présente et entourée de ses courtisans.
Elle grimpa rapidement les escaliers principaux de Trianon et traversa une enfilade de salons, suivie par Gabrielle. La jeune femme ne reconnaissait plus les endroits par lesquels elles passaient. Il devait s'agir des appartements privés de la reine, qu'Aglaé ne lui avait pas fait visiter la veille.
Au détour d'un petit boudoir, les deux femmes arrivèrent dans un salon rempli des amis de la reine. Gabrielle reconnut immédiatement le désagréable duc de Vaudreuil. Il la toisa du regard et elle se contente de lui adresser un léger signe de tête.
— Que se passe-t-il ? demanda Yolande, la voix emplie d'inquiétude.
— La reine va mal, répondit Vaudreuil sèchement.
La duchesse de Polignac ouvrit la porte et pénétra dans la chambre de la reine. Sans réfléchir, Gabrielle voulut la suivre, mais Vaudreuil lui coupa la route.
— Veuillez laissez un peu d'intimité à sa Majesté.
Gabrielle ne résista pas et elle se mit en retrait. La porte se referma derrière Yolande de Polignac. Quelques minutes plus tard, la duchesse sortit de la chambre, suivie de Marie-Antoinette. Le visage de la reine était défait, sa peau était d'une pâleur maladive et des cernes noirs ornaient le dessous de ses yeux. Malgré son mal-être évident, elle adressa un sourire à ses amis.
— Je suis désolée, je ne suis pas capable de sortir de ma chambre aujourd'hui. Yolande me tiendra compagnie. Vous pouvez tous rentrer chez vous. Ou alors profitez de Trianon, comme vous voulez. Je veux juste être seule.
Sur ces mots, la reine rentra dans sa chambre, suivie de sa grande amie. Gabrielle se retrouva donc en présence de nobles qu'elle ne connaissait pas, désœuvrée. Elle prit une grande inspiration pour se donner du courage et croisa le regard pétillant d'Aglaé. Elle se détendit immédiatement. Heureusement que la charmante « Guichette » était là.
— Venez Gabrielle, allons nous balader dans les jardins tant que le soleil est encore de la partie !
Sans attendre de réponse, elle saisit le bras de son amie et l'entraîna hors du salon. Gabrielle sentit le regard malveillant de Vaudreuil lui brûler la nuque. Elle secoua sa tête pour tenter d'oublier cette désagréable impression, et elle prit le chemin des jardins accompagnée d'Aglaé de Guiche. Les deux jeunes femmes bavardaient lorsque soudain, Aglaé fit signe à Gabrielle de baisser d'un ton et de se cacher derrière une petite haie. La jeune duchesse avait un sourire malicieux sur le visage.
— Regardez entre les branches, lui chuchota Aglaé.
Gabrielle plissa les yeux et distingua la silhouette élancée d'un jeune homme de dos. Elle lança un regard d'incompréhension à son amie.
— C'est Maxime de Montauban, ne le reconnaissez-vous pas ? C'est ici qu'il donne rendez-vous à ses amantes. Avec un peu de chance il en attend une.
Aglaé ricana, ravie d'avoir potentiellement un nouveau ragot à raconter à ses amis, et surtout à la reine. Gabrielle allait répliquer et dire que cette situation la mettait mal à l'aise, mais le frou-frou de la robe d'une femme se fit entendre dans l'allée parallèle à celle dans laquelle les deux jeunes femmes se trouvaient.
Une fille vêtue d'une robe marron visiblement de deuxième prix rejoignit Maxime de Montauban, sans voir Aglaé et Gabrielle, à peine dissimilée par un buisson sans feuille. La duchesse pouffa de rire en voyant la prétendue amante de monsieur de Montauban.
— Qu'est-ce que c'est que cette gourgandine ? demanda-t-elle à Gabrielle. Monsieur de Montauban a énormément baissé ses exigences, j'espère pour lui qu'il ne se charge pas de rendre cette pauvre fille... heureuse. Cela nuirait grandement à sa réputation.
Gabrielle plissa les yeux, la silhouette de la femme lui rappelait quelqu'un, mais elle restait de dos. Elle vit simplement Maxime de Montauban glisser sa main au niveau du décolleté de son amante. A un moment, la femme tourna la tête pour regarder derrière elle, et Gabrielle la reconnut aussitôt. Elle jaillit de sa cachette comme un boulet de canon, surprise et déçue.
— Charlotte ! s'exclama-t-elle.
Charlotte Lambert se retourna et découvrit le visage choqué de Gabrielle. Un sourire goguenard naquit sur les lèvres de Maxime de Montauban. Aucun des deux ne prit la parole.
— Que faites-vous là ?
Charlotte recula d'un pas, tandis que Gabrielle se dirigeait vers eux.
— Charlotte, m'avez-vous menti il y a quelques jours ? Fricotez-vous vraiment avec ce monsieur ?
Toute la déception de la jeune femme transparaissait dans sa voix. La jeune femme qui se tenait face à elle ne lui répondit toujours pas. Derrière Charlotte, Maxime gardait son air moqueur, visiblement amusé par la situation.
— Moi qui pensait que vous étiez quelqu'un de confiance. Je suis dégoûtée par votre comportement. Disparaissez.
Les mots de Gabrielle étaient durs et des larmes naquirent dans les yeux de Charlotte. Cette dernière tourna les talons sans demander son reste et s'enfuit dans les jardins. Gabrielle resta seule avec Maxime quelques secondes. Elle le regarda avec un dégoût non dissimulé dans son regard.
— Vous êtes un vrai porc. Vous profitez de la vulnérabilité de cette femme pour profiter de son corps. N'essayez plus jamais de m'approcher.
Maxime de Montauban ricana. Il passa sa main dans ses cheveux pour les recoiffer légèrement. Cette action eut pour unique résultat de les déranger encore plus. Une mèche lui retomba sur le front et Gabrielle eut le souffle coupé un court instant. Comment un simple mouvement de cheveux pouvait-il faire battre son cœur aussi vite ? L'homme planta ses yeux bleus comme un ciel d'été dans les siens.
— Vous pouvez partir, Mademoiselle, votre compagnie ne me manquera pas. Je vous avais prévenue de ne pas traîner dans les jardins.
Sur ces mots, il laissa Gabrielle au milieu de l'allée et il disparut. La seule preuve de sa présence était les empreintes que ses pas avaient laissés dans la neige. Dès que l'homme s'en fut allé, Aglaé sortit de sa cachette. La surprise se lisait sur son visage.
— Je ne savais pas que vous connaissiez ces gens. Mais ne vous embêtez pas avec eux, ils n'en valent pas la peine. Cette Charlotte n'a l'air d'être rien de plus qu'une traînée. Et monsieur de Montauban est un homme charmant et d'une beauté sans pareille, mais c'est un vrai coureur de jupons.
Gabrielle hocha la tête, malgré tout affectée par cet incident. Elle en voulait à Charlotte de lui avoir menti de manière éhontée. Et elle était choquée du comportement de Maxime. Comment des paroles aussi désagréables pouvaient-elles sortir de la bouche d'un être aussi désirable ?
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