Elle courait aussi vite que ses jambes le pouvaient. Ce ne fut qu'à destination qu'elle s'autorisa une pause. Essoufflée, elle poussa la porte de l'immeuble avec difficulté, aidée par Anna. Une fois à l'intérieur, elle put enfin se permettre de saluer son amie d'une accolade.

— Et moi alors !

Se pensant seule avec Anna, Melody sursauta en entendant la voix de Lily. Puis elle se ressaisit, avant de lui attraper le bras et de l'attirer brusquement vers elles. L'obligeant ainsi au câlin collectif.

— Qu'est-ce qui se passe, c'est le mail de Stella qui t'a mis dans cet état ? demanda la brune, en apercevant les poches, sous les yeux de son amie.

Melody aurait bien voulu lui répondre par l'affirmative, mais Lily la connaissait assez pour savoir quand elle mentait. L'interrogatoire qui suivrait n'en deviendrait que plus long, alors elle décida d'éviter la question. Pour l'instant...

— Non, ce n'est pas ça. En revanche, quelle tête tu as !

Melody venait seulement de se rendre compte que Lily n'affichait pas son habituel sourire, qui remontait le moral de la rousse. Aujourd'hui, son visage ne laissa transparaître aucune émotion, la bouche raide, les sourcils froncés.

— Qu'est-ce que tu crois ! Elle nous envoie un mail, hier tard, pour nous demander de commencer plus tôt. Franchement, depuis qu'elle est cheffe d'atelier, son comportement est devenu invivable.

— Ah bon parce qu'elle te semblait sympathique, avant ?

— Non !

Face à ce constat, les trois jeunes femmes rirent de bon cœur. Melody se félicita d'avoir redonné le sourire à son amie. Anna s'esclaffa en imaginant Stella aimable. L'ancienne mannequin avait une très forte ressemblance — à part peut-être les cheveux —, avec Cruella d'Enfer. Après plusieurs minutes, elles réussirent à reprendre leur sérieux.

— Et sinon tu n'as pas répondu à ma question ! C'est quoi ces cernes aussi gros que mes ongles ?

Se mordant la joue, elle se dit que c'était maintenant ou jamais, si elle voulait rester tranquille après. Jouant avec ses pouces pour faire durer la chose le plus longtemps possible, elle capitula sous le regard insistant des deux jeunes femmes.

— J'ai discuté avec un homme hier, sur un site de rencontre !

— Oh...Est-ce qu'il t'a posé des questions étranges ?

Lily connaissait très bien la timidité de son amie. Si la situation devenait trop embarrassante, elle préférait fuir.

— Si par étranges tu veux dire « quel équipement j'utilise pour mes randonnées en famille ? », alors oui ses questions étaient très étranges.

Anna et Lily ricanèrent tandis que Melody faisait de son mieux, pour que les rougeurs sur son visage disparaissent. Malheureusement pour elles, aucune n'entendit Stella arriver.

— On ne vous paie pas pour amuser la galerie !

En moins d'une seconde, elles reprirent leur sérieux. Anna s'écarta du groupe pour retourner derrière son bureau, abandonnant les deux jeunes filles à leur triste sort. Les secondes s'écoulèrent et la tension monta. Elles se doutaient que Stella voulait dire quelque chose, mais aucune n'osa l'interpeller.

— Qu'est-ce que vous faites encore là ? La réunion va commencer ! grogna-t-elle avant de leur passer à côté en se déhanchant.

Lily vit rouge et s'apprêtait à lui aboyer le fond de sa pensée, quand elle sentit la main de Melody sur son épaule. Surprise par ce geste, la jeune brune tourna la tête vers son amie pour y remarquer un sourire crispé sur son visage.

— Nous y allons de ce pas ! affirma Melody en réduisant la distance entre elles.

Derrière Stella, la tension qui avait presque disparu revint au galop. Melody crut un instant que le temps s'était arrêté, car l'ascenseur mettait une éternité à arriver. Quand elles entendirent le petit tintement de clochette et les portes s'ouvrir, elles voulurent se précipiter à l'intérieur. Mais elle sentit que Stella s'éloigner en direction d'Anna. Elles décidèrent alors d'attendre, pensant que leur amie aurait surement besoin d'aide, après, pour se remettre de la tornade blonde.

— Vous avez le dossier ? demanda-t-elle fermement.

Surprise de se faire interpeller, Anna ne savait pas quoi répondre à cet instant. Son visage devint blanc, elle eut du mal à avaler sa salive. Ce sont finalement les grognements de Stella qui ramena Anna à la réalité. Elle attrapa une pochette sur son bureau et se précipita pour lui donner, mais elle fut arrêtée nette d'un signe de la main. De l'autre main, Stella fit comprendre à Melody qu'elle devait récupérer le fameux dossier. Sans broncher, la jeune rousse s'exécuta. L'étui devait contenir une centaine de pages, au bas mot, et Melody fit tout son possible pour ne pas la laisser tomber. Mais le pire restait à venir. Son inquiétude monta d'un cran, sur la suite des événements, quand elle vit le sourire de Stella s'agrandir.

— Je veux une copie pour chaque couturier et styliste, de l'équipe, avant la réunion, évidemment.

— Mais elle démarre dans dix minutes...

— Alors, ne perdez pas de temps.

— Si vous le souhaitez, madame... commença Anna.

— Vous, on ne vous a rien demandé ! répliqua-t-elle froidement

Puis d'un sourire victorieux, qu'elle ne cacha même pas, Stella se dirigea vers l'ascenseur et monta dans les étages. Melody décida de ne pas protester. Elle baissa la tête et d'une voix timide, elle demanda l'autorisation à Anna, pour utiliser son imprimante.

— Melody, tu dois apprendre à refuser !

— Pour perdre mon emploi... Non merci !

— Elle ne détient pas tous les pouvoirs !

— Elle se servira de son influence... Et je te rappelle qu'avec les trois licenciements, je suis de nouveau la petite dernière que l'on peut virer d'un claquement de doigts.

Lily devait admettre que son amie avait raison, elle décida donc de capituler, pour cette fois. Grâce à l'aide de ses amies et de plusieurs photocopieuses, les impressions furent prêtes, en un temps record. Évidemment, Lily et Anna ne laissèrent pas Melody seule avec tous ces dossiers. Elles lui donnèrent aussi un coup de main, pour les monter jusqu'aux ateliers.

— Chez Luka's bar, ce soir après le travail ? demanda Anna, à quelques mètres de leur destination.

Les deux jeunes femmes répondirent par l'affirmative, avant d'entrer dans les ateliers, au moment où la réunion allait commencer. Dos à elles, Stella ne remarqua pas leur présence, elle ne cacha donc passa joie d'imaginer l'humiliation qu'elle infligerait à Melody pour son retard. Bien sûr, comme s'en doutaient les filles, tout ceci était volontaire et calculé. Alors quand Stella aperçut les trois femmes dans son champ de vision, son visage se décomposa. Ne pouvant lui faire aucun reproche valable, elle décida qu'aujourd'hui ça serait Melody qui travaillerait le plus dur.

***

Melody osa enfin respirer normalement, quand elle se posa avec les filles au pub. Encore tôt, Melody s'étonna de voir autant de monde dans les rues de Londres. Un point de plus, qui montrait qu'elle ne sortait pas souvent. Luka, le gérant du lieu, se manifesta et fit sursauter la jeune femme.

— Vous prendrez ?

— Cocktails des mauvais jours, pour moi ! répliqua Lily.

— Trois s'il te plaît ! renchérirent Anna et Melody en cœur.

— À ce point-là... j'y cours.

Les filles le virent alors, entrer à toute vitesse dans son établissement. La tête sur la table, pour éviter de croiser le regard de ses amies, Melody sentait que l'interrogatoire n'allait pas tarder.

 — Bon maintenant, je veux tout savoir sur ton randonneur.