Chapitre 18
Les méandres du métro ressemblent à ceux de mon cerveau. Comme à mes débuts à Paris, je m'y perds facilement lorsque je ne fais pas attention. Et ce qui devait arriver arriva. Concentré sur la bonne musique diffusée dans mon casque et mon crayon qui dansait sur le papier pour esquisser mes idées, j'avais loupé mon arrêt de plusieurs stations. Étrangement, ce contretemps ne me contrarie pas plus que ça c'est juste du temps perdu.
Le nom sur le panneau du mur me fait réaliser alors que je suis à quelques rues seulement du bar où Boubakar et Malik m'avaient demandé de les rejoindre pour un apéro entre amis. Avec rapidité, je tapote sur mon téléphone pour leur annoncer finalement ma venue. Par messages interposés, Mes amis se moquent de ma contradiction mais se réjouissent que je vienne. Les smileys finaux en réponse me font accélérer la cadence de mon pas, ces impatients ont déjà commencé à boire de ce que je comprends.
Putain, le plaisir de se revoir est réciproque. Je ne m'étais pas rendu compte que je les avais mis de côté dernièrement et qu'ils me manquaient autant pour leurs joyeuses insouciances, leurs répliques souvent pertinentes et leurs soutiens infaillibles. Les amis sont là pour ça m'ont-ils rappelé quand je leur racontés les derniers déboires de ma vie perso. Spontanément, ils m'offrent de m'aider à la hauteur de leurs capacités, de leur temps et leurs moyens.
Une soirée facile entre potes avec quelques verres, c'était ce qu'il me fallait après ces quelques journées particulières. J'en prends pleinement conscience maintenant. Les blagues et les rires de mes amis me font du bien, leur bonne humeur déteint sur moi ; gomme le côté sérieux qui avait repris le contrôle.
Les verres défilent et se vident. Aucun doute à avoir, le happy hour va prolonger en un restaurant pas cher improvisé et je suis le mouvement sans hésitation, car mon estomac crie famine et que l'alcool à vide me fait grise mine.
On erre dans le quartier pour trouver qui acceptera notre bande un peu éméchée et pas qu'un peu bruyante. Les patrons ne semblent pas vouloir de notre compagnie trop festive à leur goût. Nous nous traînons dans la rue de refus en refus avant de finir dans un petit coréen un peu en retrait de l'axe principal. Il ne paye pas de mine, normal que la patronne se réjouisse du débarquement de six grands gaillards fêtards.
Faux, nous ne sommes pas seuls. Un appareil de karaoké diffuse de la K-pop à fond et une bande de jeunes filles crient au fond de la salle. Elles motivent une autre qui s'adonne à un mélange de chorégraphie et de chanson en portant une écharpe annonçant son statut de future mariée.
— Impossible les gars ! Demi-tour toute ! exigé-je.
Je ne pourrais pas supporter de manger dans cette atmosphère survoltée d'un enterrement de vie de jeune fille. J'ai supplié ces grands garçons mais rien à faire : ces chacals avaient faim et deux d'entre eux étaient plus que près à croquer les demoiselles en guise de dessert au vu des regards lancés par Valentin et Titouan sur deux d'entre elles. La majorité l'emporte, je cède mais je bougonne.
Les Bibimbaps fumants et les ravioles apportés par la serveuse réveillent mon appétit et améliorent mon humeur chagrine face aux chanteuses amatrices. J'arrête de ronchonner contre les deux dragueurs qui nous imposent ce moment assourdissant. J'oublie tout lorsque je dévore tout ce qu'on me présente. C'est succulent et goûteux ! Je ne peux retenir un compliment à ma manière.
— Putain, que c'est bon ! m'étais-je exclamé un peu trop fort avec sincérité m'attirant le sourire bienveillant de la patronne depuis le coin-bar.
Comment en suis-je arrivé là ? Je ne sais plus trop, un abus d'alcool à coup sûr, mais tant pis j'assume. Je me balance en rythme tandis que je chantonne un air d'un groupe que je ne connais pas vraiment à part qu'il est composé d'une bande de jolis garçons asiatiques d'après la vidéo diffusée. Heureusement pour moi, je ne suis pas seul face au micro, une des filles s'époumone sur les parties en coréen et je ne la rejoins que pour l'anglais. Vive les paroles affichées à l'écran où je serais perdu dans ce cafouillis de signes inconnus. Trop de bière... ou trop d'encouragement de mes amis, je m'échine à suivre le tempo jusqu'à obtenir une flopée d'applaudissement et de sifflets de mes amis et des fêtardes à leurs côtés.
Les salops m'ont piégé sans vergogne j'en fais autant en étant plus bienveillant
— À ton tour Tit', enjoigne-je Titouan d'un geste, le poussant presque sur la scène pour un duo avec l'une des demoiselles qui lui plaisait tant au début de la soirée.
En retournant à ma place, je m'approche de Val et lui susurre à l'oreille un avertissement.
— Le prochain, c'est toi, tu le sais.
Ses yeux affolés font marrer le reste de la tablée. Le pauvre, il enchaînera les fausses notes comme d'autres les râteaux en soirée. Dommage avec sa voix de basse, il aurait du succès s'il savait produire d'autres sons que des miaulements stridents des chattes en chaleur.
— Les gars on rentre après le tour de Titouan ! propose-t-il avec précipitation pour éviter son tour de chant, avant de héler la serveuse dans l'optique de commander les cafés et de régler rapidement la note.
Je jubile, j'ai obtenu ce que je voulais, nous allons enfin sortir de ce lieu de cacophonie. Pendant qu'on attend l'addition et nos expressos, je finis ma bière dont j'ai fini d'arracher l'étiquette sur la bouteille pendant le repas. Le bout de papier s'étale sur la table, c'est le rappel de ma nervosité en début de soirée. Je vais pour chiffonner afin de le jeter. Ma main reste figée, je remarque ce que j'ai griffonné au dos de celle-ci. Le sourire de ma mère, son regard aimant. Je glisse l'objet de mon attention dans mon portefeuille avant d'en sortir ma carte bleue et quelques monnaies pour le pourboire : les employés et la patronne l'ont plus que méritée à nous supporter.
Le froid me saisit lorsqu'on sort du restaurant, je regrette mon écharpe que je n'ai pas prise ce matin en partant de chez moi. Je remonte mon col en marchant suivant ma petite bande. Ont-ils envie de continuer la soirée ou ? Telle est la question qui sera bientôt posée.
— On poursuit ? nous questionne Malik en désignant une série d'enseignes lumineuses de bars plus loin dans l'avenue.
On s'interroge du regard les uns et les autres mais avant que nous puissions avoir établi une réponse Boubakar stoppe net.
— Les ennuis arrivent ! lâche-t-il.
Je tourne la tête, au loin, et je repère la voiture de police qui est en train de se garer.
— PEM, SVP, ferme ta grande bouche, m'ordonne Bouba d'un ton impérieux. J'ai pas envie de finir la soirée au poste à décuver, ajoute-t-il pour toute explication.
Des portes claquent au loin s'en suivent des bruits de pas qui s'approchent devant de plus en plus fort à mes oreilles. Le brouillard léger de l'alcool en nous s'évanouit dans la nuit, une froide lucidité me saisit ainsi que mes compagnons. Le temps semble s'être figé un instant, nous bloquant dans nos positions, mais ce n'est pas un mannequin challenge ou un autre défi des réseau sociaux. C'est l'un des réalités de la vie parisienne qui se rappelle à nous.
Le regard baissé, j'attends en me mordillant la lèvre inférieure, je n'ai pas envie de causer des soucis à mes amis. Je réfléchis à trouver un moyen pour ne pas faire traîner la chose. Me préparer ! Je fouille mes poches à la recherche de mes papiers comme ils le font devant moi. Depuis ma rencontre étrange avec Thomas, j'ai enfin compris le principe du contrôle d'identité « aléatoire » dont me parlait régulièrement mes amis. Immobile, je me tiens à carreau près à répondre à la demande des forces de l'ordre. L'ordre retentit dans la nuit nous figeant plus encore que nous l'étions déjà sur le trottoir.
— Contrôle d'identité !
Cette voix qui nous interpelle me chavire et mon rythme cardiaque s'accélère doucement. Sa tonalité et sa puissance, tout ce que j'aime. Mon corps a ine réponse quasi pavlovienne, une chaleur enivrante monte en moi. Je tends les documents au policier qui est le plus près de moi, trop même, son parfum me parvient et me trouble. L'agent, un brun me sourit un très court instant et j'en fais autant, impossible de me contenir face à cette beauté. Ces yeux pétillent en réponse puis il s'éloigne sans un mot avec mes papiers et ceux de mes amis pour rejoindre ses collègues restés à côté du véhicule siglé.
Les deux plus jeunes doctorants de la bande me regardent inquiets, Titouan et Valentin ont peur que ça dégénère, que j'ouvre ma grande bouche pour faire une déclaration malvenue comme la dernière fois. Je ne sens pas mal pour Malik et les autres ni pour moi. Cette fois-ci, c'est moi qui les rassure.
— Ça va le faire, affirmé-je.
Rapidement, le bel agent revient, il tend leurs cartes d'identité à mes amis sans rien dire et finit par la mienne.
— Bonne fin de soirée Messieurs ! nous souhaite-t-il poliment avant de s'éloigner.
Soulagés, nous repartons sans demander notre reste et reprenons notre chemin jusqu'à la station de métro.
— On est fier de toi, tu as retenu ta langue trop pendue pour une fois ! se réjouit Valentin.
S'ils savaient ! Je souris en glissant le rectangle de plastique dans la poche arrière de mon jean en même temps que le papier plié qui a été mis avec. Cela a comme un air de déjà-vu.
— Tu le connais ? continue Val.
— Le beau brun, c'est un collègue de ton Thomas ? m'interroge Titouan ?
Je secoue la tête espérant faire durer le petit jeu avec eux mais impossible de le faire sans sourire, je suis trop franc pour tenir longtemps un mensonge.
— C'est son Thomas, répond Boubakar coupant court à tout.
— Belle bête ! affirme Tit'. Il y en a d'autres comme ça chez les Condés ? Des modèles genre mannequins ? Je devrais peut-être faire la sortie des commissariats pour me trouver une fliquette sexy.
— Si c'est uniquement l'uniforme qui t'existe, les pompiers donnent des bals tous les ans, réplique Malik
— ou le ministère des Armées, enchaîne immédiatement Bouba.
Et aucun de nous ne peux se retenir de rire ensemble.
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