Chapitre 8 - Eiko
Je sortis sur le parvis de la gare les yeux plissés à cause de la lumière. Non pas qu'il faisait beau, il tombait des trombes, mais la SNCF n'avait pas jugé nécessaire de mettre à jour le budget lumière cette année apparemment. La porte battante se rabattit derrière moi alors que je tentai de suivre les grandes enjambées de Victor, la boule au ventre.
Les autres étaient tous rassemblés sur les marches, Rose, comme à son habitude, au sommet de la pyramide. Clotilde était assise à l'opposé, inhabituellement froide avec elle, et Nour et Solal semblaient faire le lien au milieu.
La reine du lycée était, comme à son habitude, absolument sublime. Pourtant elle n'était qu'en jeans et en pull, je l'avais rarement vu aussi peu apprêtée. Elle avait l'air sombre, mais je me forçais à ne pas me poser de questions et à changer la direction de mon regard.
- Bah alors Clotilde a découvert que Rose me voyait en secret ? lança Victor en arrivant.
Je fis la bise à la blonde au même moment, et je la vis lever les yeux au ciel. Solal m'attrapa la taille et me força à s'asseoir sur ses genoux, une main posée sur mon genoux droit. J'en profitai pour me pencher vers Nour et lui embrassai la joue.
- Tu es hilarant Victor. répliqua finalement Rose.
Il s'évanta le visage avec la main.
- Tu me flattes.
La brune soupira et se leva.
- Ça fait une demi-heure que je t'attends. Tu aurais pu accélérer. ajouta-t-elle en lui attrapant le bras.
Victor haussa un sourcil mais se laissa entraîner dans la direction d'un autre groupe de terminales en haussant les sourcils. Aussi étonnée que lui, je me retournai vers Solal.
- Qu'est ce qu'il s'est passé ?
La blonde à côtés de nous émit un rire nerveux.
- On s'est pris la tête hier. Rien de grave mais avec ce qu'il s'est passé avec toi en plus...
J'acquiesçai, absente. Mes pensées étaient retournées à ses mains dans mes cheveux, sa bouche sur la mienne, nos corps entrelacés...
- Eiko !
Solal claqua des doigts devant mon visage.
- On t'avait perdue.
Je secouai la tête pour me remettre les idées en place.
- Un peu. Désolée. Vous disiez ?
- Qu'on ne verra sûrement ni Victor ni Rose de la semaine. Ils sont partis avec des amis à eux, et j'ai tendance à penser qu'ils resteront avec eux. Non pas qu'ils soient fâchés mais...
Clo et moi.
Nos prénoms résonnèrent en silence et nous échangeâmes un regard gêné. En soupirant, je me laissai tomber contre le torse ferme de mon meilleur ami et coinçai ma tête entre sa mâchoire et son épaule.
- J'ai embrassé Rose. lachai-je soudain.
Nour sauta sur ses pieds et me dévisagea en silence. Je cherchais la désapprobation sur son visage, mais ne voyais que de la peine pour moi. Je grinçai des dents, peu amène, mais reformulai aussi vite.
- Enfin, elle m'a embrassée, et je lui ai rendu. Meme si au début j'avais fait le premier pas et elle m'a repoussée...
- On veut pas savoir. me coupa Solal en plaquant sa main sur ma bouche.
Je tentai de me dégager mais il me serrer bien trop fort, et fini par lui balancer un coup de coude dans le nez. Il recula en grimaçant et je pus me lever, les poings sur les hanches.
- Sérieusement, So ? Fais au moins genre de faire attention à moi...
Je m'interrompis, car mon regard vagabon venait de rencontrer celui de Rose, et je n'arrivais plus à détacher mes yeux de son visage pâle. Elle semblait à la fois mal en point et aux anges, maquillée comme elle était. Le bras de Victor sur les épaules, elle tripotait une cigarette entre ses doigts sans se résoudre à l'allumer.
Rose ne fume pas.
Alors pourquoi avait-elle un briquet dans la main, prêt à être utilisé ? Je pensais la connaître mais au fond, sa personnalité publique restait un mystère épais et insondable.
Je la connaissais depuis le début de troisième, quand j'avais rencontré Victor, qui était mon voisin et faisait les même trajet que moi. Puis Clotilde et moi étions devenues très proche, et je m'étais rapprochée petit à petit de tout le groupe, même si j'avais réellement commencer à les connaître en les fréquentant au quotidien, ce que je faisais depuis l'année passée.
Les pupilles dilatée, Rose me regardait, immobile. Une douce chaleur envahit ma poitrine, et le rouge me monta aux joues, sans raison particulière, mis à part ce regard pénétrant. Un frisson courut le long de ma colonne vertébrale, mais ce fut le passage de Nour dans mon champs de vision qui me ramena à la réalité.
- Mais Rose s'est découvert une sexualité ? me demandait-elle, l'air concentré.
Reprenant contenance, je haussai les épaules.
- Qu'est-ce que j'en sais ! D'ailleurs là est tout le problème...
- Peut être, avança-t-elle, qu'elle nous fait une Lucas ?
Je pris un air flatté.
- Je serai donc Elliot ?
Elle sourit.
- Ouais, non, oublie, ça colle pas. Surtout pour ton personnage.
Clotilde se pencha vers Solal, en se croyant discrète.
- Elles sont reparties avec leur obsession bizarre pour cette série... comment elle s'appelle ?
- Skam, Clo ! Skam France ! glapis-je. Et ce n'est pas bizarre.
Je croisai les bras et pris un air renfrogné, au même moment que Nour. Nous échangeâmes un regard complice.
- Si tu le dis...
Une sonnerie lointaine mis fin à la discussion, et je réalisai que c'était celle du lycée. Je jetai un coup d'œil paniqué à mon téléphone, et d'un accord tacite nous commençâmes à courir, espérant encore avoir une chance d'arriver à l'heure, même si c'était peine perdue. La respiration laborieuse, j'arrivai en salle d'histoire géographie et me glissai à la dernière place libre, au fond, à côté d'un garçon dont je ne connais même pas le prénom.
- Eiko. chuchotai-je rapidement en m'installant.
- Elias. répondit-il sur le même mode.
- Ravie de te rencontrer.
- De même.
Me sentant comme une adulte en dîner, ou au summum de mon hypocrisie, je tentai d'étouffer un rire, mais il m'entendit et me lança un regard rieur avant de se pincer le bras pour rester sérieux. Heureusement, d'ailleurs, car la prof venait d'entrer et se lançait dans l'appel où il était deuxième.
Vraiment drôle que je ne le connaisse pas.
- Tu n'es pas à côté d'Yseult, fit-il remarquer au bout d'un moment.
Je jetai un coup d'œil a la blonde, au deuxième rang.
- Je n'avais pas l'embarras du choix, figure-toi.
- Et bien nous sommes deux.
Un regard surpris plus tard, nous éclatâmes de rire.
- Eiko ! Elias ! Vous voulez du papier pour les faire-part de mariage ?
Je rougis alors que mon voisin se tortillait sur sa chaise, gêné. Nous nous tûmes un instant.
- Je...
Je levai une main.
- Je suis sur une fille. Ne t'inquiète pas.
- Tu es...
- Bi. Mais en ce moment, tu ne risques rien de moi.
Il acquiesça lentement.
- Content de le savoir. Tu fais un truc à midi ?
Étonnée je lui lançai un regard par-dessous mes cils.
- Je ne sais pas avec qui déjeuner ce qui est... Clairement honteux mais...
- Je ne fais rien de spécial. le coupai-je. Je préviens des amis avec qui ça va pas fort et je suis tout à toi.
Un sourire radieux vint éclairer son visage et une joie inattendue me réchauffa à cette vue.
LES QUICHES PARISIENNES
Moi : les amis je ne mange pas avec vous à midi.
Victor : t'as un date ?
Victor : Rose et moi non plus.
Moi : morte. De. Rire. Non un mec gentil dans ma classe m'a demandée.
Clo : pour une fois que je suis d'accord avec l'autre : tu as un date.
Moi : il n'est pas sur moi et il sait...
Rose : ??
Moi : oubliez. Je mange pas, point.
Nos trois plateaux se posèrent en concert sur la table et je m'installai en soupirant dans ma chaise.
- Ça fait... Longtemps que je n'ai pas mangé à la cantine. fis-je remarquer.
Yseult, qui avait, à ma demande, accepté de nous rejoindre me souris.
- Vraiment ?
L'étonnement d'Elias me fit sourire. Yseult cligna d'un œil et lui donna un coup de coude.
- C'est qu'elle est pote avec de gros bonnets... Rose, Victor...
Une lueur d'intérêt traversa le regard du brun en face de moi. Je devinai aisément ce que ces noms balancés sans arrière pensée par la blonde pouvait réveiller dans son esprit.
- Vraiment ? T'étais à la soirée la semaine dernière ?
Je haussai les épaules, me la jouant blasé.
- Ouais... Pourquoi ?
- Je sais pas c'est... mythique un peu. Comme les films américains tu sais ?
Interloquée, je le dévisageai. Je n'avais jamais comparé ma vie à un film, ni celle de mes amis, et si Elias les connaissait un minimum, il ne penserait absolument cela.
- C'est... Plus compliqué que cela.
Il me donna un sourire tendre et je faillis rougir.
- J'imagine.
Les mains imbriquée l'une dans l'autre, je tentai de me remettre les idées en place.
- Ça va Eik' ? demanda Yseult.
En attrapant ma fourchette, je soupirai.
- Pas au top de ma forme. Mais ça va.
Je le relevai la tête et croisai deux paires d'yeux inquiets.
- Je l'ai embrassée, expliquai sans me soucier du garçon qui n'était au courant de rien.
La blonde s'étouffa avec sa purée et se mit à tousser, alors qu'Elias lui tapotait le dos.
- Si elle tousse c'est qu'elle respire.
Mon amie m'assassina du regard devant mon absence de réaction avant de repartir dans une quinte de toux. Je haussai les épaules.
- Quoi ? C'est vrai !
- Tu l'as embrassée ! hurla-t-elle finalement.
Je rougis violemment et tentai de me cacher le visage avec mes mains.
- Disons... Que c'est elle ?
- En plus ! Mais c'est super !
- Elle s'est tiré au bout de trente secondes.
Je me remémorai la scène et un frisson glacé me parcourut.
- Je l'ai repoussée en même temps. Mais elle ne veut pas en parler.
Yseult gémit et me donna un coup de pied en dessous de la table. En face de moi, Elias assistait à la scène avec une lueur d'intérêt dans le regard.
- Mais Eiko ce que tu peux être idiote ! Elle a du croire que tu ne voulais pas l'embrasser et du coup elle s'est sentie coupable et elle est partie parce qu'elle avait honte ! Je te rappelle qu'elle est hétéro normalement !
Incrédule, je réfléchis à ses paroles. Cela pouvait être vrai. Après tout, je lui avais expliqué que je pensais que ce pouvait être une bêtise...
- Mais t'as raison ! Je suis complétement conne !
La blonde se renfonça dans son siège et m'adressa un regard de reproche.
- Non... Vraiment ?
L'ironie dans son ton me fit hausser les sourcils. Elias prit finalement la parole.
- Je n'ai rien compris.
Yseult étouffa un rire et je lui donnai un coup de pied pour la faire taire. Même si je l'aimais beaucoup, je ne connaissais le garçon que depuis quelques heures et je n'étais pas prête à mettre entre ces mains les secrets de la fille la plus populaire du lycée, surtout vu comment il avait l'air intéressée à son évocation.
- C'est normal. J'irai lui parler, quand je pourrai c'est à dire... Pas avant jeudi parce qu'elle est en colère contre Clotilde en plus, je ne sais pour quelle raison... Mais j'irai lui parler. J'enchaine les boulettes avec elle, moi.
Yseult sourit.
- Je ne peux te contredire ma chère.
Je montais le son de ma musique avec la télécommande posée à côté de moi et la trompette de mon morceau de jazz explosa mes tympans. Concentrée sur ma dissertation de français, je n'y prêtai pas attention. Pour une fois, les phrases me venaient naturellement, mais peut être était-ce à cause de l'heure que je trouvais particulièrement propice à la réflexion.
Deux coups secs à ma porte me firent sursauter. Ma mère l'ouvrit avant que je ne puisse bouger. Elle portait sa chemise de nuit blanche, et ses longs cheveux noirs tombaient en vagues irrégulières jusqu'à ses hanches. Quand je la voyais ainsi, j'avais la sensation qu'elle n'était jamais sortie de son adolescence, et un sentiment de gêne profond m'habitait. Peut être parce que avec ma taille étroite et ma quasi-absence de courbe féminine je lui ressemblai beaucoup.
- Baisse le son ma chérie. Mei est couchée.
Je gémis.
- Mei ne peut pas supporter un peu de jazz pour berceuse ?
Un regard emplis de reproches plus tard, le volume était plus bas de deux crans.
- Contente ?
L'énervement transparaissait dans ma voix et ma mère soupira sans répondre. Elle fit mine de faire demi-tour, mais je l'arrêtai.
- Maman...
Elle se retourna et m'interrogea du regard, et tout le courage que j'avais rassemblé s'évapora dans mes mains.
- Bonne nuit.
- Bonne nuit Eik'.
La porte se referma sans bruit et je me replongeai dans mon travail de français, mais toute inspiration avait également disparut. Je me rejetai contre le dossier de ma chaise, et, sur la pointe des pieds, descendis dans le salon, pour récupérer mon portable, posé sur le buffet comme à son habitude. Les règles que mes parents avaient fixés à mes onze ans comprenaient surtout : pas de portable dans la chambre quelque soit l'heure commençait à me fatiguer.
Une notification, inhabituelle, attira mon regard et le petit ange sur mon épaule ne lutta que quelques secondes avant de laisser la main au diable. Je cliquai dessus.
alex_grd vous a envoyé une vidéo
alex_grd : tu vois ? Pas besoin de ton aide.
Une image de Rose, qui se mordait la joue avant de la relâcher et de rire s'afficha sur mon téléphone. Je résistai à l'envie de prendre une capture d'écran devant le visage adorable s'offrant à moi et éteignis brutalement mon portable qui vint tomber sur le sol dans un bruit sourd. Les mains en suspension, la bouche ouverte, je regardai le parquet tourner autour de moi.
Et, soudainement, sans un mot pour me prévenir, mes jambes me lâchèrent.
Un bruit mat retentit quand je rentrai en contact avec le sol, et un sanglot m'échappa avant que je ne plaque ma main contre ma bouche. Non. Je valais mieux que cela. Je rassemblai mes forces et me levai, reposai mon téléphone et montai les marches deux à deux. Une fois dans ma chambre, je changeai le vinyle de jazz pour un d'Oasis et ouvris en grand mon armoire, déterminée à ne pas me laisser marcher sur les pieds.
Ce n'est pas comme si l'un ou l'autre me méritait en plus.
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