Chapitre 15 - Rose
Les bras d'Alexandre m'enlaçaient, sa bouche se pressait contre la mienne et son corps semblait vouloir fusionner avec mes hanches. Pourtant, je ne ressentais rien. A vrai dire, j'avais l'impression d'être perdue, et d'avoir fait la plus grosse erreur de ma vie. Je pouvais presque sentir le regard désapprobateur que Maman m'adressait avant de s'énerver. Je tentai de repousser cette culpabilité dans un coin de mon esprit, mais rien n'y faisait.
Les larmes me montèrent aux yeux.
J'imaginais le visage décomposé d'Eiko, son cœur en miettes. Si seulement je n'étais pas aussi égoïste ! Si je pouvais avoir ne serait-ce qu'un centième de son courage, assez pour me dresser contre vents et marrées à ses côtés, à supporter les regards dédaigneux de mes camarades.
Mais il fallait être honnête : l'opinion des autres me tétanisait plus que la douleur de ma copine.
Ce constat, bien que déjà connu, j'étais quand même en train d'embrasser un garçon, me pinça le cœur, et je jugeai que ma mascarade avait assez duré. Je me dégageai, doucement mais fermement, de l'étreinte d'Alexandre, et eus un haut-le-cœur en voyant son sourire ravi. Victor m'avait mise au courant des raisons pour lesquelles il avait quitté Eiko, et je ne pouvais désormais plus supporter d'être en sa présence. Enfin Rosemonde ne le pouvait plus. Apparemment, Rose, elle, n'y voyait aucune objection. restait à savoir quelle partie de ma personne allait gagner.
- Je pensais... commença-t-il alors.
Je plaquai un doigt contre ses lèvres en réprimant un frisson de dégoût. Autant pour moi-même que pour son attitude.
Si seulement il savait qui j'étais vraiment... Alors je n'aurait plus besoin de jouer à ce petit jeu.
- Tais-toi. Je n'ai pas envie de te parler. A vrai dire, je ne sais même pas pourquoi je suis venue te voir. Enfin si. Mais c'était une erreur.
Erreur que je referai cent fois, mille fois, si ça me permettait de me soustraire aux regards des autres.
Pourquoi est-ce que j'ai voulu devenir populaire, déjà ?
Ah oui : parce que je ne supporte pas la solitude et indifférence.
Alors qu'Alexandre me dévisageait perplexe, je tentai de fuir le cercle infernal de mes pensées.
- Désolée. Enfin non. Pourquoi est-ce que je m'excuserai devant une personne comme toi... On ne peut pas s'excuser soit-même. Tu sais quoi ? Oublie ce que je viens de dire je divague. Je disais : tu ne mérites que je me sente désolée pour toi. Vu ce que tu as fait à Eiko...
- Rose !
Une poigne de fer se referma sur mon bras droit, et je retins de justesse un gémissement de douleur. Alexandre dût néanmoins apercevoir une crispation sur mon visage, car il se tourna vers la personne qui venait de nous interrompre, le regard furieux. Moi, j'étais aux anges. Je me tournai, tout sourire, vers la personne qui gardait mon bras prisonnier. Et mon sourire se fana aussitôt. Victor se tenait là, le regard sombre, un pli sévère sur sa bouche.
- Rose... On peut parler ? je te l'emprunte, ajouta-t-il tout sourire à l'intention d'Alexandre.
Avant que celui-ci ne put protester, je fus entraînée à l'autre bout du parvis, sans possibilités de me défendre. Une fois à l'abri des regards, je me dégageai sèchement de son étreinte en me massant le bras, espérant de faire disparaitre la marque rouge qu'il avait laissé sur ma peau. Victor, furieux, me regardait sans chercher à s'excuser.
- Rosemonde Genêt qu'est-ce qu'il s'est passé dans ta tête au juste ? s'écria-t-il en se prenant les cheveux dans ses mains.
Penaude, je me balançai d'un pied sur l'autre.
- Je sais pas trop...
Il souffla, puis reprit plus doucement :
- Rose, je serai toujours de ton côté, mais Eiko est aussi mon amie, elle m'aide beaucoup avec... Bref on s'en fiche, c'est pas la question. Et en tant qu'ami de vous deux, je me dois de vous remettre la tête à l'endroit quand vous faites des conneries, pardonne mon vocabulaire. Depuis le début, tu fuis à la moindre difficulté, et elle te pardonne toujours. Mais là, tu viens ouvertement de la tromper, devant l'école entière. Écoute, je comprends que tu n'assumes, que tu ais peur du regard des autres, mais sincèrement, il y a d'autre moyen que d'embrasser un garçon devant tout le monde pour contenir les rumeurs d'accord ?
Ma lèvre trembla et je la mordis jusqu'au sang pour m'empêcher de craquer ici. Victor soupira et passa un bras rassurant autour de mon épaule. Il posa son menton sur ma tête et me serra fort contre lui.
- Rose... Je sais que c'est dur, que ça te rappelle de mauvais souvenirs, mais tu dois passer au dessus de tout ça si tu veux que ça marche avec Eiko. Ou alors, va lui dire les yeux dans les yeux que c'est fini. Mais je sais que tu n'iras pas lui dire, parce que tu l'aimes.
Je relevai mes yeux pleins de larmes vers lui, qu'à moitié étonnée. Il eut un sourire en coin.
- T'as cru que je n'allais pas le remarquer ? Je lis en toi comme dans un livre ouvert, je te connais trop pour ignorer les signaux.
Puis il se mit à me frotter le dos de manière énergique, mes larmes, qui jusque là coulaient en silence redoublèrent et je laissai échapper un hoquet. Il se pencha à mon oreille et me murmura doucement :
- Rose, tout le monde n'est pas comme lui. La preuve : est-ce que Clo, Soso, Nour, ou Eiko t'avons jugé quand tu nous as dit ?
Je fis non de la tête.
- Alors pourquoi d'autres le feraient ?
Parce que ce ne sont pas vous, parce qu'ils ne me connaissent pas et ne savent pas qui je suis vraiment...
Il sentit mes cogitations et plaça deux mains sur mes oreilles.
- Arrête de penser tu me donnes mal à la tête.
J'étouffai un rire plaintif et lui donnai un bourrade.
- Alors arrête de me poser des questions qui me font réfléchir...
Ma voix était rauque et je me raclai la gorge avant de continuer :
- Et arrête de réveiller des souvenirs dont je n'ai pas envie de me rappeler, d'accord ?
Je me dégageai de son étreinte, sortis mon téléphone et vérifiai que mes yeux n'étaient pas trop rouges avant de lui adresser un regard d'avertissement et de m'éloigner autant que je le pouvais. Je l'entendis, alors que j'étais déjà assez loin, quand il se mit à hurler, s'attirant tout les regards :
- Tu ne pourras pas ignorer ton passé trop longtemps Rose ! Il y a bien un jour ou il te reviendra en pleine face, et ce serait dommage que ça te détruise ta vie !
Je me mordis la lèvre inférieur une nouvelle fois, et le goût métallique du sang envahit ma bouche. Mes joues rougirent, mais je ne déviai pas mon chemin et me rapprochai d'un groupe d'amis, aussi loin que possible des mes vrais amis et d'Eiko, et d'Alexandre, je ne voulais plus jamais revoir son visage.
- Salut Rose ! Bonnes vacances ? me demanda une blonde dont je ne me souvenais même plus du nom.
Les meilleures de ma vie. J'étais loin de vous, et près de la personne que j'aime.
La personne
Que
J'aime
Mais qui ne m'aimera jamais.
La faute à qui ?
Je massacrai un sourire et acquiesçai, mes yeux occupés autre part. En face de moi, Victor venait de rejoindre nos amis, enfin si je pouvais encore les appeler comme ça. Il prenait Eiko dans ses bras, et j'aperçus son visage bouffi de larmes. Nour se tenait près d'elle, une main sur son épaule, et m'assassiner du regard, fomentant sûrement un plan pour se venger. Solal et Clotilde me tournaient le dos, mais c'était sûrement mieux ainsi, je n'aurai pas pu supporter leur déception. Je me sentais misérable. Je commençais à me demander si j'avais pris la bonne décision. Je n'en avais aucune fichue idée.
La discussion autour de moi battait à son plein, mais j'étais loin, très loin, dans une autre dimension. Là où j'étais avec Eiko, pour le meilleur et pour le pire. Où les autres n'en avaient rien à faire. Où on pouvait librement, sans essuyer les regards méprisant, les insultes. Où on pouvait avoir une vie de famille comme monsieur et madame tout le monde. Où on pouvait se marier et vieillir ensemble sans constamment se demander si on avait pris la bonne décision et ne pas regretter chaque jour qui passe.
- Rose ? Rose ? Tu es avec nous ?
Il y eut un rire maladroit et je clignai des paupières pour réintégrer le monde réel. Je dévisageai les gens autour de moi. Je connaissais le prénom de seulement deux d'entre eux, et encore.
Mais qu'est ce que je fous là ?
Sans répondre, je traversai leur groupe et me précipitai vers ceux qui m'ont toujours soutenue. Victor fut le premier à me voir arriver, et il eut un sourire mi-satisfait mi-triste. Clotilde se retourna au même moment et eut une moue de déception avant de sourire doucement. Nour Me dévisagea de haut en bas mais ne dit rien, et seul Solal parut vraiment heureux de me voir. Il me donna une tape sur l'épaule en souriant franchement, avant de déguerpir en entrainant ma cousine avec lui.
Les deux autres se dirigèrent vers eux sans rien dire, et je vis dans le regard d'Eiko qu'elle les aurait bien suivis, et que seule sa fierté l'en empêchait. Elle croisa les bras dans une posture défensive et rabattit une mèche de cheveux derrière son oreille assez violemment. Puis elle attendit que je parle.
- Je... Sais pas ce que je fous là, pour être honnête. Et je ne sais pas non plus ce qu'il m'a pris. Il... S'est passé des choses pas cool, cool dans ma vie et... Certaines liées à... Ma sexualité.
J'inspirai profondément.
- Ça ne justifie absolument pas ce que j'ai fait et je le sais très bien, mais peut être que ça t'aidera à... Comprendre. Peu de gens le savent, donc s'il te plait, garde le pour toi, ok ?
Elle acquiesça, le visage fermé. Le parvis commençait à se vider et je me doutais que l'heure d'aller en cours s'approchait dangereusement, mais je n'avais pas fini.
- Tu sais que mon... Père, ce mot m'écorcha la langue mais je me forçai à continuer, est parti quand j'étais bébé, et que ma mère ne s'est jamais remis avec quelqu'un. Et bien ce n'est pas complétement vrai. Il y a eu un homme quand j'avais onze ans... Stanislas, il s'appelait. Il était gentil, attentionné, et ma mère l'aimait beaucoup. Elle songeait à recommencer sa vie avec lui. Il avait une fille de mon âge, Fiona.
Je m'arrêtai la gorge serrée, mais me forçai à poursuivre, au prix de gros efforts.
- On... S'est embrassées, un jour. Je ne sais plus comment, je ne sais plus pourquoi. Mais je me souviens que mes lèvres ont touché les siennes, et que pile à ce moment là, son père est arrivé. Quand il nous a vu il... Il a pété un câble, littéralement. Il s'est énervé sur moi en me disant que j'avais perverti sa fille et que c'était de ma faute, que ce n'était pas naturel et que personnes ne devraient faire ça, que je le dégoutais et patati patata... Il est parti de chez nous le lendemain.
Je remarquai qu'une larme solitaire courait sur ma joue et je me dépêcher de l'enlever d'un geste sec.
- Ça... Ça a brisé le cœur de ma mère. Elle n'a plus jamais eu d'histoires sérieuses depuis, et je crois qu'elle n'a jamais vraiment su pourquoi il était parti. J'avais tellement honte, tu ne peux pas savoir ! Ses insultes se jouaient et rejouaient dans ma tête, inlassablement. Jusqu'à ce que je te rencontre et que tu nous dises que tu étais bi, j'étais toujours encrassée dans mes vieilles idéologies. Tu... Tu as tout changé Eiko. Je suis désolée. Vraiment. Je m'en veux tellement, tu ne peux pas savoir. On aurait du en parler ensemble, avant. Je n'aurai jamais du embrassé Alexandre. Je n'aurai jamais du sortir avec lui en premier lieu. Je n'aurai jamais du écouter Stanislas. Je me sens coupable.
Elle m'écoutait en silence, ses yeux ne trahissaient rien.
- Et... Et je t'aime. Et je sais que je ne devrais te balancer ça maintenant, comme ça, mais là je panique, et j'ai pas envie de te perdre, et c'est juste la chose la plus égoïste du monde parce que je vois bien que je ne te rends pas heureuse. Alors fais ce que tu veux. Je t'ai donné ma version de l'histoire, fais en ce que tu veux, je m'en vais, je te laisse réfléchir.
Je fis demi-tour et m'éloignai la poitrine gonflée de remords, la larme à l'œil, voyant mal comment elle pourrait encore me pardonner.
Mais mon cœur battait toujours.
Pour elle.
Avec elle.
Boum.
Boum.
Boum.
Et au rythme des feuilles orangées qui tourbillonnaient autour de moi, je m'éloignai.
Boum.
Boum.
Boum.
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