Le souffle coupé - 5 : Protecteurs
Dans le parc désormais désert, Zenekan Caravel et Maz Kaparral se faisaient face, fatigués et blessés par leur chute.
Caravel ne possédait plus que sa fidèle rapière sur lui, et même son déflecteur personnel était resté au port naval. Si Maz possédait la moindre arme à feu, il était fini. Pourtant, il avait l'intuition que ce n'était pas le cas.
Devant lui, la traîtresse, armée de ses mystérieux brassards, le toisait d'un regard plein de colère, et pourtant dénué de haine.
— Comment as-tu su que j'attaquerais Gendo Darma pendant sa fuite ? demanda Maz.
Les deux belligérants se tournaient désormais autour, et se toisaient comme des chiens de faïence.
— Je savais que tu étais la responsable des attaques sur les fermes à oxygène, répondit calmement Caravel. Tu connais la procédure en cas d'attaque terroriste sur la ville : tu savais que Gendo Darma devrait fuir, et son trajet représentait la parfaite occasion d'attenter à sa vie.
Maz Kaparral plissa les yeux.
— Comment savais-tu que c'était moi, dans ce cas ?
Caravel leva la main devant lui et énuméra les faits.
— Responsable des forces de l'ordre, donc bien placée pour écarter la police avant chacun de tes attentats. J'ai trouvé que tu étais un peu trop insistante à voir Gendo Darma quitter la ville, puisque tu as fait exploser le générateur de secours immédiatement après son refus. Et enfin, nous cherchions une femme à la peau pâle, comme sur la caméra... La caméra qui avait été installée après ta promotion en tant que cheffe de police, c'est-à-dire pendant que tu étais trop distraite par tes nouvelles fonctions pour remarquer la présence de l'objet.
Maz fulminait à présent. Elle serra les poings, et Caravel crut que le combat allait reprendre ; mais au lieu de cela, elle énonça :
— Je ne suis pas une traîtresse.
Seul un sourcil haussé lui répondit.
— Au contraire, poursuivit-elle. Je suis la Protectrice la plus loyale qui soit.
— J'en connais quelques-uns qui en douteraient.
La femme l'ignora.
— Gendo Darma va à l'encontre des préceptes du syndicat établis depuis des centaines d'années. Il fait la guerre sur Terre, s'immisce dans des affaires qui ne le concernent pas. Ce n'est qu'une question de temps avant que les Terriens ne se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls dans l'Univers, et il faut à tout prix épargner leur barbarisme à Alteria. Je te connais, Zenekan Caravel. Descendant de la famille royale d'Arvila, tu es un Alterien pure souche. L'idée que ces vulgaires cloportes puissent penser le nom de notre planète ne te révolte donc pas ?
Caravel soupira. Il comprenait ce que voulait dire son adversaire. Lui-même, avait explicitement refusé de conduire la moindre mission sur Terre, officiellement parce qu'il jugeait le défi trop aisé, mais en réalité, une certaine crainte l'habitait lorsqu'il pensait au Monde Origine. La peur de l'inconnu, de ces sept milliards d'humains qui ne vivaient pas comme lui, ne pensaient pas comme lui. Zenekan Caravel se portait bien sur Alteria, du moment qu'il ne pensait pas à cette masse grouillante qui menaçaient d'une année à l'autre de prendre conscience de leur existence.
Et pourtant, il ne partageait pas la vision de Maz Kaparral.
— Ce n'est pas parce que les Terriens nous découvriront que ce sera la fin du monde, policière. Ils sont nombreux, mais faibles et stupides. Si d'aventure ils tentaient quoi que ce soit contre nous, alors nous les exterminerions comme une fourmilière face à un lance-flammes. Ce qui t'inquiète réside ailleurs. Lorsque deux cultures d'une telle ampleur se rencontrent, il y a un choc inévitable, et l'instabilité, le chaos, s'ensuivent. Je n'aime pas le chaos. Mais sais-tu ce que j'aime encore moins que le chaos ?
Caravel porta une main à sa rapière.
— Ceux qui le provoquent. Maz Kaparral, en ma qualité de Protecteur de première classe et de premier rang, je te retire tes fonctions, ainsi que ton affiliation avec le syndicat. Nous te... "remercions" de ta collaboration, et que ton cœur puisse ne jamais faillir face à l'adversité, et cetera.
— Il n'est pas trop tard, rétorqua Maz. Si tu me laisses partir, je peux encore rattraper Darma.
— Si je te laisse partir, et que tu tues Darma, alors quoi ? Tu t'en prendras aussi à tous ceux qui sont contre les opérations terrestres, et nous oublions que cette planète existe ? Ce n'est pas la solution, et tu le sais, policière. Ou plutôt chômeuse. Je t'ordonnerais bien de te rendre, mais je sais que tu n'obéiras pas.
Soudain, sans prévenir, Caravel se rua sur Maz. Celle-ci, prise au dépourvu, vit la lame du Protecteur arriver sur sa poitrine, avec une vitesse surprenante étant donnée la fatigue de l'homme.
— Inutile ! s'exclama-t-elle pourtant.
Elle pointa son bras sur son assaillant, son brassard émit un chuintement humide, et Caravel sentit une force invisible dévier son coup. De la même manière que quelques minutes plus tôt, il larda la traîtresse de coups, mais celle-ci, sans le laisser approcher à moins d'un mètre, para toutes ses bottes de façon identique.
Caravel recula. Il avait lu le dossier de Maz Kaparral. Elle était une Rift Walker capable de respirer sous l'eau, mais cela n'expliquait pas la moitié des capacités dont elle avait fait preuve. Ses brassards n'avaient rien de spécial : aucun composant électrique ne se trouvait à l'intérieur, aucun produit chimique ne semblait y être contenu.
— Quel est ton nom, Rift Walker ? fit-il.
— Officiellement ? Amphibie. Mais, comme beaucoup d'entre nous, j'ai menti.
L'air autour de Caravel s'assécha. Sa gorge devint sèche à son tour, et il vit que les tuyaux enroulés autour des bras de Maz s'agitaient.
— Rift Walker Electro. Je crée des flammes et de l'air à partir de rien, je respire sous l'eau, je survis à des pressions monumentales.
— Impossible, répliqua l'autre. C'est trop de compétences pour une seule Rift Walker.
— C'est impossible, et pourtant, cela est, fit Maz Kaparral en écartant les bras. La Faille m'a bénie, et m'a accordé plus de pouvoirs que n'importe quel autre de ses protégés !
Sans élaborer davantage, elle arracha son masque et le jeta au sol. Sa bouche s'étira un sourire confiant, et elle pointa ses deux poignets sur Caravel.
— Incinération !
Une flamme gigantesque apparut devant elle, et Caravel n'eut que le temps de plonger sur le côté pour y échapper. Il se félicita d'avoir mis autant de distance entre eux après la fin de son assaut, sprinta dans sa direction, tenta une attaque dans son flanc. Mais Maz le vit venir, et frappa sa lame de l'un de ses brassards. Pourtant, Caravel ne s'arrêta pas là : il coinça la garde de sa rapière dans les tuyaux, en lâcha la poignée. Il se tourna sur le côté, et assena un coup de coude aux côtes de son ennemie. Ne portant pas le moindre vêtement, le choc de l'os contre l'os coupa le souffle à la traîtresse, ce qui laissa le champ libre à Caravel.
Grognant sous l'effort, il récupéra son arme de l'autre main, et exécuta un mouvement de torsion. Le tuyau du bras droit de Maz fut sectionné net, et tomba au sol avec un bruit mou. Caravel voulut terminer son mouvement en faisant basculer l'arme vers le visage de l'ennemie, mais cette dernière se reprit à temps, et le dévia à l'aide d'une pulsion d'air. L'homme battit en retraite une fois de plus.
Maz Kaparral regarda son brassard droit, abîmé par le Protecteur. Irritée, elle le détacha, et il tomba dans l'herbe sèche. La femme fit quelques pas en arrière, se rapprochant de la mare.
— C'est inutile, je te dis, répéta-t-elle. Tu es seul, et je suis une Rift Walker.
— Croire qu'avoir un pouvoir magique vous rend immédiatement plus fort, c'est votre défaut à tous, rétorqua Caravel. Sans l'intelligence qui va avec, ça n'a aucun intérêt.
Un début d'idée commençait à germer dans son esprit. Le feu sous-marin, l'air sec, la tornade d'écume, ces projections d'air... Il ne savait pas si Maz comprenait réellement le véritable fonctionnement de son pouvoir, mais comptait bien l'exploiter dans le cas contraire, lorsqu'il percerait le fin mot de l'affaire.
Maz leva le bras gauche, et projeta une nouvelle salve de flammes sur le Protecteur. Cette fois, il se cacha derrière l'arbre le plus proche, mais les flammes continuèrent de lécher l'écorce déjà carbonisée, encore et encore, pendant plusieurs dizaines de secondes.
— Je peux faire ça toute la journée ! hurla Maz.
— Ce qui m'arrangerait bien, murmura Caravel.
L'air s'asséchait de seconde en seconde, si bien que prendre la moindre inspiration devint une véritable lutte. Enfin, les flammes cessèrent, libérant le Protecteur de son pauvre abri calciné. L'arbre géant grinça, le bois craqua, et le végétal s'abattit sur le côté. Zenekan Caravel se releva, épousseta ses vêtements légers, et fit face à Maz. Suffisamment de temps s'était écoulé.
— Sais-tu pourquoi j'ai autant parlé, tout à l'heure ? fit-il, les mains derrière le dos. Je ne discute pas avec mes victimes, d'ordinaire.
Son ennemie plissa les yeux. Lorsque Caravel leva son bras gauche et montra son interface, elle manqua presque de s'étrangler.
Il avait envoyé un signal de détresse.
— Et si je te dévoile ceci, tu te doutes bien de la raison. Reyzal, permission de faire feu.
Cinq coups de feu retentirent. Quatre projectiles sifflèrent autour du corps de Maz, tandis que le cinquième lui éraflait le ventre, arrachant un morceau de chair au passage. Elle hurla de douleur, et plongea immédiatement dans l'eau, sans même chercher à déterminer où se trouvait le tireur.
Lyngrad sortit derrière un arbre, son arme encore fumante en main.
— Tu l'as ratée, dit Caravel.
— Elle était trop loin, chef.
— Ça, ou tu as été déconcentré par... quelque chose sur elle.
Lyngrad arbora une moue gênée. Le fait que Maz Kaparral ne portait rien d'autre que ce qui ressemblait à un bas de bikini n'était certainement pas la cause de son trouble, bien sûr que non.
— Elle devra bien ressortir à un moment, fit le jeune homme pour esquiver le commentaire.
— Détrompe-toi.
Caravel lui expliqua succinctement la situation. Au fil de son exposé, il scrutait la surface de l'eau, et fut satisfait de constater que des bulles apparaissaient là où la femme se trouvait. Comme il l'avait deviné, elle pouvait bien respirer sous l'eau, mais pas de l'eau. Lorsque le chef d'escouade pointa ce fait à Lyngrad, celui-ci réfléchit longuement.
— Elle ne peut pas avoir plusieurs pouvoirs, dit-il, pensif. De plus, "Electro" ? Ça n'a aucun rapport.
— Peu importe. Va en face de la mare, et intercepte-la si elle tente de s'échapper. Tu n'as que ton pistolet ? Garde-le.
Caravel savait que Lyngrad serait inutile sans son arme, et lui-même pouvait se débrouiller sans. Lyngrad fit le tour du plan d'eau, mais alors qu'il passait près d'un amas de roseaux, Maz surgit des profondeurs, et s'approcha de lui. Caravel, impuissant, assista à la scène : la femme projeta des flammes dans sa direction, ce qui força Lyngrad à plonger au sol. Elle profita de cet instant pour se ruer sur lui, et lui arracher son pistolet des mains. Enfin, Maz saisit le jeune homme par l'épaule, et le plaqua contre elle, l'arme pointée sur sa tempe.
— Tu approches, et il est fini ! hurla-t-elle en direction de Caravel.
Ce dernier serra les dents, et fit un pas en avant. Il se trouvait à moins de vingt mètres du duo, et savait qu'il ne restait qu'une balle dans le chargeur du pistolet. Elle ne pourrait pas le toucher s'il fonçait sur elle et qu'elle choisissait d'exécuter Lyngrad.
Mais une expression sur le visage du jeune homme le fit hésiter. Il fronçait les sourcils, et semblait sentir l'air autour de lui avec insistance. Finalement, Lyngrad se débattit, et s'écria :
— Foncez sur elle, chef ! Elle ne peut pas faire feu !
Faisant confiance aux capacités de son subordonné, Zenekan Caravel s'élança vers l'ex-policière, sa rapière à la main. La femme, rageuse, poussa Lyngrad sur le côté, pointa son brassard restant sur Caravel, qui plongea dans l'eau. L'homme pesta intérieurement. Il ne pouvait toujours pas approcher d'elle, et elle possédait désormais une arme, même si elle ne semblait pas être en mesure de l'utiliser.
Lorsque la langue de feu se fut tarie, Caravel émergea de la mare pour voir Maz s'enfuir à toutes jambes. Il la suivit du regard, si fulminant que ses joues s'empourprèrent.
— Chef, ne vous inquiétez pas, fit Lyngrad en le rejoignant. J'ai l'impression que la cavalerie arrive.
Caravel se raidit, dans l'attente d'un signe particulier, mais rien ne vint. Il se retourna alors, et, au-delà des grilles qui délimitaient le parc aquatique, un point minuscule remontait l'avenue principale, soulevant un nuage de poussière colossal sur son passage. Il grossit de plus en plus, jusqu'à prendre une forme humanoïde ; en moins de dix secondes, il traversa les trois cents mètres qui le séparaient des deux Protecteurs, leur passa sous le nez, générant une bourrasque telle qu'ils furent déstabilisés.
Alors qu'il passait à côté d'eux, Caravel entendit distinctement :
— CRÈVE, PÉTASSE !
Alors, Frieda Jaeger, sa tenue taillée sur mesure lui assurant un aérodynamisme optimal, traversa la mare en courant sur la surface de l'eau, poursuivit sa course sur la terre ferme, dont elle démolissait des mottes entières au passage, pour finir par percuter Maz Kaparral de plein fouet.
—Reste ici, ordonna Caravel à Lyngrad. J'ai compris ce dont tu voulais me faire part, et j'ai percé le secret du pouvoir de Maz Kaparral.
L'autre opina du chef, mais ne s'en alla pas immédiatement.
— Et Oren ? demanda-t-il. Il va nous aider aussi ?
— Il est hors de combat.
Cette phrase pouvait vouloir dire tant de choses dans le vocabulaire de Zenekan Caravel que Lyngrad n'eut pas la moindre idée du sort d'Oren. Il acquiesça pourtant, et alla se mettre à l'abri. Caravel se rua à l'aide de Frieda, que son tour de force avait épuisé.
Lorsqu'il rejoignit les deux femmes, Frieda se tenait jambes écartées face à la traîtresse, haletante. Celle-ci la tenait en joue du pistolet de Lyngrad : son brassard droit avait été pulvérisé sous le choc de la charge de l'Allemande, et il semblait qu'elle n'avait survécu que grâce à un mur d'air de dernière seconde qui avait amorti l'impact.
— Ça alors, fit Frieda entre deux respirations rauques. C'est vraiment... une nana à poil qu'on cherchait.
— Ferme-la ! éructa Maz Kaparral. Et dégage !
Sous le poids de la fatigue, elle pressa la détente de son arme, mais Frieda anticipa le coup, et fut assez rapide pour esquiver le projectile.
— Jaeger, lui intima Caravel. As-tu assez d'énergie pour ta "tornade infernale" ?
Il détestait ce nom pompeux, mais c'était elle qui l'avait choisi.
— Pour une ou deux minutes seulement.
— Amplement suffisant. Exécution ; enveloppe-nous tous les deux.
La Protectrice ne questionna pas l'ordre de son supérieur, et se mit à courir en rond autour de Maz et de Caravel. Posant une main au sol et quasiment horizontale, elle se déplaça de plus en plus vite, jusqu'à enfermer les belligérants dans un cyclone de quelques mètres de diamètre.
Cette technique, elle l'avait tout d'abord inventée afin d'empêcher l'air de rentrer à l'intérieur, et d'asphyxier ses occupants de façon non-létale ; mais il fallait maintenir la cadence pendant au moins dix minutes, chose impossible pour une Frieda convalescente et qui sortait d'une traversée de la ville à vitesse maximale.
Maz ne perdit pas une seconde de plus. Elle croisa ses bras en croix sur sa poitrine, pressa la détente du pistolet vide, et son corps entier s'embrasa : Caravel supposa que c'était la perte de ses brassards qui la forçait à utiliser son pouvoir d'une manière aussi peu optimale.
La forme enflammée se rua sur le Protecteur, qui tenta de la tenir en respect de sa lame : au milieu de ce ring improvisé, tourmentés par les bourrasques terribles que Frieda créait, les deux combattants se livrèrent à une lutte aussi dangereuse qu'incongrue, la première essayant de saisir l'autre afin de le carboniser, et l'autre qui se défendait en la blessant de toutes parts.
Maz Kaparral n'avait aucune arme, et pourtant elle se défendait comme une lionne : cela avait dû faire partie de son entraînement personnalisé. Son pouvoir ne lui était d'aucune utilité accompagné d'outils autres que ses brassards, alors elle avait dû apprendre à se battre à mains nues, et cela se voyait. De ses jambes, ses avant-bras ou ses paumes, elle réussissait à parer les coups de Caravel, certes non sans égratignures.
— Je ne vais pas tenir... bien longtemps, résonna une voix désincarnée autour des combattants.
— Non, c'est trop tôt ! cria Caravel. Encore un effort, c'est un ordre !
Il voyait déjà que Maz devenait plus lente, parait moins d'attaques, et ce n'était pas lié à la fatigue. Lyngrad avait trouvé en premier le véritable fonctionnement d'Electro, et il avait visiblement eu raison. L'air était désormais si sec que Caravel ne doutait pas qu'il n'y avait plus la moindre molécule d'eau dans l'atmosphère.
L'enveloppe de flammes de Maz Kaparral s'affaiblit, et Caravel fut bientôt en mesure de distinguer son visage de nouveau. Mais avant qu'elle ne disparaisse complètement, la tempête qui les entourait s'évanouit, en même temps que Frieda, qui alla s'écraser dix mètres plus loin, emportée par son élan.
Caravel fut presque horrifié lorsqu'il vit l'aura brûlante de Maz Kaparral reprendre de sa superbe, alors qu'elle s'avançait vers lui.
— C'est fini, dit-elle. Je ne sais pas ce que vous m'avez fait dans la tornade, mais c'est terminé. Je vais vous incendier.
Alors, une balle lui traversa la cuisse.
Un cri déchirant passa à travers la chappe de feu qui recouvrait Maz. Derrière Caravel, un autre coup de feu retentit, puis un troisième. Maz, au comble de la surprise, lâcha l'arme de Lyngrad et s'effondra. Le chef d'escouade, secrètement soulagé, ne se retourna même pas.
— Je passe l'éponge pour cette fois, chef, mais je ne m'engagerai plus dans des excursions sous-marines avec vous, s'exclama Oren Serfaty.
*
Un revolver dans chaque main, Oren s'approcha de Maz Kaparral, qui grimaçait de douleur, un genou à terre. Contrairement à ses trois coéquipiers, il était en pleine forme.
Dix minutes plus tôt, Lorsque Zenekan Caravel avait fait détoner une grenade sur l'armure sous-marine d'Oren, il avait tout d'abord maudit le Protecteur, qui avait semblé vouloir l'éliminer. Mais lorsqu'il avait repris connaissance, il s'était rendu compte que l'explosion avait permis de le projeter en direction du dôme, et qu'il avait atterri tout près du port, à portée de son interface. Un signal de détresse plus tard, et on l'avait repêché, et il s'était empressé de rejoindre l'emplacement où un crash avait eu lieu, selon les Protecteurs qui l'avaient secouru. Ceux-ci, trop occupés à l'évacuation d'Atlantis, ne pouvaient se permettre de séparer leurs ressources. Il avait rejoint le parc, et Lyngrad l'avait informé de la situation.
— J'ai passé les pires minutes de ma vie, grinça Oren.
— Parce que tu n'as pas passé beaucoup de temps dans l'escouade 13, rétorqua Caravel. Mets-la hors de combat.
Le Protecteur miraculé fit tourner les barillets de ses pistolets, et tira trois coups de son arme de gauche. Les balles fusèrent dans le flanc de Maz Kaparral, et elle fut prise de convulsions, incapable de se contrôler.
Oren Serfaty possédait quatre revolvers, chacun ayant leur usage différent. Il avait en main, à ce moment, celui qui lui permettait de tirer des balles conventionnelles et celui qui contenait des projectiles paralysants.
Il ne le montra pas, mais Oren était déçu. Maz était jolie et intelligente, et dans d'autres circonstances... Non, il ne pouvait pas y penser. Les terroristes et les assassins étaient irrécupérables, et il se devait de l'arrêter.
Caravel soupira.
— Tes balles utilisent de l'électricité pour paralyser leurs cibles, idiot. N'as-tu toujours pas compris comment fonctionne le pouvoir de cette traîtresse ?
Maz ricana.
— Pas de chance, les affaires reprennent !
Elle reprit le contrôle de ses mouvements, et s'enflamma une fois de plus, se ruant sur Caravel. Ce dernier comprit que son intention était de se servir de lui comme bouclier humain... Mais Oren, en un éclair, rengaina un de ses revolvers et en sortit un autre, qu'il utilisa immédiatement. Caravel, qui avait anticipé l'action, se boucha les oreilles et se planta fermement dans le sol.
La balle à concussion frappa le sol, et généra une onde de choc telle que les belligérants sentirent leurs entrailles remuer à l'intérieur d'eux. L'air déplacé souffla les flammes de Maz, et elle se retrouva devant la pointe de la rapière de Zenekan Caravel, sans défense.
— C'est terminé, dit-il.
— Vous ne comprenez pas, balbutia-t-elle. Gendo Darma est dangereux. Il doit être stoppé. Ses opérations s'intensifient sur Terre, vous avez bien vu la fréquence à laquelle on y envoie les Protecteurs ?
— Seul l'avenir nous le dira, répondit Caravel. En attendant, tu es prisonnière, et nous...
— Je ne suis pas une traîtresse, c'est Darma le traître ! l'interrompit-elle. Nous ne pouvons pas attendre que–
Un éclair noir et rouge passa entre eux, accompagné d'une bourrasque qui fit chanceler le chef d'escouade. Aucun des deux ennemis ne comprirent d'abord, mais lorsque l'homme baissa les yeux, il vit le filet de sang s'échapper de la gorge de Maz Kaparral. Elle tomba à genoux, ses yeux écarquillés, incrédules. Elle voulut prononcer un mot, mais seul un râle humide s'échappa de sa trachée. Enfin, elle s'effondra pour de bon, comme une poupée de chiffon.
Frieda arrêta sa course au moyen d'une glissade contrôlée, nettoya sa dague dans le creux de son coude.
— On a eu de la chance, chef, lança-t-elle d'un air enjoué. J'arrive à point nommé.
— Elle ne représentait plus le moindre danger, répliqua sèchement Caravel. C'était inutile.
L'autre arbora une moue dubitative.
— J'ai préféré ne pas prendre de risques avec une adversaire pareille. Vous avez vu combien de pouvoirs elle possédait ? Un truc de dingue.
Lyngrad et Oren les rejoignirent alors, évitant de regarder le cadavre de la traîtresse qui se vidait de son sang.
— Elle n'en avait qu'un, expliqua Lyngrad. Electro. "Électrolyse". Je ne sais toujours pas si elle en était consciente, mais elle pouvait séparer et recombiner les atomes d'hydrogène et d'oxygène dans les molécules d'eau. Le dioxygène permet de respirer sous l'eau, et le dihydrogène est hautement inflammable. Voici la raison pour laquelle l'air était toujours sec lorsqu'elle utilisait son pouvoir : en l'absence de plan d'eau, elle avait besoin d'utiliser l'humidité naturelle contenue dans l'air. Et c'est ce que le chef a tenté avec la tornade de Frieda : priver Kaparral d'air nouveau afin qu'elle utilise toute l'eau présente dans l'espace à l'intérieur du vortex.
— Quel gâchis, se lamenta Oren. Elle aurait pu faire carrière dans le syndicat, et devenir Protectrice de première classe...
— Quelque chose me dit qu'elle détestait Alteria, en réalité, marmonna Caravel. Allons, repli. Nous devons notifier le commandement de la neutralisation de la menace, ils enverront bien quelqu'un pour nettoyer les lieux.
Les trois autres acquiescèrent, puis s'éloignèrent. Seul Caravel resta en arrière, s'agenouillant auprès de la dépouille de Maz Kaparral.
— Tu as raison, traîtresse, murmura-t-il. Je me dois de protéger Alteria, et c'est pourquoi j'ai déployé tant de moyens pour t'arrêter. Mais ce que tu n'as pas compris, c'est que je protège Alteria telle qu'elle est, pas telle qu'elle était, contrairement à toi. Nous n'arriverons à rien en voulant rester au statu quo : le changement est inévitable, et ça a été ton erreur. En refusant de comprendre ton pouvoir, en refusant le fait que tu pourrais lui trouver de nouvelles applications et découvrir ses faiblesses, tu m'as offert sur un plateau la manière de te battre.
Le Protecteur posa les doigts sur les paupières de la femme, et lui ferma les yeux. Il se releva, et marcha en direction de ses équipiers, grimaçant sous le poids de ses blessures.
Maz Kaparral n'avait pourtant pas tort sur un point. Gendo Darma était très proactif dans la politique terrienne, peut-être même trop. Y préparait-il quelque chose qu'il voulait cacher au public ? Caravel secoua la tête. Il devrait tenir le conseiller à l'œil, s'il ne voulait pas se faire devancer.
Après tout, être le numéro un des Protecteurs n'était pas une fin en soi, seulement un moyen d'accomplir son devoir jusqu'au bout.
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