9. Escapade forcée
L'air retors de Louis fit monter le rouge aux joues de Marie.
— VOUS ?! Qu'est-ce que vous faites là ? Et qui était avec vous ? Je parie que c'est votre crétin de coureur de jupons qui a éloigné mon frère !
—Malo ? Il est vrai qu'il aime la compagnie des gentes damoiselles mais de là à dire que c'est un...
— Il a déjà culbuté la moitié des servantes du château ! J'ai ouï deux-trois choses à son sujet.
Louis maudit mentalement Malo pour son manque de courtoisie envers les femmes.
— N'exagérons rien, il est juste ...
— Peu importe ! Mais par saint Thomas, pourquoi étiez- vous mussé* ?
— J'étais en train de chasser quand un beau spécimen a attiré mon attention. Enfin, disons plutôt, qu' il m'est quasiment tombé dessus.
Prenant personnellement cette remarque, d'une finesse à toute épreuve, Marie jura copieusement puis s'écria :
— Mais c'est un cauchemar !
— Je suis ton pire cauchemar, tonna Louis. Il fallait réfléchir avant de vouloir m'ôter la vie.
Elle se mouva légèrement pour constater l'étendue des dégâts : ses affublements étaient tout poisseux et en partie couverts de boue.
Ça devenait une habitude...
Elle railla à voix basse :
— Rassurez-vous, vous vous y prenez à merveille.
Le chevalier se remit debout avec vivacité et fit mine de vouloir aider la jeune femme, à faire de même. Se méprenant totalement sur son attention, elle lui tendit innocemment sa main et fut bien déconvenue lorsque le blond se ravisa sans détour. Marie se sentit encore plus stupide en avisant le sourire narquois du Sénonais*.
Énervée de s'être fait avoir aussi facilement, elle se leva et voulut saisir une flèche dans son carquois pour lui apprendre les bonnes manières à ce fifrelin mais lorsque sa main se referma sur du vide, elle réalisa avec horreur qu'il ne lui en restait plus une seule.
Louis qui comprit aisément la signification du mouvement, eut un rire sans joie et fut sans pitié :
— Une femme qui chasse! On aura tout vu. Mais je n'ai pas vraiment de souci à me faire puisque visiblement tu chasses aussi bien que tu manies l'épée, dit-il en faisant allusion à leur combat juvénile. Même les conils* doivent se rirent de toi !
— Espèce de coprolithe* ! Vous n'êtes qu'un petit merdeux arrogant qui ne comprend rien à rien ! Toujours aussi arriéré ! Et cessez de me tutoyer c'est indécent !
— Ce qui est indécent c'est ton entêtement à vouloir me pourfendre.
— Laissez-moi en paix c'est tout ce que je demande.
— Tu peux rêver. Je crois qu'une bonne correction s'impose.
Il avança d'un pas, forçant Marie, pas du tout rassurée, à reculer d'un.
— NE VOUS APPROCHEZ PAS DE MOI !
Pas le moins du monde, impressionné par cet ordre qui transpirait la frayeur, il combla la distance restante entre eux, se baissa et l'attrapa pour la jeter en travers de son épaule.
— POSEZ-MOI TOUT DE SUITE, GROSSE MERDAILLE !
— Je n'ai jamais vu une femme jurer autant. Je devrais te fesser sur-le-champ mais j'ai mieux, fit-il les dents serrés.
La fille du seigneur Montgomery coincée sur le dos de son tortionnaire, comprit avec effroi où il était en train de l'emmener.
— NOOON ! JE NE SAIS...
Le jeune homme la balança d'un geste brusque dans l'eau verdâtre et déclama d'une voix de stentor :
— Voilà qui devrait te rafraîchir les idées ! Tu avais besoin d'un bain de toute façon.
Le sourire triomphant de Louis s'effaça peu à peu en voyant Marie se débattre dans l'eau et s'enfoncer. Lorsqu'elle fut complètement immergée et que seules des petites bulles chahutaient la surface de l'eau, il se dit qu'il avait peut-être fait une « petite bêtise ».
— Ne me dites-pas que je suis tombée sur une de ces nigaudes qui ne sait point nager, s'exaspéra-t-il.
Constatant qu'elle ne remontait toujours pas, il dut admettre que si.
— Pfff ! Peu me chaut* ! Qu'elle aille au diable Auvert* ! Elle a voulu me mortir plusieurs fois en plus !
Mais il ne put se résigner à l'abandonner. Son devoir de chevalier et de protéger les plus faibles le ramena à la raison. Il se mit à battre sa coulpe* , il n'avait pas envie d'avoir sa mort sur la conscience.
Il sauta alors pour aller la sauver.
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Tout en la déposant, trempée, sur la terre ferme, il trouilla sec. Elle ne montrait plus signe de vie.
« Nom de Dieu ! J'espère qu'elle n'est pas morte par ma faute ! »
Désespéré, il se pencha pour lui faire du bouche à bouche mais il se stoppa à un pouce des lèvres de la blonde.
La poitrine de Marie se souleva par à-coups elle cracha toute l'eau avalée à la figure de Louis. Elle toussa à se faire mal et l'autre s'essuya avec sa manche lentement, encore surpris par cette douche improvisée.
L'Anglaise, même pas encore remise de sa noyade et de son sauvetage, vit, effarée passer derrière Louis, un peu plus loin dans la forêt, un homme sur un cheval, tenant par la bride son propre cheval avec la biche de William.
— Sto...p ! Arr... Arrêtez ! Mon cheval ! s'étrangla-t-elle.
Louis se retourna juste à temps pour voir le maroufle partir avec sa trouvaille. Il saisit l'urgence et bondit vers son coursier.
Il revint vers Marie et la rassura :
— Je vais te le ramener. Attends-moi là !
Titubante, elle s'accrocha à la selle de Carolus.
— Laissez-moi venir.
— Tu n'es point en état !
Pourtant elle prit un peu d'élan et parvint à se hisser sur la bête, derrière Louis et s'accrocha à lui.
— Pas question que je reste sans rien faire. ! Je dois absolument récupérer Prince. Ce n'est même pas mon cheval, c'est celui d'Isabelle !
Louis qui savait que chaque seconde comptait, accepta à contre-coeur et lui ordonna de bien s'accrocher. Il fit partir son cheval au galop qui louvoya entre les arbres, à la poursuite du maraud.
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Quelques lieues plus loin, Louis dut se rendre à l'évidence : il avait perdu la trace du gredin. Marie, agrippée à sa tunique s'énerva contre lui.
— Mais comment avez-pu le perdre ? Vous êtes doué pour embêter les honnêtes gens mais quand il s'agit d'attraper les voleurs, c'est une autre paire de manche !
— Il a été rapide, s'agaça Louis. Il connaît bien les lieux, ce truand, pour avoir réussi à nous semer aussi vite.
— Ou alors c'est Carolus Magnus qui est trop lent !
Il se retourna pour la foudroyer de ses yeux bleus intenses. Ils lançaient presque des éclairs.
— Il a sûrement été ralenti par un poids en trop !
— Vous insinuez que je suis lourde ? persifla-t-elle
— Dans tous les sens du terme. Bon, cela ne sert à rien. On l'a bel et bien perdu. Rentrons. Ton frère doit être fou d'inquiétude. De plus, nous sommes trempés, on risque d'attraper la mort.
— Tout ça, c'est de votre faute ! Le cheval de ma sœur a été volé alors j'exige que vous fassiez le nécessaire pour le retrouver !
Il fit faire demi-tour à son cheval, imperméable aux jactances de sa compagne de route.
Celle-ci, ne voulant pas abandonner, changea de tactique et se radoucit. S'énerver ne servirait à rien. Il fallait trouver un autre moyen pour poursuivre les recherches.
— Vous avez raison, messire Louis. Ma famille va finir par s'inquiéter. Pardonnez mon emportement. C'est juste qu'Isabelle est très attachée à Prince. J'espère qu'on pourra reprendre les recherches rapidement.
Le jeune homme fut surpris par ce radoucissement et n'ajouta rien. La blonde en profita.
— Je connais un raccourci pour rentrer au château. C'est par là, montra-t-elle.
Louis, connaissant mal la région, tomba dans le panneau et suivit les indications.
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Le soleil était maintenant couché depuis peu. Marie épuisée et grelotante avait atteint son point maximal de frustration; pas une une âme qui vive dans les environs, encore moins la moindre trace du palefroi. Sa manigance pour faire rallonger le trajet n'avait été d'aucune utilité. Pire, à présent ils étaient limite perdus.
Louis ne tarda pas à trouver le temps un peu trop long et bougea son épaule pour réveiller l'Anglaise qui commençait à se laisser aller et à s'endormir.
Pas besoin de s'appeler Aristote pour comprendre qu'elle lui avait raconté des salades et qu'ils n'étaient pas prêts de mettre ne serait-ce qu'un orteil dans le château.
— Où est Blanquefort ? Je ne reconnais rien, ce n'est pas normal ! Marie, je te parle !
Le jeune femme, engourdie mit un certain temps à avouer qu'elle était aussi perdue que lui.
— Je ne sais point... J'ai dû me tromper de chemin à un endroit.
— Dis plutôt que tu voulais continuer à chercher ce maudit cheval et que tu m'as induit en erreur sciemment !
— Peut-être bien... chuchota-t-elle.
Louis était à bout et se retint de la faire tomber par terre. Vu son état, il n'aurait eu aucune difficulté. Il se demandait comment elle arrivait encore à se tenir.
— Bon, on va faire une halte ici. C'est trop dangereux de chevaucher la nuit. On repartira demain à la première heure.
Il démonta mais n'aida pas la jouvencelle* à descendre, trop énervé par sa duperie.
Il l'ignora superbement et se concentra à préparer un petit camp de fortune pour la nuit. Il fit vite un feu avec quelques branches trouvées sur le sol près d'une fourrée, sortit d'une de ses sacoches des bouts de viandes séchées et s'assit pour se sustenter. Il réalisa pendant qu'il était en train de mâcher que l'insupportable anglaise avait disparue.
Un craquement le fit sursauter. En tournant la tête, à la lueur des flammes, il découvrit qu'elle
marchait à pas de loup, munie d'une gourde en cuir. Il en déduisit qu'elle avait sûrement été chercher un peu d'eau dans le ruisseau en contrebas, guidée par la simple lumière des étoiles.
Elle s'affala comme une masse en face de lui, et ne bougea plus. Le chevalier ne put s'empêcher de la contempler et malgré ses cheveux en bataille et sa tenue pas très nette, il la trouva vraiment jolie. Mais corne de bouc, pourquoi fallait-il toujours qu'il se laisse distraire de cette façon ?
Brusquement, elle lui tendit la gourde. L'instant de stupeur passé, il la scruta intensément. Il devait y avoir un coup de Jarnac* là dessous !
Elle eut un mouvement d'humeur et s'emporta :
— Je viens de boire dedans ! Je ne suis pas stupide au point de vouloir m'empoisonner !
Il prit la gourde avec méfiance mais sa soif gagna la bataille et il but au gouleau avidement. Il avait la gorge si sèche.
— Je suis certainement une fille horrible à vos yeux mais je sais aussi être reconnaissante. Merci de m'avoir sauvée tout à l'heure. Vous auriez très bien pu me laisser me noyer.
Il manqua de recracher son eau et il pensa que le ciel allait lui tomber sur la tête ! Elle le remerciait ! Alors que c'était lui qui l'avait mise en danger. Il n'y comprenait plus rien. Il aurait donné très cher pour être dans sa tête.
Eh bien, en fait, il se trouvait que Marie pour une fois, était sincère et se repentait de son comportement. S'ils étaient là, à dormir dehors à la belle étoile, c'était entièrement de sa faute. Et sa pauvre famille devait se faire un sang d'encre à cause d'elle.
Mais tout cela, elle le garda pour elle, elle n'allait quand même pas se mettre "à nu" devant lui.
Ils se regardèrent en chiens de faïence pendant quelques instants qui semblèrent durer une éternité. On aurait pu entendre les moustiques voler.
Louis rompit le lien visuel en enlevant d'un geste sa cape puis sa tunique encore humide et la posa près du feu pour qu'elle sèche. Il se retrouva torse nu en un clin d'œil. Elle le regarda faire sidérée et il lui fut impossible de détacher ses yeux de son corps musculeux. Elle n'avait jamais vu un thorax et un abdomen si bien développés et dessinés. Et des bras si puissants, à faire pâlir un charpentier.
Elle eut une envie impérieuse de toucher le grain de sa peau et de tracer avec son index le pourtour de ses muscles.
Guenièvre avait raison, pour être un bel étalon, c'était une bel étalon !
Le blond cendré ne rata pas une miette son égarement et cela l'amusa grandement. Un sourire en coin apparut sur son visage. Sourire qui s'accentua quand elle s'empourpra, comprenant qu'il l'avait vue se rincer l'œil.
Il eut une soudaine envie de la pousser dans ses retranchements.
— Ne fais point l'innocente, tu es aussi pudique que je suis un ménestrel ! Je me rappelle très bien ta tenue légère de ce matin. Enlève tes vêtements si tu ne veux point tomber malade.
— Certainement pas ! Ce qui s'est passé un peu plus tôt dans la journée était une méprise. C'est vous l'exhibitionniste actuellement ! Rhabillez-vous ! Vous devriez avoir honte de vous comporter ainsi.
Elle était aussi rouge qu'une tomate.
— Nom d'un petit bonhomme, mais on dirait que tu es vraiment gênée. Soit tu es une très bonne comédienne soit ... Ah mais c'est vrai ! J'oubliai, ton pauvre fiancé n'a pas eu le temps de te dépuceler.
— Taisez-vous ! bouilonna-t-elle. C'était un homme de valeurs, contrairement à vous !
— Je pense que je fais preuve d'énormément de patience et de clémence envers ta petite personne ! D'ailleurs, je note que tu m'es redevable puisque je t'ai sauvée la vie.
La blonde vénitienne était consternée par ce malotrut. Il était où le code de la chevalerie là ?
— Ton fiancé... était un Anglais c'est bien cela ?demanda-t-il en baissant d'un ton.
Elle fut vraiment surprise par cette question et ce changement d'intonation et répondit sous le coup de l'étonnement.
— Oui-da. Un baron anglais du comté de Sussex.
— Et comment est-il mort ?
— Il a... Il a trépassé à Castillon , le premier jour de l'assaut.
Louis de plus en plus nerveux l'incita à poursuivre. La voix de la jeune femme se brisa.
— Sa gorge a été sectionnée par un ennemi... Lorsque mon frère est arrivé, il était déjà top tard.
Le visage du Sénonais se contracta, des petites lignes apparurent sur son front et sa bouche se tordit sous l'émotion. A tous les coups, c'était lui qui avait tué cet homme en sauvant le duc de Bretagne. Mais pourquoi fallait-il qu'il soit précisément le fiancé de Marie ? Le destin était en train de lui jouer, une fois de plus, un mauvais tour. Visiblement, elle ignorait l'identité du tueur mais ce n'était probablement pas le cas de tout le monde. William était sûrement au courant de quelque chose.
— Pourquoi toutes ces questions, messire Louis ? l'interrogea-t-elle suspicieuse. En quoi cela peut-il vous intéresser ?
— En rien ! la rabroua-t-il. Ta vie ne m'intéresse point. Il est tard, nous devons dormir. Bonne nuit !
Il se coucha par terre en s'enveloppant dans sa cape et tourna grossièrement le dos à Marie, complètement interloquée par ce nouvel éclat.
Elle s'étendit sur le sol froid en maugréant : " Quel foutu caractère !" puis s'endormit rapidement car elle était lessivée.
À contrario, Louis ne sombra nullement dans les bras de Morphée, trop perturbé. Bien plus tard dans la nuit, il se leva pour faire les cent pas et s'immobilisa pour observer la jeune femme dormir. Elle tremblait de froid et ses dents claquaient.
Il n'hésita pas : il la couvrit avec sa cape puis s'allongea à côté d'elle pour lui procurer un peu de sa chaleur corporelle. Il fut bien étonné quand elle se colla instinctivement à lui et enfouit son visage dans son cou. Il ne bougea pas, pétrifié par la sensation qui lui laboura le bas de ventre et pestiféra contre l'univers entier de ressentir un truc pareil. Eh bien avec ça, il n'était pas rendu ! Il n'allait jamais pourvoir fermer l'œil de la nuit.
* être mussé : cacher
* conil : lapin
* coprolithe : excrément fossilisé
* Sénonais : originaire ville de Sens
* Peu me chaut : je m'en fous
* battre sa coulpe : se repentir
* aller au diable Auvert : aller se faire voir
* jouvencelle : jeune fille non mariée
* coup de Jarnac : truc pas net
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Bon eh bien , trop long encore, je dois couper 😂mais je l'avoue la fin tournait un peu en longueur
Finalement les malfrats arrivent dans le prochain chapitre
Louis et Marie vont être obligés de collaborer et de se retenir de jeter des insultes à la figure pour une fois ! C'est difficile à croire, hein ?
Et dans la chapitre d'encore après, va y avoir un petit rapprochement 😏😏😏même assez gros en fait 😂
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