Un grincement de porte m'enlève de ce sommeil qui m'avait emporté. Après avoir discuté avec ma mère, j'avais décidé de rester passer la semaine avec elle. Je ne bouge pas à mesure que j'entends les pas s'approcher de mon lit. Puis quand la personne se laisse tomber sur mon corps, je pousse un cri d'effroi en même temps qu'elle avant que nous ne nous taisions pour allumer nos téléphones.

- Qu'est-ce que tu fais là? demandons-nous en même temps.

J'arrive à peine à voir Emy qui se range de l'autre côté du lit, appuyée contre sa coude en face de moi. Je parviens quand même à noter ses yeux boursouflés, où semble se refléter tout un monde de tristesse.

- Tu ne m'avais pas dite que tu laisserais la maison aujourd'hui? s'interroge-t-elle, confuse.

Mince! J'avais oublié si je lui avais dit de revenir. De plus, ça veut donc dire qu'elle voulait que je parte? Bref, ça n'a plus d'importance.

- J'étais sur le point de le faire mais ma mère...

- J'espère qu'on ne l'a pas réveillée, me coupe-t-elle en riant.

- J'espère aussi, dis-je avec un sourire gêné.

J'hésite à lui demander ce qu'on fait maintenant qu'elle est là. Est-ce que je dois aller dormir au salon ou par terre? Est-ce qu'elle va devoir s'en aller?

Elle se couche de manière plus confortable en me disant dans un bâillement:

- Le lit est assez grand, bonne nuit.

Je n'ose pas répondre, même pas pour lui retourner le souhait. Elle dépose son téléphone sur la table de chevet alors que je vérifie l'heure dans le mien. Il est à peine onze heures. Au moment où j'allais éteindre l'écran, un message d'Anna s'affiche:

Désolée d'avoir raté ton appel cet après-midi, j'étais très prise à l'hôpital. On se parle demain, bonne nuit.

Je crois juste qu'elle a fait exprès de ne pas décrocher. J'ai bien vu qu'elle était en ligne sur WhatsApp en passant l'appel. J'avais pensé qu'elle n'avait pas décroché parce qu'elle ne savait pas qui c'est mais ma photo de profil est accessible à tout le monde.

Le sommeil ne m'emportera pas si facilement à cause de comment je me suis réveillé et aussi avoir Emy près de moi, disons le, me met mal à l'aise. Je ne sais même pas trop comment me tenir sur le lit. Je respire à peine, ne bouge pas comme si je voulais qu'elle ne s'aperçoive pas de ma présence. Je choisis, par contre, de répondre à Anna:

Pourquoi je ne te crois pas?

Je dépose le téléphone à côté de moi alors que je me couche sur le dos, fixant l'obscurité. Une minute après, il vibre, annonçant un nouveau message. Emy bourgonne quelque chose mais je ne fais pas attention. 

Les coupables sont toujours suspects, écrit Anna.

Je souris bêtement en réfléchissant à ma prochaine réponse:

Un dîner pour me faire pardonner?

En vrai, je ne sais pas ce que j'ai fait. Ah! Les femmes.

Essaie encore, répond-t-elle.

- Tu pourrais éteindre ton téléphone? m'interrompt Emy d'une voix paresseuse. J'essaie de dormir.

- Je croyais que tu t'étais déjà endormie, dis-je.

Elle ne réplique pas mais je l'entends en train de chuchoter à mesure que je continue de texter.

- Est-ce que tu pries? je m'enquiers.

Quelques secondes de silence avant qu'elle ne réponde:

- J'ai appris des choses ces derniers temps...

Je ne cherche pas à savoir un peu plus, sentant déjà le malaise dans sa voix. Je préfère continuer à demander à Anna d'aller à un rendez-vous avec moi la semaine prochaine.

- Tu ne veux pas savoir pourquoi j'ai prié? demande Emy.

- Pourquoi?

- Pour que tu t'endormes afin que je puisse dormir moi aussi, lâche-t-elle ironiquement tout en se tournant sur le côté pour balayer mon téléphone, qui atterrit au sol, de la main gauche alors qu'elle feint que c'était un accident.

Je me convaincs à ne pas aller le récupérer, je répondrai à Anna demain. Emy a sans doute cours de très tôt, je ne vais plus la déranger.

En me réveillant, je la surprends en train de me regarder (ou plutôt m'admirer). Je ne sais pas comment on s'est retrouvés dans cette position-là mais on est face à face, nos visages assez proches l'un de l'autre. Elle détourne les yeux aussi rapidement qu'elle peut avant de vite se lever en annonçant qu'elle occupera la salle-de-bain la première. Je ne riposte pas.

Quelques minutes après, ma mère vient dans la chambre tout en me questionnant sur le bruit d'hier soir.

- J'ai failli mourir d'une crise cardiaque, dramatise-t-elle.

Je n'ai pas le temps de répondre, Emy est déjà revenue, le corps enroulé dans une serviette.

- Oh! Tu es là, fait ma mère. Tu es revenue quand?

- Hier soir, répond-t-elle en me regardant.

Ma mère fronce les sourcils en ma direction puis regarde Emy.

- Je comprends mieux d'où venait le bruit, conclut-elle en quittant la chambre.

Je prends une seconde avant de comprendre ce qu'elle veut dire. Je dois l'en dissuader:

- Maman, ce n'est pas ce que tu...

Elle a déjà fermé la porte, donc je me convaincs de me taire. Emy roule des yeux puis s'avance vers le miroir. Je comprends que je dois me déplacer.

- Où vas-tu ? m'arrête-t-elle.

- Euh...

- C'est pas la première fois que tu me verras nue, se moque-t-elle en me regardant à travers le miroir.

Je me gratte la gorge, réfléchissant à quoi répondre. Je ne sais pas à quoi elle joue. Je n'ai plus envie de jouer, moi. Je ne peux pas expliquer pourquoi je reste encore debout, soutenant son regard à travers le miroir mais quand elle fait tomber sa serviette, je ferme automatiquement les yeux. Son rire qui s'amplifie me laisse perplexe, je rouvre les yeux l'un après l'autre pour m'apercevoir qu'elle portait une petite robe sans manches en dessous. Je me sens honteux à l'instant.

- Je n'arrive pas à y croire, continue-t- elle à se marrer.

Puis son rire se transforme en une toux sèche comme si elle allait cracher ses poumons. J'accours vers elle, pose ma main gauche sur son ventre alors que je lui tapote le dos de l'autre. Après une profonde respiration, elle se tient droite et me fixant de ses yeux qui sont devenus rouges sur le coup, elle me remercie et attrape ses affaires sans même me laisser le temps de lui poser de questions.

- Où est-elle? demandé-je à ma mère en atteignant la cuisine.

- Elle vient de sortir, sûrement pour les cours. Pourquoi?

- Sans même prendre son déjeuner? fais-je.

- Ce que j'ai cuisiné n'est pas bon pour elle.

Ma mère s'explique vite fait, voyant toutes les questions qui s'affichent sur mon visage:

- Elle est au régime... tu sais, un stupide régime pour ne pas prendre du poids. Les filles de nos jours se préoccupent trop de leur corps...

Puis elle ajoute:

- Veux-tu rejoindre mon bureau? Je me disais que...

- C'est non, maman, je réponds avec empressement.

- Pourquoi?

- Parce que c'est non, fais-je.

- Okay, marmonne-t-elle.

Une question me trotte dans la tête depuis que je suis revenu:

- Dis, est-ce que Valen va bien? Je veux dire... est-ce qu'elle n'est plus...?

- Suicidaire?

J'hoche la tête.

- C'était toi ton psy, à toi de me dire.

- Maman...

Elle s'approche de moi puis répond:

- Non, je crois qu'elle va bien. Pourquoi?

- Juste comme ça. Tu es sûre qu'elle n'a plus essayé...

- John...

- Je veux savoir, maman.

- " On ne sait jamais à quel point on est fort quand être fort reste la seule option.": tu connais cette citation?

Je réponds oui par un signe de la tête.

- Tu l'as, ta réponse, dit-elle.

Elle a raison. Emy se devait de rester forte pour sa mère et sa petite sœur. J'espère juste que ce n'est pas la seule raison qui la tient en vie.

- Et depuis quand elle vit avec toi?

Elle place les mains sur les côtés, relève les sourcils et me demande, l'air confuse:

- Sérieusement, pourquoi c'est à moi que tu poses ces questions?

- Et je les pose à qui d'autre? Tu sais qu'elle ne va pas y répondre, m'expliqué-je.

- Avant ton départ, quel a été ton souhait? N'est-ce pas qu'elle vive avec moi?

- Touché! m'exclamé-je. Mais est-ce que ça répond à ma question?

Elle soulève les épaules puis m'esquive en disant:

- N'oublie pas de te servir.

Je soupire bruyamment, jugeant que je devrais arrêter d'ennuyer ma mère avec toutes ces questions et m'en vais prendre mon bain pour revenir déjeuner.