Chapitre 8
- Où vas-tu, John? Qu'est-ce qui presse?
Ma mère essaie de m'empêcher de prendre mes vêtements en se plaçant entre l'armoire et moi. Je ne veux pas l'écouter, depuis quand elle s'inquiète que je vive ici ou pas? Elle a passé toute la semaine à m'ignorer.
Je la pousse délicatement sur le côté pour avoir accès à l'armoire. J'attrape ensuite mes vêtements et les place dans un sac qui contient mes autres affaires avant de laisser la chambre.
- Tu t'en vas... pour de bon? ânonne-t-elle comme si elle a peur de la réponse.
Me retournant vers elle, je réplique:
- N'est-ce pas ce que tu as toujours voulu?
- Je...
- Bien! soufflé-je, sur le point de m'en aller.
Elle m'arrête encore.
- Fuir n'est pas la solution, argumente-t-elle.
Étonné, je la regarde pendant quelques secondes avant de répliquer d'un ton moqueur:
- Parce que tu connais la solution?
Elle baisse les yeux, incapable de me trouver une réponse.
- Je ne fuis pas, ajouté-je. Je m'en vais juste quelque part où ma présence sera appréciée.
- Je n'arrive pas à croire que tu puisses dire ça, s'attriste-t-elle. Comment peux-tu penser que tu n'es pas le bienvenu chez moi? Tu es mon fils, John.
- Je n'en ai plus l'impression, lui confié-je. Je sais juste que tu m'en veux depuis ce jour où tu as découvert le vrai visage de Patrick.
Elle croise ses bras sur sa poitrine, effectue quelques pas vers moi pour ensuite s'appuyer contre le canapé et plissant les yeux, elle me demande:
- Et c'était quoi son vrai visage?
Je décide enfin à déposer le sac à mes pieds, prêt à confronter ma mère sur le sujet.
- Je ne vais pas te répéter ce que tu sais déjà, dis-je calmement.
- Justement, je sais qu'il s'est toujours bien comporté envers moi, déclare-t-elle.
Je n'en reviens pas.
- Il prenait soin de moi, enchaîne-t-elle, pensive. Il aimait m'écouter parler, riait de mes blagues stupides et par dessus tout... par dessus tout, il m'aimait.
Elle s'accroche à mon regard à sa dernière phrase comme pour me forcer à comprendre la profondeur de cet amour dont elle relate. Je suis presque répugné.
- Et, continue-t-elle, tu t'es mis entre nous...
- Je ne me suis pas mis entre vous, la coupé-je, indigné. Je t'ai sauvée, maman.
- Me sauver, tu parles! soupire-t-elle après un rictus.
- Pourquoi on en parle, d'ailleurs? l'interrogé-je. Pourquoi un tel homme mérite notre énergie?
- Parce que je l'aimais, susurre-t-elle, les yeux déjà remplis de larmes. C'était le seul homme, depuis que ton père m'a abandonné, qui a su me voir en tant que femme, qui m'a désirée.
Malgré cette colère que je ressens à l'entendre parler en bien de cet homme, je m'accroupis devant elle et lui fais lever la tête pour essuyer ses larmes.
- Je sais que tu as été déçue et on n'en a pas vraiment parlé mais maman, cet homme allait abuser de toi comme il a abusé de sa propre fille.
- Qu'est-ce que tu en sais? me repousse-t-elle. Il a beau être un démon mais avec moi, c'était un ange.
- Il était marié, pointé-je, en me levant. Comment...comment un tel homme peut s'avérer être un ange?
- Il allait divorcer, me corrige-t-elle.
J'essaie de me contrôler mais elle n'arrête de lui trouver des excuses. Qu'est-il arrivé à ma mère? Cette psychologue expérimentée défend maintenant un violeur? Je sais que l'amour rend aveugle mais est-ce à un tel point?
- Je devrais peut-être m'excuser, non? m'emporté-je. Alors, maman, je m'excuse de t'avoir protégée de cet homme qui t'a fait avaler des somnifères dans le but d'abuser de toi.
Elle se lève pour me faire face et réplique, calmement:
- Ton problème c'est que tu penses toujours connaître la vérité sans essayer de peser le pour et le contre. Ces somnifères dont tu parles étaient à moi, John. J'en prends depuis le départ de ton père parce que je n'ai plus eu le sommeil facile après ça. Tu n'as jamais su parce que tu n'avais pas à savoir. J'en ai parlé à Patrick. Le jour du mariage- qui n'a pas eu lieu malheureusement-, il était venu me récupérer mais je me sentais tellement triste du fait que tu auras à t'en aller le lendemain que je lui ai proposé un verre. J'ai vidé toute une bouteille de vin alors qu'il m'écoutait parler de toi: voilà comment je me suis trouvée dans cet état. Pas parce qu'il m'avait droguée mais parce que j'avais trop bu.
Je secoue la tête, sidéré. Je devrais la référer à un spécialiste en santé mentale, pensé-je ironiquement.
- Et non, ce n'était pas par ce moyen qu'il comptait annuler ton mariage, explique-t-elle. Demande à Anthony si tu veux ou à Jay, ils avaient tous deux été à la mairie ce jour-là.
- Jay? m'étonné-je.
- Je l'avais invitée, il t'attendait là-bas malgré vos différends à l'époque, m'apprend-t-elle. Sachant que tu devrais voyager le lendemain, Patrick avait tout simplement profiter de son amitié avec l'officier d'état civil qui devait célébrer le mariage pour le renvoyer à une date ultérieure.
Ma mère me regarde comme si elle attendait à ce que je me réjouis de tout ça. Ce serait rassurant pour moi de savoir qu'il n'a pas voulu lui faire du mal mais quand je pense à son regard ce jour-là, à comment il se réjouissait d'avoir tout annulé, c'est difficile à croire. Même si cette histoire est vraie, qu'est-ce que cela changerait? Je continuerai à le haïr de toute façon pour ce qu'il a osé faire à Emy.
Ma mère reprend sa mine triste et songeuse, elle raconte:
- J'étais éteinte comme femme depuis que ton père était parti, Patrick a su rallumer cette flamme en moi. Ça faisait longtemps que je n'ai pas été aimée par un homme, j'avoue que ça me donnait un sentiment de sécurité et ce, malgré le fait que j'aie su qu'il était marié. Mais il disait vouloir divorcer, j'avais promis d'attendre...
- Ok, je m'en vais, me décidé-je, fatigué d'entendre de telles absurdités venant de ma mère.
- Je t'en veux, John, crie-t-elle et je suis forcé à la laisser s'expliquer. Je t'en veux d'avoir porté plainte contre lui.
- Mais il l'avait mérité, persisté-je dans ma position.
- Un homme mérite de payer pour ce qu'il a fait. Il n'a fait que m'aimer et il...
Ses épaules se secouent alors qu'elle se laisse aller en sanglots. J'hésite à la prendre dans mes bras, toujours confus.
- Et il n'avait pas à payer pour ça, couine-t-elle.
Je m'approche d'elle pour la calmer mais d'un geste de la main, elle me contraint de rester à ma place.
- Je m'en veux aussi, ajoute-t-elle en essuyant ses larmes. En me réveillant le lendemain et quand tu m'as expliqué tout ça, je ne savais pas comment réagir. Alors, je me suis tue. J'étais comme vidée de toute émotion, j'avais espéré que tu me demandes une explication et j'aurais préféré que tu attendes que je me réveille avant de porter plainte. Je me suis sentie responsable, responsable de ma vie sentimentale malheureuse. J'ai compris qu'il y a cette chose en moi qui fait toujours fuir les hommes. Ça fait bizarre de le dire mais du haut de mes quarante-neuf ans, je suis cette femme émotive qui a peur de finir seule.
Je ne sais plus quoi dire, elle ne s'était jamais ouverte ainsi à moi. Je l'ai toujours regardée comme un héros, cette femme forte qui s'en battait les couilles d'être célibataire. Du moins, c'est cette image d'elle qu'elle m'envoyait. J'ai tellement admiré sa force pendant toute ma vie que je n'ai jamais su percevoir ses faiblesses. Je ne savais pas que ces genres de choses comptaient pour ma mère.
- Je m'en veux aussi de t'en vouloir, avoue-t-elle.
Je la prends dans mes bras en déposant un baiser sur son front. Qu'elle m'avait manqué! J'accentue mon étreinte comme si ce câlin pouvait remplacer ceux que j'avais voulus recevoir d'elle quand j'étais aux États-Unis. J'aurais dû chercher à savoir comment elle se sentait à propos de Patrick. Nous avions tous deux le cœur brisé à l'époque et au lieu de nous rapprocher, on avait pris nos distances. Ma haine envers Patrick m'avait fait oublier tout l'amour que je portais à ma mère et combien je m'inquiétais d'elle. Et mon père... peut-être que je devrais commencer à mettre en doute tout ce qu'il m'a dit à propos de leur rupture.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro