Chapitre 3
D'une lenteur infinie, je me lève pour aller m'allonger sur le sofa. J'aurais pu rejoindre mon père mais depuis qu'on s'est revus, j'ai toujours fait en sorte à ce qu'il me voit comme un homme qui ne cherche pas à être réconforté. Je fouille dans ma poche à la recherche de mon ancien téléphone : je l'ai toujours gardé, mes plus beaux souvenirs y sont attachés. Quelques secondes après, je me perds dans cette vidéo d'Emy et moi filmée par sa petite sœur le jour qui devait être le jour de notre mariage. Pour la énième fois, je note son si beau sourire quand je l'avais rejointe au niveau des escaliers pour lui offrir mon bras. A chaque fois que je regarde cette vidéo, j'ai l'impression de revivre ce moment. De plus, je me mets à terminer cette cérémonie dans ma tête: j'imagine l'expression de son visage quand nous aurions échangé nos vœux et qu'on nous aurait déclarés mari et femme. Si seulement les choses n'avaient pas été si compliquées!
Soupirant, j'éteins le téléphone pour me laisser aller dans les bras de Morphée.
Le lendemain, je me réveille et me dépêche d'aller prendre mon bain avant mon père. Je vais devoir retourner chez ma mère pour ne pas qu'elle se doute de quelque chose. Alors que je vérifie si j'ai pris toutes mes affaires pour quitter l'hôtel, mon père m'interpelle:
- Tu t'en vas déjà?
- Oui, je réponds en me retournant vers lui, il est presque neuf heures.
- Je croyais qu'on devait aller chercher le local aujourd'hui?
- Tu avais convenu de trouver quelqu'un pour le faire de préférence, lui rappelé-je. Tu étais saoul, c'est ça?
- Non, je m'en rappelle bien. C'est juste que je pensais qu'on allait trouver cette personne ensemble.
Je réfléchis vite fait à une excuse. Il devait comprendre pourtant que je n'allais pas me montrer partout avec lui ici comme c'était le cas aux États-Unis... du moins pas de si tôt. On a certes un projet à réaliser ensemble mais je ne suis pas prêt pour ça, je sais à quelle vitesse les commérages circulent dans ce pays. En rien qu'une journée, la nouvelle aura atteint ma mère.
- Tu sais que je connais pas trop de monde dans la ville, reprend-t-il.
- Tu vas t'y adapter comme quand tu étais arrivé aux États-Unis, lâché-je sur le point de partir.
Oui, on a fait la paix. Oui, depuis plus de trois ans, il essaie de rattraper le temps perdu et oui, je lui ai dit que je lui ai pardonné mais je ne rate jamais l'occasion de remuer le couteau dans la plaie. Je lui rappelle, sans le vouloir, qu'il nous avait abandonnés un jour, maman et moi.
Il m'arrête encore:
- Tu as oublié ça à la salle-de-bain.
Je m'approche de lui et lui remerciant, je prends le pendentif entre ses mains. En plus du médaillon, une bague y est attachée. Sans lui laisser le temps de me poser cette question qui me mettrait mal à l'aise, je sors sans dire mot.
Arrivé chez ma mère, j'ai dû frapper plusieurs fois à la porte avant qu'elle ne vienne m'ouvrir. Je comptais lui faire la bise mais elle détourne le visage.
Okay...
Désespérément, je prends la direction de ma chambre mais elle vient me prendre par la main, un sourire gêné accroché au visage, en disant:
- Tu ne veux pas déjeuner avant?
Je ne riposte pas et la suis jusqu'à la salle-à-manger où je la regarde me préparer quelque chose.
- En attendant que tu prépares, je pourrais aller dans ma chambre pour...
- Non, insiste-t-elle en faisant tomber maladroitement une fourchette que je m'empresse de ramasser pour elle. Ce n'est qu'une omelette qui va me prendre une à deux minutes.
- Tu n'as pas besoin d'être si concentrée, la conseillé-je. Relax, ce n'est pas la première fois que tu me prépares à manger.
- Depuis ton retour, si.
- Hier...
- Oui, je sais! hurle-t-elle avant de baisser la voix. Je sais. Je veux dire que c'est la première fois que depuis ton retour je te prépare le déj...
Un bruit venant de ma chambre la fait taire. Nous échangeons des regards inquiets une seconde avant que je ne cours voir ce qui se passe. La porte est entrouverte, elle était pourtant fermée tout à l'heure. Je me tourne vers ma mère attendant une explication. Jetant des regards rapides à l'intérieur pour vérifier je ne sais quoi, elle retourne à la cuisine avec moi, sur ses pas.
- C'était quoi ça ?
- Quoi ? elle feint de ne rien comprendre.
- Ton comportement bizarre d'abord puis ce bruit... Je me sens perdu au milieu de nulle part.
- Après une si longue période passée à l'étranger, c'est normal que tu ne te sens plus chez toi.
- Je ne comprends vraiment pas ce que tu me reproches, avoué-je en m'asseyant alors qu'elle place le plat devant moi. Je suis allé étudier comme tu as toujours voulu et...
- N'emprunte pas ce chemin avec moi, m'avertit-elle, surtout pas.
- Est-ce qu'au moins tu peux me dire qui est cette mystérieuse personne qui vit avec toi?
Elle évite mon regard avant de me répondre:
- Je vois quelqu'un.
- Quoi ? je déglutis de travers.
- Cette mystérieuse personne est un homme... mon amant.
- Il faisait quoi dans ma chambre?
Elle occupe la chaise à côté de moi et incrustant son regard dans le mien, elle m'explique en cherchant ses mots:
- En fait... euh... on a commencé à se voir très récemment... depuis un mois environ. Je ne savais pas que tu allais rentrer aussi subitement, donc je n'ai eu ni le temps de l'avertir ni le temps de te mettre au courant de ça non plus. Quand j'ai entendu frapper à la porte, j'ai paniqué et lui aussi, on dirait. C'est peut-être pour ça qu'il s'est caché dans ta chambre le temps que je te garde occupé ici. Tu comprends?
Je fais mine de réfléchir. Est-ce que les gens changent vraiment avec le temps? Je veux dire, quatre ans n'est-ce pas si peu pour que ma mère, cette femme indépendante qui me parlait librement, devienne l'une de ces personnes qui cachent leur relation amoureuse à la famille ?
- Hier aussi, reprend-t-elle, c'était lui à la porte.
- Oh! fais-je simplement.
- Je sais que tu as eu l'impression que c'était... Valen. Je comprends tout à fait mais non... c'était lui. Désolée de t'avoir menti.
Je la regarde bizarrement en plissant des yeux.
- Je veux dire désolée de t'avoir menti hier... pas maintenant, bégaie-t-elle.
J'essaie de lui sourire en guise de réponse et me lève de table. Tout ça m'a coupé l'appétit.
Avant de me déplacer, je lui demande:
- Il s'appelle comment?
- Qui?
Voyant mon expression, elle s'empresse de répondre:
- Ah! Lui. Je te le dirai au moment venu.
Je n'insiste pas et m'en vais dans la chambre. Je ferme la porte. Je reste debout, les mains sur les hanches, en cherchant des yeux s'il y a quelque chose qui cloche ici. Hier, je m'étais aperçu que tout était normal pourtant et je n'avais presque touché à rien. Alors, pourquoi j'ai cette impression? Celle-là qui me pousse à vérifier mon armoire ou encore à défaire le lit dans l'espoir de trouver quelque chose?
Sur ma table à chevet, un élastique à cheveux y est déposé. Je m'en serais souvenu s'il était là hier. Peut-être qu'il appartient à ma mère, me dis-je. Insatisfait, je me baisse sous le lit et c'est là que je trouve la réponse à toutes mes questions: plusieurs livres cachés dessous. Des livres de droit quand je regarde de plus près. Plus loin, un sac rempli de quelques vêtements y est aussi. Je fouille dans la petite poche et retire ce qui y est. Alors que j'allais regarder de plus près pour tout confirmer, on frappe à ma porte. Je sursaute, place l'objet dans ma poche et pousse les choses à leur place avant de vite grimper le lit que j'essaie tant bien que mal de refaire. La tête de ma mère ne tarde pas à se faire voir dans l'entrebâillement de la porte quand je dis d'entrer.
- Je voulais te dire que je vais sortir un instant.
- Tu sais que tu n'as pas besoin de m'avertir, fais-je mine de rien.
- Je sais mais j'y tiens, réplique-t-elle.
- Le boulot?
- Oui. J'ai une heure de retard mais c'est permis, dit-elle excitée, j'ai reçu une promotion.
- Génial! m'exclamé-je. Quel...
- On n'en parlera, me coupe-t-elle comme à chaque fois que j'essaie d'apprendre plus sur sa vie professionnelle. Je ne vais pas rester longtemps, on se voit plus tard?
Je réfléchis une seconde et dis:
- Tant que j'y pense, je crois que je vais sortir aussi. J'ai quelques trucs à régler, je devrais rentrer demain après-midi.
L'expression de son visage devient triste puis elle essaie de sourire pour cacher sa déception. Elle faisait comme si elle n'était pas contente de me revoir et puis ça...
- Quand on est touriste, ça ne fait pas de sens de rester cloué à la maison, lâche-t-elle avant de s'en aller.
Ses répliques à clouer le bec vont me rendre fou!
Elle revient sur ses pas pour me demander:
- Tu quittes à quelle heure?
- Euh... dans une trentaine de minutes. Disons, à dix heures au plus tard.
Elle tourne les talons sans rien ajouter.
Je soupire, réfléchissant à ce que je devrais faire. En vrai, je n'ai nulle part où aller. Je vais de préférence attendre le soi-disant amant de ma mère dans ma chambre vu qu'il s'éclipse toujours quand je suis dans les parages. Entre-temps, je profite de ce moment de solitude dans la maison qui m'a vu grandir. Je fais des va-et-vient entre la chambre de ma mère et le salon ressassant le passé: ces fois où nous nous parlions en tête-à-tête de nos journées ou discutions d'un sujet de psychologie. Elle a été mon premier professeur, tout ça me manque même quand je suis un homme maintenant... depuis longtemps déjà.
Ensuite, je m'affale sur le canapé en prenant mon téléphone. Je l'avais mis sur silence au cas où mon père appellerait en présence de ma mère. J'avais raison: trois appels manqués que je ne compte pas retourner.
Je ne sais pas quand je me suis endormi, je me rappelle juste que je surfais sur internet. Je comprends que je dois vite fait retourner dans ma chambre quand j'entends quelqu'un essayant d'ouvrir la porte d'entrée. Ma mère est déjà de retour? Sans plus réfléchir, je me glisse sous mon lit.
La personne atteint ma chambre, je ne vois que ses baskets. J'hésite à me lever et faire face au copain de ma mère. Dieu seul sait pourquoi j'avais mis ses paroles en doute! Maintenant, comment je vais me présenter à lui? Comme un homme qui se cache sous son propre lit?
La personne déambule comme si elle ne savait plus ce qu'elle voulait ici. Une seconde après, une main se balance près de mon visage. Mon cœur manque un battement. Je comprends ensuite qu'elle cherche à se procurer un livre, je déplace l'un d'eux discrètement pour l'aider.
Attendez, cette main...
Alors, j'avais raison de douter de ma mère au point de lui mentir en lui disant que j'allais passer ma journée dehors? Je sais distinguer la main d'un homme et celle d'une femme, je ne suis pas dupe. Les livres de droit en plus, les vêtements à femme... Pour confirmer, j'enlève l'objet de ma poche et le rapproche de mes yeux pour reconnaître que c'est le même pendentif que le mien. Je suis heureux et à la fois confus. Je sors donc de ma cachette, sans faire de bruit et en restant accroupi. Je la regarde debout face à la porte, les mains croisés sur sa poitrine comme si elle se creusait le cerveau à propos de quelque chose. Le livre qu'elle avait pris est ouvert et déposé sur mon lit. Peut-être réfléchit-elle à un devoir.
Je me lève donc complètement, marchant en sa direction, un sourire bête sur le visage et déposant la main sur sa bouche pour ne pas qu'elle crie vu que je la surprends par derrière, je lui susurre à l'oreille:
- Ça fait du bien de te revoir, Emy.
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