Chapitre 2
Le cœur battant, Valen se lève derrière la voiture stationnée à un mètre de chez les Pierre où elle s'était accroupie pour se cacher. Il est donc revenu? Sans même prévenir! Elle soupire à ses propres questions quand elle se décide à aller récupérer la moto...celle de John. Elle l'avait gardée sous les insistances de Viviane et Dieu seul sait combien elle en avait besoin à cause de ses nombreux déplacements à longueur de journée. Entre se rendre à la pharmacie acheter les médicaments de sa mère, récupérer sa petite sœur à l'école tous les après-midis et se dépêcher d'arriver à l'heure en cours, cette motocyclette s'était révélée plus que nécessaire. Peu importe combien elle lui rappelait cet homme qu'elle a tant aimé, elle avait essayé de regarder le bon côté des choses. Mais maintenant qu'il est de retour, devrait-elle la lui rendre? Non, pas question. D'ailleurs, elle n'est pas prête à le revoir et elle ne compte pas le faire non plus. Les battements de son cœur s'accélèrent quand elle pense qu'elle a failli le croiser tout à l'heure. Qu'allait-elle pouvoir bien lui dire? Intérieurement, Valen remercie Viviane de lui en avoir averti à temps. Si elle n'était pas si occupée à préparer cet exposé pour demain, elle aurait remarqué ses nombreux appels manqués et son message lui demandant de ne pas rentrer ce soir.
***
Des écouteurs à l'oreille et la tête posée contre la vitre du taxi, je parcoure la ville des yeux. Je me plains déjà de l'irresponsabilité des dirigeants: les rues sont à peine éclairées, les routes dans le même état que je les avais laissées. J'essaie de me concentrer sur la musique de préférence et je me retrouve encore une fois à penser à Emy. J'aurais aimé la revoir aujourd'hui mais elle a fui comme si j'étais devenu un étranger. C'est peut-être ce que je suis, non? Les étrangers n'appellent pas, ils fuient.
Une petite tape sur ma main posée sur ma jambe droite me fait porter mon attention vers le chauffeur qui semble être arrivé à destination longtemps déjà. J'enlève donc mes écouteurs alors que je fouille dans mes poches.
- Ça fait plus que deux minutes que je vous parle pour vous dire qu'on est arrivés, se plaint-il en me regardant d'un œil indiscret à travers le rétroviseur. Ça vous fait soixante gourdes.
Je ne réponds pas et descends de la voiture. Lui tendant un billet de cinq dollars à travers la vitre, je lui dis:
- J'espère que cela pourra m'excuser d'avoir été si distrait.
Après qu'il ait démarré, je me tourne vers le grand immeuble où séjourne mon père. Ça me fait encore bizarre de me dire qu'on essaie d'arranger les choses entre nous au point qu'il accepte de venir ici fonder sa clinique avec moi: un rêve que j'avais pourtant souhaité réaliser avec ma mère. J'aurais voulu lui en parler et lui demander même de rejoindre le projet mais la connaissant, son orgueil ne la lui permettrait pas.
Là-bas, j'ai découvert pleins de choses et cela explique l'une des raisons pour laquelle je devenais distant avec ma mère. Je sais que j'aurais dû lui donner une chance de s'expliquer mais j'ai préféré profiter des retrouvailles avec mon père. Ce vide que son départ avait laissé en moi alors que je n'étais qu'un enfant, une éternité ne saurait le remplir. Je me souviens encore de mon deuxième jour de cours où, la tête appuyée contre mon pupitre, cet homme s'était présenté comme Arnold Pierre, professeur de psychologie du développement. J'avais levé les yeux automatiquement et je l'avais reconnu malgré le fait qu'il avait pris de l'âge et du poids. Cette petite cicatrice sous son nez qu'il avait eu lorsqu'il m'apprenait à jouer au football et que je lui avais shooté le ballon en plein visage à l'époque venait tout confirmer. A ce moment, je ne savais quoi penser. Rencontrer mon père après toutes ces années dans une salle de classe en plus était la situation la plus inconfortable que j'ai connue. Je n'étais pas prêt. Évidemment, j'ai ramassé mes affaires à la hâte pour sortir, le souffle haletant comme si j'étais sur le point de faire une crise d'asthme au moment même. Il m'avait suivi. Lui aussi, il m'avait reconnu. Apparemment, il savait consulter mon compte Facebook de temps à autre pour voir ce qu'était devenu son fils. A l'instant, je n'avais demandé qu'une seule chose: la vérité. Avec tout ce qui s'était passé avant de venir aux États-Unis, je n'avais la force de me battre contre personne. Je voulais être en paix avec moi-même, voilà pourquoi je lui avais demandé cela comme si je remettais en doute les paroles de ma mère. Il n'y avait pas eu de câlins ni de pleurs, on a juste discuté d'homme à homme pendant tout un après-midi. J'ai su qu'il s'était marié à une américaine une fois arrivé ici pour avoir ses papiers de résidence permanente et qu'il avait divorcé deux ans après. J'ai visité sa maison où il vivait seul avant que je ne me décide à m'y installer avec lui. Comme s'il voulait rattraper le temps, il avait choisi de parrainer ma thèse. A ma graduation, je lui ai parlé de mon projet de fonder une clinique en Haïti et il m'avait confié que ce serait une bonne occasion pour lui d'y revenir pendant quelques temps. On est donc restés encore deux ans après l'obtention de ma maîtrise pour travailler sur ça (pour être sincère, je ne me sentais pas encore prêt d'affronter si tôt le regard de ma mère et celui d'Emy au cas où on se verrait). J'avais besoin de plus de temps pour que les blessures les plus profondes puissent se cicatriser... du moins, c'est ce que j'espérais.
Je ne voulais pas blesser ma mère avec tout ça, c'est pourquoi j'ai convenu de l'appeler qu'une fois à l'aéroport et que mon père aurait déjà rejoint son hôtel.
Je vérifie une autre fois le numéro de la chambre sur mon téléphone avant de toquer deux fois de suite. Il ne perd pas de temps à venir m'ouvrir, un verre de whisky à la main. Je le suis à l'intérieur puis m'assois sur une chaise en face de lui alors qu'il me sert aussi un verre.
- Comment va ta mère? m'interroge-t-il.
- On va chercher le local dès demain ou tu préfères attendre encore quelques jours? je détourne la question.
Je n'ai vraiment pas envie de parler de ma mère en ce moment.
- On essaie de trouver quelqu'un de préférence pour gérer ça, tu en penses quoi? propose-t-il après une gorgée.
Je fais tourner le verre dans la paume de ma main et d'un signe de la tête, je lui fais comprendre que je suis d'accord. Dans un quart d'heure, la bouteille est déjà vide. Il se lève pour aller se coucher. Dans une scène presque dramatique, je remets mes écouteurs et tourne les yeux vers le plafond, m'enfonçant dans ma chaise, comme si j'espérais y voir quelque chose s'y dérouler. Je devais me sentir bien pourtant puisque je suis revenu et que j'ai pris le temps qu'il fallait pour m'y préparer. Alors pourquoi j'ai le cœur lourd? Pourquoi les regrets m'envahissent quand je pense qu'un coup de fil aurait rassuré Emy dans cette période difficile de sa vie où je l'avais laissée?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro