Chapitre 10
La fin de semaine approche et Anna est toujours réticente à ce qu'on se voit. Ah! La capricieuse. Elle m'en veut pour la dernière fois où on textait et que je n'avais plus répondu parce qu'Emy avait fait tomber mon téléphone. Mais je ne vais pas m'arrêter là. En ce moment, je suis dans la salle d'attente de l'hôpital où elle travaille, tenant une rose rouge à la main et avec un stupide sourire accroché à mon visage, attendant qu'elle se fasse voir.
- Qu'est-ce que tu fais là? s'étonne-t-elle en passant par-là.
Elle porte des cartables qu'elle garde accrochées à son torse. Ma surprise n'a pas l'effet que j'espérais qu'elle aurait, elle semble dérangée par ma présence.
- Je suis venu te voir vu que tu ne réponds plus à mes appels, dis-je, gêné, en lui tendant la fleur.
Ses mains occupées ne lui permettent pas de réagir.
- Je crois que je vais la garder pour l'instant, marmonné-je. Je vais attendre ici.
- Tu veux dire jusqu'à ce que je finisse?
- Oui.
- D'accord, approuve-t-elle en s'en allant avec des yeux pleins de malice.
Il est quatre heures de l'après-midi. En vrai, je ne prévoyais pas rester. Je pensais qu'elle aurait fini aux environs de cette heure-là. Je dois alors annuler mon rendez-vous avec mon père pour tout à l'heure. Il va finir par penser que je l'évite car depuis que les choses semblent s'être améliorées entre ma mère et moi, on ne s'est plus trop parlés et quand il tente de me parler de notre projet, je ne suis plus autant excité qu'avant. Ce n'est pas que je ne veux plus le faire mais je sens comme si je devrais en parler à ma mère.
Je prends la chaise juste derrière moi alors que je me perds dans la rose. Lassé d'attendre, j'ai même compté les pétales: quatorze. Oh! Mais elle en a beaucoup pour une si petite fleur, m'émerveillé-je.
Ok, je suis fatigué, réalisé-je.
Je vérifie l'heure à ma montre, il fait sept heures et seize minutes. Anna est sérieuse-là? Je me décide à m'en aller mais en me mettant debout, je me demande si elle n'est pas en train de me faire passer un test. Si c'est le cas, je dois le réussir. Je déambule en me demandant combien de temps je vais devoir attendre encore. Puis, je me mets à penser. A Emy. Pourquoi elle n'est pas revenue dormir à la maison après la dernière fois? Va-t-elle bien?
Elle est avec Jay, me rappelle mon subconscient.
Cela suffit pour que je cherche à m'occuper l'esprit à quelque chose d'autre. Sérieusement, pourquoi je pense encore à elle?
- Pense à Anna. Pense à Anna, me répété-je en boucle en frappant la fleur contre mon front, ce qui attire l'attention d'une vielle dame près de moi.
C'est à elle que je dois penser vraiment, à Anna. Sur ce, je me rassois avant de me rendre compte que la fleur n'est plus comme elle était. Ses pétales sont comme froissées. Comment puis-je être si négligent? Je soupire et décide de fermer les yeux une seconde...
- John...
Une seconde j'avais dit mais je me suis endormi pendant au moins... je vérifie l'heure d'un œil paresseux: pendant deux heures. Anna est penchée vers moi quand je rouvre totalement les yeux. Je me redresse aussitôt sur la chaise, gêné mais en la voyant se retenir de rire, je souris:
- Tu as fini ou je dois attendre ici jusqu'à demain?
- En fait, commence-t-elle en cherchant ses mots, je suis revenue te dire que je suis de nuit.
- Quoi?
Je ne peux pas être si malchanceux.
- Je rigole, se corrige-t-elle en riant. Mais je suis désolée de t'avoir fait attendre tout ce temps, tu n'aurais pas dû.
- Mais si je ne l'avais pas fait, tu m'en aurais voulu. Vous, les femmes! me plains-je en secouant la tête tout en riant.
- Je t'en veux déjà pour...
Elle se baisse par terre sans terminer sa phrase et se réservant avec la fleur totalement fanée en main, elle continue:
- Pour ne pas avoir pris soin de ma fleur.
Je fais une petite grimace en guise de réponse.
- Tu me dois tout un bouquet maintenant, ajoute-t-elle avec un sourire. Tu restes assis ou on s'en va?
Je m'exécute en la suivant au parking où elle va récupérer sa voiture. Pourquoi n'ai-je pas prévu plus grande chose que de lui offrir la fleur? A noter que je ne pensais pas que j'aurai à l'attendre jusqu'à neuf heures du soir. Là, je suis gêné à lui souhaiter bonne nuit. J'ai attendu donc que pour ça? Que va-t-elle penser?
- Tu avais quelque chose à me dire? me demande-t-elle alors qu'elle déverrouille les portes.
- Je...
Sa mine m'empêche de poursuivre. Elle semble être dans une réflexion profonde. Elle se lance:
- Ne me dis pas que tu as encore besoin de mon aide pour une fête!
- Non, non, la rassuré-je. Je m'inquiétais juste du fait que tu ne répondais plus ni à mes messages ni à mes appels.
- Seulement?
- Et aussi, je voulais t'inviter à sortir avec moi, me lancé-je.
- On va où?
Je ne parlais définitivement pas de ce soir.
- Allons chez moi, propose-t-elle en me faisant un signe de la main alors qu'elle prend place sur le siège avant. Tu seras heureux de rencontrer mon p'tit mari.
Cette phrase m'a stoppé dans ma marche vers elle. Elle est mariée?
- Tu viens?
J'avale ma salive tout en cherchant une excuse.
- Je viens de me souvenir que...
- Pas d'excuse, me coupe-t-elle. Monte.
- Je suis avec ma moto, articulé-je difficilement.
- Alors, suis-moi.
***
Je stationne après Anna devant ce qui doit être son appartement. Sans oser parler, je la suis au niveau des escaliers où elle s'arrête pour chercher ses clés. Entre-temps, je réfléchis à cette situation sans nom dans laquelle je me suis mis ce soir. Je n'aurais jamais dû attendre. Non, j'aurais dû lui poser avant des questions sur sa vie personnelle aujourd'hui. Que vais-je bien pouvoir dire à son mari quand je l'aurais rencontré? Pourquoi Anna m'invite d'ailleurs?
- Ouf, soufflé-je.
Elle me regarde en me demandant si quelque chose ne va pas avant d'ouvrir la porte. Je lui offre un sourire forcé en guise de réponse.
- Papito, annonce-t-elle en allumant les lumières.
Debout, à côté d'elle, j'ai dévalé les escaliers en voyant cette chose- je veux dire, cette bête- courir vers elle qui avait ouvert les bras. Tenant fermement la rampe d'appui, j'essaie de reprendre mon souffle quand je l'entends m'appeler. Je ne sais pas si je dois être soulagé parce que son papito est un chat alors que cet animal est ma plus grande phobie.
Son rire emplit l'espace quand elle comprend pourquoi j'ai disparu.
- Je vais l'attacher, promet-elle sans pouvoir retenir son rire. Remonte.
Je ne me fais pas plaindre et la rejoins à l'intérieur m'assurant qu'elle a respecté ses mots. N'empêche que les yeux de l'animal fixés sur moi me rendent nerveux mais j'essaie de le dissimuler à Anna. Je suis un homme... un psychologue en plus.
Elle m'invite à m'asseoir près d'elle sur le canapé.
- Tu as cette phobie depuis quand? demande-t-elle, intéressée.
- Ce n'est pas une phobie, en fait. C'est juste une sorte... une sorte d'intolérance que j'ai, tenté-je d'expliquer.
- Une sorte d'intolérance? répète-t-elle, peu convaincue.
J'hoche la tête, elle éclate de rire. Je baisse les yeux, gêné. Elle se rapproche de moi, portant son visage tout près du mien:
- Tu sais qu'avec moi tu n'as pas besoin de cacher tes peurs? Je ne te vois pas comme un psy mais comme un être humain.
Soudain, je me sens détendu. Je note cette chose dans ses yeux, cette tendresse qui s'y reflète alors qu'elle a cessé de parler. J'ai envie de m'y noyer d'un coup. Peut-être c'est ce dont j'avais besoin pour pouvoir tout recommencer a zéro. Cette blessure que je porte dans le cœur qui refuse de se cicatriser, n'est-il pas temps de laisser quelqu'un en prendre soin? Après quatre ans, les choses ont changé et les gens aussi. Pourquoi je ne devrais pas avancer tout aussi? Ai-je passé ces cinq heures de temps à l'attendre juste pour venir la fixer chez elle sans oser bouger ?
Au moment où je me décide d' approcher mes lèvres des siennes, le chat miaule. Un signe? Je n'étais pas prêt même quand je le voulais, pensé-je. De plus, Emy... Pourquoi je pense à elle dans un moment pareil? Pourquoi? A-t-elle pensé à moi en sortant avec Jay?
Énervé contre moi-même, je me lève en me tapotant le front alors qu'Anna juge bon d'aller se changer. Je crois juste qu'elle est gênée. Pourquoi est-ce que je fais les choses de travers?
- Je t'offre un verre avant de t'en aller?
Elle fait agiter, quelques secondes, les deux verres dans ses mains et la bouteille de vin à mesure qu'elle s'approche de moi, portant un grand t-shirt qui lui recouvre à peine les cuisses. Je reprends place comme elle sur le canapé quand elle me sert mon verre que je ne tarde pas à vider. La nervosité, je crois.
- Et si tu me parlais de ta vie? dis-je pour briser le silence.
- Rien d'intéressant à raconter, répond-t-elle après une seconde de réflexion.
Un deuxième verre servi, je continue:
- Tu ne veux juste pas me dire.
Elle rit.
- Tu sais déjà tout: mon métier d'infirmière qui me prend tout mon temps, ma vie de solitaire et aussi de...
Elle boit une gorgée et levant son verre comme pour porter un toast au vide, elle ajoute:
- de célibataire endurcie.
- Tu n'es pas la seule, affirmé-je en souriant.
Je ne vois plus de la tendresse dans ses yeux actuellement mais de l'espoir, comme si je venais d'allumer quelque chose en elle.
- Moi, ça se comprend mais comment une si jolie femme que toi puisse être célibataire? demandé-je sans flatterie.
- Disons que je ne prends pas trop les relations au sérieux, avoue-t-elle en se perdant dans son verre. C'est difficile pour moi de m'y dévouer corps et âme. Tu sais, ce sentiment que tu as que l'amour peut s'envoler à tout moment...
- Tu as peur qu'on te quitte? déduis-je. Même quand l'amour s'envole et que la magie s'arrête subitement, ça ne veut pas dire que les sentiments n'étaient pas partagés à un moment. Je crois que c'est le meilleur souvenir à garder d'une relation.
- Tu as raison, sourit-elle. Et toi, pourquoi tu es célibataire? Je pensais que toi et...
- Le temps a changé, les gens aussi, je réponds alors que la nostalgie trahit ma voix.
Je me gratte la gorge avant de prendre une dernière gorgée pour ensuite déposer mon verre comme elle sur la petite table devant nous.
- Les miens n'ont pas changé, réplique-t-elle en regardant au loin.
Je n'ai pas le temps de lui demander ce qu'elle veut dire par là qu'elle enchaîne:
- Crois-tu au coup de foudre?
Je souris en pensant à Emy... Oui, en pensant encore à elle.
- Moi aussi, continue Anna. Il y a eu ce gars-là que j'avais rencontré ça fait des années dans une chambre d'hôpital. Je te jure que j'étais tombée amoureuse en seulement cette soirée que j'avais à veiller sur lui. Je l'observais dans son sommeil, tout en priant qu'il finisse par s'en sortir. J'avais la peur de ma vie qu'il ne rouvre jamais les yeux comme si je l'attendais pour tout lui avouer. Il a fini par se réveiller et il se portait miraculeusement bien. On est devenus amis parce que j'avais à m'occuper de lui pendant encore quelques jours. J'avais osé espérer qu'il aurait pu se douter de mes sentiments mais non...Après tout, je n'étais qu'une simple infirmière qui faisait son travail. Et comme il avait fini par aller bien, il n'y avait plus aucune raison pour qu'on se revoit. On ne s'était plus vus pendant un bon bout de temps, il n'avait même pas pris mon numéro. Puis, un jour, je l'ai revu à l'hôpital. Il n'était pas encore sorti d'un accident, non, mais il était là pour...
Elle reprend son souffle comme si ce qui suivait était le plus dur à prononcer:
- Il était là pour me demander de l'aide avec la fête surprise qu'il pensait faire à sa petite amie.
- Je suis dés...
Je me tais, comprenant enfin cette phrase prononcée à la hâte qui explique tout son récit.
-
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro