
Chapitre 8
- Je suis une fille difficile, je sais, m'avoue-t-elle assise sur le bord de son lit. Je cache toujours mes sentiments parce que je sais que tout le monde s'en fout. Alors, tu comprends pourquoi aucun psy n'a su m'aider?
Je m'assoie près d'elle et lui prends la main alors qu'elle lève les yeux vers moi.
- Je sais que tu peux t'en sortir, lui dis-je. Il faut d'abord que le psy sache comment tout a commencé pour pouvoir aider une patiente, tu comprends? Si tu ne me dis rien à propos du problème, comment veux-tu que je t'apporte des solutions?
- Et si je voulais que ça soit toi qui découvres tout? Demande-t-elle. Je ne peux pas tout en parler juste comme ça. J'ai besoin de sentir que tu me portes de l'intérêt. Je ne veux pas paraître telle une conne devant un inconnu dont le but principal est de gagner son argent.
- Tu as une drôle de façon de voir les psychologues, je ris.
- Je les vois simplement comme tout le monde, renchérit-elle. Chacun à ses propres problèmes à gérer, sa propre vie. Je crois que je suis assez forte pour surmonter les miens sans l'aide de personne.
- Et tu crois ça depuis il y a combien de temps?
Elle fuit mon regard et retire sa main de la mienne. Du bout des doigts, elle soulève sa robe un peu plus haut que ses genoux où d'autres petites blessures se font voir. Elle semble les tracer de son index et reprend:
- Avant, j'avais la joie de vivre. J'aimais sortir avec mes amis, prendre du bon temps. J'avais en tête mon avenir bien planifié: terminer mes études secondaires à 17 ans comme mon meilleur ami, étudier les sciences infirmières et ensuite me marier à mes 22 ans. Tu sais, ce genre de rêves qu'a la plupart des jeunes filles...
Elle pose les yeux sur moi et continue:
- Regarde-moi maintenant. J'ai 21 ans et je suis encore en terminale...
- Et ton meilleur ami? La coupé-je.
- On ne s'est plus reparlés depuis que j'ai redoublé la classe de 3ème. C'était comme si je lui en voulais lui aussi. Nous deux avons toujours été majors de promotion avant que mes notes ne chutent, tu vois. Puis, j'ai arrêté avec l'école pendant les deux ans qu'ont duré mon traitement chez mon premier psy. Quand je pensais pouvoir reprendre ma vie en main, j'ai repris l'école et devine...J'ai encore redoublé. J'étais au bord du gouffre mais je ne voulais pas encore abandonner. J'essayais de me prouver que je ne valais pas moins que mon ami rentré à l'université un an de cela à l'époque. Avec beaucoup d'efforts, j'obtiens la note de passage jusqu'à aujourd'hui et ce, en dépit du fait que tous les autres m'appellent "maman" dans la salle.
Elle me sourit et ajoute:
- Je veux devenir quelqu'un...pour ma petite soeur.
- Alors pourquoi te mutiles-tu tant? Demandé-je en enlevant mon regard sur ses blessures.
- Je ne sais pas trop,avoue-t-elle dans un souffle en se mettant debout. Pendant longtemps je n'ai rien ressenti, ni la douleur ni la joie comme si je n'existais plus mais quand la lame se posait sur ma peau c'était comme si je revenais à la vie. Je souffre et ça me fait bizarrement du bien. Parfois, c'est simplement parce que je n'ai pas le courage de m'enlever de ce monde d'un coup. Je me tue à petits feux, tu comprends?
J'épouse sa position et avant même de réfléchir, je pose mes doigts contre son dos caressant ses égratignures. Elle frémit à mon toucher.
- Celles-là, je les ai eues lors de mes crises, s'explique-t-elle. Ça arrive le plus souvent quand j'essaie de trop me retenir. Ta mère m'avait conseillé de pleurer et de crier quand j'étais en colère à cause de quelque chose mais je n'ai jamais suivi son conseil.
- Comment se manifestent tes crises? Demandé-je arrêtant mon mouvement.
- Je tremble. Je me dévore le corps de mes ongles et me frotte le dos contre les murs puis je m' effondre sur le sol, incontrôlable. Après, je ne sais pas. Ma mère me raconte que je m' évanouis et en me réveillant, je nie tout ce qui s'est passé.
- Tu ne t'en souviens pas vraiment? N'as-tu pas consulté un médecin?
Elle se retourne vers moi.
- Oui. Il m'a parlé de crises épileptiques mais j'ai refusé de le croire et je ne suis jamais retournée le consulter.
- Tu les as quand? Où?
Dans ma tête, j'essaie de tisser un lien entre les données collectées.
- Après mes cauchemars, répondit-elle. Le plus souvent dans la nuit.
Je déambule devant elle pendant quelques secondes, réfléchissant à des hypothèses. Je me dis que je parlerai plus tard à ma mère pour fixer mes idées.
- Qu'est-ce qui est à l'origine de tout ça? Tes cauchemars, tes crises?
- Est-ce qu'on peut arrêter d'en parler? Crie-t-elle, agacée.
Elle trouve toujours un moyen d'éviter ce qui m'intéresse le plus dans son histoire. Alors que je la regarde, confus, elle se corrige vite fait:
- Je veux dire... on aura le temps d'en parler. Je ne te dirai pas tout d'une traite, c'est trop difficile. Tu comprends?
J' hoche la tête. Elle en avait déjà trop dit à son habitude. Elle s'approche de moi, attrape mon poignet et regarde l'heure à ma montre.
- Presque midi! S'exclame-t-elle. Je n'ai même pas encore cuisiné.
- Parce que tu fais ces choses? Dis-je, amusé.
Elle roule des yeux puis disparaît de la chambre où elle me laisse planté. Je la rattrape dans les escaliers.
- Avec ton bras, tu devrais faire attention, conseillé-je, un peu inquiet. Demande à la servante de le faire.
- Elle a dû prendre deux jours de congé pour s'occuper de son fils malade.
Quand elle atteint le salon, elle se tourne vers moi:
- Comment sais-tu qu'on a une servante?
Je ne réponds pas. C'était évident à mon jugement.
- Ne nous juge pas sur les apparences,enchaîne-t-elle. C'est une grande et belle maison, certes mais elle peut bien être bâtie sur du sable.
Elle ne me donne pas le temps de répliquer et s'enfuit dans la cuisine. Je ne cesse d'emboîter ses pas. Je la regarde prendre une boite près de l'évier et l'ouvrir.
- Les haricots sont frais, murmure-t-elle en souriant.
- Est-ce que cuisiner te fait toujours tant de bien? Demandé-je, intrigué, en me rapprochant d'elle.
Elle me pousse légèrement pour passer et je souris.
- Assieds-toi et admire le cordon bleu que je suis à l'oeuvre, se vante-t-elle tout sourire.
Je prends une chaise devant la grande table en vitre de la salle-à-manger. Je la regarde prendre les ustensiles maladroitement. Je m'esclaffe quand une cuillère tombe sur son orteil alors qu'elle me jette un regard méchant en la ramassant et continue son travail. Est-elle stressée à faire ce qu'elle aime tant faire devant moi? Je me réjouis intérieurement. Je lui fais peut-être de l'effet...
John, tu es là que pour le travail, essayé-je de me convaincre.
J'essaie tant bien que mal de prioriser le psy sur le John amoureux.
- Voilà!
Sa voix me fait bondir de mes réflexions et je regarde le grand plat recouvert qu'elle a déposé devant moi. Je jette un coup d'oeil à ma montre pour m'apercevoir que même quinze minutes ne se sont passées et elle a déjà terminé.
- Déjà? Fais-je sceptique en enlevant le couvercle.
Mes yeux se figent et j'essaie de lire ce qui est écrit dans le plat, ces lettres bien dessinées à partir d' haricot.
Va te faire foutre, lis-je à voix haute.
Je la regarde devant la table, une main sur sa bouche essayant de retenir son rire et l'autre sur son ventre.
- Tu ne croyais quand même pas que je savais cuisiner, s'esclaffe-t-elle.
Je secoue la tête comme pour bien comprendre la situation. Je pousse la chaise et attrapant le plat, j'accours vers elle.
- Tu vas me le payer.
Elle fait le tour de la table avec moi, à ses trousses.
- Tu aurais dû voir la tête que tu faisais, rigole-t-elle en me fuyant. Valen et la cuisine, ne sens-tu pas des points de divergences entre ces deux mots?
Elle court en direction du salon mais plus rapide qu'elle, je parviens à l'attraper par la taille faisant glisser, entre ses mains, le plat qui se brise contre le sol. Elle essaie de se débattre alors que son rire se fait entendre de plus bel.
- Calme-toi, dis-je. Il y a quelque chose de cassé sur le sol.
Mes pieds glissent sur les haricots par terre et dans ma chute, j'essaie d'éviter qu'elle ne se blesse. Elle tombe sur le côté près de moi et je l'entends laisser échapper un cri de douleur. Je me lève vite fait et me penche vers elle.
- Est-ce que tu es blessée?
- Non, répond-t-elle en s'asseyant sur le sol. Je me suis juste frappée le bras et tu sais que ma blessure n'est pas encore complètement guérie. Et toi?
Je ne lui réponds pas et la fait asseoir sur le canapé, esquivant les bouts de l' assiette par terre. Je ramasse ces derniers pour les jeter à la poubelle avant de m'asseoir près d'elle. Je prends son bras dans mes mains et l'analyse.
- Tu devras changer le bandage, dis-je sur un ton sec.
Elle m'indique la trousse de secours et j'y prends le nécessaire pour la soigner. Je défais le bandage sans dire un mot de plus.
- Est-ce que tu es fâché? S' enquit-t-elle d'une voix qui se veut désolée.
- Non. Tu devras juste arrêter d'agir telle une enfant car tu n'en es pas une.
- Je suis désolée, s'excuse-t-elle. J'ai simplement voulu changer de sujet et je me suis dite qu'une bonne blague ferait l'affaire.
Je nettoie sa blessure puis refais le bandage.
- Tu sais, je ne suis pas comme ces filles de chez nous qui croient que savoir faire la cuisine est un atout indispensable pour garder son mari, explique-t-elle voyant que je ne lui réponds pas. C'est pour ça que je n'ai jamais appris. Si je dois faire quelque chose, ce sera pour moi et non pour garder un homme.
Je continue à garder mon silence. Je ne veux rien dire à propos du sujet. Elle aurait pu se blesser et cette fois par ma faute. Tout ce que je veux c'est qu'elle ne souffre plus.
- Arrête de faire la moue,me supplie-t-elle. On dirait une fille.
J'allais me mettre debout quand ses bras s'enroulent autour de mon cou, ce qui me force à me rasseoir. Ses yeux scrutent un moment mon visage confus avant qu'elle ne penche la tête sur le côté pour connecter ses lèvres aux miennes. Je ne riposte pas. Comment pourrais-je de toute façon? Nos langues se lient en rien qu'une seconde faisant réveiller tous mes sens. Ses caresses envoûtantes sur ma nuque me font vibrer. Elle coupe le baiser alors que mes yeux la supplient de recommencer.
- Est-ce que ça suffit pour te faire parler?...Un peu plus?
J'hoche la tête sans même pouvoir prendre le sens de ses questions. Elle approche ses lèvres des miennes encore une fois.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro