Chapitre 2 | Portrait craché - Tina (2/2)
Joli comme prénom. Mais je ne le fais pas remarquer et me contente de sourire avant de traverser un immense couloir parsemé d'une douzaine de portes. Deux sont pour les salles de bains. Je compte et numérote les chambres intérieurement avant de trouver la mienne. Septième à droite, une pièce vide, avec seulement mes affaires et un lit.
- C'est morose, ici.
- C'est pour cette raison que je l'ai choisie, je crois. Il faut que je range tous mes vêtements, mais je n'ai pas de commode. Great1.
- Si tu veux, j'ai une armoire.
Je panique encore, bon Dieu. J'ai besoin d'air.
- Pas d'armoire, pitié, la supplié-je à voix basse tout en espérant qu'elle ne m'ait pas entendu.
Rapidement, je traverse la pièce, ouvre la fenêtre et récupère un bol d'air. La boule dans ma gorge commençait à se loger et les souvenirs à remonter. C'est trop. Je ne veux pas.
- Tu es certaine d'aller bien ?
- Oui. Non... Je ne sais pas.
Pourquoi je bégaye comme une môme ? Même l'oxygène extérieure n'arrive pas à me faire oublier cette scène. Cachée dans le placard, je fais face à mes bourreaux. Trois des quatre, de mes bourreaux, plus précisément. Je me tends encore plus, anéantie à l'idée de revenir ça.
- Si tu veux, je peux mettre mes affaires dans l'armoire et déplacer la commode dans ta chambre ? me propose-t-elle gentiment.
Au premier abord, elle semblait être tout aussi hautaine que moi, mais elle aussi, elle a l'air fêlée. Ce ne sont que des carapaces qu'on s'efforce à adopter pour paraître bien moins fragile. Elle a dû s'apercevoir que quelque chose ne va pas, alors elle en profite à son tour.
- Je demanderai à des amis de venir nous aider pour la commode, dis-je enfin avant de refermer le petit battant derrière moi.
Elle tente de me cerner avant de me sourire. Oui, elle a également quelque chose de casser. Le sixième sens ne trompe jamais.
- Tu n'es pas obligée de m'aider mais je te conseilles de les prévenir maintenant pour ne pas être emmerdé après.
Elle tourne les talons et disparaît dans l'angle du couloir, me laissant seul, dans un silence à l'instar de ce que j'ai pu vivre jusqu'à maintenant. Je pose mon sac à main sure le parquet luisant avant d'ouvrir sa fermeture éclair et d'en sortir mon téléphone. Le relief de la pomme se dessine contre mon indexe au dos de l'appareil lorsque je le déverrouille. Dans mes messages, il est évident que je tombe en premier lieu sur mes conversations avec les garçons. Grâce aux messages groupés, je préviens les deux en deux temps, trois mouvements.
Tina : Besoin de vous à la fraternité, venez dès que vous le pouvez. 1:08pm1
Je range mon téléphone dans ma poche arrière avant de rebrousser chemin, abandonnant mon sac au beau milieu de la chambre. Seule une porte est ouverte, je devine que Genesis se trouve à l'intérieur. L'odeur du renfermé a déjà embaumé toute la pièce. Probable qu'elle n'a pas été occupée depuis un moment. Comme si elle lisait dans mes pensées, elle se tourne vers moi, un linge blanc à la main.
- Toi aussi, tu te retrouves ici par défaut ? je l'interroge en observant plus en détail la pièce.
Du bleu partout sur les murs, comme si la chambre lui était destiné depuis un bon moment maintenant. Même la petite table de chevet près de son lit deux places porte cette couleur glaciale. Ses cheveux peuvent presque se confondre dans le décor.
- Je suis en rupture familiale depuis un moment maintenant. Durant mes quatre derniers grades, j'ai dû crécher chez différents amis pour ne pas finir dehors. Maintenant, je n'ai pas de job à côté des études donc je m'installe ici. J'ai pu déposer mes affaires il y a déjà quelques semaines. Et toi ?
Je reste silencieuse, à vrai dire, je préfère le rester. Sans vraiment prêter attention à moi, elle continue de ranger ses affaires pliées dans son armoire. Elle ne ressemble en aucun cas à celle...
Je ravale la bile qui grimpe en moi, les poings serrés, prête à enfoncer mes ongles dans ma peau.
- Je...Euh...
- Si tu ne veux pas en parler, ce n'est pas grave. On verra quand tu seras prête.
Je crois bien que je n'ai jamais été aussi vulnérable face à quelqu'un depuis hier soir.
- Je crois que je ne serai jamais prête, avoué-je à demi-mot.
Je ne réussirai déjà pas à accepter ce que j'ai été durant des années alors être prête à en parler à des inconnus autour de moi ? C'est un niveau au-dessus de mes forces. Mais à quoi bon attendre ? Me cacher derrière un masque ? Lui faire croire que tout va bien alors que tout va mal ? Ces choses-là ne sont pas pour moi. Sans lui parler de ma mère et de ma sœur, je déballe mon plus grand fardeau à cœur ouvert, la gorge nouée en huit :
- Depuis mes quatorze ans, mon géniteur abusait de moi en toute impunité. Tout a commencé un soir de quatre juillet et depuis, rien n'a pu l'arrêter. J'ai subit durant des années parce que je savais que cette histoire était une fatalité. J'ai économisé dans son dos durant des mois, j'ai commencé à travailler dans son dos, je lui ai menti tant de fois. Mais ça n'était rien comparé à ce qu'il me faisait endurer tous les jours. Je me suis inscrite ici dans son dos, durant mon graduate je m'occupais moi-même de toutes les démarches, suppliant mon établissement de ne rien lui dire. Tout le monde savait que la situation était critique avec lui, mais ils n'imaginaient pas à quel point. Je ne sais pas s'ils avaient le droit de faire ça mais honnêtement, je m'en fous. Ce matin j'ai sauvé ma peau, et c'est tout ce qui compte.
Phrase à peine finie, mes organes se tordent de douleurs. Mes bras tremblent, mes dents s'entrechoquent tellement mes sanglots sont puissants. Je pianote mes doigts les uns contre les autres, ferme les yeux, inspire et expire avant de sentir Genesis m'enlacer sans pondération.
- Tu as été plus courageuse que moi, on va réparer tout ça à deux.
Jamais je ne suis devenue aussi proche de quelqu'un en si peu de temps. Quelques minutes, à peu de choses près ? Un record. Elle a beau être elle aussi brisée, elle n'en reste pas moins amicale, douce dans ses gestes bien que probablement dure dans ses paroles. Sa gentillesse m'englobe, me rassure, comme si je l'avais toujours connue. La fille aux cheveux bleus a réussit à attendrir mon démon en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Un toquement brutal vient briser le silence. Et même si je sais que ce sont Thomas et Kaleb, je ne peux pas m'empêcher de me raidir des pieds à la tête. Elle se détache de moi et me laisse sortir de sa chambre avant de prendre les escaliers et d'ouvrir la porte. L'un à côte de l'autre, ils se tiennent droit. Kaleb me dévisage de ses yeux vairons : bleu et vert.
- Tu as pleurer ?
Il tente une approche avant que j'ai le temps d'en placer une.
- Ne me touche pas, pigé ?
Il se résigne, recule d'un pas. Sans attendre, nous les faisons monter à l'étage afin de ranger les dernières affaires de Genesis et de déplacer cette commode nacrée jusqu'à ma chambre. Mes mains flagellent encore lorsque les garçons s'apprêtent à déménager le meuble. Perdue dans mes pensées, j'observe mon avant-bras droit, un cadre ovale et turquoise arbore ma peau. En son sein, une jeune femme américano-japonaise supposée représenter ma sœur. Elle est posée sur des roses bleues, ses fleurs préférées. Une résonance se fait entendre dans la pièce d'à côté, les gars ont finalement réussit à traverser tant bien que mal le long corridor. La commode glisse contre le sol, grince à en faire frémir plus d'un. Je change de pièce, les jambes ankylosées.
- Merci les mecs, vous pouvez disposer, grogné-je sans m'en rendre compte avant de les pousser à s'en aller.
À moitié déphasée, je scrute quelques secondes le meuble avant de me tourner vers Genesis. Je meurs de soif, bordel. Mon espace vital n'est plus assez suffisant. J'entends la porte claquer au rez-de-chaussée. Pourquoi je me sens si paumée, d'un coup ?
- Je vais boire un coup à la cuisine, tu veux venir ? Rester enfermée me rend dingue.
Mécaniquement, je sors de la pièce, traverse le couloir et descend les escaliers. Il n'y a que deux mètres entre la dernière marche et la porte de la cuisine que j'ouvre lorsque Genesis touche terre. Dans les placards blanc cassé de la pièce, j'attrape un verre, me sert et, au travers de l'ouverture du petit bar donnant dans le salon, j'aperçois une tignasse familière. Installé sur le divan, son visage effectue un quart de tour sur sa droite. Des yeux bleus me transpercent.
Earl.
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