Chapitre 1 | Ombre et Paradis (1/2) - Hikage
1er septembre 2018.
Je n'arrête pas d'observer le paysage défiler. Sur le siège passager,je reste impassible face à la conduite de délinquant de mon père. Elle est à l'image du personnage. La beauté ensoleillée de Los Angeles ne cesse pas de me fasciner. Aujourd'hui est différent puisque je défie le ciel du regard le jour de mon entrée en école supérieure. Chez nous, seul un homme est autorisé à effectuer des années d'études afin de devenir l'un des comptables du clan ou de faire partie de l'élite des avocats qui nous protègent. Ma tête brûlée n'a aucune limite face à la justice. Cette pensée dessine un rictus sur mon visage. Il transperce la vitre et le rétroviseur externe du véhicule. Dans la glace, j'entrevois une étoile à huit branche près de ma clavicule droite. Elle signifie, dans notrefamille, que le porteur ne balancera jamais quelqu'un de son clan au bien-fondé. Elle porte des ombrages magnifiques, possède une finesse inégalée. Paradoxal, j'ai tanné mon père pour l'avoir il y a un peu plus d'un an, maintenant j'aspire à être avocate. C'est la marque de prestige que je vise, et elle ne trahit pas la promesse encrée dans ma peau. Toutes les affaires ont une vérité, je veux avoir la mienne, qu'elle soit bonne ou mauvaise, favorable ou condescendante.
— J'espère que tu vas tenir toute l'année, tique mon père enapercevant la façade de Los Angeles City College¹.
— Si j'ai insisté pour faire des études, je vais les réussir, et tuverras que ma force mentale dépassera ma force physique.
Il se gare devant le bâtiment principal, au beau milieu du Santa Monica Boulevard, mais ne me lâche pas pour autant. Après avoir coupé le moteur, un silence règne dans le véhicule. Avant qu'il ait le temps d'en placer une, j'interviens froidement :
— Je connais la chanson. Préviens maman de venir me chercher et de me ramener aux bureaux. Je t'enverrai l'heure à laquelle je sors des cours.
Si je ne réussis pas, j'aurai déshonoré le clan. C'est la phrase qui résonne tous les jours depuis des mois dans mesoreilles. Effectuer mes années en High School² n'est visiblement pas assez pour moi, et tout le monde l'a bien compris. Son visage amaigri reste figé sur moi, comme s'il analysait la hauteur de mes responsabilités et de mes choix. Je détaille son faciès impassible avant de me retrouver rapidement déstabilisée.Des cheveux courts et noir de jais, un regard perçant et une manière excentrique de se tenir. Je détache mes yeux de lui et entrouvre la portière avant de poser un pied à terre.
— Ne te rates pas, Hikage. Tu n'auras pas de seconde chance. Et ne parle pas, peu importe les circonstances, braille-t-il, à moitié tourné dans la direction.
— L'étoile à huit branches n'est pas là pour faire joli, papa. Mais merci de ton soutien, lancé-je d'un ton sarcastique avant de claquerle battant noir.
Il s'en va dans la fraction de seconde qui suit. Mes épaules s'affaissent sous mon haut noir à bretelles. Sous le soleil de plomb, les vitres se reflètent avant de disparaître au coin d'une rue. Qu'ont les hommes de plus que nous ? Je me poserai toujours cette question. Je tourne sur mes talons, mes converses aux pieds, sac sur le dos. Je ressers ma queue de cheval haute avant de m'engager sur le campus de LACC³. En gros, le logo de l'Institut est plaqué sur la façade, remplit derouge et de bleu. Un drapeau rayé écarlate arbore une étoile montante blanche. J'ai vu tant de fois cette image qu'elle est imprimée dans ma mémoire. Je passe dans le hall grand ouvert sur lacour intérieure avant de tomber sur une mosaïque de béton bordeauxet gris. Il n'y a aucune odeur, mais les bruits de pas, des oiseaux et des nombreuses portes du bâtiment font pencher la balance. J'observe un instant la vie circuler de droite à gauche, pénétrer dans les différents bâtiments et en ressortir.
Je continue mon avancée dans la zone peuplée de quelques étudiantsavant de tomber sur le Health Center⁴ ,non loin du bureau de la vie associative : un bâtiment immense et verré sur sa façade gauche. Le reste est parsemé de pièces grises. Plus loin, un défilé de marches marbreuses et droites mène à d'autres locaux, une autre face de la cour et enfin au complexe sportif. Où est-ce que j'ai atterris ? Les yeux en premier lieu rivés sur l'édifice orageux, je continuede progresser avant de jeter mon dévolu sur l'immense stade qui setrouve en face. Juste après, un espace pour les joueurs de base-ball séparé par un grillage et du barbelé du reste du monde. C'est lorsque mon attention s'attarde sur cette partie-là, que le bruit d'une batte se fait entendre. Le son sec provient de ma droite, et sur le terrain de verdure au milieu de la piste d'athlétisme, un blond tente tant bien que mal de jouer, un bras plâtré. J'approche,silencieuse, et l'observe lutter contre son propre corps pour tenir le bois de la meilleure façon qui soit. Une fine grille me sépare de lui, mais à quelques mètres près, j'accède à un petit portail. Le métal vert kaki me brûle la peau lorsque j'enclenche la poignée. Elle m'arrache une légère grimace.
— Tu t'entraînes pour les Jeux Olympiques, à ce que je vois, lancé-jeplus fort que de raison en arrivant vers lui.
Il sursaute à moitié avant de se tourner vers moi et de me gratifier d'un sourire. Sa chevelure ambrée et courte brille sous la lumièredu soleil. Il transpire, la peau luisante et granuleuse.
— J'aurai préféré le faire sans plâtre mais de toute évidence, ilfaut encore que je le garde quelques jours.
— Quitte à aggraver ta blessure en t'obstinant à jouer ? ajouté-jeavec amusement.
— Exactement.
Il pose son gant et sa batte avant de se tourner vers moi. Dans son mouvement, une odeur masculine de déodorant se propage autour delui. Il est grand, un bon mètre quatre-vingt, la silhouette élancée,musclée par les années de pratique au base-ball, probablement. Ses yeux bleus me scrutent, emplit de curiosité.
— Tu n'est pas d'ici, toi.
— Je suis née au Japon et j'y ai vécu jusqu'à il y a quatre ans. Mes parents voulaient changer d'air.
— Il paraît que les tatouages au Japon ne sont pas forcément lesbienvenus. Est-ce pour cette raison que tu exhibe les tiens au grandjour ? J'en vois un au-dessus de la clavicule et un sous l'œil droit.
— Trois points en triangle. Ils signifient « mi vida loca ».
En réalité, l'histoire est toute autre. Ils représentent également la haine envers les forces de l'ordre.
Tu te lances vers le suicide avec tes tatouages, Hikage.
Mais je n'ai pas le droit de dire la vraie raison de notre arrivée en Californie. Il fallait étendre encore plus le pouvoir des yakuzas aux États-Unis, mais Hawaï était déjà bondé de gang. Cela n'aurait servi à rien d'ajouter une énième couche.
— Tu as donc effectué ton graduate(5) de neuf à douze, fait-il remarquer.
J'acquiesce en comptant intérieurement. C'est bien ça.
— Asher Green.
Son timbre posé et calme m'a mise d'emblée en confiance, un sourire charmeur et une carrure sportive. Pourquoi je pense directement aux stéréotypes pur et dur des étudiants américains ? Peut-être que c'est le cas. C'est un cliché. Mais je m'en fous, ce type me plaît bien. Le bras tendu sous mon nez, je mets un temps à réagir avantde sourire bêtement et de lui serrer conventionnellement la main.
— Hikage Watanabe. À tout hasard, tu sais s'il y a du monde dans les bureaux étudiants ? Je n'ai pas encore effectué mon inscriptions pour les créneaux sportifs.
Il me lâche, attrape ses affaires tourne une nouvelle fois les talons en me dépassant à grandes enjambées. Je sens encore plus fort sonodeur, mais mon attention reste toujours concentré sur son bras.
— Il n'y a qu'une seule façon de vérifier, se marre-t-il en se dirigeant vers les filets dédiés au base-ball.
Près de leur cage à tir, trois bacs sont à disposition des joueurs. D'un mouvement ample, il laisse tomber sa batte dans un cabas haut et noir avant d'entasser son gant sur des centaines d'autres. Nous traversons une partie du terrain avant d'accéder au bâtiment argenté. Il entre, mets ses mains dans ses poches avant de traverser l'immense hall intérieur. La vue imprenable sur le stade et ses environs estbvisible au travers de la partie verrée. Le soleil tape fort, même ici et ce, malgré l'ambiance un peu plus fraîche. Des dizaines de tables se trouvent là, presque toutes désertes. Face à nous, de larges escaliers nous mènent à l'étage, et par-dessus la balustrade translucide, le monde paraît petit. La paroi est lisse,sans réelle imperfection. Il ne faut que quelques secondes pour traverser une petite partie de couloir et s'arrêter face à une salle. Asher entre le premier, bien avant que j'ai le temps d'entrevoir ce qu'il s'y trouve. Quelques pas de plus sur le sol carrelé et luisant de propreté avant de croiser une chevelure écarlate. J'entre sans attendre et découvre une pièce quasiment immaculée. Plusieurs bureaux sont disposés ici mais une seule filleest présente.
***
1) Collège Communautaire de Los Angeles.
2) Correspond au lycée en France, au secondaire en Belgique et au Cycle en Suisse.
3) Acronyme de Los Angeles City College.
4) Centre de Santé.
5) Le Grade correspond aux années passées en lycée/secondaire/cycle.
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