Chapitre 4 Partie 1
An 2882. Un an plus tôt, à Nelmas.
Arrivée de membres de la Garde Karianie dans le secteur.
Il était déjà tard pour les habitants de Nelmas, pourtant, ils étaient nombreux sur la place centrale, juste devant le bar du village à échanger sur les dernières informations qu'avait pu leur rapporter Sylvia. La venue d'une patrouille de la garde karianie ne faisait que renforcer l'ambiance déjà tendue, qu'avait installé l'annonce faite durant la matinée.
Reid décida finalement de s'approcher sans s'arrêter de l'entrée du bar. Sylvia l'avait vu arriver. Depuis, son regard ne l'avait plus quitté ; ce qui avait sans-doute poussé Jill, qui s'en était aperçue, à se tourner vers le jeune homme. Il arriva à leur hauteur, et les salua.
-Bonsoir, Reid, lui rendit Jill.
Le commandant le dévisagea un instant, ne lui renvoyant qu'un signe de la tête. La cheffe du village fit alors les présentations.
-Reid, je te présente Kal Shino ; commandant de la garde de Karianis.
-Commandant, je vous présente Reid Tergan, un ami de la famille. C'est de lui dont je vous avais parlé tout à l'heure.
Reid fronça les sourcils ; en quoi est-ce que sa vie intéresserait un soldat ?
-Oh, vous voulez parler de l'elysien ?
Et en quoi le fait qu'il soit elysien était-il important ? Les autres personnes ne précisaient jamais qu'ils étaient des humains sans pouvoirs lorsqu'ils se présentaient. Pourquoi fallait-il le faire lorsqu'on était un elysien ?
Kal Shino le détailla de la tête aux pieds. Cet examen mit le fermier mal à l'aise. De quoi avait-ils parlé à son sujet, au juste ?
C'est Sylvia qui mit fin au suspens.
-L'attaque de ce matin ; il s'agissait en fait d'un crime de haine. Mais les choses ont mal tourné, et l'énergie libérée a provoquée l'explosion de plusieurs véhicules du convoi.
Il n'était pas beaucoup plus avancé pour l'instant.
-L'explosion en question était d'origine elysienne, expliqua Kal. On a pu retrouver des images de quelques caméras de surveillance, encore intactes, embarquées sur les véhicules pour savoir ce qu'il s'était passé.
Un frisson d'horreur parcourut l'échine du jeune homme ; il commençait à comprendre.
-Une dizaine d'extrémistes ont enlevé trois elysiens ; ils les ont attachés et jetés au milieu de la route quelques secondes avant que le convoi ne passe, détailla Kal. Les victimes ont été identifiées, il ne s'agissait pas d'elysiens spécifiquement puissants. Par contre, c'est probablement le fait de savoir qu'ils allaient être percutés qui leur a fait libérer une telle quantité d'énergie.
Le cœur de Reid se serra. Ils savaient qu'ils allaient mourir ; ils n'étaient plus en mesure de ne contenir ni leur émotions ni leurs pouvoirs. Pouvoirs qu'ils n'auraient sans-doute jamais été à même de déployer en d'autres circonstances. C'était une libération qui s'était faite sous le coup d'une ultime terreur.
-Et une réaction en chaîne a provoqué la destruction de tous les véhicules du convoi, compléta Jill.
-En ce qui concerne les suspects, ils n'ont pas pu être identifiés. Probablement parce qu'ils ne sont pas de Karinis. Il peut s'agir de criminels de Merildis, reprit Kal. La frontière étant proche, ils n'auraient pas eu tant de mal à découvrir quelques individus elysiens.
-Ils s'en sortis, eux ? Demanda Reid d'une voix blanche.
-Les images montrent qu'ils se sont éloignés assez tôt pour ne pas être impactés par l'explosion. Donc, il est fort probable que oui.
-Du coup, ils sont en totale liberté, quelque part dans les environs, s'ils ne sont pas retournés dans le royaume de Merildis, conclua Jill.
-C'est aussi pour cela que nous travaillons en collaboration avec les autorités de Merildis.
Reid expira bruyamment ; il ne s'était pas rendu compte qu'il avait retenu son souffle aussi longtemps.
Kal lui jeta un coup d'œil avant de finir son compte-rendu.
-Il a également été décidé le déploiement de plusieurs groupes de la garde karianie dans le secteur ; étant donné que nous ne savons pas où sont les suspects et ce dont ils sont capables. Ils pourraient s'en prendre à n'importe qui maintenant qu'ils se sentent traqués.
Malgré toutes ces explications, cela ne donnait pas réellement de raison pour que Jill ne le mentionne.
-Et quelle est la raison exacte pour laquelle vous avez parlé de moi ?
-Comme ton père et toi, habitez à l'extrémité du village, je ne suis pas rassurée, lui dit Jill. Je lui ai donc demandé, fit-elle en désignant Kal, s'il était possible de te mettre, au moins temporairement, sous la protection de la garnison qui sera postée à Nelmas.
-En réalité, j'ai déjà assigné deux gardes à la surveillance de la propriété, avoua Kal. J'espère que cela ne vous dérangera pas, vous et votre père.
Reid ne savait pas quoi dire. Toutes ces informations se bousculaient dans sa tête ; il y en avait de trop. Des elysiens assassinés, des tueurs en liberté, et sa maison sous surveillance, sans qu'on ne les prévienne lui ou Tritz. Est-ce que Jill ou Kal s'attendaient à ce qu'il les remercie ? Il était trop chamboulé par tout ce qui s'était déroulé aujourd'hui. Tout était parti de travers depuis qu'il avait fait ce rêve. Il avait commencé la journée en ayant du mal à faire la différence entre la réalité et l'horreur de son cauchemar, ensuite, la nouvelle de l'attaque lui était parvenue, puis sa rencontre avec cette femme, et enfin ... tout ça. En une seule journée ! Tout ce que Reid trouva à répondre fut « Euh. . . ».
Quelques instants plus tard, Sylvia et Reid s'éclipsèrent et s'installèrent dans un coin du bar, où ils pourraient tranquillement se parler. L'endroit était inhabituellement bruyant ; les clients ne discutaient plus ; ils braillaient et n'étaient plus capables de s'entendre les uns les autres. Chacun essayant de parler plus fort qu'un autre.
Malgré tout, même dans ce lieu bondé, Reid était capable de distinguer chaque mot de chaque conversation. Il savait ce qu'ils disaient tous. Et une opinion principale se dégageait des autres : les criminels étaient forcément de Merildis. Personne à Karianis n'aurait ne serait-ce que l'idée de faire une chose pareille. C'était effroyable et inutile.
Mais Reid avait aussi compris que ce qu'ils ne disaient pas, ce qui était plus importants pour eux, était leur propre sécurité. Il en avait surpris plusieurs en train de l'épier. Ils avaient peur qu'il ne leur apporte des malheurs. Le jeune homme ne leur en voulait pas pour cela, il pouvait comprendre ; il aurait sans-doute pensé de la même manière s'il était à leur place. Les trois premières victimes de l'attaque étaient des elysiens ; et aucune personne faisant parti du convoi n'en a réchappé.
Ils avaient peur de devenir des dommages collatéraux.
-Reid, est-ce que ça va ? Entendit-il demander Sylvia.
Il tenta de sourire pour la rassurer, sauf que ses lèvres ne parvenaient qu'à former une grimace peu convaincante.
-Tout va bien, lui dit-il. Ne t'inquiète pas.
Elle acquiesça silencieusement, un air soucieux peint sur son visage.
Elle l'observa durant un moment , avant de reprendre.
-Pour être franche, je n'y arrive pas. Je n'arrive pas à ne pas m'inquiéter pour toi.
Elle se tut alors que la patronne du bar passa pour leur servir les boissons qu'ils avaient commandés. Aucun des deux n'y toucha. Sylvia inspira profondément avant de lui révéler ce qu'elle pensait de la situation.
-En fait, d'un autre côté, je suis rassurée qu'il y ait quelqu'un pour vérifier les alentours de votre ferme.
-Ouais, attends de voir ce qu'en pense Tritz, lança Reid. Je ne suis pas certain que ça le réjouisse.
-Et toi, tu en penses quoi ?
Le jeune homme perçut très clairement l'inquiétude dans la voix de son amie.
-Ben, le fait que des types bardés de flingues et de couteaux de la tête aux pieds, se baladent chez moi, ne me fait pas particulièrement plaisir. En plus, c'est bizarre de se dire qu'on nous a spécialement attribué une protection. J'ai l'impression qu'on en fait trop.
-Espérons que cette situation ne dure pas alors.
-Oui, espérons.
Reid prit finalement une gorgée, puis laissa ses perceptions se propager librement dans l'espace du bar. C'était ce qu'il faisait lorsqu'il était épuisé, et qu'il n'avait plus la force de se concentrer pour bloquer ses sens sur-développés.
Du coin de l'œil, il aperçut Kal entrer et se diriger vers le comptoir. Sans se soucier de se faire remarquer, Reid se retourna sur sa chaise et vit le soldat s'installer. Ce dernier portait encore toutes ses armes sur lui. Tout cet attirail était-il réellement nécessaire ? Le commandant était dos à lui, mais Reid savait que le soldat avait remarqué qu'il l'observait. Lorsqu'il fut servit, Kal empoigna sa choppe et se leva avant de se diriger vers une table déjà occupée par trois de ses subordonnés ; un gars d'une quarantaine d'années, un très jeune homme et une femme dans la trentaine. Tous portaient encore leur équipement guerrier. En se dirigeant vers cette table, Kal avait porté son regard vers l'elysien et l'avait fixé. Littéralement. Il n'avait détourné le regard que lorsqu'il s'était installé avant de prendre une gorgée de sa boisson. Puis à nouveau, ses yeux se posèrent sur Reid.
Ce n'est que lorsque Sylvia lui toucha doucement l'épaule que le jeune homme se rendit compte que durant une bonne minute, l'environnement qu'il percevait habituellement avec acuité, avait totalement disparu ; éclipsé par le regard bleu hypnotisant de l'officier. Reid se retourna vers la jeune fille. Elle le regardait avec curiosité. Il sentit alors, inexplicablement, ses joues s'échauffer. Il prit une gorgée de liquide frais pour se donner contenance.
Lentement, il vit un petit sourire se dessiner sur le visage de sa meilleure amie.
-Tu disais quoi de nouveau ce matin ? Ah oui ; tu parlais de ''brutes qui se pavanent avec leurs flingues''.
Reid reprit une nouvelle gorgée ; il savait où elle voulait en venir. Même s'ils étaient tous les deux plutôt fusionnels, et qu'une bonne partie des villageois ne les prenne pour un couple, il n'en était rien. Ils étaient simplement et réellement proches, et même inséparables. Mais leur relation était plus fraternelle. Ils avaient grandi ensemble, et parmi toutes les personnes de leur age à Nelmas, Sylvia avait été la première personne à s'approcher de lui.
À l'époque, il se faisait beaucoup remarquer, parce qu'il était le petit orphelin qu'avaient recueilli Tritz et Ivna. Cependant, ce n'était pas la seule chose qui distinguait Reid des autres. Il avait senti, déjà très tôt, qu'il était différent. Et cela lui avait fait peur. Il avait peur de lui-même, et de ce que les autres penseraient de lui. Alors il s'était isolé, pensant que cela valait mieux que le rejet qu'il risquait s'il venait à s'attacher à quelqu'un. Sylvia avait été celle qui avait percée sa carapace. C'est aussi elle qui l'avait fait s'ouvrir aux autres. Par contre, c'est toujours d'elle qu'il restait le plus proche, et dont il avait le plus confiance. Mais c'était tout. Ils s'aimaient vraiment, mais pas comme se l'imaginaient les habitants de Nelmas. Ils étaient l'un et l'autre le frère et la sœur qu'ils avaient choisi.
Leur lien leur permettait aussi de se comprendre sans se parler, et de savoir très clairement ce que pensait l'autre. Cela voulait aussi dire qu'il était impossible pour Reid de lui cacher quoi que ce soit.
-La première fois où je l'avais vu, je savais qu'il te plairait, lui confia-t-elle.
-De quoi tu parles ? Qui me plaît ?
Sylvia éclata de rire.
-Celui que tu ne pouvais pas t'empêcher de reluquer juste avant.
Reid avait vraiment chaud. Il savait que ses joues devaient être cramoisies. Elle l'avait pris sur le fait.
-J'ai reluqué personne, marmonna-t-il avant de reprendre une gorgée.
Il avait soudainement très soif.
-Oui, bien sûr !
-J'ai observé avec attention, la rectifia-t-il.
Sylvia recracha involontairement la gorgée qu'elle venait de prendre. Elle était hilare, elle explosait de rire.
-Tu sais qu'en fait tu viens d'avouer, lui fit-elle remarquer.
-Avouer quoi ? Je fais juste attention à un type entièrement couvert d'armes.
-C'est pas le seul armé dans cette pièce, Reid.
-T'as toujours quelque chose à redire, marmonna-t-il.
-Tu peux nier autant que tu veux, ça ne sert à rien ; je t'ai grillé.
Cette fois il n'arrivait plus à se retenir. Il fallait absolument qu'il lui fasse penser qu'elle faisait fausse route.
-T'as rien grillé du tout. Ce type c'est qu'un tas de muscles cachés par un tas d'instruments de la mort. Je suis pas attiré par lui ; je le déteste.
-Mais tu le connais à peine ! Tu ne peux pas le détester.
-M'en fous, je le déteste, maugréa-t-il.
Le rire de Sylvia reparti de plus belle.
-Oh Reid ! Tu viens de régresser de quinze ans. Quatre ans d'age mental !
Après la journée qu'il venait de passer, il avait bien le droit.
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