5| Esmée et les fleurs
ESMÉE
Chose que j'aime chez-moi n°3 :
Mes cheveux (quand je sors de la douche)
Se réveiller après un accident de la route, c'est exactement comme un lendemain de soirée.
Tout y est : le mal de tête atroce, les bourdonnements dans le crâne, les courbatures. La seule chose en plus, c'est qu'on ouvre les yeux dans un lit d'hôpital.
— Ehh, salut ma chérie, dit soudain une voix douce juste à ma gauche.
Mon père a les yeux rouges et gonflés quand il se penche vers moi pour me caresser doucement la joue. Ses doigts sont rugueux, mais le contact est extrêmement réconfortant.
— Je viens d'appeler le médecin en te voyant bouger, me dit ensuite ma mère, qui serre fort ma main de l'autre côté du lit. Tout va bien se passer, OK ?
En effet, le docteur arrive quelques minutes plus tard. Il procède à quelques contrôles, puis tire un tabouret afin de s'asseoir près du lit pour me parler. Ensuite, il demande à mes parents de s'en aller.
— Je leur expliquerai tout ce que je vais te dire ensuite, d'accord ? me dit-il doucement. Mais d'abord, je veux que tu entendes tout la première.
J'acquiesce doucement, même si c'est extrêmement douloureux. Juste respirer est déjà extrêmement douloureux.
— Tu vois ces radios ? dit-il en désignant des clichés punaisés au mur à gauche de mon lit. Ces radios, ce sont les tiennes. On peut voir que tu as l'épaule déboîtée, une jambe cassée et un poignet foulé.
Je reste silencieuse, examinant les photos au loin. Je suis loin d'être une professionnelle en médecine, mais je vois d'ici les cassures sur certains os.
Bordel, qu'est-ce qu'on m'a fait ?
— Un accident de vélo, c'est très dangereux et souvent irréversible. Dans ton cas, on peut dire que tu as eu de la chance : en dehors de ces blessures-là, tout est superficiel. Comme tu t'es cogné la tête plusieurs fois, on va te garder ici encore quelques jours pour vérifier que tout va bien, puis on te plâtrera les endroits qu'il faut avant que tu puisses rentrer chez-toi. Tu as compris ?
J'hoche la tête mécaniquement, ne sachant pas quoi faire d'autre. Seul le mot « plâtre » tourne en boucle dans ma tête, me faisant monter les larmes aux yeux.
— Si tu t'inquiète pour la suite, ne t'en fais pas, OK ? poursuit-il gentiment en remarquant mes yeux brillants. Les universités ont souvent des dispositifs adaptés pour les étudiants qui se blessent.
Je ne vais plus à l'école, ai-je envie de hurler. Je suis censée faire de la poterie et sans mes mains, c'est littéralement impossible.
Soudain, j'ai l'impression que tout s'écroule autour de moi. Je me fiche d'aller bien, je me fiche d'avoir « eu de la chance ». Tous mes projets sont terminés, tout est cassé.
Tout ça à cause de lui.
— Pour ton information, les jeunes qui conduisaient la voiture d'en face ont été arrêtés. Ils ont été entendus par la police, puis sont rentrés chez-eux. Dès ta sortie, tu pourras porter plainte. Je ne suis pas policier et les officiers seront probablement de meilleur conseil que moi sur le plan juridique, mais je pense que seul le conducteur pourra être impliqué dans tout ça. Il faut que tu saches qu'il avait bu, et qu'il avait dépassé le seuil d'alcoolémie autorisé pour les jeunes conducteurs.
À cet instant, j'entends presque mon âme s'effriter. Tout en moi se brise, s'écroule, s'effondre et devient un véritable tas de cendres qui s'envole avec les mots du médecin. Ma confiance, mon cœur, tout.
L'alcool, toujours l'alcool. Il est toujours là, partout.
Ce n'est qu'au moment où le médecin éponge doucement un mouchoir sur mes joues que je comprends que je pleure. Il sait que je ne peux pas bouger les bras, alors je prends le geste comme quelque chose de gentil bien que ce soit extrêmement infantilisant. Malgré tout, ça a quelque chose de réconfortant.
— L'une des infirmières de l'étage m'a dit qu'on avait déposé des fleurs pour toi, dit-il avec un petit sourire, probablement en voulant me réconforter. Elles sont très belles, dis donc. Tu as un amoureux ? Ou une amoureuse, peut-être ?
Je secoue la tête de gauche à droite tandis qu'il se lève de son tabouret et se dirige vers le bouquet, déposé sur la petite table à roulettes juste en face de mon lit d'hôpital. Étant donné qu'il a été placé devant un mur blanc, la couleur rose pâle du mélange de lys, de gardénias et d'orchidées est saisissante.
— Ce sont toutes les fleurs du pardon, m'apprend-t-il en déposant la petite carte qui accompagnait visiblement le bouquet sur la couette, par-dessus mon ventre.
Je ne sais pas quoi répondre. Les larmes continuent de couler en silence sur mes joues tandis que le docteur se dirige vers la porte.
— Je vais tout expliquer à tes parents, maintenant. On va tous te laisser un peu tranquille, profites-en pour te reposer. Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle une infirmière avec le bouton juste à côté de ton oreiller. Elles rappliqueront dans la seconde et m'appelleront aussitôt.
Je ne dis toujours rien tandis qu'il referme la porte derrière lui. Les larmes glissent dans mon cou et je presse les paupières, essayant de ne pas penser à mon corps engourdi. Je suis probablement shootée aux médicaments, d'où l'absence de douleur pour le moment, mais j'ai peur. Je suis terrifiée à l'idée du moment où cette douleur intense va revenir, exactement comme lorsque j'ai percuté le sol.
Comme dans un flash, je me revois rouler sur le béton sur plusieurs mètres avant de ne plus bouger. Pendant un instant, j'ai cru être morte. Littéralement.
Puis, il y a eu des cris, des bruits de portière et surtout, sa voix. Sa voix grave et paniquée qui me demandait si ça allait. Je n'ai pas oublié ses yeux non plus. Je ne sais pas de quelle couleur étaient ses pupilles exactement, mais le bord était rouge. J'ai cru sur l'instant que c'était le choc ou les larmes, mais je réalise maintenant que non. Ils étaient rouges parce qu'il avait bu.
Un sanglot étouffé s'échappe de mes lèvres tandis que je baisse les yeux sur la minuscule carte blanche, qui repose toujours sur mon ventre.
Dessus, il n'est écrit que quelques mots, tracés d'une écriture irrégulière et maladroite.
Pardon. Mille fois pardon.
Puis, un peu en dessous :
Je ferais n'importe quoi pour me rattraper.
- E.
Tout mon corps brûle d'une rage dévorante et à cet instant, je manque de hurler de frustration de ne pas pouvoir bouger pour déchirer cette carte en mille morceaux.
Je me fiche qu'il veuille se rattraper. C'est lui qui devrait être dans ce lit d'hôpital, pas moi. C'est lui qui devrait voir tous ses projets, tous ses rêves, s'écrouler. Pas moi.
J'avais enfin une raison de revenir, je croyais enfin que tout allait s'arranger... Mais non. Ce type m'a complètement brisée.
Alors, à cet instant, je décide que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour ruiner sa vie.
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