chapitre premier et chapitre dernier
Elle revient à la réalité. STOP. En rouge et blanc, en petit. Un son est émis. Une lumière s'allume. Elle se lève et marche jusqu'à la porte arrière, elle s'accroche pour ne pas tomber. C'est son arrêt.
Elle cache son nez dans son écharpe, il fait froid et celui-ci est devenu tout rouge. Ses yeux aussi d'ailleurs.
« Au revoir » est murmuré à son chauffeur quotidien. A peine audible, mais puisqu'il ne reste plus qu'elle, cela lui suffit amplement.
L'arrêt de bus est vide. Elle en profite. Elle s'assoit sur le banc froid, enlève ses gants, regarde ses mains et souffle dessus. Elles sont aussi froides que le banc en métal et elles sont sèches malgré la tonne de crème qu'elle met à chaque heure de la journée. Elle va en remettre d'ailleurs.
Le réverbère clignote légèrement. Sa lumière est pâle, douce, juste assez forte pour pouvoir l'éclairer. Ses yeux brillent. C'est drôle de voir comme elle grelotte. Ses dents claquent de temps en temps. Elle prend un mouchoir en papier, le déplie soigneusement, se mouche et le range dans sa poche. Pas très propre, mais c'est son dernier et elle en aura sûrement encore besoin. Un second bus passe. Il s'arrête cinq secondes pensant qu'elle va monter puis repart avec cette nonchalance et ce petit ronronnement qu'aiment émettre les bus.
Elle se lève, il est temps de rentrer.
Elle marche, lentement, à petits pas. Elle n'est pas pressée malgré le temps austère. Le trottoir est glacé, presque glissant. Son sac à dos ne pèse rien mais il pourrait presque devenir la plus lourde charge qu'elle n'ait jamais eue.
Elle soupire et la buée, blanche comme neige, s'élève dans le ciel. Elle se souvient de cette manie des enfants à faire comme s'ils fumaient une cigarette de leurs parents. Elle sourit, ce que c'était beau, l'enfance.
Son bonnet est enfoncé sur sa tête et lui couvre les oreilles, c'est comme si son ouïe était enveloppée dans du papier bulle : tout est atténué. L'aboiement du chien de la maison de la ruelle juste en face paraît anodin. La voiture rouge aux phares plus que jaune émet le même doux ronronnement que le bus. Ses pas ne sont que poussières. Tout est calme.
Le parc est beau la nuit. Il est vide, il fait presque peur avec ses quelques lampadaires. Une balançoire se berce doucement grâce au vent et fait frémir les petits flocons qui commencent à tomber pour se déposer sur l'herbe fraîche.
Elle passe par-dessus la barrière qui interdit l'accès après dix-neuf heures. Une véritable délinquante comme dirait sa grande tante. Elle marche calmement mais presse le pas, tout en essayant de faire le moins de bruits possible sur le sable mouillé et compact.
Sous une lumière jaunâtre, elle réalise réellement où elle se trouve. Elle est en face du banc numéro quatre, en bois clair, tagué de tous côtés et sa planche lui rappelle douloureusement leur histoire.
Elle se retourne et regarde à nouveau la balançoire, noire, en plastique, basse. Là où tout avait commencé parce qu'il avait été bête, et qu'il était passé derrière alors que sa sœur en faisait. Elle allait haut, et lui se l'était prise. Deux points de suture pour lui, un gros bleu pour la petite et un fou rire pour elle.
Elle sourit face à ce souvenir. Il s'était gravement excusé, leur avait même apporté un gâteau le jour suivant. Elle avait quatorze ans, il en avait treize et demie. Elle se foutait de lui et elle l'intimidait. C'était avant le lycée, c'était avant que tout bascule, c'était la belle époque.
Il l'avait séduite, malgré sa bêtise, malgré sa petitesse, malgré son plus jeune âge, malgré tout, il l'avait séduite. Et elle aussi.
Oui, on peut dire qu'ils s'aimaient. Oui, on peut dire que c'était fort. Oui on peut dire que c'était doux. Oui, on peut dire que c'était beau. Oui, on peut dire que c'était ce que c'était. Oui, on peut dire que c'était imprévu. Oui, on peut dire que c'était le destin.
Comme on peut dire que le destin les a séparés. Comme on peut dire que c'était contre leur gré. Comme on peut dire que c'est malheureux. Comme on peut dire que la mort s'est emparée de lui.
C'était un soir d'été, c'était ce que c'est.
Elle se retourne à nouveau vers le banc, regarde à nouveau cette petite étoile gravée.
Le vent souffle, son écharpe vole de tous côtés et le souffle froid vient s'abattre sur son visage comme une brute. Et, comme un coup de poing dans la figure, son cœur se serre, fort. Son cœur se presse, sa respiration s'accélère, elle suffoque mais crève de froid. Et ses larmes coulent, toujours plus, encore plus. Et tout lui revient comme si c'était hier.
Que fait-elle ici, à l'opposé de chez elle ? Le subconscient nous fait faire des choses bien folles, comme dirait sa mère.
Et elle pleure la perte de cet amour. Et elle pleure son cœur. Et elle pleure.
Elle prend le mouchoir dans sa poche. Ce n'est pas très propre, mais quoi, elle en a besoin.
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