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Chapitre I

— Maman, où va-t-on ?

Si innocent. Naïf. J'aimerais hurler à mon ancien moi beaucoup de choses difficiles à entendre pour un enfant.

— J'ai peur...

Oh que oui j'avais peur. Cette nuit de 1939, je m'en souviendrai toujours. Quand un magnétophone a hurlé dans toute la ville :

"La guerre est déclarée. Les allemands ont franchi les frontières. Le traité de paix est caduc. Tous les citoyens sont priés de suivre toutes les directives qui découleront des forces de l'ordre sous peine de grave sanction."

Tant de peur transparaissait dans la voix du mégaphone que même moi, âgé alors de huit ans, l'avais senti.

Je suis polonais, mon nom est Luc Daveddem, et je vais vous raconter ma courte histoire.

=_=_=

Je suis né quelque part en Pologne en l'an 1931, un soir de printemps. Mon père, je ne le voyais que rarement pendant mon enfance, il ne voulait pas vraiment de moi mais je ne vais pas me plaindre, c'est la vie, et honnêtement ça ne me bouleversait pas plus que ça.

Ma mère en revanche, faisait tout pour que je puisse manger sainement, et ce malgré l'argent plus que limité chez nous. Nous vivions seulement tous les deux et elle seule travaillait, moi étant trop jeune à l'époque. Elle partait tôt le matin et revenait tard le soir, quand j'étais couché.

Moi, j'allais à l'école du quartier, et Maman m'apprenait le catéchisme quand elle avait le temps, pour parfaire mon éducation. Je voulais l'aider à travailler à l'usine mais elle me l'interdisait, car elle savait que ce genre de métier rapporte peu et que la survie de l'enfant n'est pas garantie. Quelle bonne mère. Je ne regrette pas de lui avoir obéi.

1938, annonce de guerre prochaine.

Maman ne croit pas à ces bêtises, et moi je crois Maman. À sept ans et demi, on ne s'occupe pas de la vie dans les pays alentours, alors je n'avais pas vraiment d'idées sur la question des annonces régulières de combats. Tout ce que je savais dans mon petit monde d'alors, c'était que j'aimais aller à l'école du quartier quand Maman avait assez d'argent pour me le permettre, et qu'un des moments préférés de ma journée était la lecture de l'histoire du soir.

Et tout ce que je savais de la guerre, c'était qu'elle avait ruiné l'enfance de Maman et que c'était rigolo d'y jouer après le déjeuner avec les copains. Quelle innocence miraculeuse de nos jours.

1939. La fameuse annonce du mégaphone.

C'est à ce moment précis, à mes huit ans, que j'ai réalisé que la guerre, c'est moins drôle dans la vie que dans les jeux de récréation.

Ma maman me soufflait, les soirs où les obus et bombes pleuvaient au-dessus de nous :

« Tout va bien mon chéri, je suis là.... On sera toujours ensemble, je ne te laisserai jamais seul, d'accord ? Allez, viens ici... »

Elle tentait de faire bonne figure devant son fils en pleurs, mais revivait ses terreurs d'enfance, aussi terrifiée que moi voire même plus.

Pendant dix jours d'affilée, les bombardements se sont enchaînés un peu partout dans le pays, nous communiquait la radio tout au long de la journée.

Moi, je la croyais la radio. Maman ne me faisait plus beaucoup à manger, en pleine déprime. Il fallait bien que je me raccroche à quelque chose qui faisait du bruit, les murs n'étaient pas très causants et je doute que cela ait changé depuis.

Un mois après le début de la guerre, les allemands firent une descente en ville, tuant sauvagement les curieux qui s'approchaient un peu trop d'eux.

Ils ont fait un discours comme quoi les juifs seraient invités à travailler pour la patrie et pour survivre. Maman a murmuré rageusement quelque chose que je n'avais pas compris. Quand je repasse la scène dans ma tête, je comprends ce qu'elle disait.

« Tu parles. Ils vont tous nous exterminer. Vous ne méritez pas d'être applaudis, bande de salauds. »

Les jours d'après, de gros camions remplis de juifs partaient pour les "travaux pour la patrie". Maman protestait toujours quand on nous arrêtait dans la rue, elle disait que nous n'étions pas juifs et qu'ils pouvaient vérifier s'ils voulaient. Les allemands partaient toujours sans rien dire. D'ailleurs, "allemand" est-il correct ? Peu importe.

1940. Le chaos.

Les juifs sont toujours aussi nombreux, les allemands aussi.

Maman... est morte.

Elle allait à la pharmacie mendier ses médicaments parce que cela faisait des jours que son traitement était en pause, n'ayant pas l'argent nécessaire pour aller en racheter à proprement parler. Des allemands l'ont accostée sur le chemin et elle a fait une crise d'épilepsie au milieu de la rue. Les allemands l'ont terminée en lui tirant dessus, laissant son cadavre en plan au milieu de la chaussée.

En rentrant chez moi après l'école, ils m'attendaient. Ils m'ont emmené en prison, et un soldat est venu voir si j'étais juif. Il est reparti bredouille, mais ne m'a pas relâché. Sur le coup, je n'avais pas compris pourquoi il avait tenu à me voir nu, car je ne voyais pas le rapport entre vouloir savoir si l'on était juif et se mettre en tenue d'Adam. Encore une chose que je ne comprends que maintenant.

Environ une heure plus tard, il est revenu et m'a posé des questions sur ma religion. Étant bon élève, j'ai dit que je croyais au petit Jésus, et il m'a giflé. Le soldat, pas le petit Jésus.

Il m'a dit qu'il fallait croire au führer Hitler, et que le petit Jésus c'est une histoire bête pour les enfants.

Je n'ai rien répliqué, et il est parti.

Au fond de moi, c'était la grosse révolte. Mon esprit de contradiction me disait de ne pas obéir, mon amour pour Maman aussi. Mais la peur me disait que si je protestais il me taperait encore. Je n'ai donc rien fait pour me défendre, faute à ma poltronnerie.

Quelques heures après cet incident, le soldat revint pour me sortir de ma cellule. Il m'a conduit dans le camion aux Juifs, bondé, et a démarré. Encore aujourd'hui, je ne sais pourquoi je n'ai pas été relâché. Je ne saurai sans doute jamais.

Autour de moi, dans le fameux véhicule que je voyais passer devant chez moi tous les jours, je voyais un mélange d'émotions que j'avais déjà connues en tant qu'enfant pauvre, mais jamais vues en un seul endroit, toutes réunies. Il y avait la peur, la tristesse, la faim, la soif, le désespoir profond, la dépression, le malheur. Ces juifs étaient pour beaucoup maigres et archi-maigres, c'en était terrifiant à voir, l'on aurait dit une troupe de squelettes décharnés. La guerre ne permettait pas de se nourrir correctement, et c'étaient eux qui en pâtissaient le plus, malheureusement. Tous ces gens étaient entassés les uns sur les autres comme de vulgaires marchandises, le camion était sombre et éclairé de néons blafards clignotants au plafond, et une horripilante odeur d'excréments trônait sur un parquet moisi recouverts de paille humide et gelée.

Le véhicule bondé roula longtemps. Vers minuit, je m'endormis enfin, m'allouant la liberté de pleurer toutes les larmes de mon corps d'avoir perdu l'être cher qu'est la mère d'un enfant.

Le voyage dura plusieurs jours, des pleurs et des plaintes retentissant régulièrement dans l'espace renfermé. Nous n'avions fait qu'une pause depuis mon arrivée dans le camion, ponctuée de quelques événements de sauvagerie où un garde balançait une bouteille d'eau ou un gros pain sans entrer, refermant la porte aussitôt derrière lui pour échapper à l'odeur épouvantable, tandis que les plus proches de la porte se jetaient sur le butin sans la moindre once de partage et de respect qu'il me semblait pourtant que leur religion prônait. J'avais obtenu moins d'une gorgée une fois, car la mère de plusieurs enfants avait réussi à arracher la bouteille d'eau des mains des autres fauves et me l'avait prêtée quelques secondes ainsi qu'à elle et ses enfants. J'aurais pu pleurer de joie tant la sensation de liquide frais sur mon palais m'avait manqué.

À l'aube du troisième jour de détention, je me rapprochai d'un garçon qui semblait avoir mon âge, peut être un peu plus jeune, il avait l'air vraiment petit.

« Salut, tu t'appelles comment ? Lançai-je d'un ton enjoué, brisant les murmures continus et les plaintes qui régnaient dans le camion depuis trop longtemps pour moi. »

Mon jeune interlocuteur releva la tête à une lenteur maladive et me regarda de ses grands yeux bruns presque éteints. Il fit un effort pour ouvrir la bouche, mais aucun son audible ne sortit.

Sa gorge n'avait plus été hydratée depuis tellement longtemps qu'elle ne pouvait plus produire un seul bruit. Ça, je ne le savais pas bien sûr, je pensai simplement qu'il était muet. Je repris, comme dans un jeu :

« Est-ce que ça commence par un "A" ? »

Pointe de surprise dans les yeux de mon interlocuteur, mais un sourire fatigué prit place sur ses lèvres. Il fit un petit "Non" de la tête.

« "B" ?

"Non".

— "C" ?

"Oui".

— Ah ! Attends je vais essayer de deviner. Tu t'appelles... »

Je plongeai mon regard dans le sien. Ses yeux étaient presque aussi asséchés que sa gorge, ils étaient à demi fermés, laissant entrevoir le manque de l'étincelle toujours présente dans les yeux des enfants.

« Charles ! Tentai-je sans perdre mon entrain.

"Non". »

Cependant, un sourire de plus en plus large s'étendait sur son visage, contaminé par le mien.

Je vous épargnerai la ribambelle de noms tentés, des plus simples aux plus farfelus, toujours est-il qu'à un moment...

« Corentin !

"Oui." »

Il murmura du bout des lèvres :

« Et toi ? »

À mon tour d'être surpris, il n'était pas muet. Je me repris, pour ne pas être tenté de poser une question qui pourrait le blesser, la politesse avant tout.

« Je m'appelle Luc ! On peut être amis ?

— Si tu veux, chuchota-t-il avant d'être pris d'une quinte de toux. »

Notre petite discussion s'arrêta là, des voix résonnant au-dehors. Le camion ne roulait plus. Soudain, des mots en allemand furent aboyés depuis l'extérieur. Je ne les compris pas, je ne parlais alors que polonais.

Corentin me souffla :

« Ils nous disent qu'on a dix secondes pour nous coucher et mettre nos mains sur la tête. Tu peux me mettre les miennes sur ma tête s'il te plaît ? Chuchota-t-il d'un ton effréné en quittant lentement sa position avachie pour se placer correctement sur le ventre.

« Ouah, tu comprends l'allemand ?! M'exclamai-je sans bouger, intéressé et curieux. Comment tu fais ?

— On verra ça plus tard, obéis s'il te plaît ! Chuchota-t-il d'un ton effréné, maintenant incapable de se redresser du fait de sa faiblesse. »

Je pris délicatement ses mains et les lui posai sur sa tête, mais elles vacillèrent et retombèrent mollement sur le sol.

Dehors, les gardes commençaient à ouvrir les portes, laissant la lumière aveuglante filtrer sur le sol immonde. Corentin puisa dans ses dernières forces pour maintenir ses poignets sur le haut de son crâne, et je pus m'exécuter à mon tour en quatrième vitesse.

Un allemand entra avec un fusil, tirant sur ceux qui étaient encore debouts ou assis, ou qui sanglotaient, recroquevillés dans leur coin. Il y eut beaucoup de coups de feu, tant que j'avais renoncé à compter et pourtant Jésus sait que je suis joueur, mais la plupart des détenus avaient suivi nos gestes et les cris des autres bilingues présents dans le camion, les reproduisant pour rester en vie.

Le soldat redescendit aussi prestement qu'il était monté et les parois du camion s'ouvrirent cette fois en grand, nous dévoilant un grand bâtiment gris moche entouré de grands murs surmontés de barbelés, répondant au ciel nuageux trônant fièrement au-dessus. On nous fit sortir chacun notre tour du véhicule, en nous demandant notre nom, prénom, âge. Selon les réponses données, la personne entrait dans le bâtiment ou retournait dans le camion.

Une petite partie des adultes étaient entrés, que des hommes cependant. On nous distribua du pain et de la soupe à la couleur et à la texture fades, puis le camion repartit. Moi et Corentin étions restés ensemble, ravis de n'avoir pas été séparés — surtout moi en fait, mon ami était en pleine digestion et parvenait à être encore plus silencieux qu'avant.

« Dis Corentin, pourquoi tu comprends l'allemand ? Ne tins-je plus au bout de vingts minutes.

— Ma mère était allemande alors je sais le parler. Par exemple, je sais que le gros cube gris de tout à l'heure était un camp d'extermination à gaz pour hommes et jeunes adultes. »

Les enfants les plus proches de nous se mirent à gémir en nous entendant, certains à hurler, les mamans restées avec eux les calmant au mieux sous les regards énervés des retraités.

« Et tu sais où on est en ce moment ? Demandai-je sans m'émouvoir, mon père n'étant pas juif je n'avais pas de souci à me faire pour lui.

— Oui. Nous sommes en Allemagne et nous voyageons vers le camp d'Auschwitz, mais avant ça on ira dans un camp d'extermination pour enfants en bas-âge et un camps de concentration pour femmes.

— Nous ne sommes pas tous mélangés ? Demandai-je avec naïveté.

— Non, les hommes pourraient avoir des idées, ce serait trop dangereux. »

Le moi de l'époque ne comprit pas l'allusion. Corentin le remarqua mais ne rentra pas dans les détails, fort heureusement.

Le reste du voyage se fit dans la même monotonie que le début, mais si il était moins long, ce camion maudit sentait par contre affreusement mauvais, présentant un mélange d'odeur de mort, d'excréments, et de vomi réunis. Le camion n'avait pas été lavé à notre passage au camp d'extermination, conservant l'odeur qu'il possédait déjà avant, et qui semblait maintenant imprégnée dans chaque fibre des planches du sol.

Souvent, quand il y avait du soleil et que le camion se réchauffait comme si lui prenait l'envie de se transformer en serre, les enfants se pressaient contre les tôles de métal qui formaient les murs, pour tenter de voir quelque troupeau de vaches ou de moutons. Et quand ils y arrivaient, c'étaient des cris aigus qui résonnaient dans nos oreilles, cris de dispute pour voir les vaches mais ceux qui avaient eu la chance de les voir ne voulaient pas se pousser... etc.

Je me souviens avoir eu l'envie très puissante de les balancer près de leurs vaches adorées pour qu'ils cessent de brailler, alors même qu'ils avaient mon âge.

Le camp d'extermination pour enfants en bas-âge et celui de concentration pour femmes passèrent, un léger repas dégoûtant servi à chaque halte mais nous permettant au moins de sentir notre corps à nouveau pendant quelques minutes.

Plusieurs camps pour hommes passèrent également, mais moi et Corentin restions toujours dans ce camion de l'enfer.

Au départ, plus de deux-cent personnes étaient dans le véhicule. Nous n'étions plus que vingt-sept.

Au final, bien que ce soit assez regrettable à dire, on s'habitue à être parqués comme du bétail, frappés, quand des soldats rentrent chercher les détenus destinés à entrer aux camps. On s'habitue à rester dans ce véhicule qui pue la mort et la merde, on ne cherche plus à forcer les sorties à chaque fois qu'elles s'ouvrent parce que les braves qui l'ont tenté sont morts dans la seconde. C'est l'habitude qui nous a dicté notre comportement actuel. Un comportement d'opprimés.

Et je pense bien que c'est le pire dans cette histoire. L'habitude à quelque chose de contre-nature. Trouver normal l'anormal.

Corentin est malade. Il tousse beaucoup, il est tout chaud et il dit qu'il a froid. Les gardes disent que ça va lui passer et que s'il se plaint ils le tuent, mais lui me dit que non, que c'est normal. Il ne veut pas m'en dire plus.

« Dis, Corentin ? »

Il se tourna vers moi, tout malade et pâle qu'il était, prostré dans une position défensive sur le sol, se refermant sur lui-même comme une petite bête.

« Quoi ? Fit-il d'une voix rauque. »

Le camion roulait presque paisiblement sur une petite route de campagne, mais les cris d'enfants que l'on entendait auparavant ne résonnaient plus dans l'habitacle, car il n'y avait plus d'enfants. Il n'y avait que nous et d'autres hommes, bien plus âgés et intimidants que des gosses surexcités.

« Tu ne vas pas mourir hein ? »

Il baissa les yeux, renonçant à me mentir pour que je me taise et le laisse tranquille comme il le faisait les premiers jours de sa maladie.

« Si, si je n'ai pas mon médicament je mourrai.

— Et c'est quoi ton médicament ? »

Il ne me répondit pas et se détourna pour mettre fin à la conversation, comme tous les jours. Et je ne tentai pas de le forcer à parler, comme tous les jours.

Après quelques heures encore, les portes s'ouvrirent de nouveau en grand, des allemands affluant pour nous prendre en charge. Ils emmenèrent Corentin et un soldat tourna sur lui-même en observant tous les rescapés du voyage — oui il y avait eu des morts non déplacés — avant de me voir et s'approcher de moi.

« Bonjour, lança-t-il dans un polonais approximatif.

— Bonjour monsieur, répondis-je poliment en me mettant debout.

— Comment toi t'appelles ?

— Luc, et toi ?

— Je suis Jean. Toi quel âge ?

— Huit ans monsieur Jean. Tu vas me faire du mal ? Demandai-je avec appréhension. »

Le cadavre de ma mère dans la rue me faisait redouter la violence des soldats allemands, plus que celle à laquelle j'étais visuellement exposé depuis une semaine.

« Non, toi vas voir général parce que toi gentil et petit.

— Et Corentin ?

— Corentin ? Quoi c'est ?

— C'est mon copain, il est malade. Vous allez le soigner ? »

Un allemand cria, semble-t-il, à Jean de se dépêcher. Il se tourna vers moi.

« Moi pas savoir. Mais toi dois aller voir général. »

Il me prit par le poignet et me fit sortir du camion nauséabond pour m'emmener dans le camp d'Auschwitz, ce fameux camp où moi et Corentin serions d'ici peu.

Quand nous fûmes devant le bureau du Général-en-chef, Jean partit et me laissa tout seul face à la porte, au centre du couloir. C'était la première fois de ma vie que je voyais de la moquette rouge au sol, d'ailleurs. Le Général-en-chef me fit entrer puis asseoir en face de lui.

« Bonjour mon grand. Comment tu t'appelles ?

— Luc monsieur.

— Tu dois m'appeler 'mon général', Luc.

— D'accord mon général.

— Et on me dit toujours oui, pas d'accord. Je n'ai pas besoi que tu sois d'accord, corrigea-t-il à nouveau avec un ton gelé qui me fit frissonner de peur. Ton âge ?

— Huit ans. »

Il inscrivait ce que je lui disais sur une feuille cartonnée, sans lever les yeux quand je lui parlais. Ce personnage me terrifiait déjà, alors même qu'il ne faisait que me poser des questions.

« Tu sais lire ?

— Un peu, mon général.

— Tu es allé à l'école ?

— Pas beaucoup, mon général.

— Parfait. Tu viendras tous les jours au lever du soleil sans aller travailler avec les autres.

— Et Corentin ? Vous allez le soigner ? »

Le Général-en-chef me regarda durement.

« Ici mon grand, pas de copains, que des ennemis et voisins de couchette. L'autre enfant sera soigné et vous partagerez la même baraque de dortoirs, mais c'est tout. Tu obéis aux autres gardes et tu ne dis rien concernant ce que tu verras dans cette pièce. C'est compris ? »

Je hochai la tête, penaud. Donc Corentin serait soigné. Mais je ne pourrais que peu lui parler.

Le Général-en-chef se leva et me congédia d'un geste vif du bras. Hors du bureau, je retrouvai Jean qui m'y attendait, mais il ne fut plus comme avant mon entrée dans le bureau, il me railla et me poussa au sol en riant grassement et me regardant de haut. J'étais terrifié, et quand je me relevai pour courir et échapper à la gifle qu'il me préparait, mes faibles forces eurent raison de moi et je m'étalai de tout mon long sur le sol, sur cette maudite moquette qui étouffa le son de ma chute bien qu'elle fut très douloureuse pour mes coudes.

Je fermai les yeux d'anticipation, mais je ne reçus pas le coup. En rouvrant les yeux, je vis une petite fille, dos à moi, qui avait pris le coup à ma place. Elle s'enfuit ensuite, sautillant gracieusement jusqu'au bout du couloir et tournant à l'angle. Jean était très pâle et semblait avoir vu un fantôme, et ne dit plus rien en me ramenant dans la cour centrale.

C'est la seule fois de ma vie où je l'ai aperçue, cette petite fille qui devait avoir mon âge. Cette scène s'est passée il y a quatre ans. Je dois en avoir douze je crois, je ne sais plus ni l'année où nous sommes ni la date de mon anniversaire, mais j'en suis à peu près sûr.

Entre temps, moi et Corentin avons été mutés dans un camp de concentration voisin par surcharge de prisonniers à Auschwitz. Nous sommes toujours meilleurs amis, amis de route. Je trouve cela miraculeux que nous n'ayons pas encore été séparés, par la mort ou les chambres à gaz.

Il ne m'a jamais dit comment il a été soigné cette fois-là, ni qui l'a fait. Ce qui est sûr, c'est que lui et moi retournons à Auschwitz demain, notre ancien camp est en train de fermer alors nous rentrons dans celui où nous étions à l'origine. J'ai hâte d'y aller, rien que pour la voir encore une fois, même si ce n'était que de dos. J'y suis resté deux ans sans y arriver, mais maintenant je sais que ce sera différent. J'en ai la certitude.

Je veux retourner dans l'enfer pour la revoir, Elle.

=_=_=

Bien le bonjour, chères pommes de terre.

Est ce que cette histoire vous plaît, pour ceux qui me connaissaient déjà, et est ce que mon style d'écriture vous plaît, pour ceux qui me découvrent ?

J'aime bien demander.

À mercredi prochain mes pommes de terre historiennes !

Date d'écriture initiale : 03/10/2020
Date de réécriture : 13/11/2021 — 21/08/2022

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