Ion nín
L'elfe se glissa doucement jusqu'à la porte, espérant passer inapeçu.
En vain.
— Legolas !
La voix de son père résonna dans l'air, cinglante comme une branche d'arbre nue au début de l'hiver. Grimaçant, le jeune prince se retourna pour faire face à son géniteur, debout de l'autre côté de la grande salle.
— Oui, ada ? (papa)
— Merci de bien vouloir rester ici jusqu'à ce que les rapports des messagers soient terminés.
— Mais je croyais que cela concernait le Nord et d'habitude, je ne peux pas...
— Peu importe, le coupa Thranduil. Restez ici et écoutez.
Les mots de son père étaient polis, mais son ton ne souffrait aucune contestation. Mortifié, son fils reprit sa place, debout au pied du trône majestueux. Il en avait assez de rester enfermé ici, à accomplir ses devoirs de prince. Son cœur n'était pas dans les salles grandioses, les discussions politiques ou les innombrables papiers. Il slalomait entre les arbres centenaires de Mirkwood, escaladait leurs branches, dansait sur les berges des torrents fougueux et bondissait sur les collines verdoyantes, au-delà même de la forêt.
Le jeune elfe rêvait d'horizons infinis, d'aventures glorieuses et de longues chevauchées.
Liberté.
Le soldat salua son roi et quitta la pièce, extirpant Legolas de ses rêveries. Thranduil se leva et commença à marcher de long en large. L'air soucieux sur le visage de son père dégrisa le prince, qui le voyait rarement aussi sombre.
— Qu'y a-t-il, ada ?
— Vous ne voyez pas le problème ? jeta le souverain d'une voix froide.
Legolas se mordit la lèvre et s'abstint de répondre – parce qu'il n'avait rien écouté du rapport qu'avait fait le soldat.
— Ce sont ces hedhyd (nains) ! s'écria soudain son père. Ceux d'Erebor, la Montagne Solitaire. Ils se sont tenus tranquilles jusqu'à présent, mais ils recommencent à avoir d'étranges activités. Peut-être militaires. Je n'aime pas ça.
— Et que pouvons-nous faire ? s'enquit poliment Legolas, rassuré.
La haine de son géniteur envers les nains était largement connue de tous, et en particulier de son fils. Il ne s'inquiéta donc pas plus de ce soi-disant problème, le troisième depuis un an.
Dire que les elfes n'aiment pas les nains est un euphémisme. Les deux races se détestent cordialement depuis le jour tragique où les nains assassinèrent le Roi elfe Thingol pour la possession du Nauglamír et du Silmaril qu'ils y avaient serti. Mais heureusement, toutes les belles gens ne haissaient pas autant que Thranduil leurs voisins sous les montagnes.
— Vous allez partir en mission, ion nín (mon fils). C'en est assez de leurs manigances perfides et de leur cordialité hypocrite.
— Quoi ? s'exclama Legolas, stupéfait.
— Oui, en mission. Tous les autres elfes que j'ai envoyés récolter des informations sur ce que manigancent les nains ont échoué à découvrir la moindre chose d'importance.
Peut-être parce qu'il n'y a rien à découvrir, pensa le prince, se gardant bien d'exprimer cela à voix haute.
— Vous, au moins, vous saurez faire le nécessaire pour me rapporter les informations dont nous avons besoin.
Thranduil était un excellent roi – d'ailleurs, Legolas se demandait souvent s'il saurait être aussi doué lorsqu'il monterait lui-même sur le trône. Il était juste, droit, et il aimait profondément son peuple. Mais il n'était pas austère, loin de là : il aimait les fêtes, les chants et les rires. Il souhaitait la joie et le bonheur de tous ses sujets. Malheureusement, les festivités étaient de plus en plus rare au fur et à mesure que l'ombre et le mal grignotaient leur royaume, étendant leur emprise chaque fois un peu plus près de la cité elfe.
Thranduil était un excellent roi, mais il exécrait les nains au point d'en devenir légèrement paranoïaque. Depuis que Thorin II Oakenshield s'était échappé de leurs prisons pour reprendre Erebor, il craignait sans cesse une guerre ouverte autant qu'il la désirait.
Crainte en raison des dommages qu'engendrerait une guerre.
Désir de régler une fois pour toutes, dans le sang, son différend envers les nains.
En attendant, Legolas allait devoir se mettre en quête d'une chimère pour satisfaire son père – car les nains n'avaient nullement la volonté de se battre contre leurs ennemis ancestraux, du moins pas pour l'instant.
— Vous pouvez partir avec un ou deux des nôtres, continuait le roi, si vous vous portez garant de leur loyauté et de leurs capacités.
— Tous les nôtres nous sont loyaux, ada.
— Mais tous ne sont pas aussi efficaces et talentueux que vous, ion nín. Je veux que cette mission aboutisse enfin à un résultat. C'est pour cela que je vous envoie, vous, chercher ces informations qui nous font défaut. Allez où bon vous semble. Chez les edain (humains), chez nos cousins edhil (elfes); au nord, au sud ou à l'ouest. Ne vous aventurez pas trop à l'est, cependant. Vous savez que c'est là que les ténèbres grandissent de nouveau. Je ne veux pas qu'elles me prennent mon fils.
« Je vous fais confiance. Et je sais que vous rêvez d'aventure. C'est le cas de tous les jeunes elfes de votre âge. Vous n'êtes plus un enfant, je le sais. Voilà l'opportunité de voir le monde et de servir votre roi dans la même occasion !
— Je... je ferai de mon mieux, ada. Quand dois-je partir ?
— Le plus tôt possible.
— Très bien. Je souhaite que Celeanor et Eldalóthë viennent avec moi.
— Comme vous le désirez. Vous devriez aller les prévenir et préparer vos affaires, à présent que mes consignes ont été données.
— Bien, ada. J'y vais immédiatement !
Thranduil suivit du regard la silhouette de son fils jusqu'à ce qu'elle s'estompe dans les ombres de la grande salle. A cet instant seulement, il s'autorisa à pousser un long soupir.
Soudainement fatigué, il passa une main lasse sur son visage qui n'exprimait plus rien d'autres que le poids des millénaires. L'image de son enfant s'éloignant sans un regard en arrière faisait cruellement saigner son cœur de père.
Des pas résonnèrent sous les hautes voûtes de la salle du trône, lui faisant relever la tête. Sîrbeth, l'un de ses plus proches conseillers et amis, était là.
— Tu as eu raison, mellon nín (mon ami·e). Ce sera bon pour lui.
— Je l'espère.
Notes :
Ada est le diminutif du mot sindarin adar, qui signifie « père ». Ada peut donc se traduire par « papa ».
Hedhyd: nains (singulier : hadhod)
Pour le récit de la mort d'Elwë Thingol, voir le chapitre 22 du Silmarillon « La Ruine de Doriath ».
Ion nín : Mon fils. De ion = fils et nín = mon, ma
Edain : hommes, humains (singulier : adan)
Edhil : elfes (singulier : edhel)
Mellon nín : mon ami·e. De mellon = ami·e et nín = mon, ma
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