Gurth 'ni yrch !
Ils prirent donc la route, comme Legolas l'avait décidé, quatre jours plus tard. Les Galadhrim leurs avaient fourni eau, provisions et flèches en abondance. Aussi, c'est remplis d'allégresse qu'il quittèrent la belle Lothlórien.
Legolas était heureux. Vraiment heureux.
Depuis la lettre de son père, il avait cessé de s'inquiéter. Thranduil validait ses actes. Il acceptait qu'il prolonge son séjour, continue son voyage.
Son père acceptait qu'il prenne sa liberté.
C'était le plus beau des cadeaux qu'il pouvait lui faire. Depuis des siècles, le prince de Mirkwood vivait pour contenter son géniteur et l'aider dans sa tâche de souverain, souvent au détriment de son bonheur. A présent, il comprenait que ces longues années avaient été une erreur. Il aurait dû apprendre à se faire confiance un peu plus tôt, et cesser de vivre dans l'ombre de son père.
Celeanor et Eldalóthë, ses plus proches amies, avaient bien tenté de le guider dans cette voie. Sans nul doute, elles avaient perçu avant lui ce qui l'empêchait d'être pleinement lui-même. Mais l'on ne peut forcer quelqu'un à changer ou à ouvrir les yeux, même si c'est pour son bien.
Maintenant qu'il avait compris par lui-même, il avait l'impression qu'un horizon brumeux était soudain éclairé par une soleil resplendissant, chassant l'obscurité et les brumes.
Sous un ciel dégagé, il repartait à présent, non pas en direction du nord et du royaume forestier, mais au sud, vers les cités des humains et la mer.
Les trois elfes voyagèrent plusieurs semaines, d'abord le long de l'Anduin, puis, ayant traversé la Limeclair, ils chevauchèrent dans les plaines du Rohan. Ils avaient passé la frontière de ce royaume depuis deux jours et n'avaient pas rencontré âme qui vive, à leur grande surprise. Les patrouilles de cavaliers était pourtant un élément de défense auquel le roi Fengel tenait particulièrement, d'après ce que savait Legolas – à vrai dire, pas grand-chose, car son père ne se préoccupait pas beaucoup de ce que faisaient les humains du sud.
Le ciel s'était couvert de nouveau, et les nuages gorgés de pluie s'ammoncelaient progressivement au-dessus des vastes plaines qu'ils parcouraient. Il n'y avait presque plus de vent, mais une chaleur humide laissait présager un orage. Il n'y avait pas d'autre être vivant, en-dehors d'eux trois ; et pas le moindre son, si ce n'était le bruit des sabots de leurs chevaux sur l'herbe verdoyante.
Mais dans ce silence qui annonçait le déchaînement des éléments, une grande clameur se fit soudain entendre à leur gauche, là où, hors de vue des mortels, coulait l'Anduin. Cependant, les voyageurs n'étaient pas des mortels aux sens limités, mais des elfes à la vue perçante. Ils stoppèrent leurs chevaux le temps d'observer les alentours, et là, ils entrevirent le ruban gris de la Grande Rivière. Sur ses berges, des ombres s'agitaient. Après les cris de guerre, ils n'entendirent plus rien de là où ils étaient, mais il leur semblait évident qu'une bataille s'y déroulait. S'étant concertés un bref instant, ils relancèrent leurs chevaux en direction du combat qu'ils devinaient au loin.
Deux groupes s'affrontaient : une dizaine de cavaliers du Rohan, à en juger par leurs armures, et des orcs trois fois plus nombreux. Les humains étaient en très mauvaise posture : leurs ennemis les avaient encerclés et, ayant mis à terre la plupart de leurs chevaux, les repoussaient lentement vers le fleuve. Les rares individus qui avaient échappé au piège n'arrivaient pas à percer la ligne des orcs pour venir en aide à leurs compagnons.
Sans ralentir, les trois elfes saisirent leurs arcs et décochèrent une volée de flèches, abattant autant d'ennemis qu'ils avaient lancé de traits. Les orcs se demandaient encore d'où venaient cette pluie meurtrière lorsque les humains comprirent qu'une aide inespérée arrivait. Legolas, l'ardeur de la bataille inondant ses veines, décida de se signaler à leurs ennemis :
— Gurth 'ni yrch ! Drego maur ! cria-t-il, levant son arc pour faire signe aux humains. (Mort aux orcs ! Fuyez, ténèbres !)
Puis leurs chevaux atteignirent le groupe et ils percutèrent violemment la ligne d'ennemis. Très vite, les flèches cédèrent la place aux épées. Les cavaliers du Rohan, revigorés par l'arrivée de ces alliés inattendus, redoublèrent d'ardeur. Les dynamiques de forces s'inversaient.
Eldalóthë se battait avec fougue, envahie d'une haine féroce pour ces créatures immondes qui souillaient sa belle forêt et tentaient à présent de noircir les plaines verdoyantes du Rohan. Tant qu'elle le pourrait, elle ne laisserait pas le mal détruire ce à quoi elle tenait. Son épée luisait de sang et dansait, presque animée d'une vie propre. Le fil tranchant effleurait les chairs des orcs, laissant dans son sillage des flots noirs et poisseux. La pointe de métal froid se frayait des chemins dans les corps ennemis, déchirant les armures et tout ce qu'il y avait en-dessous, se retirant pour laisser s'infiltrer la mort à sa place. L'elfe n'avait plus conscience de rien, sinon de l'instant présent et des orcs qui mourraient sous sa lame. Les corps n'avaient même pas le temps de s'ammonceler autour d'elle, car elle était plus vive qu'un feu follet. Devenue courant d'air, elle tournoyait entre ses victimes, les achevaient et repartait, déjà en train de plonger son épée dans les chairs d'un autre alors que le précédent n'avait pas encore touché le sol dans un dernier soupir.
Se retournant après avoir dégagé son épée du mort qu'elle venait de faire, elle se retourna. Il ne restait plus aucune créature hideuse aux alentours. Toutes avaient péri sous les lames des trois elfes et des cavaliers du Rohan. Le sol était jonché de leurs cadavres, entremêlés à ceux des humains tombés au combat. Leurs camarades étaient déjà auprès d'eux, soulevant les blessés pour les déposer à l'écart et fermant les yeux des morts.
Un homme se dirigea vers eux. Legolas et Celeanor étaient toujours à cheval, elle non. A quel moment était-elle descendue de sa monture pour se jeter au milieu de la bataille ? Elle ne pouvait le dire. Elle se rapprocha de ses amis. Leurs armes étaient déjà propres, mais n'étaient pas rangées, et leurs visages étaient découverts.
— Qui que vous soyez, déclara l'homme du Rohan, nous vous devons la vie. Merci pour votre aide. Nous vous sommes redevables, voyageurs.
Sans répondre, Legolas s'inclina légèrement. Les yeux de leur interlocuteur s'attardèrent sur leurs oreilles pointues, puis détaillèrent leur armement et leurs vêtements.
— Si la situation était normale, je serais obligé de vous conduire auprès du Roi Fengel pour qu'il décide de votre sort, car vous êtes entrés sans aucune autorisation. Mais vous nous avez sauvés, et je ne peux pas vous traiter comme des ennemis. Dites-moi vos noms, si vous le voulez bien. Moi, je suis Déorred, fils d'Eomód, Maréchal des cavaliers de la Marche Est.
— Je me nomme Legolas de la Forêt Noire, et voici mes camarades Celeanor et Eldalóthë, répondit le jeune prince sans faire état de sa généalogie. Si je peux me permettre de le demander... comment vous êtes-vous retrouvés en si mauvaise posture ?
— Les orcs nous ont pris par surprise. Au départ, ce n'était qu'une patrouille de routine. Tout était calme dans cette zone, jusqu'à cette attaque. Ils avaient traversé le fleuve, je ne sais comment, et nous attendaient en embuscade. Nous avons chargé, mais...
L'attention d'Eldalóthë fut détournée de la conversation par un homme qui soulevait un corps d'orc, dans le but évident d'empiler les cadavres et de les brûler. Une flèche transpeçait sa gorge, encore intacte.
— Attendez ! s'exclama l'elfe en se précipitant vers lui.
Il se figea et la regarda ôter la flèche avec des yeux rond. Sans tenir compte de ce regard, elle nettoya sommairement la pointe et la rangea dans son carquois, satisfaite. Se détournant, elle s'approcha d'un autre corps et entreprit de poursuivre sa récolte. Il aurait été dommage de laisser des flèches de la Lórien alimenter un bûcher, alors qu'elles pouvaient encore servir – dans leur majorité.
Lorsqu'elle eut fait le tour du charnier, son carquois débordait. Les flèches qui ne rentraient pas dedans, elle les tenait à la main, en attendant de les donner à Celeanor ou Legolas. Ces derniers était descendus de cheval. Le jeune prince circulait parmi les hommes blessés étendus à terre, guidé par Déorred, pour leur dispenser ce qu'il pouvait de soins elfiques. Son amie était assise par terre, occupée à inspecter son épée. C'est vers elle que se dirigea Eldalóthë, satisfaite, car la bataille avait été une grande victoire et qu'elle était heureuse d'avoir massacré quelques orcs.
Mais son sourire fana lorsqu'elle remarqua le linge enroulé autour de la cuisse de Celeanor. Dégrisée, elle se jeta à genoux auprès d'elle, la faisant presque sursauter.
— Tu es blessée ? s'alarma Eldalóthë en approchant sa main du bandage, sans oser le toucher.
— Une égratignure, lui assura son amie avec un sourire rassurant – qui ne la rassura pas du tout.
— Mais comment est-ce arrivé ? Tu l'as soigné correctement, au moins ? Legolas est au courant ?
— Calme-toi ! Oui, Legolas est au courant, je me suis soignée correctement, et je t'assure que ce n'est rien ! Quant à ce qui s'est passé... ça n'a rien d'incroyable. Mon cheval n'a pas tourné assez vite, et un orc m'a frôlé de sa lame. Je me suis fait un plaisir de le décapiter juste après.
— Dommage qu'il soit déjà mort... mon épée aurait eu quelques mots à lui dire !
Elles éclatèrent toutes les deux de rire, un rire qui soulagea Celeanor mieux que n'importe quel remède.
Eldalóthë n'ajouta rien, mais l'air soucieux sur son visage prouvait que les dires de son amie ne l'avaient pas totalement rassurée. Celeanor ne savait pourtant pas quoi lui dire de plus pour la tranquiliser : elle avait tout dit, le plus honnêtement possible ! Elle ne pouvait rien faire de plus pour que la jeune elfe cesse de s'inquiéter.
Alors, Celeanor se contenta d'entremêler leurs regards, de lui sourire et de prendre sa main dans la sienne pour la serrer.
— Ni maer, mellon nín. (je vais bien, mon amie)
Eldalóthë soupira longuement, puis esquissa un léger sourire. Elle se releva et lui tendit une poignée de flèches, ne s'attardant plus à cette blessure – qui n'était, réellement, rien de plus qu'une égratignure. Mais son regard, que Celeanor sentit peser sur elle par la suite, resta soucieux.
Lorsque Legolas eut fini de dispenser aux cavaliers du Rohan quelques soins elfiques sommaires, il revint vers elles. Eldalóthë était allée aider les humains à empiler les cadavres des orcs, mais avait fermement interdit à son amie de prendre part à cet exercice avec une jambe blessée. Celeanor avait abdiqué, sachant mieux que personne combien la jeune elfe pouvait être obstinée. A présent, le feu prenait doucement. Déjà se répandait aux alentours du futur brasier une odeur immonde de chairs brûlées.
Le feu ayant démarré, les corps des guerriers tombés au combat ayant été pris en charge par leurs camarades indemnes, et les blessés étant en selle, la petite troupe put quitter les lieux. Ils allèrent lentement, car beaucoup de cavaliers avaient perdu leurs montures. Mais ils atteignirent le camp des humains une heure après.
L'endroit était clairement militaire. C'était un camp fortifié, principalement bâti en pierre, perché sur une colline plus haute que les autres. Il dominait les alentours. A leur approche, un petit groupe de cavaliers vint à leur rencontre.
Les trois elfes avaient rabattu leurs capuches sur leurs visages, même si leurs vêtements et leurs armes clamaient leur identité aussi bien que leurs oreilles pointues. Ils furent introduits dans l'enceinte du camp sans difficulté. La porte refermée derrière eux, les humains s'agitèrent comme dans une fourmilière. Les chevaux furent conduits aux écuries. Les blessés furent emmenés ailleurs, dans un bâtiment qui était sans doute une infirmerie ; les morts soigneusement déposés à l'écart, sur une sorte d'estrade de pierre naturelle. Les familles accourraient, se pressant auprès des corps, pleurant ou soupirant de soulagement selon les visages qu'elles reconnaissaient, des visages aux yeux définitivement fermés.
Les voyageurs attendaient là, immobiles au milieu des va-et-viens des mortels. Personne ne les interpella, même si ils furent l'objet de nombreux regards appuyés. Enfin, ils virent revenir vers eux Déorred. Il marchait à grands pas, l'épée toujours au côté, le regard préoccupé. Un garçonnet trottinait sur ses talons.
— Mes amis, déclara-t-il en arrivant à leur hauteur. Des chambres ont été préparées pour vous. Vous pourrez y demeurer aussi longtemps que vous le souhaiterez. Fulor vous y conduira. Encore une fois, je dois vous remercier d'être venus à notre secours. Malgré tout, il est nécessaire qu'un messager fasse parvenir au roi vos noms, afin qu'il décide si nous pouvons vous laisser traverser librement nos terres ou si vous devez aller le voir à Edoras.
— Je pensais repartir demain, avoua Legolas en gardant une expression neutre – lui et son père étaient très doués pour ne pas laisser entrevoir leurs pensées.
— Je suis désolé, mais il faut attendre la réponse du roi. Croyez bien que, si ça ne dépendait que de moi, vous n'auriez pas à subir cette attente. Cependant, ce sont les règles de notre peuple, et, même si vous êtes venus à notre secours, vous avez foulé les plaines du Rohan sans autorisation.
— Je comprends, s'inclina Legolas. Faites-nous porter de quoi écrire, et nous informerons le Roi Fengel de nos identités.
— Tout cela vous sera apportés dans vos chambres, dit Déorred avec un léger hochement de tête. Mais je ne peux que vous conseiller de rentrer, à présent, car il semble que l'orage s'apprête à se déchaîner.
En effet, les premières gouttes s'écrasaient dans la poussière, à leurs pieds, et la noirceur des nuages laissait présager un déluge. Suivant le bon conseil du cavalier, ils accompagnèrent le gamin jusqu'à des chambres simples mais propres, où ils se délassèrent. Lorsque, vêtus de propre, ils se retrouvèrent dans les appartements de Legolas, un nécessaire d'écriture avait été apporté.
Le prince elfe s'assit et leva sa plume au-dessus du papier, puis s'arrêta. Que dire ? Décliner leurs noms, simplement ? Révéler qui il était ? Expliquer plus en détail leur projet de voyage ? Le but de cette missive était de fournir au roi Fengel les informations qu'il désirait afin qu'il ne demande pas aux voyageurs de venir se présenter devant lui. Cela leur ferait faire un détour, mais, après tout, ils n'étaient pas en faute. Même s'ils devaient ensuite se rendre à Edoras... ce ne serait pas si grave.
Ayant relativisé l'importance de ce qu'il s'apprêtait à écrire, Legolas souffla de soulagement. Il était habitué à prendre des responsabilités, mais elles étaient plus souvent militaires que diplomatiques – car son père ne laissait nul autre que lui s'occuper des négociations. Et même s'il avait l'habitude, cela ne lui plaisait pas pour autant.
Il n'aimait pas être responsable des autres.
« Roi Fengel,
Je suis Legolas, fils de Thranduil, le souverain de la Forêt Noire. Je voyage avec Eldalóthë, fille de Malvâb, et Celeanor, fille de Sîrbeth. Nous nous rendions à Minas Tirith lorsque nous avons croisé un groupe de cavaliers du Rohan en difficulté face à des orcs, et nous les avons donc aidés à se défendre et à tuer les immondes créatures de l'est. Nous n'attendons nulle récompense pour cet acte, si ce n'est de savoir que nous avons sauvé des vies. Mais nous sollicitons de vous le droit de continuer notre route jusqu'au Gondor, et de chevaucher de nouveau dans les belles plaines du Rohan si notre route de retour y passe.
J'espère que vous comprendrez que nous n'avons aucune intention malfaisante et que nous souhaitons juste voyager librement en Terre du Milieu.
Avec tout mon respect,
Legolas Vertefeuille. »
Ayant terminé de rédiger son message, il le donna à ses amies pour qu'elles approuvent ses propos. Puis, comme elles ne voyaient pas d'objection à ce qu'il avait écrit, il fit venir le jeune Fulor et lui remit la missive en lui recommandant d'en prendre soin.
Après quoi, ils attendirent.
Notes:
Drego maur : fuyez ténèbres ! (De maur = ténèbres et drego = impératif du verbe fuir)
Ni maer : je vais bien.
Fengel (2870-2953 du TA) : troisième fils de Folcwine, lui succède sur le trône du Rohan en 2903 TA. A sa mort, son fils unique Thengel lui succède. (Il est donc le grand-père de Théoden)
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