Chapitre 23-1
J'avais à peine fait un pas dans la pièce que la porte s'ouvrait de nouveau sur Worth, un air résolu sur son visage désormais fermé et soucieux.
— Sors d'ici !
— Si tu ne voulais pas que j'entre tu n'avais qu'à fermer à clef !
— Je ne pensais pas que tu serais assez rustre pour me suivre.
— Dit celle qui vient de me sauter dessus sans aucune retenue ! me balança-t-il d'un ton ironique.
Sa réplique acérée me fit mal, même s'il fallait avouer que je l'avais bien cherché.
— Alors comme ça tu ne veux plus te jeter les deux pieds devants dans le piège de Kane ? Me poursuivre dans la salle de bain est devenu ta nouvelle mission ? lui répliquai-je sur le même ton acide et vindicatif que lui, espérant le faire fuir.
Le petit rire blessé qui me parvint m'envoya un deuxième coup au cœur. Lui faire du mal était la dernière chose que je souhaitais, mais qu'il voit ce que je dissimulais sous l'éponge blanche, aussi. Du moins pas maintenant et pas comme ça, alors que nous étions tous deux dans l'urgence, troublés et en colère.
— Hannah, arrête, me supplia-t-il soudain. Pourquoi tu fais ça ? Me rejeter constamment.
— Je ne te rejette pas, répondis-je automatiquement avant de réaliser que c'était au contraire exactement ce que je faisais.
Par réflexe, pour me protéger, pour le protéger, parce que c'était ce que je faisais depuis des années et que je ne savais plus réagir autrement.
— Cesse de te cacher derrière tout un tas de barrières psychologiques comme... physique, ajouta-t-il dans un souffle alors qu'il me rejoignait en deux enjambées prudentes et se saisissait en douceur de la ceinture de mon peignoir.
Il attendit, le ruban de coton dans les mains, levant son beau regard voilé de tristesse et de compassion vers moi. Il aurait pu défaire le nœud lâche d'un simple geste, mais au lieu de cela il attendait ma permission. Je fixai son regard limpide, tremblante. Hormis Kane et les métamorphes qui m'avaient trouvé ce jour-là, personne ne m'avait jamais vu nue depuis. Worth sembla le comprendre car ses doigts quittèrent ma taille pour venir enserrer tendrement mon visage.
— Tu as raison, ne brusquons pas les choses, me murmura-t-il simplement en m'enlaçant, se contentant de me serrer fort contre lui.
Je me laissai aller à son étreinte, sentant les larmes que je m'obligeais à ne pas verser, emplir mes yeux. Là, dans la solide forteresse de ses bras, cela aurait été si simple de se laisser enfin aller, et durant quelques secondes, je faillis le faire. Mais la terrible réalité de la situation actuelle ne m'en laissait pas le luxe, pas plus que les coups sonores qui résonnèrent sur la porte quelques instants plus tard. Je sentis Gabriel se crisper alors que la voix d'Allistaire résonnait à travers le bois.
— Chef ? Si vous ne voulez pas la mort de Monroe sur la conscience, il va falloir la laisser sortir car je crois que nos nouveaux amis sont à bout.
— Cette femme à son propre pouvoir personnelle ! m'esclaffai-je dans un petit rire contre l'épaule de Worth. Parvenir à énerver Adam relève du miracle.
— C'est une des raisons pour laquelle je l'ai choisi, sa ténacité.
— ça et sa haine des métamorphes, ajoutai-je en me libérant de ses bras.
— Non, Hannah. J'espérais l'en guérir au contraire, m'avoua-t-il dans un soupir en me caressant rapidement la joue d'un revers de la main.
— En la faisant enquêter sur des meurtres sordides perpétrés justement par des métamorphes ? Curieux comme pari.
— Chef ? Vous êtes là-dedans ?
— Va la chercher et ramène-là dans la chambre ! finit-il par lui répondre d'un ton excédé. Mais tu la surveilles.
Un bref coup sur le battant, ainsi que le bruit décroissant de ses pas, nous avertirent de son assentiment.
— Justement, reprit Worth en s'approchant de la porte. Tu as conscience que dans plus de la moitié des cas que nous traitons, les crimes sont commis par des humains ? La fange la plus abjecte de mon espèce a vu, dans le coming-out forcé des métamorphes, une aubaine pour pouvoir tuer et violer en toute impunité en vous faisant porter le chapeau. Les vrais crimes imputables aux métamorphes sont rares. Je voulais surtout qu'elle se rende compte de ça, elle et l'ensemble des humains. C'est d'ailleurs la principale raison pour laquelle j'ai accepté le poste, même si je savais que ce serait une impasse pour ma carrière.
Ses paroles, au-delà de me faire prendre une nouvelle fois conscience de l'altruisme profond de cet homme, allumèrent une alarme dans mon esprit sans que je ne parvienne à mettre le doigt sur ce qui me chiffonnait.
— Bon, je te laisse prendre ta douche, reprit-il en ouvrant la porte.
— Laisse tomber, c'est trop tard pour ça ! lui dis-je avec une légère grimace lorsque me parvint la voix ulcérée de Monroe, déjà audible depuis le couloir. Et puis, je suis déjà réchauffée, lui lançai-je avec un petit sourire gêné en passant devant lui.
Je le vis lever le bras comme pour me retenir, mais il n'alla pas au bout de son geste tandis que je me dépêchais d'aller récupérer de nouveaux vêtements dans la commode. Protégée par mon peignoir, j'eu le temps d'enfiler une culotte et un jean à l'abri des regards indiscrets avant que Allistaire et Monroe ne déboule dans la pièce.
— On est où ici ? Chez vous ? me demanda-t-elle aussitôt tandis qu'elle jetait des regards apeurés dans son dos. Pourquoi m'avoir gardé enfermé comme une criminelle ?
— Pour protéger les braves gens qui vivent ici ! lui rétorquai-je vivement en enfilant un pull par-dessus le tee-shirt que je venais de dénicher.
— Les protéger ?! Il y a un énorme serpent qui se balade dans les couloirs ! s'exclama-t-elle d'une voix à la limite de l'hystérie. C'est plutôt de ça qu'il faudrait les protéger à mon avis.
— Vous voulez que je le siffle pour lui demander s'il a un petit creux ?
— Tu m'as appelé Hannah ? me répondit presque aussitôt la nouvelle voix grave et rauque d'Adam qui était la sienne depuis qu'il avait enfin terminé de muer quelques semaines auparavant.
Il pénétra dans la pièce, les traits de son beau visage plissés d'énervement, tandis qu'il braquait son regard courroucé sur Monroe, qui avait du mal à refermer la bouche et à concevoir que le beau jeune homme brun qui lui faisait face et le crotale venimeux qu'elle venait de croiser quelques minutes auparavant étaient la même personne.
— Adam ! Waouh, qu'est-ce que tu as changé ! s'exclama Worth, alors que les deux hommes se donnaient l'accolade, à l'évidence ravis de se revoir.
— J'avoue que c'est agréable de ne plus ressembler à un avorton boutonneux, lui répondit ce dernier. Même si, on ne me dit rien sous prétexte que je suis toujours trop jeune ! ajouta-t-il d'une voix accusatrice en m'envoyant un coup d'œil éloquent.
— Tu as beau avoir eut une poussé de croissance et hérité d'une voix de vrai mâle, à même pas encore seize ans, tu restes un gamin ! lui répondis-je sur le ton de l'humour pour atténuer ma rebuffade. Tu peux t'assurer que la voix est libre jusqu'au garage, s'il te plait ?
De la déception ainsi qu'une légère rancœur passa sur son visage, tandis qu'il acquiesçait à regret et partait s'acquitter de sa tâche, aussi ingrate soit-elle à ses yeux.
— Vous, fermez-là ! ordonnai-je à Monroe lorsque cette dernière voulu ouvrir la bouche. Vous allez faire ce que l'on vous demande pour une fois et en silence, sinon je vous jure que je vous assomme !
Alors que nous patientions quelques minutes pour être certain qu'aucun autre métamorphe ne risquait de croiser le chemin des deux inspecteurs, le portable d'Allistaire sonna de nouveau.
— Laisse-moi deviner, c'est encore le chef ? commenta Worth alors que ce dernier confirmait son intuition d'un hochement de tête. Ne répond-pas et éteins ton téléphone lui ordonna-t-il.
— Tu as changé d'avis ? lui demandai-je surprise et espérant que, contre toute attente, il ait enfin renoncé à se rendre sur les lieux des récentes atrocités de Kane.
— Non, mais me faire gueuler dessus ne nous fera pas arriver plus vite, donc, mettons-nous en route sans tarder et laissons-le s'énerver dans son coin.
Je faillis tenter une nouvelle fois de le convaincre de renoncer, mais le regard déterminé qu'il me lança m'en dissuada. Déçue et intimement persuadée que nous faisions une erreur monumentale, j'ouvris néanmoins la marche pour les guider hors de la demeure de mon père.
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