
𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 ₄₄
➠ ❛Tais-toi et pleure❜
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Où étaient donc passées les étoiles ? Pourquoi faisait-il si froid ? La coupole de diazote et de dioxygène était tapissée d'une épaisse couche de nuages couleur cendre, la Lune était absente et les branches des arbres se chevauchaient au rythme de la tempête. Le ciel pleurait sur la ville. Quelque chose manquait au décor, quelque chose de doux. Un peu de baume aux cœurs ne ferait pas de mal, après tout.
Hizashi se tenait debout devant sa fenêtre, celle-ci était verrouillée à cause de l'air glacial. L'énergique demeurait calme, silencieux, absent, les doigts agrippés au rebord. Sa chambre était plongée dans une drôle d'obscurité, seule une guirlande à l'éclairage bleuâtre tamisé éclairait son visage. Un visage qu'il ne voyait qu'au travers le reflet de la vitre. Et à travers ce même reflet, à un angle moins similaire, une autre silhouette se détachait de la nébulosité. Une ombre roulée en boule sur son lit trop petit pour deux, qui avait le menton posé sur ses deux bras, sur ses genoux, et sans le voir, Shōta fixait une étagère jonchée de figurines. Aucun des deux ne parlait. Seule la tempête complétait l'absence de bruit. Cette absence d'un Tout qui complétait leur Rien commun, voilà un aphorisme bien douloureux mais pas moins vrai.
Un éclair. La chambre clignota comme une ampoule, et plongea à nouveau dans son atmosphère sinistre sitôt le grondement serratique de l'orage passé. Le noiraud nicha son visage entre son torse et ses jambes. Son aîné se détacha de la fenêtre et se laissa mollement tomber par terre, prenant pour appui le bord de son lit. Son expression était triste, plus de trace de sourire, plus de trace de jovialité. Juste deux émeraudes qui ne brillaient plus dans une lueur bleutée, juste cet air fatigué sur son visage métissé. Il laissa retomber sa tête en arrière, regarda le plafond, ferma les yeux, rompit le contact. Il se faisait tard. Il avait peur de s'endormir, ce soir-là. Il voulait d'abord sortir de ce cauchemar avant d'en entamer un autre.
Son meilleur ami releva doucement ses iris couleur nuit, observa autour de lui comme si c'était la première fois qu'il venait dans la chambre d'Hizashi, aperçut l'objet de ses désirs et se pencha un peu vers son sac d'où une paire de lunettes jaunes dépassaient, à moitié pris dans la veste d'aviateur. Il scruta les goggles avec attention, ses verres brisées mais son attache en bon état... Il ne faisait même pas attention au bilingue qui avait tourné la tête dans sa direction pour le regarder faire, trop occupé à observer ce... cette paire de lunettes... Tout ce qui lui restait d'Oboro, finalement... Un souvenir.
« Shōta...»
Sa voix était brisée d'une douleur incoercible. Mais il sentait le besoin de dire quelque chose. N'importe quoi. Même si le silence serait la parole la plus rationnelle à respecter, il avait besoin de hurler sans un bruit quelque chose qui résonnait dans sa poitrine avec fougue.
« Oboro... Il... Je n'ai pas pu le sauver... J'ai battu le vilain, mais je n'ai pas pu le sauver... »
Le noiraud laissa tomber la monture entre ses jambes, qu'il positionna en tailleur, et vouta son dos en avant, ses cheveux dégringolant le long de son visage. Il éclata en sanglots.
Un sanglot comme il n'en a jamais été pris, d'une douleur abominable.
Le corps du plus âgé pivota d'un quart de tour et, à genoux par terre, faisant attention pour ne pas appuyer sur le bandage qui retenait l'épaule de son ami en place, tendit ses bras et l'enlaça, le regard embué mais les joues sèches. Ce dernier maintint les mains entre leurs corps, trop secoué pour rendre l'étreinte, si bien qu'on ne pouvait dire s'il l'acceptait ou non. Toutefois, il n'avait pas besoin de le dire explicitement car Yamada savait que Shōta ne le repousserait pas.
Ils étaient si jeunes encore, comment pouvait-on leur mettre face à l'horreur de la mort ? De quel droit pouvait-on leur retirer la seule chose, la seule personne, qui avait ressoudé leur amitié au point qu'ils en deviennent accros l'un de l'autre ? Pourquoi briser leur bonheur ? Qu'avaient-ils fait de mal à l'univers, si ce n'était d'exister ? Ils n'avaient plus leur place ici, dans ce bordel humain qu'était le monde, à moins qu'ils ne l'aient jamais eu ...? Ils avaient tenté de se rattacher au sol par un fil immaculé de blanc comme des ballons de baudruche, mais les voilà repartis pour leur espace saturé de vide, dérivant dans un chez eux qui n'était nulle part autre que leurs bras. Ainsi, collés l'un contre l'autre, Hizashi et Shōta comprirent leur véritable maison ; loin de la lumière, enlacés dans l'obscurité maternelle de la chambre au bleu tamisé.
Au fur-et-à-mesure que les battements de cœur s'écoulaient, Aizawa recouvra un semblant de calme et ses larmes séchaient sur son visage barbouillé, faute d'avoir exagérément frotté ses joues et son front contre le tee-shirt autrefois sec de son meilleur ami. Après ses pleurs, son esprit se retrouva embrumé dans une espèce de couverture chaude, une petite pelote de laine pêle-mêle rembourrée dans sa boîte crânienne tellement douloureuse. Ses yeux rougis et ses joues fiévreuses suivirent le mouvement de son visage, et il croisa le regard trop vert du blond qui s'était déplacé sur le lit, les deux jambes autour du noiraud. Il voulut dire quelque chose, n'importe quoi qui pourrait remettre son ego en place, honteux d'avoir pleuré ainsi, mais il se retint, trop faible, et laissa une seconde fois son corps se coller contre celui du bilingue et sa tête se posa sur la poitrine, où des petits boom boom lui rappelaient le métronome de son oncle qui jouait du violon, ou des petits toc toc qu'il faisait contre la fenêtre en jour de neige, alors qu'il avait aperçu un chat roux traverser le jardin de la garderie, sous le halo lumineux d'un candélabre planté là à dix mètres de ses frères. Ce même boom boom qui cherchait à l'apaiser, le rassurer. Ce boom boom qu'était, dans l'instant présent, le cœur d'Hizashi.
« Shōta... ? »
Le murmure lui arracha un léger 'hmm' presque acratopège qui signifiait simplement qu'il était à l'écoute, malgré qu'il luttait pour ne pas s'endormir. Hizashi reprit sur le même timbre de voix.
« Est-ce que tu viendras avec moi voir ses parents, demain ? »
Aizawa plissa les yeux mais ne vit que le tissu jaune du tee-shirt du nippon-anglais contre lequel il reposait sa tête.
« Je ne pense pas. »
Le blond soupira doucement, la main caressant tendrement les cheveux du plus jeune, et posa son regard dénué de lunettes par la fenêtre. Le vent faisait éclabousser les larmes du ciel contre sa vitre, lui offrant une allure d'aquarium.
« Ils aimeraient sûrement que tu viennes aussi.
- Ils aimeraient surtout ne pas avoir à y penser. »
Bien sûr, les deux garçons se doutaient bien de l'ampleur de la tragédie. Il n'y avait pas qu'eux, à éplorer la perte de Shirakumo, il avait des enseignants, des camarades de classe mais aussi, et surtout, un père et une mère, et une petite sœur. Une petite Seiun d'à peine sept ans qui voyait en son frère le plus grand modèle qu'elle puisse connaître. Une fillette qui se retrouva brusquement enfant unique, du jour au lendemain. Shōta ferma les yeux. Il repassa dans sa tête le dernier souvenir qu'il avait d'elle. Une petite voix enfantine au téléphone, le matin-même. Elle avait la bouche pleine de tartine et racontait des blagues, répétant bien sûr ô combien Oboro lui manquait et à quel point elle avait hâte d'être le lendemain pour le revoir à la fin de son stage. Elle lui avait dit de passer une bonne journée, son grand frère lui avait dit qu'il l'aimait, et ils avaient raccroché.
Sans savoir que ce serait la dernière fois qu'ils parleraient ensemble.
Hizashi colla sa tête contre le mur et frissonna de froid. Shōta toucha de deux doigts le bras de son meilleur ami. Il était frigorifié.
« Va te changer, tu as froid avec ce tee-shirt. »
Le blond secoua la tête. Il serra le noiraud un peu plus fort, ce dernier se sentit à son aise, ainsi pris comme si son âme ne pouvait pas quitter son corps, sous aucun prétexte. Il fut tenté de se laisser morfondre dans un nouveau sanglot, mais la porte s'ouvrit avant qu'il n'ait eu le temps de s'abandonner à une nouvelle vague de tristesse. Les silhouettes de deux adultes apparurent à l'encadrement d'une porte entre-baillée, mais quand bien même deux personnes s'y tenaient, seule la voix de la mère creva le lourd silence.
« On va se coucher, vous avez besoin de quelque chose, les garçons ? »
Hizashi secoua la tête. Le père prit la parole.
« Allez vous reposer, vous en avez besoin.
- Shōta ? (La douce voix de Chōko intima l'interpelé à relever imperceptiblement la tête dans sa direction.) Tu sais que notre porte te sera toujours ouverte. »
Le fils Aizawa ne risqua aucune réponse, sachant d'avance que sa voix enrouée ne serait claire pour personne. La femme eut un triste sourire et s'approcha prudemment des deux adolescents, laissant le père s'appuyer seul à l'encadrement de la porte. Avec douceur, elle caressa les cheveux son fils et lui embrassa le front. Ce dernier frissonna de bien-être. Puis elle se tourna vers le noiraud. Il se trouvait bien misérable de se montrer aussi démuni face à des personnes qui n'étaient autre que les parents de son ami. Chōko, d'une précaution maternelle qu'on lui connaissait au travers ses gestes et ses mots affectueux, posa sa main sur l'épaule du garçon aux yeux couleurs nuit et déposa un baiser papillon sur son front.
« Dormez bien... »
Shōta, peu habitué à cette marque d'affection, se tendit légèrement avant de sentir une nouvelle montée de larmes agripper le coin de ses yeux. Si bien qu'il ne percevait même plus la porte se refermer sur les deux silhouettes, et la nuit, brusquement, s'imposa une nouvelle fois dans la chambre. Il serra les dents et les poings comme il put, mais c'était plus fort que lui. Il pleura. Il ne pouvait faire autrement. Et Hizashi le berça, oblatif, luttant pour ne pas l'imiter, quand bien même la tentation était puissante. Il voulut se montrer fort. Il voulut garder fièrement la tête haute. Mais ce n'était pas possible. Ce n'était qu'un gamin qui se posaient des questions sur l'univers et qui se dissipait pendant les cours. Juste un gamin. Un putain de gamin. Et les gamins, ça pleurait.
Alors il pleura lui aussi.
Le sablier s'écoula ainsi, dans une pénombre chimérique, sous l'orage doucereux. Le réveille-matin digitalisé évoluait d'heures en heures, et lorsqu'un numéro 'deux' se forma sur la partie gauche du cadran, Shōta ouvrit les yeux, se frotta les paupières, et se détacha de l'étreinte. Il bailla en cherchant à aligner des pensées correctes avant de se rappeler qu'il n'était pas dans sa chambre, et qu'il était de travers dans un lit trop petit pour deux. La tête baissée, il pouvait dessiner la silhouette du blond qui dormait sur le ventre, prenant toute la place. Aizawa avait la tête lourde comme une brique et la gorge sèche. Il se permit de quitter la pièce pour se préparer un verre d'eau, lorsque son regard obsidienne fut attiré par les nombreuses photos qui agrémentaient les murs du salon, faiblement éclairées par la lumière éblouissante de la cuisine qui lui avait permit d'effectuer des manipulations sans rien casser. Diable ce que ses yeux lui piquaient, il retrouverait bien le sommeil... Un peu hasardeux, il se débarrassa de son verre et remonta l'étage pour rejoindre le luron aux cheveux flavescents. Celui-ci semblait dormir, comme à son départ, dans la même position. Shōta n'hésita qu'un court instant avant de le pousser contre le mur sans ménagement et se glissa sous une couverture qu'ils avaient négligée. Pas étonnant qu'il ait froid à présent, s'il avait passé la première partie de la nuit à dormir sur le duvet, et non au-dessous.
Dans tout ce remue-ménage, Yamada fut contraint d'ouvrir péniblement un œil, à la frontière de l'éveil mais pas totalement lucide encore. Sans y faire attention, il sentit le noiraud qui lui avait échappé et posa sa main un peu partout avant de comprendre qu'il s'était bêtement déplacé sous la lourde bande de tissu. Son ami tira d'un coup sec la couverture, surprenant Hizashi qui se cogna au mur, et accepta sans remettre en question le cocon duveteux à présent libérée. Il se colla contre le plus jeune, entrelaçant leurs jambes à la recherche d'un peu de chaleur, et put finalement se laisser retomber dans les bras de Morphée sans en être totalement sorti pour autant. Shōta, quant à lui, se retenait pour ne pas verser un nouveau flot de larmes. Il chassa toutes pensées susceptibles de l'empêcher de dormir, bien qu'idoine.
Il réfléchissait trop, définitivement. C'en était insupportable. Douloureux. Il ferma les paupières et expira ses sujets de réflexion toxiques. Il accepta le marchand de sable une seconde fois et plongeant dans un rêve qui le pétrifia dans l'indifférence la plus totale, il se rendormit, anesthésiant ainsi son cœur pour quelques heures durant.
[...]
Shiriusu était un homme de grande taille avec de longs cheveux blanc grisé qui semblait cotonneux, liés en queue de cheval basse dans son dos qui contrastait avec sa peau métissée. Ses yeux bleu ciel jaugèrent un court instant, l'air sévère, les deux adolescents qui avaient frappé à sa porte, et lorsqu'ils se penchèrent en avant pour le saluer poliment, il les laissa entrer. Sans un mot.
Kōsei, à l'instar de son mari, parut avoir moins d'intérêt pour le monde qui l'entourait. Assise au bord du canapé, une tasse de café froid dans les mains, elle fixait le vide. Elle avait négligé ses cheveux mi-longs, aussi lisses que galactiques, en un chignon mal fait. Ses yeux joliment bridés couleur argent ne se posèrent qu'une demi-seconde sur leurs invités avant qu'elle ne retourne vaquer à son occupation ; fixer le vide avec désespoir.
C'est alors qu'une fillette apparut dans le salon, et aussi vite que la lumière, Seiun se jeta contre les garçons et entoura ses bras de façon à ramener Shōta et Hizashi dans sa seule étreinte. Ce fut d'ailleurs la première à s'adresser oralement à eux, au plus grand soulagement du blond qui se sentait de plus en plus mal à l'aise avec la silencieuse famille Shirakumo.
« Je suis contente que vous êtes venus ! Ici c'est devenu tout triste depuis que la police est venue, hier ! »
Ses grands yeux bleus d'embrumèrent de larmes.
« Ils ont dit qu'Obo ne reviendrait pas ! C'est vrai, ça ? Il devait finir son stage ce soir et rentrer ! Pourquoi il ne reviendrait pas ? Maman ne parle plus et papa est tout le temps fâché, moi ça me rend triste, je ne sais pas comment leur remonter le moral. Et puis je suis sûre qu'il va revenir ! Il habite ici ! »
Un rapide coup d'œil de la part du noiraud confirma que le père avait quitté la pièce pour la cuisine. Kōsei, elle, ne bougeait pas, comme endormie les yeux ouverts.
« Ça prend combien de temps pour revenir ? Il me manque, mon grand frère ! Il aurait pu prévenir aussi ! »
Elle avait reculé d'un pas pour croiser les bras, visiblement mécontente.
« Obo me dit toujours où il va. »
Hizashi ouvrit la bouche, mais aucun son ne lui échappa. En revanche, Aizawa, qui tenait à bout de son bras valide un sac à dos, le posa par terre et en sortit méticuleusement une veste d'aviateur, par-dessus le reste de costume de Loud Cloud, sorti tout droit de la machine à laver. Le bras tremblant, il le tendit à la petite fille aux barrettes bariolées, accroupis face à elle.
« Oboro... a sauvé des gens, neuf enfants et une femme qui les accompagnait. Il a été un héros, mais un vilain l'a tué.
- Shō ! couina le jeune Yamada derrière lui. Tu pourrais être moins agres-...
- Elle a le droit de savoir ! feula presque le garçon à l'épaule bandée. Seiun, Oboro était une personne extraordinaire, il t'aimait plus que n'importe qui sur Terre et il a donné sa vie pour épargner celles d'innocents. »
Seiun, égarée, prit la veste d'aviateur dans ses mains.
« Il ne reviendra pas, Seiun. Oboro est parti pour toujours. »
Il était en colère. Et la petite fille respirait difficilement, le bout de tissu trop grand contre elle.
« Il... Il a rejoint les étoiles... Comme grand-maman ?... E-elle aussi est partie en sauvant des personnes... »
Face au silence, elle éclata en sanglots, le visage enfoui dans la veste de son grand frère. Hizashi risqua un pas vers elle mais la voix imposante de Shiriusu l'en empêcha, alors qu'il revenait dans le salon, les mains vides.
« Il est temps pour vous de vous en aller.
- M-mais pourquoi ?! s'outra le bilingue.
- Il a raison. Allons-nous-en, marmonna sèchement le noiraud en se relevant, prenant pour direction la sortie.
- Sh-Shirakumo-san ! Excusez Shōta, il ne voulait pas être aussi brusque avec-...
- Cet avorton était avec Oboro, nous ont dit les policiers ! gronda-t-il avec une colère méprisante, l'interrompant. Qui sait ce qu'il aurait pu faire pour éviter à mon fils une mort aussi injuste ! Je savais qu'il n'aurait jamais dû intégrer la filière héroïque, tout comme il n'aurait jamais dû se laisser influencer par deux gamins de votre genre ! »
Celui à l'alter vocal regardait tantôt le père, tantôt son meilleur ami, une angoisse grandissante dans le creux de son estomac. Aizawa s'était arrêté, mais n'avait rien dit. Il leur tournait le dos comme il tournait le dos au monde entier déjà.
« Tu étais avec lui, n'est-ce pas ?! Pourquoi n'as-tu rien fait ?!
- Shiriu, appela d'une voix monocorde sa femme qui avait tourné la direction vers les cris. N'en veux pas à Shōta, il n'est qu'un adolescent, il ne savait pas ce qu'il faisait. »
Yamada avait regardé Kōsei, surpris d'entendre enfin sa voix, et ce qui le fit sortir de sa transe fut une porte qui claqua derrière lui. Les quatre paires d'yeux se tournèrent vers la source du bruit, et au plus grand étonnement de tous, Shōta était parti. Pris de panique, Hizashi se pencha vers la famille Shirakumo et s'excusa avec insistance auprès d'eux, et s'en alla à son tour à pas de course à la poursuite de son meilleur ami. Mais dehors, la rue était déserte, et aucune trace du noiraud.
Cette petite visite ne pouvait pas plus mal se passer.
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« Crap... »
Il cliqua une nouvelle fois sur le bouton envoie de son téléphone et rangea son cellulaire dans sa banane. Son tour de quartier s'était rapidement transformé en chasse au trésor, durant lequel il avait farfouillé chaque bâtiment où Shōta aurait pu aller, allant de la librairie jusqu'au bar à chats. Bien sûr qu'il avait déjà demandé à ses parents s'il était à la maison, où à Makura si son fils était rentré, mais personne ne l'avait vu, et la mère Aizawa voulait attendre la fin de l'après-midi avant d'appeler la police.
Alors, lorsqu'Hizashi reçut l'appel téléphonique de la grande brune, il s'attendait certainement à beaucoup de choses mais pas d'apprendre que Shōta s'était réfugié chez son père, dans la capitale. Le blond râla, las que son cadet parte toujours ainsi sans prévenir où il allait, mais il était surtout en colère contre le père d'Oboro. C'était sûrement sa faute si le garçon à l'alter déstabilisant s'était enfui sans un mot, mais une part de lui ne pouvait s'empêcher de le comprendre. Il venait de perdre son fils, après tout, il ne faisait que chercher un coupable là où il n'y en avait pas, et c'était tombé sur Shōta, malheureusement. Il essaya une nouvelle fois de l'appeler sur son portable, mais comme depuis le début de l'après-midi, aucune réponse. Mais au moins il savait où il était...
Lorsqu'il rentra enfin chez lui, seule sa mère était présente, dans sa tenue de peintre joliment maculée de couleurs. Elle essuya son pinceau contre un bout de tissu tout en se détournant de sa toile. Hizashi était entré dans l'atelier pour prévenir sa présence.
« Alors, tu l'as retrouvé ?
- Son père a appelé Madame Aizawa pour prévenir qu'il l'a rejoint à Tokyo, et qu'il comptait y rester tout le weekend. »
Il se laissa mollement tomber dans un pouf et posa son regard trop vert sur le tableau, un paysage lui rappelant fortement la Camargue japonaise de la préfecture de Chiba, avec une végétation sèche et du sable collant. Chōko posa sa peinture or sur le bord de son chevalet et fit face à son fils. Elle avait une trace d'acrylique sur le front. Hizashi aurait dit que c'était la couleur vert olive, parce qu'il n'avait aucune idée du nom de la teinte.
« C'est bien que vous l'ayez retrouvé...
- Yeah... »
Il afficha une moue triste. Chōko posa sa main sur l'épaule de son garçon.
« Je comprends que tu souffres, Hiza...
- J'pense pas que tu saches ce que ça fait de perdre quelqu'un que tu aimes, tu as toujours tes parents et tu ne m'as jamais parlé d'avoir perdu une amie ! s'exclama-t-il, dépité et le cœur brisé. »
La grande blonde éloigna sa main, le regard sombre. Oh que si, elle savait ce que cela faisait de perdre quelqu'un qu'on aimait plus que tout... Elle ne voulut toutefois pas lui expliquer, lui raconter qu'elle avait déjà eu une enfant avant lui, une sœur qu'il ne connaîtra jamais. Il souffrait suffisamment comme ça.
« Tu as raison, je ne sais pas ce que ça fait de perdre quelqu'un, mentit-elle d'une voix douce. Mais toutes les personnes qui ont perdu un proche, eux, le savent. Ton père est devenu plus fort depuis qu'il a perdu sa mère – ta grand-mère – et maintenant, il comprend mieux la notion de l'amour et de profiter de quelqu'un qu'on aime. Toi aussi d'ailleurs depuis que ton perroquet Koko est parti... »
Il tremblait dans son assise au-fur-et-à-mesure que sa mère parlait. Les larmes brûlaient le coin de ses yeux lorsqu'elle évoqua son précieux animal de compagnie d'enfance.
« Perdre quelqu'un, c'est mettre fin à une belle histoire. Tu pourras toujours la relire au travers des souvenirs et des photos, comme un livre que tu as aimé de tout ton cœur. Beaucoup d'histoires se terminent tragiquement mais elles n'en restent pas moins magnifiques. »
Ses yeux couleur jade cherchèrent une lueur dans le regard de son fils, n'importe quoi qui pourrait lui faire savoir qu'il comprenait. Mais son visage restait crispé par la douleur et, quinaud, il se laissa tomber contre le corps de sa mère, sur la peinture sèche de son vêtement, pour la serrer dans ses bras aussi fort qu'il en avait besoin.
[...]
Dimanche fut la première fois depuis vendredi qu'il revit Shōta. Étant rentré de chez son père dans le courant de l'après-midi, il n'avait pas encore dit un seul mot depuis le début de la cérémonie. Hizashi, habillé en noir, comme tout le reste des invités, semblait agité, à la gauche de son camarade aux yeux cernés. Il n'avait jamais participé à un enterrement, et cette première fois lui faisait comprendre qu'il détestait ça, comme à la majorité du monde. Debout dans un jardin d'herbe grasse, aux premières lueurs du soir sous un ciel gris, les deux adolescents suivaient sans l'entendre un homme qu'il ne connaissait pas et qui parlait de leur ami comme s'il le connaissait depuis toujours. Nerveux, le blond jetait des coups d'œil tout autour de lui, vers les parents d'Oboro, la petite Seiun qui se tenait devant eux sans trop comprendre, une veste d'aviateur trop grande par-dessus sa robe sombre, des membres de la famille qu'il ne connaissait pas, Nemuri Kayama qui se tenait un peu plus loin, Sushi dans les bras, quelques camarades de classes et ceux de la classe C, et le professeur principal de cette dernière qui appréciait particulièrement cet élève lorsqu'il était encore sous sa responsabilité. Les parents d'Hizashi offraient leur soutient en étant présent, mais les Aizawa n'en avaient fait aucun cas. Après tout, en plus de mal connaître Oboro, ils ne désiraient aucunement participer à des funérailles. Mais Shōta n'en tenait pas rigueur. Il ne leur en voulait pas. En fait, il regrettait même être venu. C'était sa faute après tout.
Évidemment que Shiriusu Shirakumo avait raison.
Shōta avait été là. Il avait vu l'immeuble s'effondrer. Et il n'avait rien fait pour le sauver.
C'était ma faute. Tout était ma faute. L'entièreté de cette histoire était à cause de moi, de mon incapacité à réagir. Je n'ai pas su le sauver. Parce que j'avais trop réfléchi. Encore. Comme d'habitude.
Misérable. Nul. Stupide. Inutile. Il était un boulet. Il n'a bougé le petit doigt que lorsqu'il était trop tard.
Ma faute.
Tout était ma faute.
Oboro est mort par ma faute.
Car je n'ai pas pu le sauver.
Il releva légèrement le regard lorsqu'il sentit de l'agitation à sa gauche. Hizashi venait de quitter sa place pour parler, son petit bout de papier dans les mains. Il ne l'entendait pas à travers les milliers de kilomètres de coton qui lui obstruait l'ouïe. C'était comme si toutes les couleurs du monde s'étaient fanées, et tous les sons de l'univers remplacés par un acouphène monotone. Cependant, il sut que son ami avait terminé son discours car celui-ci avait retrouvé sa place initiale, et il lui donna un maigre coup de coude dans son bras valide pour l'inciter à bouger. Alors, sans donner l'ordre à ses jambes de le faire, il se dirigea devant la petite assemblée et sortit une feuille mal pliée de sa poche. Il la fixa sans arriver à se relire, et l'écrasa mollement dans son poing. Il releva la tête, et dit un mot. Un seul mot parmi les centaines et des milliers qui se bousculaient dans son esprit, le seul qu'il se jugeait capable de prononcer.
« Pardon. »
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