
Chapitre 11 : Le baiser
— Tu en es sûre ? me demanda Angus avec inquiétude.
— Croyez-vous vraiment que le président Snow leur aurait accordé le droit de retour au district six ? Évidemment que non et s'ils vous l'ont quand même fait croire, c'est qu'ils cachent quelque chose d'inimaginable, tentai-je d'expliquer.
— Leur assassinat, acheva Ewen le regard vide.
— Mais comment en être certains ? interrogea Fiana qui ne s'était jamais autant sentie coupable de quelque chose.
— Il suffit juste de connaître un minimum le président Snow, si après son élection il a tenu à maintenir les Hunger Games, cela prouve qu'il n'aurait aucune pitié à tuer quiconque lui pose des problèmes.
J'avais prononcé cette explication en regardant sa résidence à travers la grande vitre de notre salle à manger. Je me rappelle ce moment lorsque nous venions d'arriver au Capitole et qu'il m'observait avec mépris du haut de sa tour. Maintenant les rôles sont inversés, c'est moi qui le regarde dédaigneusement du sixième étage de notre immeuble. Chacun a envie de se venger de l'autre maintenant et je ne lui donnerais pas le plaisir de mourir la première.
— Tout est de ma faute, si je n'en avais jamais parlé au haut-juge rien de tout ça ne serait arrivé, sanglota notre hôtesse.
— Ce n'est pas votre faute Fiana, vous n'aviez aucune mauvaise intention, la rassurai-je.
Au fond de moi, je savais que je lui en voulais un peu. Il n'était pas nécessaire d'avertir Greenlock, nous aurions pu essayer de régler le problème tous ensemble et puis, nous avions Angus donc Ewen et moi n'étions pas délaissés. La dernière fois que j'ai parlé à Morciana, nous nous étions disputées et maintenant je regrette parce que je ne pourrais jamais réparer ça. Et Talipé... je voulais lui pardonner avant qu'il ne soit trop tard, mais pour moi ce trop tard se renvoyait à ma potentielle mort dans l'arène, pas à l'assassinat de mon mentor.
Je n'ai jamais vraiment aimé me disputer, on ne sait jamais ce qui peut arriver le lendemain. La vie est faite de leçons que l'humain est trop stupide pour apprendre, il n'apprend jamais vraiment, répétant encore et encore les mêmes erreurs jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard.
Je n'ai plus envie de réfléchir, je me prend une assiette d'oeufs mollés et trois cuillères à soupe de cubes de pomme de terre avec un pot de crumble pour le dessert et m'enferme dans ma chambre pour le restant de la journée. Je me surprends à pleurer aux alentours de minuit et finit par m'endormir les yeux rougis de larmes en me rappelant le sourire de Rozann, ses longs cheveux sur lesquels je m'exerçais à créer différentes coiffures, à nos parties de cache-cache avec Angie et Aubrie. Toutes ces choses que j'ai peur d'oublier un jour.
Angus et Fiana ont parlé toute la nuit, je pouvais entendre les murmures de leurs voix à travers les murs mais je n'ai pas réussi à ouïr ce qu'ils se disaient. Ils profiteront certainement de notre deuxième jour d'entraînement pour dormir, à moins qu'ils n'aient d'autres plans en tête.
Les premiers rayons du soleil passent à travers les rideaux pour venir me réchauffer le visage. À peine réveillée, je prends la douche froide que je n'ai pas eu le courage de prendre hier soir à cause du chagrin et de la culpabilité. Tout ça ne doit pas prendre le dessus aujourd'hui, c'est le dernier jour d'entraînement avant l'évaluation, avant la dernière ligne droite. Le simple fait de penser à Bloom et de savoir que je vais pouvoir lui reparler arrive à me faire changer d'humeur. Je ne lui parlerais pas de ce qui s'est passé hier soir, je n'ai pas envie de l'inquiéter.
En arrivant dans la salle à manger, je me dirige vers le buffet et me sert un verre de jus de clémentine et un porridge au lait d'amande pour être en forme. Ewen n'a pas l'air dans son assiette et cela peut se comprendre.
— Tu as prévu de te rendre à quels ateliers aujourd'hui ? je lui demande.
Aucune réponse.
— Je sais que c'est dur, mais ce n'est pas le moment de baisser les bras Ewen.
— Eh bien désolé mais j'ai besoin d'un peu plus de temps que ça pour m'en remettre, tu vois, me répondit-il avec agacement.
— Peut-être que je me suis trompée, je ne l'ai pas vu de mes propres yeux après tout.
— Bien sûr que tu as raison, c'est une évidence maintenant, déclara t-il désemparé.
— Ne ruine pas tes efforts d'hier pour rien Ewen, c'est tout ce que je te demande.
— Oh t'inquiète pas je vais continuer à m'entraîner, je veux juste trouver un moyen de faire passer un message à Snow.
Après cette parole inquiétante, il se leva de table et retourna dans sa chambre, certainement pour s'habiller. J'ai déjà revêtue ma tenue, après avoir fini mon petit-déjeuner il ne me restera plus qu'à attendre qu'il soit dix heures.
Nous sommes plus en avance qu'hier, lorsque nous arrivons seuls deux districts sont déjà présents dont celui de Bloom qui on dirait a marqué son territoire sur l'atelier de tir à l'arc.
— Salut Bloom, quoi de neuf ? commençai-je pour engager la conversation.
— Tu veux dire à part que j'ai rêvé de toi cette nuit ? Eh bien, rien de spécial.
— T'as rêvé de moi ? C'est vrai ? la questionnai-je les joues rougissantes.
— Oui ! Et même que c'était l'un des meilleurs rêves que j'ai fais si ce n'est le meilleur. Si tu veux je te le raconterais pendant le repas, t'es toujours d'accord pour qu'on mange ensemble ? me demanda t-elle comme si la réponse n'était pas déjà évidente à mes yeux.
— Évidemment ! Qui suis-je pour refuser un repas avec toi ?
— Chouette ! Tu devrais te rendre à un atelier avant que tout le monde ne soit arrivé.
— Tu as raison, à tout à l'heure alors !
— Si tu veux on pourra faire les ateliers ensemble cet après-midi ? me proposa t-elle.
— Tu sais que c'est la meilleure idée que t'ai eu jusqu'ici ? la taquinai-je.
— Tais-toi et va faire du lancer de couteaux ! me lança t-elle en éclatant de rire.
Je suis son idée et me rend à l'atelier que les carrières chérissent tant avant qu'ils ne débarquent. Je m'en sors plutôt bien et applique une des techniques apprise la veille pour le lancer de hache. Au bout de quelques minutes et alors que j'étais enfin à l'aise avec cette nouvelle arme, j'entends des moqueries et des raclements de gorge provenant de derrière moi.
— Je ne sais pas si t'as remarqué six mais t'es sur notre atelier là.
— Tu ferais mieux de dégager avant que j'en fasse une affaire personnelle Tone !
Je reconnais les douces voix de Triffel et Sparkle, les tributs du district deux.
— Les ateliers sont à tout le monde, vous ne vous remettez toujours pas que mon district est éclipsé le vôtre pendant la cérémonie d'ouverture ? leur répondis-je avec une pointe de provocation.
— Le plus important n'est pas d'avoir le plus beau haillon Tone, mais d'essayer de ne pas se faire trancher la gorge dans l'arène, enchaîna Triffel en s'avançant vers moi ce qui m'oblige à relever la tête.
— Tu ferais mieux de bouger avant de te blesser, les couteaux ne sont pas des jouets, ordonna Sparkle avec mépris en m'examinant de haut en bas.
— Vous avez raison, rester avec des perdants ça craint, répliquai-je en lançant un dernier couteau qui atterrit pile au milieu de la cible apposée sur le mannequin situé en face de moi.
Je décide de me diriger vers l'atelier de Juniper, je suis trop énervée pour prendre le risque d'avoir une arme entre les mains.
— Tu leur as bien clouer le bec, me fit remarquer Ewen qui avait tout vu de la scène comme la plupart des autres tributs.
— Il faut bien quelqu'un pour les remettre à leur place et Angus nous a demandé de nous imposer. C'est ce que j'ai fais.
Je n'ai pas peur de défier les carrières, mais je perds toujours mes moyens devant Bloom et préfère m'en remettre à l'humour. Ma logique est plus effrayée par l'amour que par la mort.
Je prends place à l'atelier de survie et Juniper tente de me sortir de ma colère en me taquinant.
— Je vois que tu as choisi le mode ronchon ce matin, tu as bien dormi au moins ?
— Je ne suis pas ronchon, je suis énervée.
— N'empêche que tu les as bien remis à leur place ces prétentieux, tu aurais dû voir leur tête quand tu as lancé le couteau, c'était magique.
— Vraiment, vous trouvez ? lui demandai-je étonnée.
— Bien sûr mais comme je suis instructrice je ne peux que les détester en silence.
— L'avantage c'est que vous ne risquez pas de les voir à votre atelier, fis-je remarquer.
— Ils n'ont aucune stratégie, ils préfèrent lancer des couteaux à longueur de journée alors qu'ils ont déjà fait leurs preuves dans ce domaine.
Les leçons qu'elle m'enseigne aujourd'hui consistent à reconnaître une plante ressemblant à l'aloès des Barbades qui est capable de ralentir l'infection d'une blessure et à m'apprendre à m'extraire du sable mouvant.
— Je ne suis pas censée t'apprendre cette technique car elle révèle une information importante sur l'arène élaborée cette année, alors promets-moi de n'en parler à personne.
Une fois ma promesse faite, elle m'explique que pour me sortir de cette situation, il faut dans un premier temps ne surtout pas paniquer pour ne pas aggraver sa position.
Comme le sable mouvant est un matériau thixotropique¹, il me suffira de mélanger l'eau et le sable en faisant des petits mouvements avec la jambe et de m'appuyer sur mon genou libéré pour déporter le poids de mon corps. Pour terminer, il me suffira de réaliser le même schéma avec mon autre jambe. J'ai intérêt à m'en souvenir car les sables mouvants des Hunger Games sont capables d'engloutir une personne entière en moins de trois minutes, ce qui n'est que peu rassurant.
— J'espère pouvoir te revoir l'an prochain Eucclésia, balbutia mon instructrice avec peine.
— Je vous promets d'essayer de gagner Juniper, j'ai encore plus de chance d'y arriver grâce à vos précieux conseils.
En fait, je ne savais pas vraiment si j'avais envie de gagner ou de faire en sorte que Bloom ou Ewen gagne. Imaginez-vous vous retrouvez dans une arène avec vingt-trois autres tributs et où la mort est inévitable pour tous sauf pour celui ou celle qui sera couronné vainqueur. Vous pourriez essayer de tout faire pour être cette personne, sauf que dans cette arène il y a aussi deux des personnes que vous aimez le plus au monde. Je ne connais pas pire dilemme.
— Nos chemins se recroiseront j'en suis sûre, continuais-je en lui serrant la main comme pour lui donner du courage.
Juniper est une belle personne, peut-être ma favorite du Capitole et je n'ai pas envie de lui paraître pessimiste alors je préfère lui promettre une chose que l'avenir a déjà décidé plutôt que lui dire le fond de ma pensée.
Le temps est encore passé à une allure effarante et Bloom et moi nous installons à la table que nous occupions hier pour savourer notre assiette de blé aux cèpes.
— Je crois que j'ai jamais mangé de blé aussi tendre, mon palais en est ravi ! s'extasia t-elle.
— Effectivement, c'est mieux pour une princesse d'avoir un palais.
Je suis un peu gênée d'avoir fait cette remarque, mais j'espère que Bloom sera touchée que je la vois de cette manière.
— Ne soyez pas vexée, mais je préférerais être votre chevaleresse ma lady, plaisanta t-elle.
Je failli faire l'erreur de lui dire que j'aurais bien besoin de quelqu'un pour me protéger de Snow, puis me rappela qu'elle ne savait rien de cette histoire.
Elle finit par entreprendre de me raconter le rêve dans lequel je suis apparue à ses côtés.
«Je t'ai vu, seule et perdue au milieu de la foule. Tu portais une robe couleur de la nuit étoilée avec une traîne scintillante de milliers de diamants. Tu étais belle et je t'ai invité à danser. La musique résonne encore dans ma tête, le genre de musique qui te fait voyager et qui te donne l'impression d'être sur un nuage. Nos pas suivaient le rythme et j'avais le sentiment d'être née pour ça. Le monde s'était arrêté autour de nous, la notion de temps n'existait plus. La lune était pleine cette nuit et un rayon est descendu du ciel pour nous éclairer. Les seuls spectateurs de notre danse nocturne étaient ces centaines de petites lucioles qui tournoyaient autour de nous. C'était beau et j'avais l'impression d'être en sécurité avec toi. Tu m'as souris et nous nous sommes envolées avant de nous transformer en colombes aussi blanches que la pureté de cet instant.»
Voilà ce qu'elle m'a dit. Pour moi, ça sonnait comme une déclaration d'amour et puis, j'ai repensé à ce regard qui m'avait tant marqué avant que les chariots ne s'élancent sur le Grand Cirque. Je le comprends enfin maintenant.
Mais une violente bagarre entre deux tributs éclata et le moment qui n'appartenait qu'à nous, nous fut volé. Je me leva de table et mon regard fut attiré par les déferlements de haine, mais Bloom m'attrapa le bras et m'entraîna dans la salle d'entraînement qui était alors complètement vide. Elle eut un léger rire et plaqua mon corps contre le sien avant de faire ce dont j'avais tant rêvé. Elle posa ses lèvres sucrées sur les miennes en prenant mon visage entre ses mains si douces.
La petite-fille en moi est folle de ce premier baiser.
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1. Thixotropie = propriété physique que l'on retrouve dans certains mélanges fluides renfermant des inclusions solides et qui ont la particularité de voir leurs propriétés d'écoulement varier avec le temps.
❝Power over me, Dermot Kennedy❞
"Ma logique est plus effrayée
par l'amour que par la mort."
Alors, cette fin de chapitre vous a-t-elle satisfaits ? Moi, je crois bien que oui 😏
Si oui, alors vous n'êtes pas prêts pour le chapitre 12 éhé
Ah et d'ailleurs, première confrontation d'Eucclésia avec les carrières 🤔
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