Il est bientôt neuf heures lorsque je me réveille. Cette nuit, Ewen n'est pas retourné dans sa chambre, je lui ai demandé de rester dormir dans la mienne. Je lui secoue doucement l'épaule pour le réveiller et l'avertir de l'heure, nous avons rendez-vous devant l'ascenseur pour dix heures. C'est Fiana qui se chargera de nous déposer aux salles d'entraînement. Nous avons déjà des tenues toutes prêtes composées d'une sorte de pantalon noir léger et d'un tee-shirt anti-transpiration assorti.

J'ai du mal à avaler quelque chose à cause de ma boule au ventre. Mon stress s'évacuera facilement une fois que je serais habituée aux entraînements, après avoir passé la première matinée. En fait, je n'arrive pas à déterminer la cause exacte de mon angoisse. Est-ce que j'ai peur de me ridiculiser à cause de mon manque d'aptitude avec les armes ? Peur de ne pas y arriver ? Ou bien, terrifiée à l'idée de me retrouver dans la même salle que les autres tributs et qu'ils me jugent ? Ou peut-être que je redoute le fait que Bloom me rejette. Et si elle aimait uniquement les garçons ? Et si elle ne m'aimait pas ? Je crois que mon crâne va exploser.

－ Ne vous mettez surtout pas la pression, conseilla Angus.

« Trop tard », pensai-je. C'est déjà fait.

Ewen lui posa encore tout un tas de questions, comme par exemple si l'on devait se concentrer uniquement sur une seule arme pour savoir la manier à la perfection. Angus nous informa qu'il était préférable que nous jouions sur plusieurs tableaux car les risques que nous n'arrivions pas à mettre la main sur notre arme de prédilection étaient très élevés.

－ Bon et bien voilà, c'est l'heure d'y aller cette fois ! Détends-toi Eucclésia, tu verras je suis sûr que tu va adorer. J'étais comme toi avant tu sais, me rassura Angus avec une tape sur l'épaule.

Il a raison, c'est stupide de stresser pour ça. Ce n'est pas comme si c'était l'épreuve la plus dure à passer. Quand je serais sur mon socle en face de la corne d'abondance, là j'aurais toutes les raisons de m'inquiéter. Mais pas maintenant, les entraînements sont trop importants.

Ewen et moi rejoignont Fiana dans l'ascenseur à dix heures pile et elle tente de nous rassurer à sa manière en appuyant sur le bouton qui fait descendre le monte-charge.

－ Ne vous inquiétez pas, même si vous n'y arrivez pas, vous aurez au moins essayé et ça c'est le principal !

－ Fiana il ne suffit pas d'essayer, il s'agit d'y arriver. Et si nous n'y arrivons pas, nous pouvons signer notre arrêt de mort, lui répondis-je d'un air grave. Ce n'est pas la chance qui nous fera gagner.

－ Je t'ai déjà dit que tu étais pessimiste ? nargua t-elle après un temps de réflexion.

－ Oui Fiana, vous me l'avez déjà dit, soupirai-je.

En arrivant au sous-sol, nous découvrons un vaste gymnase où se concentrent un grand nombre d'ateliers enseignants des techniques de combat ou encore la survie. Les tributs du district trois sont arrivés en même temps que nous, en dernier. Tous les autres sont rassemblés autour d'une femme que je soupçonne d'être notre entraîneuse en chef. Nous les rejoignons après qu'on nous ai épinglé le numéro six dans le dos. La femme nous explique qu'une totale liberté sur le choix des ateliers nous ai donnée et que certains d'entre eux sont dirigés par des experts.

Pendant qu'elle nous montre du doigt les divers ateliers en nous expliquant leurs spécialités, je remarque des hommes du Capitole assis derrière une grande vitre en hauteur. Je reconnais celui qui se situe au centre, il s'agit du haut-juge Weiss Greenlock. Ses cheveux sombres, ses joues creusées et son teint blafard le font paraître encore plus froid que quand je le voyais à la télévision.

Au moment où j'allais détourner le regard, j'aperçois Fiana. Elle est de l'autre côté de la vitre elle aussi et elle entre en discussion avec Greenlock. Cela ne dure que quelques secondes, mais le haut-juge semble d'abord troublé puis inébranlable comme s'il venait de prendre une décision importante. Mais quelle décision ?

Je sors de mes pensées et me rend compte qu'Ewen a déjà choisi son premier atelier. Et les carrières aussi, la majorité d'entre eux ont déjà transpercé des pauvres mannequins de dizaines de couteaux. Je me surprends à paniquer et me ressaisis aussitôt. Alors que je m'apprêtais à me diriger vers un atelier, une voix féminine m'interpelle. Une voix que j'ai très peu entendue, mais que je pourrais reconnaître entre mille. Parce que c'est celle de Bloom.

－ Hey ! On se connaît pas mais ça te dirait d'aller faire du lancer de couteaux avec moi ?

Elle éclate de rire en voyant la perplexité sur mon visage. Un rire mélodieux. Cette phrase je l'ai prononcé hier, se pourrait-il qu'elle fasse usage des mêmes techniques de drague nulles que moi ? Elle tente de me donner une explication.

－ C'est Ewen qui m'a dit de te dire ça, j'ai trouvé ça drôle.

Si c'est vrai alors il en a entendu plus qu'il n'aurait dû, mais je le remercie d'avoir dit ça à Bloom. Je n'aurais sûrement pas eu le courage de l'aborder moi-même. Et oui, c'était drôle parce que je ne m'y attendais absolument pas.

－ Je dois avouer que ça m'a surprise oui !

－ Tu t'appelles Eucclésia, c'est ça ? C'est un très joli prénom !

－ Le tien n'est pas mal non plus dans son genre, Bloom... ça rime avec loukoum.

Mais pourquoi j'ai dis ça ? Je suis idiote ou quoi ? Elle va me trouver ridicule.

－ Et Eucclésia, ça rime avec razzia mais c'est pas forcément le bon exemple, plaisanta t-elle.

－ Non en effet.

J'ai dis cette phrase en riant et elle a plongé ses yeux dans les miens, mais ce n'était pas un simple regard d'amitié comme avec Ewen. C'était bien plus que ça.

－ Je propose qu'on se retrouve ce midi pour manger ensemble, ça te dit ?

－ Comment puis-je refuser une si noble requête ? répondis-je en imitant un roi d'un ancien temps ce qui eu pour effet de la faire rire à nouveau.

－ Super ! Ce sera mieux ainsi, je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression que si on se suit aux ateliers, on risque de plus parler qu'autre chose !

－ Je suis de ton avis et deux jours c'est court malheureusement... affirmai-je.

－ Trop court pour qu'on perde plus de temps, je te laisse mon atelier s'est libéré mais j'ai vraiment hâte de manger avec toi ! déclara t-elle en s'éloignant.

Je suis obligée de me retenir de sautiller comme une petite fille et j'ai des étoiles dans les yeux. J'ai du mal à réaliser ce qui vient de se passer, non seulement j'ai parlé avec la fille de mes rêves qui est tout simplement géniale mais en plus elle m'a invitée à prendre le repas avec elle. Je ne pourrais pas être plus heureuse que ça. Je le suis tellement qu'en ne prêtant pas assez attention, je bouscule Pea, la fille du onze.

－ Tu peux pas regarder devant toi ? vociféra t-elle.

－ Je suis vraiment confuse excuse-moi, je ne l'ai pas fait exprès, répondis-je encore bouleversée.

－ T'as eu de la chance que ce soit moi et pas un de ces carrières, t'aurais fini en bouillie ma pauvre.

Elle divergea après cette dernière remarque incendiaire. J'essaye de me changer les esprits en me dirigeant en premier lieu vers l'atelier de tir à l'arc, mais les résultats au bout de quarante-cinq minutes sont peu satisfaisants. Une seule flèche sur dix atterrit au centre de la cible et la moitié terminent à côté. Le professionnel qui m'a apprit quelques techniques essaie de se montrer gentil, mais je remarque bien qu'il me voit comme une incapable. Je ne baisse pas les bras pour autant, mais préfère cette fois un atelier de survie où je n'ai encore vu personne aller à part Pea après que je l'ai bousculée.

En arrivant, l'instructrice qui semble heureuse de recevoir un nouveau tribut m'offre un accueil chaleureux.

－ Ah enfin quelqu'un ! Je t'en prie approche jeune fille, dis-moi quel est ton nom ?

－ Eucclésia Tone, Madame.

－ Oh non pas de ça entre nous, appelle-moi Juniper ! De quel district viens-tu toi ?

Je me retourne de sorte à ce qu'elle puisse voir le numéro six accroché dans mon dos.

－ District six alors ? Le fameux district du transport, hein ? Je l'aime bien celui-ci, répondit-elle de façon rhétorique avec satisfaction.

－ C'est tout à fait ça ! Alors qu'est-ce que vous allez m'apprendre ?

－ Tout doux ma jolie, ne me mets pas la pression, je vais t'apprendre tout ce qu'il y a de plus important à savoir.

Juniper est particulièrement jeune, à la voir je dirais qu'elle ne dépasse pas les vingt-cinq ans. Elle est brune et ses yeux sont d'un marron magnifique, son visage est aussi rond que celui d'un nouveau-né.

Elle m'apprend d'abord que l'arène est créée de toutes pièces par les juges et qu'ils en ont le contrôle absolu. Une partie des animaux sont des mutations génétiques et la plupart des plantes ont été conçues en laboratoire.

Elle me met notamment en garde contre l'une d'entre elles, la lentumortis¹, qui paraît comestible et plutôt goûteuse mais qui peut tuer en quelques heures en s'attaquant au système immunitaire. Lors de ses dernières minutes d'agonie, la victime est prise de convulsions et sa gorge est en proie à des apparitions de pustules qui finissent par lui couper la respiration. Cette plante dont je dois particulièrement me méfier ressemble à toutes celles composées de feuilles verticillées² à la différence que celles-ci sont recouvertes d'une substance que l'on pourrait confondre avec du sucre. Elle m'avertit également de ne pas mélanger les fruits comestibles avec le sureau mortel qui porte très bien son nom puisqu'il tue instantanément.

Je suis tellement fascinée par toutes ses connaissances et ces informations capitales que je n'ai pas vu le temps passé, c'est déjà l'heure de manger. Juniper me demande de repasser demain plutôt que cet après-midi pour ne pas avoir à retenir trop d'informations le même jour. En oublier juste une seule pourrait me coûter la vie.

－ Tiens c'est bizarre Monsieur Greenlock s'est absenté. Depuis qu'il a été nommé haut-juge il n'a jamais quitté une seule séance d'entraînement en cours, fit remarquer mon instructrice.

－ Il est parti manger, non ? je demande.

－ Non le repas est servi sur place, regarde il ne manque que lui, tous les autres juges sont présents.

Est-ce que son absence a un rapport avec sa discussion avec Fiana ? Peu importe, ce ne sont pas mes affaires.

Je salue Juniper de la main et me dirige vers la salle où le repas est servi. Je cherche Bloom du regard lorsque Ewen me fait face l'air essoufflé.

－ J'ai... fais la course... avec Cawet... et je crois... que j'ai jamais... couru aussi vite... de ma vie !

－ Cawet ?

－ Le garçon... du neuf, il m'a proposé... de manger avec lui... donc si jamais... tu veux... nous rejoindre, répondit-il transpirant de sueur.

－ Bloom m'a proposé de manger avec elle.

－ Ah... chouette... on se rejoint tout à l'heure... alors.

－ Oublie pas de respirer ! lui conseillai-je tandis qu'il s'éloigne.

En parlant de Bloom, je l'entends qui m'appelle, elle vient de quitter l'atelier de tir à l'arc où je n'avais pas vraiment excellé et elle semble plus que joyeuse.

－ Je suis super douée au tir à l'arc, tu aurais dû voir ça ! Tu devrais te méfier, il se pourrait bien que je gagne les Hunger Games cette année, me taquina t-elle.

－ Et moi, je suis presque certaine d'avoir plus de connaissance que toi en matière de faune et de flore !

－ Oh, mais je vois que j'ai affaire à une redoutable concurrente.

－ Je propose qu'on continue à se parler tout en allant se servir, je meurs de faim !

－ Comme Madame le souhaitera, déclara t-elle en tendant les bras pour m'inciter à ouvrir la marche.

La nourriture repose sur des chariots où des assiettes sont mises à notre disposition. Je me sers une portion d'une épaisse purée de carottes et une tranche de filet d'agneau encore fumante avant que nous nous installions à une table inoccupée.

－ Tiens goûte, c'est le pain de mon district ! me dit-elle en me tendant un pain aux céréales de notre corbeille.

－ Je ne sais pas si c'est parce qu'il a été préparé au Capitole, mais il est plutôt bon, plaisantai-je.

－ Arrête de parler et donne moi celui du six, je suis sûre qu'il sera moins goûteux !

Je fouille parmi les différentes sortes de pains et finis par trouver mon bonheur, celui de mon district est rond et doré au beurre. Bloom a l'air de plutôt l'apprécier même si elle essaye de le cacher.

Jusqu'à la fin du repas, nous discutons essentiellement des autres tributs et de la cérémonie d'ouverture. Elle n'arrête pas de faire les éloges de la tenue que j'y portais et m'envie Lyrio, mais je lui avoue que j'ai eu un gros coup de coeur pour sa robe. Sûrement parce que c'est elle qui la portait d'ailleurs, mais ça je ne lui ai pas dit. Quand je pense que je l'ai vu pour la première fois à l'écran dans le train et que maintenant nous sommes devenues très proches, la moi du passé serait sûrement fière. Je suis plus sereine désormais, Bloom a ce don de réussir à mettre les gens à l'aise. Lorsqu'on se parle, j'ai l'impression qu'il n'y a plus que nous, que le monde entier s'est tu pour nous écouter. C'est une agréable sensation.

Le temps est venu de nous séparer à nouveau, Bloom me souhaite bonne chance. Je lui ai conseillé de passer à l'atelier de Juniper et je la vois s'y rendre.

Le tir à l'arc ne m'ayant pas réussi, je décide de tenter le lancer de hache. L'expert nous enseigne aux tributs du district sept et à moi la technique du lancer à une main. Nous devons dans un premier temps tenir la hache bien fermement et aligner le dessous de notre main avec le bout du manche. Nous nous mettons en position avec la jambe opposée au bras de lancer placée devant et légèrement fléchie, puis nous montons notre main derrière la tête et faisons en sorte que notre avant-bras forme un angle de 90° avec la hache. Pour la dernière étape, il faut relâcher la hache lorsque notre bras est à l'horizontale et garder notre poignet verrouillé. À ce moment-là, notre corps s'engage vers la cible et nos épaules et nos hanches doivent rester parallèles au sol.

J'applique la technique apprise avec succès et au bout de dix minutes, je ne fais plus que des lancers dans le mille. L'instructeur me prend à part et m'apprend d'autres techniques que je m'empresse de mettre en pratique. J'ai trouvé mon arme de prédilection, même si je sais que je devrais en tester d'autres pour avoir plus de chance de me retrouver avec l'une d'elles dans l'arène.

L'après-midi passe rapidement et il est déjà l'heure de rentrer à notre étage. Je salue Bloom rapidement avant de remonter dans l'ascenseur avec Fiana et Ewen. En arrivant en haut, Angus nous prend à part tous les deux :

－ On m'a informé il y a à peine trente minutes que Talipé et Morciana ont eu l'autorisation de rentrer au district six.

－ Comment ça ? Ils sont déjà partis ? demanda Ewen avec incompréhension.

－ Quelqu'un est venu les chercher à treize heures trente et je ne les ai pas revus depuis, mais oui la personne m'a informé qu'ils étaient déjà en route.

－ Qui vous a dit ça ? demandai-je perplexe.

－ Le haut-juge Weiss Greenlock, pourquoi ?

Weiss Greenlock... J'ai un mauvais pressentiment en sachant que Fiana lui a parlé ce matin même. Il faut que je lui demande le sujet de leur conversation pour en avoir le coeur net.

－ Fiana, de quoi avez-vous parlé avec Monsieur Greenlock ce matin ?

－ Tu devrais apprendre à ne pas te mêler de ce qui ne te regarde pas, jeune fille, me rappela t-elle à l'ordre.

－ Je vous en prie Fiana, c'est très important, la suppliai-je.

－ Je lui ai simplement dit que nous avions un problème avec Morciana et Talipé et que nous avions besoin de quelqu'un pour leur rappeler le rôle d'un mentor, je ne vois pas ce qu'il y a de mal à ça.

－ Et à qui est-ce qu'il en a parlé ?

－ Au président Snow évidemment, qui d'autre ? me répondit-elle innocemment.

Et là, je compris ce qui s'était réellement passé et j'eus l'impression que mon coeur s'était arrêté de battre. Angus... Morciana et Talipé ne sont pas rentrés au district six comme on vous l'a fait croire, mais ils ont été assassinés sous la demande de Snow.

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1. lentumortis = lentum mortis qui peut se traduire par mort lente (je suis particulièrement fière d'avoir trouvé ce nom).

2. feuilles verticillées = les organes d'une plante sont dits en verticille ou verticillés, lorsqu'ils sont insérés au même niveau, par groupe de trois unités au minimum, en cercle autour d'un axe.

❝Addicted to you, Avicii❞

"Bloom... ça rime avec loukoum"

Quels sont vos sentiments à l'égard du possible assassinat de Morciana et Talipé ?

Comment avez-vous trouvé la première rencontre entre Eucclésia et Bloom ?

Et cette première journée d'entraînement ?