Chapitre 8
Le réveil a été difficile et le bus une horreur. La matinée ne s'est pas mieux passé. Sébastian ne veut même pas chercher un potentiel commentaire à faire sur le fait d'être présent dans le self. La salle de restauration grouille de monde, tous les regards sont braqués sur lui. Cela ressemble à un lundi merdique. Sébastian a une sainte horreur de ça: les regards en coin et les murmures sur son passage. Tout ce bruit parce qu'il est un Mendoza. Habituellement il prend un plateau après l'heure de pointe, et se terre dans le fond de la salle, dos à l'assistance, engloutit son repas, musique à fond dans les oreilles, vide son plateau machinalement et quitte les lieux pour le calme évident de la bibliothèque. On ne peut pas changer les habitudes qui font le caractère de chacun. Et c'est bien ce qui fait Sébastian, qui le pousse à vouloir partir loin, très loin d'ici, en emportant au passage Eden de préférence. Quoi que peut-être pas, après tout c'est lui qui l'a mis dans cette situation.
Il devrait sans doute préciser qu'il passe un mauvais moment, non?
A la sortie de leur dernière heure de cours de la matinée, Eden l'a attrapé par le bras, sans rien lui dire, et l'a traîné de force. Et d'ailleurs quelle force ! Il a tenté de se dégager, sans violence, et s'est pris un regard noir à vous donner la mort sur place. Il l'a donc suivi docilement. Et en moins de temps qu'il en faut pour le dire, il s'est retrouvé assis à une table, avec un plateau devant lui, Eden à sa droite, et Rosa à sa gauche. En face de lui se trouve Elliot, fin il lui semble mais il n'est pas sûr, il n'a pas vraiment pris le temps d'enregistrer les noms des personnes de sa classe. Ce dernier à l'air près à l'évisserer. Il se croirait prisonnier de guerre. Ou plutôt à son procès. Tout le monde présent autour de la table le dévisage au moins une fois toutes les cinq minutes. Mince ! Il savait qu'il devait manger avec le blond, mais Eden n'était pas obligé de rameuter une bonne partie des têtes populaires avec lui. Il est tellement mal à l'aise qu'il ne cherche pas à savoir ou est l'autre partie.
Et si de prim abord sa place semble le protéger, c'est tout le contraire. Eden l'a jeté dans la cage aux lions et Rosalie l'ignore royalement. Il est même probable qu'elle se soit assise à ses côtés car c'était la seule place de libre lorsqu'elle est arrivée. Ce n'est pas le pire dans l'histoire. Les deux nouveaux amis discutent sans se soucier de ce qui est, rappelez-vous, entre eux. Mendoza fulmine, il va certainement commettre une bêtise, le mieux serait donc qu'il parte vite de là. Il ne veut pas blesser Eden. Pas physiquement, car il ne le fera jamais, mais dire quelque chose de méchant un de ses amis présent autour de cette table, ou déclencher une bagarre avec le premier qui lui lance un regard ... Ça peut vite arrivé et indépendamment de sa volonté. Aller, il peut prendre sur lui dix minutes de plus, juste dix minutes de plus.
Il se lève pourtant tout à coup, coupant le brouhaha ambiant de leur table. Les paires d'œil présentes à table se posent sur lui. D'autres regards par delà la salle se tournent vers eux. Voilà ce qu'il voulait éviter, attirer encore plus l'attention sur lui. Eden le regarde légèrement inquiet, lui demande si ça va.Il pose sa main sur la sienne essayant de le retenir, malgré la douceur de ce geste Sébastian le repousse. Il regrette vite son geste à la mine d'incompréhension qui pointe sur le visage du blond. Leur interaction n'a duré que quelque seconde, pourtant il est sûr que tout le monde a cette foutue table à capter que quelque chose n'aller pas. Vite une solution ! Sinon il va devoir s'expliquer avec la plupart des gars des équipes sportives du lycée ici présent, non pas qu'il ne sait pas se servir de ses points mais il n'est pas masochiste pour autant. Il souffle un "toilette" marmonné plutôt que parler. Et sort ou plutôt s'enfuit précipitamment, vraiment un lundi de merde.
Il continua d'avancer sans regarder devant lui, cherchant à rejoindre les toilettes du lycée les plus éloignées du réfectoire. Fuyant sans regarder en arrière. Il ne capte pas les pas effrénés derrière lui d'une petite tête blonde, sur ses un mètre soixante-dix-huit qui cherche à le rattraper. Il n'a pas le temps de s'enfermer dans une cabine, il y est poussé.
– Qu'est ce que tu fous ?! s'exclame-t-il.
Eden, avant de lui répondre, le plaque sur le mur, les mains sur ses bras, le regard inquiet.
– Toi qu'est-ce que tu fous ?
Sébastian tente de se défaire aussi délicatement qu'il peut en être capable de la prise qui se resserre sur lui, mais son stratagème n'a pas l'effet escompté, la prise des mains de Eden se fait plus insistante. Il essaye de capter son regard, et quand ils se croisent se qui voit Sébastian le laisse pantois.
– Ça va pas ? Pourquoi t'es parti ? J'ai fais un truc qui ne fallait pas ? Ou quelqu'un a fait un truc qui ne fallait pas ?
Le blond l'accapare de questions sans lui laisser une seule chance de répondre. Le brun regarde l'angoisse monter sur les traits de l'adolescent devant lui. Il essaie de lui parler, en l'appelant, en pressant entre ses mains les avant-bras qui sont toujours enfoncés dans ses épaules. Mais rien n'y fait. Eden reste tenace... En fait, pas sûr qu'il entende ce qui se passe autour de lui.
L'angoisse a commencé quand ils se sont assis à table il y a plus demi-heure maintenant. Sébastian avait plus ou moins accepté de manger avec eux, la veille il avait accepté de manger avec lui, et lui mange avec ses amis. Ca lui paraissait normal d'avoir son ... quelque chose avec lui à table, avec les gens avec qui il est proche. Et il savait déjà que le brun serait le centre de l'attention, comme lui l'a été une semaine plutôt. Il s'en était d'ailleurs sorti grâce à la petite - grande - bande qui est avec eux aujourd'hui. Mais il ne voulait pas que les regards des autres se concentrent sur eux. Sur lui et son voisin de gauche. Sur lui et l'homme qui lui plait. Sur le couple qu'ils forment. Sur Eden et Sébastian.
Eden avait donc préféré ne pas lui adresser la parole, histoire de ne pas alimenter les bavardages des autres, s'entretenant avec ses ami.e.s. Ça n'avait pas calmé les battements frénétiques de son cœur qu'il avait de prime abord mis sur le compte de l'excitation. Son ... quelque chose mangeait avec lui pour la première fois. Devant témoin. En sachant parfaitement que les gens autour d'eux étaient au courant de leur relation, ou du moins la supposait. Mais le silence de l'hispanique et le fait qu'il n'ait pratiquement pas touché à son plateau, ainsi que le langage corporel complètement fermé qu'il montrait lui ont fait comprendre que Sébastian était mal à l'aise ici. Quand il l'a vu se lever, il comprit qu'il avait fait une erreur monumentale. Laquelle ? Il n'en avait aucune idée, mais il voulait la réparer. Alors il lui a couru après sans être sûr de la démarche à suivre.
Mais il ne contrôle absolument pas la crise de panique qui le prend. Respirer, c'est le premier réflexe de l'homme. Alors pourquoi l'air ne rentre pas dans ses poumons? Inspirer et expirer pour respirer. Mais rien à faire. Se calmer. Bon sang il y a encore une minute il balançait ses interrogations à la figure de Sébastian. Pourquoi il se retrouve assis sur le couvercle abaissé des toilettes avec le dit Sébastian accroupi devant lui?
Oh non, il venait de gâcher leur première apparition publique, plus jamais le brun ne voudrait qu'ils soient ensemble. Ils allaient rompre, leur relation n'aura duré que deux jours. Il ne voulait pas. Il voulut le dire mais les mots restèrent coincés. Mais respire bon sang ! Les larmes dévalant sur ses joues, il ne capte que maintenant qu'elles étaient responsables de sa vision troublée, et non le fait de ne plus avoir d'air dans les bronches.
Cependant il faut qu'il se calme, sinon il risque de tomber dans les pommes. Mais Sébastian a beau s'égosiller, Eden devant lui est dans un autre monde que le sien. Il faut le ramener sur Terre, pour leur bien à tous les deux. Effectivement si Eden ne reprend pas contenance dans les minutes, les secondes qui suivent, l'échec pourrait bien déclencher une crise de panique chez le brun également.
– Eden, écoute moi !
Sébastian avait assisté à la chute et ne savait pas comment le faire revenir. Il y a bien longtemps qu'il n'a pas gérer une crise de ce genre. Il lui semble même qu'il n'en a jamais fait d'aussi intense. Pas au point d'occulter tout ce qui l'entoure. La solution avait été la plupart du temps un de ses cousins, Lucio, qui le calmait. Mais comment s'y prenait- il déjà ? Il lui semble qu'il le prenait dans ses bras et qu'il se réveillait dans son lui et avait le droit à des cookies.
Alors il prit comme il put Eden entre ses bras, calant la tête au anglaise dans son coup. Lui embrassant le front et lui murmurant des mots doux. Et ça avait l'air de marcher. Doucement il vit le fils Campbell reprendre son souffle, les larmes se faire moins pressées. Il reprit même assez de volonté et de mouvement pour bouger et passer ses bras autour des épaules qui le soutenaient. Des pleurs, il ne reste que des hoquets distancés. Les tremblements sont finis, ainsi que la pause déjeuner... depuis presque dix minutes. Inutile de se présenter au premier cours de l'après-midi.
Une fois totalement calmé, Eden ne lâche pas pour autant sa prise, restant fixé sur ses positions. C'était la deuxième fois qu'ils se retrouvaient à s'enlacer sur le sol, et une fois de plus sur du carrelage. En d'autres circonstances Eden aurait rit de cette constatation. Mais son esprit n'était pas porté sur la rigolade. Se laissant cajoler par Sébastian, les pensées négatives partent au fur et à mesure. Certaines restent et resteront, elles sont bien malgré elles tenaces, viennent de sentiments refoulés, cachés qu'il faudrait extérioriser. Ce sera sûrement pour plus tard.
– Me laisse pas.
Les mots étaient sortis entre deux reniflements, d'une voix plaignante, et étouffés par la peau du cou de Sébastian.
– Bien sûr que je te laisse pas.
Pour sceller ses mots, il dépose un baiser sur le front du jeune homme qu'il tient dans ses bras. Il ne saura jamais qu'Eden parlait de façon générale, pas seulement du moment présent. Pour le moment ce n'est pas très important. Si ces quelques mots peuvent éloigner définitivement les pensées négatives qui ont fleuri et ont donné pour fruit cette situation, il veut bien les répéter mille fois. La tempête est passée, et les éclaircies viendront.
Ils ne savent pas trop comment le reste de la journée de lundi s'est déroulé, ils sont retournés en cours. Eden a fait une sieste, ne se réveillant que pour le dernier cours, un peu déboussolé. Il semblerait que s'ils n'avaient pas eu à changer de salle il aurait roupillé toute l'après-midi. Ils rentrèrent en bus et là aussi il a somnolé sur Sébastian. Il faut dire que toutes ces émotions ça fatigue. Il s'est d'ailleurs endormi dans le canapé, et sans doute que son père a dû le porter à sa chambre en rentrant, car il s'est réveillé dans son lit. Franchement il n'était plus un enfant. S'il entend son paternel se plaindre de mal de dos, il va culpabiliser. A moins qu'il le lui reproche. Quelle idée, aussi, de porter un adolescent de presque un mètre quatre-vingt et un peu plus de soixante kilos après une journée de travail quand on a la quarantaine passée ? William Campbell dira que ce n'est rien, et que le poids plume de son fils ne va pas lui causer un lumbago.
Le reste de la semaine se passe relativement bien. Mardi, ils rentrent en moto, fessant un petit, grand, détours vivant les derniers vestiges de la neige sur Detroit. Mercredi, Eden retrouve Sébastian à la bibliothèque, en train de faire des calculs savants qui n'ont pour lui ni queue ni tête. Ils y échangent d'ailleurs un baiser, un sur la bouche, entre deux rayons, le cliché de comédie romantique américaine. Eden en était tout content, il venait de vivre un moment de film, Sébastian l'avait embrassé à la bibliothèque du lycée ! Il fut sur un petit nuage le temps de rentrer. Ce soir-là ils ne traînent pas, Carmen était déjà à la maison et il se faisait tard. Jeudi, ils prennent le bus matin et soir, et font leurs devoirs dans la maison Campbell. Et vendredi arriva, avec l'absence de son père Eden organisa une soirée film avec la fratrie Mendoza.
Les choses étaient redevenus calmes. Eden continue de lier des liens avec toutes les personnes qui lui adressent la parole, Sébastian fait lui des efforts pour s'ouvrir aux autres. Bon ne pensez pas qu'il est le leader de grands projets, mais il a réussi à saluer d'un hochement de tête Elliot, et jeudi il a répondu d'un bonjour aux salutations bruyantes et enthousiastes de Charlie. Un bon début. Le self est passé de mode pour lui, peut-être qu'il sera de nouveau en tendance la saison prochaine. Les efforts sont là et Eden les voie.
Si les Mendoza trempent dans des affaires louches, il ne reste que c'est une famille, hispanique de surcroît, avec un grand sens du lien qui est la filiation. Et même si certains membres empreintes des chemins diffèrent, chacun reste responsable de ce qui est chair. C'est sans doute pour ça que Sébastian loge encore chez lui, malgré que son père soit contre son orientation sexuelle, et qu'on ne parle pas de sa mère comme si elle n'avait jamais existé. Alors samedi après-midi lorsqu'il prend son téléphone il est presque sûr que la personne qu'il cherche à joindre ne va pas l'ignorer. mais n'empêche qu'il ne lui a pas adressé la parole depuis longtemps.
Cela fait presque deux ans qu'il n'a pas entendu le son de la voix de son coussin Lucio, seul vestige de sa famille maternel. Si lui a perdu une mère, Lucio a perdu une tante. Sébastian le considère comme un grand frère ce n'est peut-être que le reflet de la relation fraternelle qu'avait Lucio et la femme qui lui à donner la vie. Ils l'ont perdu tous les deux quand elle est partie, et dans ses grandes grasses Lucio a tout fait pour ne pas perdre contact avec les enfants Mendoza, quitte à passer par des moyens détourné. Toujours dans la légalité bien évidemment. L'homme d'église qu'il est ne se permettrait pas de se monter contre les lois de son pays et encore moins contre les paroles du divins. Mais comme pour tout ce qui est écrit, chacun à le droit d'en faire sa propre interprétation.
– Eglise Sainte-Anne, bonjour !
La voix féminine qui lui répond est douce et pleine d'enthousiasme, et pour cause ce n'est pas tous les jours que les gens appellent. Et espérons que lorsque c'est le cas se soit pour des cérémonie de joie et non de tristesse. Sébastian est légèrement déboussolé par ce ton. Il est trop sérieux, et pensait entendre la voix grave de son cousin. Il aurait dû se douter que le numéro qu'il lui avait donné il y a quelque année était celui de l'église où il officie.
– Allô ?
– Oui, je ...
Il eut un doute sur la façon de formuler la chose, il faut dire qu'il a quelque peu séché les cours de catéchisme, il ne se rappelle même plus comme il est arrivé à sa première communion. Il n'a d'ailleurs pas continué après cette célébration. Il fait l'effort d'aller à la messe de Noël, pour sa sœur, seul moment où il passe plus de deux heures assis à côté de son père.
– Monsieur ?
– Je voudrais parler à Lu- , au père Lucio, s'il vous plaît, se reprit-il.
Il croisait les doigts pour ne pas s'être trompé. Il devait avoir l'air ridicule au vu de la personne à l'autre côté du fil.
– Oui bien sûr, qui appelle ?
Il lui dit son prénom, il espère que ça suffit. Il attend une ou deux minutes. Avant qu'une voix ne revienne dans ses oreilles. Cette voix familière, au ton grave et chaleureux. Une voix qu'il se souvient à peine avoir entendue muer. Il a l'air de redevenir un petit garçon, ce petit garçon impressionné par un jeune homme de près de quinze ans son aîné. Ce petit garçon qui était admiratif face à l'homme qu'il voyait naître au fil des ans.
– Allô ?
Cette voix qui semble un peu cassée ou enrouée, qui donne à la personne qui la porte plus que son âge réel.
– Allô ? Sébastian ? redemande Lucio.
L'adolescent reste bloqué, il voudrait parler mais rien ne sort de ses lèvres. Seule sa respiration témoigne de sa présence. Dans le petit bureau de l'église, Lucio dispense la réceptionniste. Il s'assoit sur la chaise à roulettes qui doit être là depuis les années soixante-dix au vu du grincement des roues sur le parquet qui aurait bien besoin d'un vernissage. Il joue avec le fil du téléphone tout en tapotant sur le bois de la table. Toute la simplicité du lieu aujourd'hui montre qu'il a été au top du dernier cri d'une autre époque.
– Sébastian ... ça fait longtemps petit. Comment ça va ?
Il ne répond toujours pas, pourtant c'est simple de répondre à une question. Une question en apparence toute légère mais qui cache de lourdes vérités.
– Ça va à l'école ? La tête toujours dans les étoiles ? ricane Lucio.
Okay il se moque doucement de lui, cherchant quelque chose pour le faire réagir, histoire de pas parler dans le vent. Mais il se demande s'il parle au même gamin impulsif qu'il y a quelques années. Ce petit bout d'homme qui se vexait et s'énervait à chaque fois qu'on lui disait un truc qui ne lui plaisait pas. Jeune adolescent qui se servait de ses points pour défendre l'honneur de son nom qu'il a hérité de son paternel.
– Bon tu vas l'ouvrir ou moi je te laisse là, j'ai d'autres choses à faire que d'être les fesses posées sur une chaise à parler dans le vide.
Il a beau être homme de foi, les habitudes ont la vie dure. Elle reste toujours quelque part qu'on le veuille ou non, ce qui est incorporé revient toujours un jour, que se soit bon ou mauvais.
– Lucio... fini par prononcer Sébastian.
– Oui c'est mon nom, bravo tu m'as pas oublié.
Le sarcasme doit être de famille, nul besoin de chercher bien loin pour savoir d'où vient le caractère bien trempé d'une petite brune aux boucles en cascade et aux yeux noisettes qui partage les mêmes gènes qu'eux.
Sébastian ne sait pas trop par commencer, ils échangent des banalités, Lucio prend des nouvelles comme si cela ne faisait qu'un mois qu'ils ne s'étaient pas vus et non plus de vingt-quatre mois. Ils parlent et parlent, pas au point de rattraper le temps perdu, mais les mots coulent entre eux, symbole de leur lien.
– Bon tu me veux quoi ? Tu n'as pas pour habitude d'appeler juste pour savoir ce que ton vieux cousin devient...
Le silence lui revient, toujours le silence. Aucun mot ne se promène là dans l'immensité de l'univers, Sébastian doit apprendre à demander de l'aide. Ce n'est pas un appel au secours, juste une demande de conseil, pourtant ça a l'air de lui faire peser toutes les peines du monde sur les épaules. Se débrouiller tout seul, toujours se débrouiller tout seul, n'avoir besoin que de soi. Sinon on finit blessé, déçu, abandonné. Du moins c'est ce que les événements du passé ont laissé comme marque dans l'esprit de Sébastian. Mais quand est-il de son cœur ?
– Bon si tu m'appelles c'est que tu ne fais rien de ta journée, alors prends ta foutue moto et viens jusqu'ici me parler en face.
Sans attendre la moindre réponse, Lucio met fin à la communication numérique, sans aucune certitude que Sébastian se pointe ici. Pourtant quelque chose lui dit que s'il a eu le cran de le contacter, ça doit être suffisamment important pour qu'il vienne jusqu'à lui pour lui en parler. Et c'est le cas, résilié, Sébastian sort de son lit et se prépare, monte sur sa moto, et file dans l'air froid et humide de Détroit.
Lorsqu'il arrive, il se gare sur le petit parking intérieur, à droite du bâtiment en pierres rouges. Il est tellement stressé d'être là qu'il s'adosse à sa moto et allume une cigarette. Tirant sa première taffe. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas fait une pause nicotine. Il essaye d'arrêter, mais comme beaucoup de choses ce n'est pas simple.
Plus concentré sur le sol plutôt que sur ce qui l'entoure, il ne capte que son cousin est devant lui qu'au moment où il lui retire la cigarette des doigts. Il croit qu'il va l'écraser et lui faire la morale, mais il le voit porter l'objet à ses lèvres et inspirer.
– Ça fait longtemps, ça fait un bien fou ce truc, souffla t-il en même temps qu'il expire la fumée.
Sébastian ne va pas le juger pour cet écart, et il semble que la décision des représailles vienne de plus haut. Reste qu'il est rare de voir un religieux se fumer une clope et encore plus en tenue.
– Tu sais qu'est ce qui me manque le plus ?
Sébastian fait non de la tête. Il avait bien une idée, mais pas sûr qu'il puisse la dire sans que se soit pris pour un quelconque péché. Rien que d'y penser pourrait le mener tout droit en enfer. Quitte à être condamné autant en profiter, on verra plus tard pour le salut de son âme ou un truc dans le genre.
– Une bière bien fraîche !
– Euh... j'ai pas ça sous mon siège.
– Mais c'est qu'il parle !
En réponse au regard noir de son cousin, Lucio éclate de rire.
– Bon qu'est-ce que tu me veux gamin ? Demande-t-il après avoir repris son calme.
– J'ai besoin de ton aide.
Alors Sébastian lui parle d'Eden, de comment ils se sont rencontrés. De leurs moments ensemble, de leurs éclats de rire, de leurs soirées, leurs week-ends, les cours, de tout ce qui fait leur relation depuis presque deux mois. De tous les petits détails qui font leurs liens, et puis il lui parle de ses sentiments. Ces sentiments qui sont réciproques, qui font battre son cœur un peu plus fort chaque jour. Ces sentiments qui lui donnent envie de se dépasser.
La cigarette se consumant entre eux, il continua en lui racontant quelques moments, comme le bal, leur danse et ce moment magique qu'ils ont passé. La nuit qu'ils ont passée ensemble, la douceur de cet instant après que la gêne soit passée et qu'il a vu Eden s'endormir dans ses bras.
– Tu m'avais pas dit que tu aimais les hommes. Mais c'est pas important tu as l'air de très bien t'en sortir, il est ou le problème ? Demande Lucio, en allumant une nouvelle cigarette.
– Désolé...
– Pourquoi tu t'excuses, pour être amoureux ? T'as rien fait de mal.
Lucio est sincère, réellement sincère, peu importe avec qui son cousin a des relations, amoureuses ou amicale pourvu qu'il soit entier dans chacune d'entre elles. Ce qui lui importe c'est que ce petit bout de chair tout rose à la peau toute fripée qui pleurait à peine à la sortie du ventre de sa mère devient l'homme qu'il voudra être, avec l'entour qu'il choisira. Il ne le dira sûrement pas à voix haute, mais c'est ce qu'il ressent pour sa cousine et son cousin. Ces deux enfants qui sont aujourd'hui la seule famille qui lui reste.
Sébastian a presque envie de pleurer, comment leur relation est-elle devenue aussi fissurée? Jamais il n'a voulu être caché à sa famille, mais il a voulu cacher des choses à certains membres de sa famille. Est-ce que c'était une bonne idée de s'éloigner de Lucio quand il a commencé à participer aux activités du côté paternel ? Il l'a fait par égoïsme surtout, Il a voulu garder intacte la relation qu'ils entretenaient, éviter la déception. Alors il a préféré couper les ponts lui-même. C'est moins douloureux, mais quand est-il d'aujourd'hui après coup ?
– Je suis désolé, répéta-t-il.
– Pourquoi ?
Les mauvaises décisions du passé, le manque de confiance qu'il a pu lui porter, l'absence évidente de nouvelle, les actions qu'il a aujourd'hui et qui pourrait lui faire tout perdre. Il s'excuse d'avoir été lâche et de ne pas avoir porté la responsabilité de ses actes. S'excuse d'avoir ignoré tous les appels et les messages, les rendez-vous. S'excuse d'avoir refusé une main tendue dans son malheur. S'excuse de l'avoir laissé vivre sa peine seul.
Les larmes sont quand même arrivées, coupant quelquefois ses paroles, montrant qu'il se perd peut-être un peu dans ses mots. Lucio n'a pas hésité à le prendre dans ses bras, un geste qu'il a souvent fait pour calmer les névroses d'un petit garçon, qui après l'abandon de sa mère, a eu trop de poids sur les épaules. Il lui arrive, à lui, l'homme de foi, de se demander ce que son Dieu a pu prévoir pour ce jeune homme, pourquoi il traverse autant de difficultés. Des mots en espagnol viennent apaiser les cœurs, cette langue chaude et familière, qui rappelle les journées de soleil, vient effacer les pleurs, comme de lointains souvenirs.
Après s'être finalement calmés, ils sont entrés dans le bâtiment, assis à une table d'une petite cantine, ils boivent un café. Sébastian n'en dira rien, mais il a un goût atroce. Et malgré tout ce café lui donne du baume au cœur. Un peu comme la recette secrète de son chocolat chaud.
– Comment va la demi-portion ?
– Carmen va bien. Elle va t'assassiner si elle t'entends.
– Elle ne me fera rien, y a un mois elle est venue ici, je l'ai taquiner un peu et elle m'a sortie que j'avais de la chance d'être un homme d'église... Car on ne peut pas frapper un homme d'église, d'après elle. rigole-t-il. Et tout ça parce que je serai le représentant de Dieu sur terre, et que me tapper moi se serai comme tapper le chef. Absurde non ?
Sébastian ne put s'empêcher de rigoler face à cette tirade, qui il est sûr doit être légèrement exagéré, mais connaissant sa petite sœur ce pourrait être plausible.
– Bon parle moi un peu de ce garçon, comment tu m'as dit qu'il sappeller ?
– Eden, ... Eden Campbell.
Campbell, Campbell ? Ce nom disait quelque chose à Lucio. Où est-ce qu'il l'avait déjà entendu ? Il lui semble que ce soit de la bouche de sa cousine. Eden Campbell, les Campbell, leurs nouveaux voisins. Pourtant il lui semble que ce n'est pas ce qui était le plus important à retenir. Mais c'était quoi déjà ? Campbell, Campbell, Ca... Capitaine, Capitaine Campbell ! Le petit est le fils du nouveau capitaine. Ah oui voilà, c'était ça.
Il cracha son café quand l'information a resurgi dans son esprit. C'est pas possible ...
– Eden ! Eden Campbell ! Le fils de William Campbell ! Le Capitaine Campbell !
Quelque part dans la ville deux têtes blondes furent pris d'éternuements.
– Oui... dit simplement Sébastian.
– Tu te tappes le fils Campbell !
Avez-vous déjà vu une tomate mûre ? Sébastian rougit si vite qu'on pourrait croire qu'il va faire un malaise. Il ne sait pas si c'est le fait que son cousin lui parle de relation sexuelle après deux ans sans s'être vu qui le gène, ou le fait qu'un homme qui a prêté serment lui parle de relation sexuelle, ou le fait d'aborder le sujet dans une église ! Surement un savant mélange de tous ces facteurs.
– N-non , on ... bégaye Sébastian.
Si Sébastian a une vie sexuelle active, enfin jusqu'à il y a un mois, ce n'est pas pour autant qu'il aime s'en pavaner, il est même plutôt pudique, comparé aux garçons de son âge qui aiment étaler leurs exploits à toute la populace. Et reste que parler de la chose avec son cousin ne le met pas à l'aise du tout.
– Oui oui bien sûr, tu ne me la fera pas à moi. Comme si à dix sept ans, en bonne santé, tu allais te privé. s'emporte Lucio.
– On n'en est pas encore là. bafouille-t-il en réponse.
– Mouais, je te crois à moitié. Bon oublie pas de te protéger !
Là Sébastian voudrait disparaître, dans un trou de souris ce serait l'idéal. Non mais, a t'on oublié qu'on parlait avec un prêtre. Ce prêtre est en train de l'encourager à avoir des relations sexuelles avec un homme... Le monde marche à l'envers. Lucio ne fonctionne pas comme tout le monde apparemment. Le regard qui lance à son coussin est sceptique. Mais qu'est ce qu'il fout là déjà ?
Au départ il était venu pour avoir des conseils, pas pour savoir des trucs qu'il savait déjà. Ni pour parler de ce qui peut se passer dans son lit dans la maison de Dieu.
– Je sais merci, répondit-il tout de même.
Une fois leurs cafés finis, le silence revient, mais il n'est pas lourd, ni tendu, ni oppressant. Un silence religieusement serein s'installe.
– Tu as dit que tu avais besoin de mon aide ? rappelle Lucio.
C'était quand même la raison principale de la venue de l'aîné Mendoza. Si les instants passés précédemment montrent qu'il angoissait pour rien, n'empêche qu'il n'a pas abordé la partie complexe du problème. Le mieux est encore de sauter les deux pieds dans le plat.
– Mon père prépare un truc... Quoi ? J'en ai aucune idée. Mais ça bouge en ville. Chez nous, chez les flics, y a du mouvement.
Lucio voit de quoi il parle, lorsqu'il était encore en contact avec sa tante, il avait entendu parler d'un soit disant grand projet. Plusieurs milliards de dollar était en jeu, suffisamment d'argent pour devenir intouchable et se faire un place importante dans le jeu. Devenir le nouveau challenger qui vaincra le champion. Quitte a y laisser des victimes, Enriques ne laissera personne lui barrer le chemin. Tout le monde en a conscience, et certaines têtes sont tombées lorsque des gens avec plus de raison lui on dit que ce n'était pas une bonne idée. Lucio est protégé, mais qu'en est-il des enfants qu'il affectionne?
Qu'en est-il des habitants de cette ville qui vivent dans l'ombre d'un homme qui n'a ni bonté, ni âme. Qui accomplit les tâches sans regarder en arrière. Qui connait le vrai visage de Enriques Mendoza ? Sa femme est partie, ses enfants le craignent, sa famille lui obéit. Qu'est ce qui pourrait arrêter cet homme de commettre des horreurs? Qui se cache derrière ce masque sanguinaire ?
Lucio a refusé de rentrer dans les histoires Mendoza, il y a de cela près de vingt ans. Il avait à peu près l'âge de Sébastian quand sa tante a commencé à fréquenter Enriques Mendoza. Il avait été en admiration devant ce jeune adulte qui avait l'air de tout réussir. Il le regardait avec le même regard admiratif qu'avait Sébastien lorsqu'il était plus petit. Il ne sait plus comment son amour pour Enriques a disparu. A quel moment il a cessé d'être son idole, à quel moment seul le gang comptait. Le gang existe depuis longtemps, peut-être bien avant la naissance du père de Enriques, et a probablement vu le jour au Mexique. L'émigration familiale a fait bouger les affaires. Nouveau pays, nouvelle vie, nouveau public, mais la recherche de toujours plus pourrait les mener à leur perte, même si les bénéfices rendent le risque moins impressionnant. Alors qui sait ce que la folie d'un homme laissera derrière lui? Mais prions pour que les dommages soient minimes.
___________________
A suivre....
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