Chapitre 15 - Départ
"Une des solutions les plus évidentes pour obtenir des informations est de séduire le prince. Je ne sais pas combien de temps tu auras avec lui, sachant qu'il sera accaparé dans les premières semaines par sa nouvelle femme, mais il faudra que tu réussisses à te distinguer. Des conseils de séduction ? Tu seras déjà un mystère en soi, et ce ne sera même pas feint, vu que tes souvenirs auront disparu. Tu seras bien sûr différente, du moins du point de vue de tes origines et de ton aspect. Je pense que tu devrais renforcer au maximum ces deux traits, montrer ta différence, y ajouter une touche de secret, et boom ! Le prince ne pourra pas te résister ! Tu te demandes peut-être quelle est ma légitimité en conseils de séduction... À dire vrai, je n'ai jamais vraiment eu à séduire, c'est toujours moi qu'on a séduit, alors peut-être que ton incroyable charme naturel fonctionnera sans effort supplémentaire ! Ou alors c'est peut-être simplement que les ondins ont bon goût. Dans tous les cas... Bonne chance !"
Extrait du journal de l'Autre.
*
— En quoi ces bancs sont-ils censés être plus confortables qu'une selle ? se révolta Zarin. C'est absurde !
Le surlendemain de l'attaque qui avait ciblé Shae, les préparatifs pour leur départ vers la fosse étaient terminés. Ils étaient une trentaine à entamer le voyage. Le groupe se composait des cinq membres de la délégation assignée au maintien de la fosse ainsi que leurs gardes et serviteurs, et à cela s'ajoutait Ishan, Shae et ses deux dames de compagnie. Les gardes et serviteurs voyageaient à pied ou à dos de cheval tandis que le reste était réparti dans plusieurs chariots. Ishan, Shae, Pooja et Zarin partageaient la même calèche et la femme du désert ne cessait de se plaindre de ce traitement. Elle avait longuement insisté pour chevaucher, mais la tradition refusait qu'une dame de compagnie se prête à ce jeu. Depuis, elle ruminait.
Ishan pinça l'arête de son nez, l'air ennuyé, et détacha son regard de la liasse de documents qu'il tenait sur ses genoux. Il continuait son apprentissage de la politique des mers et des traités passés entre leurs deux nations en vue de sa future rencontre avec le sorcier, mais les râles incessants de Zarin perturbaient sa concentration.
— Zarin, annonça-t-il d'un ton très calme, si tu te plains encore une fois, tu feras le trajet à pied.
La jeune femme du désert poussa un râle de consternation et croisa les bras.
— Ce ne serait pas forcément pire. Je ne vais pas tenir huit jours serrée comme un voleur dans un cachot.
Shae fit craquer sa nuque douloureuse; elle ne pouvait qu'approuver les dires de la jeune femme. La calèche était étroite, son épaule et son genou frôlaient ceux d'Ishan. Ce contact aurait pu être une bonne chose si le jeune homme n'avait pas semblé si indifférent. À chaque cahot de la route, elle avait tenté de se rapprocher un peu plus de lui. Elle avait même lâché ses cheveux et les avait exagérément secoués pour que les arômes de fleur d'oranger qu'ils dégageaient atteignent Ishan, mais il n'avait même pas tressailli, trop absorbé par ses études. Finalement, Shae avait abandonné la lutte et regardait à présent le paysage défiler derrière la fenêtre étroite de la carriole.
Les habitations en grès jaune se faisaient de plus en plus rares à mesure qu'ils approchaient du désert. Des enfants jouaient autour d'un marchand de samosas, tandis qu'à côté, un tanneur étendait des peaux de chèvres et de moutons pour les faire sécher.
— Je ne comprends pas pourquoi tu aimes ces bestioles, répliqua Pooja à Zarin. Ils sont bêtes et tu as vu ce qu'ils font aux fleurs ?
— Eh bien quoi ? s'étonna Zarin. Ils les mangent ? Tu ne manges pas de plantes peut-être ?
— Si, mais pas des fleurs ! Ces brutes ne distinguent même pas un brin d'herbe d'une fleur.
— Et le jasmin dans ton thé ?
— Je ne bois jamais de thé ! Des fleurs, ébouillantées ! Bon, elles sont déjà mortes, mais tout de même. Tu imagines ?
Zarin roula des yeux et Ishan enfonça son visage dans ses mains, étouffant un cri de frustration.
*
Shae s'étira et regarda l'étendue de sable rouge qui occupait l'horizon. Après plus de douze heures de route, leur convoi venait de faire halte dans l'un des derniers points de ravitaillement de Jivaran. L'endroit se composait de trois bâtisses remplies de tonneaux d'eau et de nourriture, gérées par une unique famille. Après cela, ils s'enfonceraient dans les terres du désert et ne devraient trouver aucune présence humaine avant trois jours de trajet. Les serviteurs nourrissaient les chevaux et chargeaient des barils d'eau supplémentaires, pendant que d'autres établissaient le campement.
Demain, ils seraient au milieu du désert. Une pointe d'excitation gonflait en Shae. Elle savait que l'Autre avait déjà eu l'occasion de visiter Jivaran, mais elle doutait qu'elle soit jamais allée plus loin. Les yeux de l'ondine étaient rivés sur le sommet d'une dune au loin, devinant le paysage derrière, cette mer rouge aux vagues sableuses s'étendant à l'infini.
Du coin de l'œil, elle aperçut Zarin qui s'occupait de bouchonner les chevaux. Elle la rejoignit ; elle n'avait pas encore eu l'occasion de lui parler seule à seule.
— Tu as finalement eu l'autorisation de t'occuper des chevaux ?
La femme du désert lui sourit.
— Et ce n'est plus qu'une question de minutes avant qu'ils abdiquent et m'autorisent à monter.
Shae rit, prête à la croire. Elle dévisagea la jeune femme, dont le nez était encore tuméfié malgré les couches de maquillage qu'elle avait dû appliquer. Shae percevait les marques violacées sous sa peau.
— Je ne t'ai pas remerciée, dit-elle enfin. Pour m'avoir sauvé la vie. Alors... Merci.
Zarin haussa les épaules. Shae s'adossa à un palmier.
— Pourquoi l'as-tu fait ? lui demanda-t-elle. Je veux dire... Si tu avais laissé cet homme me tuer, tu aurais certainement pu prendre ma place. Ce n'est pas ce que tu voulais ?
Zarin arrêta de brosser le cheval alezan et son visage se ferma. Elle sembla hésiter à reprendre la parole, deux parties contradictoires de son esprit se disputant, avant que l'une gagne la bataille.
— C'est ce que mon père voulait pour moi, mais pour être honnête, cette situation n'est pas si mal...
Shae leva un sourcil interrogateur, l'incitant à poursuivre.
— Depuis toute petite, la seule chose qui m'intéresse vraiment, c'est me battre. Les cours de politique, d'étiquette, d'art, ça ne m'a jamais vraiment fascinée. Je ne veux pas me battre pour tuer, mais j'aime la sensation de pouvoir me défendre, ou de défendre les autres. Je crois que j'ai toujours rêvé d'être un garde, comme ceux qui entouraient mon père. Mais je savais que j'avais d'autres responsabilités en tant que princesse. Et ça m'allait, vraiment. Mais l'autre jour... C'était grisant de me sentir vraiment utile.
Elle jeta un regard en coin à Shae qui la dévisageait avec surprise, ne s'attendant pas à une telle confession.
— Alors bien sûr, protéger une roturière idiote n'est pas exactement ce dont j'avais rêvé, mais qui sait, peut-être que cela me permettra de m'élever jusqu'à gagner une place auprès d'Amar. Après tout, le chef de leur garde avait été plutôt impressionné par ma performance lors des épreuves de sélection.
Shae ne se formalisa pas de l'insulte et rit.
— Eh bien, j'espère que tu n'auras pas l'occasion de faire d'avantage tes preuves... Je tiens à la vie.
Zarin lui jeta un regard en coin.
— Il me semble que tu n'aurais aucun mal à défendre ta vie seule...
Shae se figea. Alors, elle l'avait bien vue sous sa forme d'écume.
— Je ne dirai rien, ajouta-t-elle, après tout, je ne sais même pas ce que j'ai vu. Tu es libre de garder ton secret.
— Merci, répondit simplement Shae.
Voyant que l'ondine n'était pas disposée à en dire plus, Zarin changea de sujet.
— As-tu déjà monté à cheval ? Je suppose que ce n'est pas une pratique très courante chez les ondins.
— Effectivement... répondit Shae. Nous avons bien des dauphins qui nous permettent parfois de nous accrocher à eux, mais... Non, je n'ai jamais monté.
Shae dévisagea l'animal qui broutait tranquillement le foin qu'on lui avait apporté. Il ressemblait vaguement aux kelpies, ces monstres sous-marins qu'avait chassés Alistair. À la pensée du sorcier, Shae se rembrunit.
— Tu veux essayer ? demanda Zarin. J'aimerais voir la vue depuis la dune là-haut. Peut-être pourrais-je apercevoir la pointe de la tour de Zarcane.
— Maintenant ? s'étonna Shae.
Zarin balaya du regard les alentours. Les gardes et les serviteurs étaient occupés à monter les tentes pour la nuit et à préparer le repas.
— Je n'ai pas encore enlevé la selle de celui-ci, dit Zarin en désignant un cheval bai.
L'ondine suivit le regard de Zarin, puis inspecta à son tour le camp. Elles se feraient certainement réprimander, mais la curiosité la poussait à accepter l'offre de la jeune femme. Et puis, après tout, elle était une princesse et elle n'était plus a un regard de désapprobation près.
— D'accord.
Zarin sembla agréablement surprise et afficha un air espiègle.
— Parfait, ne perdons pas de temps. Mets ton pied ici, tiens les rênes et accroche-toi au pommeau de la selle.
— Au quoi ? demanda Shae en se hissant maladroitement sur l'étrier.
En guise de réponse, Zarin donna une tape sur la croupe du cheval et celui-ci partit au trot. Ce n'était pas un départ au galop, mais cela n'empêcha pas Shae de sentir tout son corps trembler et de pousser un cri. Ses doigts empoignèrent fermement les rênes et une touffe de la crinière de l'animal. Quelques secondes plus tard, elle vit Zarin la rattraper. Elle montait son cheval à cru et au galop.
— Incroyable, tu n'es pas tombée ! s'exclama-t-elle.
Shae étouffa un juron, se demandant si c'était son plan depuis le début. L'alezan de Zarin la dépassa et continua sa course au galop, incitant le cheval de Shae à faire de même. L'ondine se sentit ballotée de droite à gauche, mais elle ne put s'empêcher d'alterner entre rires et cris de terreur. Finalement, ils atteignirent le sommet de la dune et Zarin stoppa son animal.
— Recule-toi et tire les rênes ! cria-t-elle. Par à-coups.
L'ondine s'exécuta maladroitement. Elle sentit ses pieds quitter les étriers alors qu'elle était secouée comme un cocotier. L'arrêt presque net du cheval la propulsa sur son encolure. Zarin se pencha et l'aida à se redresser sur sa selle. Shae rit. Elle avait déjà mal aux fesses, était passée près de terminer la tête la première dans le sable, mais depuis son réveil, elle n'avait rien fait d'aussi grisant.
Elle observa alors le paysage devant elle. Il n'y avait rien d'autre que des vallées sableuses à perte de vue, parsemées de touffes d'herbes solitaires. Le rouge et le vert du paysage formaient un tableau presque irréel sous le soleil couchant. L'astre brûlait le ciel de ses derniers rayons, donnant à la scène une atmosphère suffocante malgré la fraîcheur nocturne qui s'installait. Shae commença à redouter les prochains jours, elle qui n'était déjà pas accoutumée aux températures de Jivaran.
— On ne voit pas Zarcane... se lamenta Zarin.
Shae entendit alors un bruit de galop derrière elle. Elle tourna la tête et aperçut Ishan qui grimpait la dune sur un cheval au pelage noir, lui aussi sans selle. À l'instar de Zarin, il avait une allure impeccable, et l'ondine se demanda comment il pouvait être si élégant sur un animal aux mouvements si vifs.
Ishan arriva à la hauteur des deux femmes et les détailla, un air exagérément las.
— Vous semblez bien vous amuser ? demanda-t-il d'un ton sarcastique.
— J'initiais ta femme à l'art de l'équitation, répondit Zarin.
— Il semble y avoir encore du chemin à faire.
Les yeux d'Ishan glissèrent sur Shae, notant son expression faussement indignée.
— Ce n'est pas une activité très courante sous les mers. J'aimerais bien te voir au milieu de l'océan.
— Je suis un très bon nageur, répondit Ishan avec un sourire.
— Bien sûr que tu es un bon nageur... grommela Shae.
— Rentrons, dit Ishan en désignant le camp, vous avez suffisamment fait jaser, je crois.
Shae regarda les dizaines de têtes tournées vers eux au bas de la dune.
— Une petite course ? proposa Zarin.
Avant qu'ils n'aient eu le temps de répondre, elle lança son cheval au galop. Ishan renifla et la suivit. Shae n'eut malheureusement pas son mot à dire, son cheval décida lui-même de relever le défi. Zarin arriva en tête à quelques centimètres seulement d'Ishan. Le cheval de Shae pila et cette fois-ci, elle ne put éviter le sursaut qui la fit valdinguer par-dessus bord, les fesses dans le sable.
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