Chapitre 3
Alors, que, d'un pas hésitant, je m'approche de l'université, une peur intense me noue le ventre.
J'ai l'impression que toute ma vie va dépendre de la conversation que je vais avoir avec Monsieur Le Fog. D'ailleurs, n'est-ce pas le cas ?
Serais-je capable d'entendre, une nouvelle fois, que, quoi que je fasse, je n'atteindrais jamais la plénitude ? Que tous mes efforts pour atteindre cet état de bonheur pur, seront vains ?
"Va, Alix, me souffle ma conscience. Quelles que soient les réponses à tes questions, tu les assimileras avec autant de courage que de détermination si elles étaient ce que tu avais voulu entendre."
Je soupire. Il n'est plus le temps de penser à cela. Je n'aurais cours avec Monsieur Le Fog que dans deux heures. Avant cela, j'ai deux heures de philosophie, qui, ironiquement, me serviront à me détendre l'esprit...
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La classe se vide, petit à petit.
Mon cœur bat si vite qu'il me fait mal. J'ai un peu le vertige ; je vois tous les élèves sortir un à un, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que moi.
J'ai fait exprès de prendre mon temps, pour ranger mes affaires, afin d'être sûre d'être la dernière.
Et, lorsque je m'approche de mon professeur, il me lance un regard dénué de surprise, mais plus, de curiosité. Il est l'un des seuls à être conscient de mes remises en question, il est ainsi habitué à mes éternelles questions, longues et embêtantes.
— Alix, quelles réponses puis-je t'offrir, aujourd'hui ?
Arriverais-je un jour à me faire à cette manière de parler ? C'est joli et maniéré, mais parfois, la conversation est bien difficile à suivre...
— Hier, vous nous aviez dit, en cours, que l'écrivain ne pouvait pas atteindre la plénitude... J'aimerais savoir... n'y a-t-il aucun moyen de briser les codes ?
— C'est une excellente question, Alix. Mais permets-moi de la reformuler. Tu aimerais savoir si vraiment, tu ne seras jamais heureuse ?
Je recule, le souffle coupé.
— Que... comment avez-vous deviné ?
— C'était plutôt simple. Tu as l'esprit vif et alerte d'une écrivaine, ton analyse, en cours, est fine. Tu poses toujours de bonnes questions, et, dans tes dissertations, tu places des références littéraires que personne ne connaît, mais qui sont toujours justes.
— Mais...
— L'écriture est un domaine complexe, Alix. En effet, un écrivain, par sa recherche constante de l'Idéal, n'a que peu de chances d'atteindre un bonheur complet.
— Hier, j'ai fait des recherches, avoué-je, la gorge nouée, les jambes tremblantes. Tout ce que j'ai lu m'a démoralisée. J'ai lu des citations qui traitaient toutes du malheur de l'écriture, et la solitude, appris que l'inventeur de l'écriture avait été lapidé sous le poids de ses connaissances. Et maintenant, je ne sais plus quoi faire ! J'aime écrire ! Mais j'aimerais avant tout être heureuse !
Aussitôt, tout le poids de ces révélations, du stress que j'ai accumulé, m'assaille, me submerge, et me fait fondre en larmes.
Je ne sais plus, je ne sais rien.
J'ai l'impression que le sol est en train de s'ouvrir sous mes pieds, l'impression d'entendre la voix de mes parents, qui n'ont jamais accepté que je veuille devenir romancière, s'écrier, sarcastique : "Je te l'avais dit, Alix, je te l'avais dit !"
Monsieur Le Fog reste pensif.
— Dis-moi, quel support as-tu utilisé pour tes recherches ?
— In...internet, balbutié-je.
— Internet ? Alix, la beauté du réseau est faite de telle manière que l'on en oublie l'essentiel. Veux-tu que je te montres quelque chose ?
J'acquiesce, intriguée.
Mon professeur sort de son sac en cuir brun, un petit livre, aux pages abîmées par l'âge.
— C'est un recueil de citations, explique-t-il, en l'ouvrant sur la page du mot "écriture".
Il me fait lire. Et les larmes me montent aux yeux une nouvelle fois.
« Écrivez ! Noircir le papier est idéal pour s'éclaircir l'esprit. »
« Partir, c'est mourir un peu. Écrire, c'est vivre davantage. »
« Les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu'écrit la raison. Il faut demeurer entre les deux, tout près de la folie quand on rêve, tout près de la raison quand on écrit. »
« Écrire est un apaisement de soi-même. »
« Écrire, ce n'est pas vivre. C'est peut-être survivre. »
« Écrire c'est confier sa voix à la vérité d'un silence, à la justesse d'un souffle, tremblant dans son envol, lumineux dans son déclin. »
« Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. »
« On se ruine l'esprit à trop écrire. On le rouille à n'écrire pas. »
« Le tremblement d'un pétale quand une goutte de pluie le heurte : c'est cette vibration que je cherche dans l'écriture, l'imperceptible inquiétude de l'âme en paix. »
« En partageant la joie, vous la multipliez. Et écrire, c'est partager pour multiplier. »
« Entre moi et le monde, une vitre. Écrire est une façon de la traverser sans la briser. »
« Sur terre, seule l'écriture permet de tendre vers le tout de son vivant. »
« Écrire est la seule vérification que j'aie de moi-même. »
« Et si écrire, c'était tout simplement ne plus taire cette âme en soi ? »
« Écrire n'est pas décrire, peindre n'est pas dépeindre. »
« Rien de ce que nous écrivons n'est inutile. »
« Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. »
Il y en a tant ! Elles sont là, présentes, des centaines de citations louangeant l'écriture !
Des larmes de bonheur ruissellent sur mes joues. Mon soulagement est si grand qu'il manque de me faire suffoquer.
— Tu vois, Alix ? me demande mon professeur en me regardant dans les yeux. Oui, l'écrivain d'hier, recherchant désespérément un Idéal, et incompris de ses contemporains, était malheureux. Mais l'écriture apporte avec le temps, la plénitude intérieure. Elle apporte tellement de belles choses à celui qui l'utilise, ouvre des portes vers d'autres mondes, qui n'existeront jamais aux yeux des autres...
Les paroles sages de mon professeur me rassurent. Je suis tellement heureuse, tellement soulagée, que, si je ne tenais pas à ne pas passer pour une folle, je me jetterais dans ses bras. Tellement de peurs, d'incertitudes, qui s'envolent, chassées par la tempête provoquée par une simple question...
En sortant de la salle de classe, j'esquisse quelques pas de danse, vestiges de mes cours de cinquième.
Écrire, c'est parler en silence.
Un cri de joie me monte aux lèvres, irrépressible.
Le bonheur est là, il sera toujours là.
Et même s'il n'est pas là, alors, je l'écrirai.
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