Mon sac de cours s'abat avec violence sur mon lit. Je m'affale à côté, exténuée par les évènements de la journée.

Ma colocataire, Clarisse, me lance un regard surpris. La pauvre est loin de se douter que je vis en ce moment même, l'une de mes plus grandes éternelles remises en question...

Je rassure mon amie d'un clin d'œil amical, et d'un de ces sourires malicieux que j'ai si bien appris par la présence facétieuse de mon grand frère, autrefois...

Me redressant, j'attrape mon dictionnaire, et je recherche le mot "Plénitude"

Ampleur, épanouissement.

État de ce qui est complet, dans toute sa force.

Les définitions ne me satisfont qu'à moitié. Peut-être la première, à la limite.

Le bonheur dans toute son ampleur.

Je ne l'atteindrai jamais.

Mue par un ressort d'énergie, j'allume mon petit ordinateur, et recherche des citations sur l'écriture...

Et, alors que j'espérais gagner la chaleur du réconfort, les propos prêtés aux plus grands auteurs et philosophes, me glacent le cœur.

« L'écriture c'est le cœur qui éclate en silence. »

« Observez un écrivain à table : Il en est peu chez qui le naturel ne le cède au personnage. C'est d'ailleurs pour cela qu'on l'invite. »

« L'écrivain qui n'a d'autre esprit que l'esprit de son siècle parvient rarement à la postérité. »

« Je ne suis le porte-drapeau de personne. Écrire est une entreprise tellement solitaire... »

« L'écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n'existons plus pour personne. »

« La solitude est l'outil principal de l'écrivain. »

« Écrire c'est se consumer... L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. »

Choquée, bouleversée par ces citations, je ferme le site. Tentant de faire le vide dans ma tête. Quand soudain, un prénom me revient dans l'esprit, amené par un éclair foudroyant.

Palamède.

C'est lui qui a inventé l'écriture, et l'a présentée aux dieux, nous récitait ce matin Monsieur Le Fog...

Gagnée par une bouffée d'espoir, dans la barre de recherches, je tape "Palamède".

Palamède

Prince eubéen ayant participé à la Guerre de Troie. Ce fut lui qui inventa l'écriture, et la présenta aux dieux de l'Olympe. Mais cette invention ne lui porta pas chance ; en effet, Ulysse, furieux que Palamède ne révèle au grand jour la ruse que le roi d'Ithaque avait inventée pour ne pas défendre la divine Hélène*, utilisa l'écriture contre lui, l'accusant par le biais d'une lettre, de haute trahison, et le fit lapider.

*Ulysse, refusant d'abandonner Pénélope et Télémaque pour aller combattre Troie, simula la folie devant les émissaires de Ménélas, dont faisait partie Palamède. Devant eux, il dissémina du sel sur les terres labourées, les rendant stériles. Alors que les émissaires s'apprêtaient à repartir, dépités, Palamède plaça Télémaque, alors âgé d'un an et demi, devant la charrue, et mit Ulysse au défi : si, vraiment, il était fou, alors qu'il passe, sans hésiter, sur son fils, jouant innocemment ! Le roi d'Ithaque, refusant de tuer son fils, le prit dans ses bras, révélant sa ruse au grand jour, et s'exposant pleinement à la guerre inévitable.

Génial.

Donc, l'homme ayant inventé l'écriture, s'est vu trahir par sa création, qui le fit lapider.

Prise d'une profonde envie d'envoyer mon ordinateur contre le mur de ma chambre, je me force à inspirer et à expirer longuement.

Je lève la tête. Clarisse est sortie ; sans doute a-t-elle rejoint Flavie, ces deux-là sont inséparables...

Il n'y a donc plus que moi, dans la petite chambre aux murs blancs.

Avec un soupir découragé, j'éteins mon ordinateur.

Et, avec la détermination de celle qui n'a plus rien à perdre, je prends une décision.

Demain, j'interrogerais Monsieur Le Fog.

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