CHAPITRE 2
Retour au front
❇
Case départ : Nora Margareth Harrington
Sur le coup, elle pensa qu'en été les trente degrés devaient facilement être atteignables dans cet endroit. En dix minutes, elle eut le temps de regarder la pièce, du sol au plafond, depuis que la conseillère d'orientation - comme l'indiquait l'inscription au dessus de la porte - l'avait invitée à entrer. Un bureau de fond de couloir, bien moins imposant que ce dont elle avait l'habitude mais beaucoup plus distingué et lumineux. Une luminosité blanche et chaude, rien de massif, rien qui tente justement d'impressionner.
Il y avait quelques plantes disposées sur les étagères près de la grande fenêtre qui donnait sur la cour, un vrai poste d'observation, et ça sentait étrangement bon malgré l'odeur manifeste de café. C'était comme si cette femme travaillait ici depuis des années alors qu'elle était tout aussi nouvelle que la rousse qui l'attendait. Cette dernière tentait de rester en place et réfléchissait à ce qu'elle allait bien pouvoir répondre aux questions plus qu'évidentes qui allaient arriver. Elle se demandait combien de personne se souvenait vraiment d'elle en même temps qu'elle écoutait la conversation qui se jouait juste derrière la porte, entre la conseillère et la directrice. Une conversation sur ce qu'entraîne le fait d'être nouvelle en dernière année de lycée. Elle était considérée comme une étrangère qu'il fallait presque materner alors qu'elle connaissait chaque recoin de cette ville et qu'elle avait prévu depuis des années d'étudier dans ce lycée, d'y apprendre le russe ou le chinois, la danse et d'y vivre toutes les choses qu'une gamine de son âge était censée vivre.
La plus jeune des deux femmes finit par entrer dans le bureau. En s'asseyant devant l'adolescente, c'est simplement par un visage et une aura chaleureuse qu'elle la rassura totalement. Nora était rayonnante et sa silhouette était pourvue de belles formes qui donnaient de la rondeur à son corps. Ses cheveux étaient châtains mi-courts coupés au carré, une monture transparente logeait sur son nez et elle portait une chemise blanche et fluide et des bijoux discrets. Rien de sévère ni d'intimidant. Elle avait la trentaine, elle les faisait et c'était là aussi que résidait son charme.
Sans un mot, elle sortie une fiche vierge d'un tiroir, ornée d'un post-it jaune, une fiche élève, la quatrième fiche élève en trois ans. Elle la posa, sans y prêter finalement attention.« J'imagine qu'un tel moment ne doit pas forcément être agréable de ton côté, surtout que tu es la première de l'année. De ce fait, je tiens vraiment à faire en sorte que cette entrevue se passe le mieux possible, que tu ne ressortes pas d'ici agacée par mes questions, elle rit doucement. Commençons par le début. Ici, je suis Madame Harrington. Tu peux m'appeler Nora si cela te met plus à l'aise et je suis enchantée de te connaître Camille. »
Camille prit un temps pour répondre, cette empathie la troubla véritablement. C'était en réalité la première fois depuis son retour qu'on était aussi bon avec elle, la première fois que quelqu'un essayait de se mettre à sa place. C'était en effet désagréable d'être dans cette situation. Elle redécouvrait avec émerveillement une ville qui l'avait vu naître, ses derniers jours d'été, ses paysages si variés, l'odeur de la terre, sa propre maison et sa terrasse en bois clair qui craquait de nouveau sous ses pas. Mais seul la ville demeurait intacte et ça ne représentait pas grand chose au final pour elle, parce qu'elle avait perdu ses amis. Les personnes qu'elle avait maladroitement enlacés la veille n'avaient plus cette aura si singulière et chaleureuse, ni d'étoiles dans les yeux. Il lui avait fallut de simplement les regarder à son arrivée pour comprendre qu'elle n'aurait jamais dû partir.
« À vrai dire, j'ai l'habitude de ce genre d'entrevues. Et lors des précédentes, à force, j'avais appris mon texte par cœur. Je savais exactement quelles questions on allait me poser, dans quel ordre et donc je savais quoi répondre à chacune d'elle, c'était devenu mécanique. Donner des informations à mon sujet de manière brève me permettait d'être tranquille le reste de l'année, de me fondre dans la masse le plus rapidement possible. Mais cette fois c'est différent et je vous avoue que je suis totalement à court d'idées. »
Camille parla calmement, elle ne croisa le regard de Nora qu'à la fin. Le son de sa voix laissait échapper une certaine détresse. Elle était une étrangère dans sa propre ville et elle haïssait ce sentiment. Elle réalisa qu'elle avait peut être pensé trop fort, qu'elle avait fait preuve d'une approche déjà trop personnelle avec cette femme. Mais cette réticence face à une inconnue ne prit pas le dessus sur le soulagement qu'elle avait pu ressentir. Elle réalisa également qu'elle était simplement perdue et qu'en plus de cette ville et de ses amis, elle allait devoir se retrouver elle-même. Se redécouvrir.
« Tu n'auras pas besoin de répondre à un tas de questions aujourd'hui, ne t'en fais pas. Mais j'ai besoin de connaître ta situation familiale actuelle afin de pouvoir mieux t'aider cette année Camille. Et j'ai l'impression qu'elle est particulière... Nora n'insista pas sur ce qui perturbait l'adolescente mais sa soudaine question protocolaire la ramena à la réalité.
— Et bien pour l'instant je vis seule, dans ma maison natale. Mon père est mon seul tuteur et il vit à Paris. J'ai fais une demande d'émancipation qui est en train d'être étudiée mais je ne pouvais pas attendre qu'elle soit acceptée... est ce que ça va me poser des problèmes ? rétorqua Camille désormais anxieuse.
— Non je ne pense pas, en tout cas j'en informerai pas la direction tant que cela ne t'empêche pas de suivre correctement les cours, elle la rassura de suite, davantage par son sourire que ses paroles. Tu n'as vraiment aucun parent proche dans la région ?
— Ma tante passera me voir deux fois par mois en attendant que ma situation se clarifie et elle m'appelle.. souvent, une grimace apparut sur son visage, Annabelle appelait en réalité tous les jours pour prendre des nouvelles de sa nièce, à chaque fois avec la même inquiétude dans la voix.
— Avec ton accord, je vais prendre ses coordonnées. Si jamais il y a un soucis, elle sera plus rapidement joignable que ton père. Mais pour l'instant ça restera entre nous d'accord, je crois qu'il est nécessaire de te laisser le temps.. de vivre ici, à nouveau. »
Cette entrevue avait presque enlevé un poids à Camille. Elle ignorait si elle allait remettre les pieds dans ce bureau pour parler de nouveau avec Nora Harrington. Dans le cas où elle ne réussirait pas à parler à ses amis, elle savait maintenant qu'il y avait peut être un endroit dans lequel elle serait écoutée. Camille lui écrivit alors le numéro de téléphone de sa tante, priant intérieurement pour que jamais elle ne le compose. Le bout de papier qu'elle lui donna remplaça alors celui initialement collé à son dossier, celui qui indiquait qu'elle était nouvelle.
Nora lui proposa de la revoir d'ici un mois, le temps que la jeune femme s'adapte à ce nouvel environnement, avait-elle dit. À mon ancienne vie, pensa Camille. Elle quitta alors le bureau en adressant un sourire maladroit à la conseillère, la remerciant intérieurement d'avoir simplement compris.
Dimanche 17 Juillet 18h15 La maison bleue
La voiture s'arrêta enfin. Annabelle l'avait récupérée à l'aéroport en fin de matinée après un vol de nuit, sa nièce n'avait donc pas fermer l'œil depuis plus de vingt-quatre heures. Camille avait insisté pour aller directement faire des achats afin de réhabiliter la maison, poussant sa tante à faire de nombreux détours en dehors de la ville. En réalité, elle paniquait à l'idée que quelqu'un la croise et elle n'avait fait que repoussé ce moment. Mais il était tant de revenir.
C'était donc devant cette grande bâtisse bleue, désormais bel et bien trop grande pour Camille elle seule, qu'elles se retrouvèrent toutes les deux. Elles n'osaient dire un mot et encore moins sortir pour franchir la porte de cette maison. C'était pourtant la sienne, celle qui l'avait vu grandir, témoin de ses premiers pas et de ses premiers mots, de ses rires mêlés à ceux de sa mère. Ainsi que de la déchéance et la tristesse qui les avaient remplacées ensuite ces dernières années.
Souhaitant la rassurer, Annabelle brisa le silence en posant délicatement sa main sur sa nièce qui ne décollait pas son regard de la maison.
« Camille... finalement, on est pas obligée de faire ça maintenant tu sais. Tu devrais venir chez moi quelques jours, te reposer et faire le point, c'est peut-être trop tôt... lança-t-elle inquiète, cherchant à capter l'attention de sa nièce.
— Ça va aller, je t'assure, lui répondit enfin Camille, elle lui lança même un rapide sourire. Je n'aurai jamais dû partir de toute façon, ajouta-t-elle en relevant de suite la tête vers la maison.
— Je te laisse y rentrer la première, je m'occupe de décharger la voiture, d'accord ? répondit Annabelle, comme pour l'encourager.
Plus aucun mot ne sortit de la bouche de Camille, c'était comme si cette maison l'appelait. Elle referma la portière de la voiture derrière elle et s'arrêta un instant pour réaliser qu'elle était bel et bien revenue. Ses pieds touchèrent à nouveau le sol de cette ville, sa terre chaude d'été sous ce vent frais qui la caressait.
Elle monta alors lentement les marches du porche, dont le bois blanc craqua sous ses pas, ses mains fouillèrent dans les poches de sa veste et en sortirent l'unique trousseau de clé restant de cette demeure. Toutes ces années, elle l'avait conservé dans un pochon en tissu, s'assurant partout où elle allait de l'avoir avec elle. Comme pour se reconnecter à sa maison, elle posa délicatement sa main droite dessus, l'effleura du bout des doigts juste en dessous de l'écriteau où son nom de famille était inscrit. Elle refusa de suite de penser qu'il n'y avait plus aucune famille qui vivait à l'intérieur et que son retour n'y changeait rien.
Non sans difficulté, elle entra enfin dans la maison bleue. Elle se précipita vers la fenêtre la plus proche afin d'en ouvrir les volets pour laisser la lumière pénétrer à nouveau ce séjour. Et lorsque celle-ci révéla la pièce et les quelques meubles qui y étaient restés, la seule chose que Camille réussit à prononcer fut "Maman.."
• • •
Mardi 05 Septembre
10h40 La maison bleue
Elle mit un certain temps à sortir de son lit. Ce sentiment d'être réellement chez soi, de retrouver un foyer lui avait tellement manqué et elle le ressentait particulièrement lorsqu'elle se couchait ou se réveillait dans cette chambre, qui fut la sienne pendant quatorze ans. Malgré tous les endroits qu'elle avait visités en trois ans, qu'importe les belles choses qu'elle y a vues ou vécues et même cette dernière année à Paris qui fut si intense, elle n'avait jamais pu retrouver ce sentiment ailleurs qu'ici. Pourtant Dieu sait à quel point elle était terrifiée de revenir dans cette ville et d'autant plus d'y vivre seule. Désormais, rien au monde ne saurait la faire quitter cet endroit. C'était chez elle.
Camille déclina un énième appel de sa tante. Annabelle l'avait déjà appelé hier afin d'avoir un compte rendu complet de sa rentrée. Naturellement, Camille avait vaguement nommé ses amis et leur accueil, ne voulant pas inquiéter Annabelle et prendre le risque qu'elle débarque. Elle adorait sa tante et elle lui était infiniment reconnaissante de lui avoir permis de revenir habiter dans cette maison ainsi que de l'avoir aidé pendant tout l'été à lui rendre son charme d'autrefois. Mais à présent, Camille avait besoin d'être seule pour prendre le temps de se reconnecter avec sa maison et sa ville. Et surtout d'accepter le fait que les choses avaient changées et en particulier ses amis. Elle avait pleuré une bonne partie de la soirée suite à son déjeuner avec Ashley, cette froideur à son égard. Elle avait imaginé bien plus de sourires et de chaleur, elle n'était pas déçue mais bel et bien triste de ces retrouvailles. Elle ne leur en voulait pas non plus, elle comprenait leur frustration et leur incompréhension face à l'absence d'explication de sa part.
Elle n'était toujours pas prête à leur en donner malgré l'invitation d'Adèlia. Celle-ci lui avait envoyé un message plutôt dans la matinée lui signifiant que toute la bande serait présente au petit café de la place en face du lycée, là où ils avaient apparemment l'habitude d'aller devina-t-elle, et qu'elle était la bienvenue. C'est une certaine angoisse qui l'avait submergée depuis ce sms. Elle tenta de se détendre lors du petit-déjeuner mais ça recommença lorsqu'elle dû se vêtir, se maquiller. Elle se sentait idiote d'accorder autant d'importance à son apparence à l'idée d'aller boire un café avec ses amis. Au fond d'elle, Camille avait peur d'être jugée par eux et cette peur n'avait fait qu'accroître depuis la veille lorsqu'elle avait difficilement réalisé qu'ils étaient presque devenus des inconnus pour elle. Ce décalage ne relevait pas du simple fait d'avoir grandi mais d'avoir vécu. Elle était consciente qu'il y avait naturellement une cassure entre eux, que rien ne serait jamais comme avant. Mais elle sentait également autre chose.
Elle cessa de se tourmenter et quitta sa maison en rassemblant toute la force qu'elle allait avoir besoin pour leur faire face. La Tribu.
• • •
Camille attrapa son jus de fruit et pris soin de ne pas le renverser dans les escaliers. Il ne manquerait plus qu'elle fasse preuve de maladresse devant eux. Hors de question d'être ridicule. Elle avait suffisamment honte comme ça de se pointer ici. Le serveur lui avait précédemment indiqué d'aller à l'étage, que la petite bande se trouvait comme d'habitude au fond près de la grande fenêtre, le seul endroit de ce café un peu ancien mais cosy, où il était possible d'installer autant de personnes. C'est vers cette place qu'elle se dirigea lentement, affichant une mine gênée qu'elle essayait de briser par un léger sourire. Inutile de faire ou de dire quoi que ce soit, elle se sentait déjà foutrement bête. Bête de profondément croire que ce moment pouvait remplacer tous ceux qu'elle avait manqués et que ça leur permettrait à tous de repartir de zéro.
Elle croisa le regard d'Ashley derrière sa tasse de café. Ses sourcils se froncèrent et il la reposa un peu brutalement sur la table en bois. Elle était encore trop loin pour entendre ce qu'ils disaient.
« Qu'est-ce qu'elle fout ici ? demanda Ashley à sa jumelle, irrité. Raphëll, Sora et Naomi se retournèrent afin de comprendre qui pouvait le mettre dans cet état, bien que ce n'était pas très difficile à deviner.
— C'est moi qui l'ai invitée. On a pas eu le temps de lui parlé hier et j'ai pensé que c'était mieux de le faire ici, lui expliqua-t-elle avec conviction.
— Comme c'est mignon, vous espérez savoir pourquoi elle est partie ? Vous allez voir, c'est tellement original, rétorqua le brun empli de cynisme, regardant tour à tour ses amis. Il s'affaissa sur son siège et feinta une pose décontractée.
— Commence pas s'il te plaît, » souffla Adèlia.
Camille se tint enfin devant eux. Elle déglutit. Elle ne savait pas quoi faire, rien qu'un bonjour elle en était incapable, tout ce qu'elle pourrait dire lui sembla maintenant anodin et banal. Elle savait pertinemment qu'elle avait été conviée ici dans l'espoir qu'ils l'entendent expliquer les raisons de son départ. Mais c'était trop tôt pour elle. Le soulagement qu'elle ressentit ensuite la fit trembler et elle fut à deux doigts de lâcher sa boisson.
« Bonjour Camille.. installe toi, Sora lui indiqua la chaise vide près de lui en même temps qu'il lui toucha le bras d'un geste amical et rassurant. Elle lui sourit. Son premier vrai sourire depuis qu'elle les avait retrouvés la veille.
— Merci...» qu'elle prononça.
Elle s'assit et enleva sa veste et son sac qu'elle portait en bandoulière, cherchant à s'installer confortablement mais ses gestes nerveux n'échappèrent pas à ses voisins de table. Sa nervosité augmenta d'ailleurs d'un cran lorsqu'elle se retourna enfin vers eux, croisant leur regard braqué sur elle. À l'exception de celui d'Ashley.
« Ecoute Camille... il va nous falloir du temps, à tous et y compris à toi bien sûr, pour digérer et comprendre cette situation. Et pour le moment, on va te laisser t'adapter... enfin revenir tranquillement » lança Sora, presque aussi angoissé qu'elle.
À l'entente de ses derniers mots, Ashley tourna son visage vers son ami, haussant les sourcils d'étonnement. Il hallucinait de la tolérance et de la bienveillance dont Sora faisait preuve et avec lesquelles tout le monde semblait d'accord. Pour quelles raisons étaient-ils censés être aussi indulgents avec elle après ce qu'elle avait fait ? En tout cas, cela fonctionnait. Les paroles du garçon avait réussi à apaiser Camille, à la libérer un peu. Comme si elle avait retenu sa respiration depuis le moment où elle avait posé le pied dans la cour du lycée. Elle trouva le courage de prendre la parole, de les affronter.
« La moindre des choses serait de vous dire à quel point je suis désolée. Et je le suis, je suis sincèrement désolée. Je le suis encore plus parce que.. je ne vous dirai rien, pour le moment. Je ne peux simplement pas. Et je sais que les prochaines semaines vont être mouvementées pour moi, que je ne pourrais pas traverser un couloir du lycée, une rue de cette ville sans entendre murmurer mon nom. Je sais que je ne pourrais pas échapper aux questionnements des gens et aux rumeurs, elle marqua une pause, repris son souffle. Elle était réellement bouleversée. Je sais que c'est déplacé et trop demander, mais j'aimerai au moins échapper à vos questions. Et... si vous le souhaitez, apprendre à vous connaître, si elle ne l'avait pas déjà assez fait la nuit dernière, elle aurait éclaté en sanglots. A l'autre bout de la table, Ash bouillonnait.
— Ça me va, répondit Naomi, un peu nonchalante après un court silence. Non pas qu'elle s'en fichait, mais elle n'avait pas de meilleure solution. La secouer jusqu'à ce qu'elle avoue ou lui hurler dessus de colère ne lui paraissaient pas très utiles dans l'immédiat. En revanche, elle aussi rencontra le regard noir et ébahi d'Ashley. Je te promets pas que ça sera facile pour nous tous mais on peut essayer, mmh ? elle interrogea ses amis du regard. Raphaëll lui fit un signe de tête approbateur.
— Je veux bien essayer aussi, jusqu'à ce que tu te sentes prête, rétorqua Adèlia. Même si elle avait espéré de claires explications, elle se contenta de ce plan. Tu... tu peux nous raconter tes voyages par exemple. Ash m'a dit que.. avant de revenir, tu vivais à Paris. C'est comment ? la brune se montra un peu plus enthousiaste, son adoration des voyages et de leur récit prit le dessus. Et toi Ash, t'es d'accord ?
— La moindre des choses serait de dire au moins pourquoi tu es désolée, faute d'avoir une explication honnête, il fit allusion à ce qu'elle lui avait dit hier à la cantine, ce discours auquel il ne croyait pas. Mais puisque tout le monde semble de bonne humeur, allons-y pour Paris et tout le reste. Je suis curieux de savoir ce qu'il y avait de plus intéressant que nous là-bas ! » il se tourna vers Camille et elle croisa ses yeux bleus si persans à cet instant malgré le sarcasme dans ses mots. Il affichait même un sourire.
Ash ne supportait pas sa présence. L'idée lui était passé par la tête pendant cette discussion, faire un effort et se réjouir de son retour, qui signifiait quand même qu'elle était vivante et qu'elle allait bien, ce qu'il ignorait jusqu'à hier. Et en réalité, il n'avait plus cherché à savoir. Il l'avait volontairement considérée comme morte ces deux dernières années et, sans l'ombre d'un remord, ça avait réussi à apaiser sa douleur. Cela avait éradiqué l'espoir qu'elle revienne et surtout il avait enfin pu arrêter de se demander où elle pouvait bien être, et ce qu'elle faisait et avec qui. À l'inverse, Camille se contentait de tout ce que la Tribu lui donnait, du moindre sourire, de la plus petite attention, d'une intonation dans leur voix qui lui donnaient la certitude qu'elle représentait encore quelque chose à leurs yeux. Alors quel bonheur qu'elle rencontra lorsqu'elle fut autorisée à raconter son séjour à Paris. Pendant une bonne demi-heure, l'illusion avait fonctionné. Mystifiés, ils avaient mis de côté leur rancœur, ne relevant même pas lorsque la rousse énonça son hiver parisien, c'est-à-dire qu'elle confessa malgré elle ce qu'elle faisait au moment de l'accident. Ash n'était pas dupe et il savait que plus elle essayerait, plus elle façonnerait cet espèce de démon. Lui n'avait pas envie d'essayer, de faire semblant, ça le tuait de l'entendre répondre à toutes ces questions qu'ils s'étaient tous poser sans cesse, ça ne réglait aucun problème pour lui. Qu'importe ce qu'elle faisait l'année dernière, elle n'était pas au près d'eux. Leur dernier hiver n'avait pas eu la même odeur.
• • •
13h15 Lycée Läckberg
Camille se tenait debout aux côtés de Nora Harrington, les prémices d'une impatience les tiraillaient toutes les deux. Dans le hall d'entrée de Läckberg, encore vide à cette heure-ci, elles tentaient de faire preuve de flegme et de tolérance face au discours de leur interlocuteur, bien trop long et pompeux pour le peu d'informations intéressantes à en tirer. Isaak Lowenstein¹, conseiller principale d'éducation en titre depuis quinze ans, baron de ces lieux, pérorait depuis au moins dix minutes à propos de sa place si nécessaire au sein du lycée, se qualifiant de figure majeure d'autorité mais d'une écoute attentionnée à l'égard des mioches qui peuplaient son royaume.
« Vous êtes toutes deux nouvelles à Läckberg et débordé par les préparatifs de cette nouvelle année, vous m'en excuserez, je n'ai pas pris le temps de vous accueillir comme il se doit. J'ai donc pensé qu'une visite de l'établissement serait un excellent moyen de vous expliquer en détails son fonctionnement ! » avait-il dit si fier, avant de tourner le discours sur lui-même.
C'était un sacré personnage. Versatile dans son entièreté, il était à la fois coriace et buté face à des gamins défiant l'autorité ou dont la tronche ne lui revenait pas - Ashley était une bonne combinaison de ces obstacles qui pimentaient les journées de Lowenstein, comme il aimait le raconter - ou aisément bafoué tant il pouvait être naïf. Rien chez lui pour le moment n'impressionnait les deux femmes malgré l'effort qu'il faisait pour créer cet effet. Camille réalisa qu'elle serait sûrement confrontée à lui de nombreuses fois lorsqu'il daignerait s'attarder sur son dossier, ou peut-être se retrouver dans son bureau avec la Tribu, si toutefois ils étaient ce genre d'ados. Elle ne savait même pas en réalité mais elle ne pouvait s'empêcher de se calquer sur ce qu'elle connaissait d'eux, sur ses souvenirs, de quelle manière chacun se comportait à l'époque. Quant à Nora, elle n'était pas surprise de l'attitude de son supérieur, loin d'être le premier du genre qu'elle rencontrait. Rien qu'un homme se dit-elle, classique.
Isy Lowen', comme les élèves l'appelaient, invita Nora et Camille à déambuler dans les couloirs du rez-de-chaussée, leur indiquant à quoi correspondait chaque porte, en ouvrit certaines. Il n'arrêta pas de parler une seconde, il récitait le règlement du lycée, son fonctionnement et ses avantages comme s'il avait fait ça tout l'été alors que son bronzage marqué démontrait bel et bien des vacances au soleil. Une demi-heure plus tard, la fin de la visite se fit sentir, au plus grand bonheur des deux femmes, qui avaient tellement mieux à faire et loin d'être idiotes, sauraient rapidement prendre leurs marques. Les commentaires et boutades médiocres de Lowenstein avaient définitivement rendu cette balade moins attractive, pas mal pour un premier jour de cours.
« Ici nous nous trouvons au troisième étage où résident les salles réservées à certains clubs et ateliers ou des réunions qui nécessitent de la place, enfin vous voyez, déclara-t-il, reprenant son souffle, fatigué de ses propres paroles. On va terminer par les extérieurs et ensuite, je vous conduirais à votre classe, Camille.
— Et cette porte, elle mène à quoi ? Elle est dans un sale état... rétorqua Camille, montrant du doigt la porte derrière elle. En effet, plutôt abîmée et qui ne manquerait pas d'un coup de peinture, cette porte paraissait sinistre, à l'exception de la poignée. Clairement neuve et comprenant une serrure à code, une telle sécurité au milieu de pièces faciles d'accès intrigua Camille.
— Cette porte mène au toit... l'accès y est formellement interdit aux étudiants, n'y pensez même pas, sa voix monocorde jusqu'ici devint grave et presque menaçante. Le lycée a connu un malheureux incident l'année dernière... on a été obligé de redoubler de vigilance. Enfin bref, je vous souhaite la bienvenue à Läckberg. Aller, suivez moi les cours vont commencer, termina-t-il, soudainement pressé de quitter les lieux. Il avait tenté de rester sérieux face à l'évocation de cette histoire mais un frisson l'avait parcouru. Son visage s'était fermé et affichait un air désolée.
Alors, c'est par là, se dit-elle. C'est là-haut.
Nora était retournée dans son bureau continuer l'étude des dossiers de chaque étudiant, elle avait lu celui de Camille la veille. Pendant ce temps, celle-ci s'évertuait à se débarrasser de Lowenstein dans le couloir menant à sa salle de cours, lui assurant qu'elle n'avait pas besoin qu'il la présente, qu'elle saurait s'intégrer. Maintenant, il se montrait collant, pire, paternel. Elle souhaitait simplement qu'on lui foute la paix, se fondre une énième fois dans la masse et encore plus que les années précédentes, prendre le moins de place possible, ne pas se faire remarquer. Elle savait qu'Ashley et Adèlia partageraient ce premier cours avec elle, qu'ils seraient sans doutes entourés de leurs amis qu'elle ne connaissait pas, et après l'épisode du déjeuner, de cette tension qu'elle avait ressenti chez Ashley quand elle croisait son regard, elle redoutait l'entrée dans la classe. Isaak Lowenstein ignorait absolument tout ça, les états d'âmes de l'adolescente l'importaient peu d'ailleurs, c'était une occasion de plus de se faire voir, de montrer qu'il soutenait les élèves. Ça ne lui posait donc aucun problème de jeter Camille dans la fosse aux lions, de l'incruster de force au sein d'une ambiance et d'affinités déjà bien installées. Comme clouer maladroitement un clou dans un mur.
Lorsqu'ils se trouvèrent sur le seuil de la salle de classe où actuellement conversaient une vingtaine d'adolescents, Camille aperçut immédiatement les jumeaux. Elle reconnut aussi vaguement deux trois têtes au passage dans l'assemblée, maintenant que la classe était au complet. Adèlia était assise près d'une des fenêtres à l'opposé de Camille, la tête relevée vers son frère, avachi sur le rebord de ladite fenêtre, avec qui elle semblait en pleine discussion.
« Je vois que vous n'avez toujours pas perdu vos sales habitudes Yelrhev ! Descendez de là ! » ordonna Lowenstein en le voyant installé de cette manière.
Ashley s'exécuta, lentement en se mordant la lèvre inférieure. Ce n'était pas Isy' Lowen' qui l'agaçait sur le moment, ses réprimandes à tout va il en avait l'habitude, mais plutôt la personne qui se tenait à ses côtés. Il savait exactement ce que le CPE allait dire et par extension lui demandait de faire et il en était simplement hors de question. Il avait fait assez preuve de bonté lors du déjeuner quelques heures plus tôt. Isaak fit quelques pas dans la classe avec Camille, afin d'être parfaitement face à tout le monde.
« Je vous présente Camille, elle est nouvelle dans le lycée. Je vous demanderai donc d'être agréable avec elle et de l'intégrer comme il se doit, annonça-t-il d'un ton amical. Tu peux aller t'asseoir Camille. Même chose pour les autres, à vos places ! Le cours va commencer. »
Avant de quitter les lieux, Lowenstein indiqua du doigt les dernières places restantes dans le fond, c'est-à-dire la table libre aux côtés d'Adèlia et deux autres derrière elle. Camille s'y avança d'un pas rapide, ravie de mettre un terme à ces présentations grotesques. Ashley se tourna vers sa jumelle, la mâchoire serrée et le regard soutenu, il réfuta d'un signe de tête l'idée que la rousse s'assoit près d'eux. C'est qu'il avait oublié sa voisine, qui, ignorant leur passé commun, défia l'autorité de son roi. Elle avait toujours été trop curieuse et tout occasion était bonne pour se faire valoir.
« Hey ! Camille, c'est ça ? Viens t'asseoir avec nous, on va pas te manger ! lança la blonde à la nouvelle qui s'était résolue à s'installer le plus loin possible de cette tension émanant d'Ashley. Elle répondit par un mince sourire et occupa finalement la place près d'Adèlia. Je m'appelle Livia, enchantée, » elle décocha un large sourire. La manière dont elle s'adressait à Camille était teintée d'une sympathie étrange mélangée à l'arrogance de ses mimiques.
Leur professeur entra et délivra Camille de sa nervosité pendant trois bonnes heures, revenant à une atmosphère normale de salle de classe où elle fut traitée comme n'importe qui. Pour le moment, pas de murmures, pas d'innombrables questions si ce n'est celles de l'enseignant. Elle échangea même quelques mots avec Ada lorsque la brune lui expliqua comment fonctionnait ce prof, l'organisation des examens ou l'inscription aux clubs. Pendant l'appel, elle avait brièvement appris le nom de ses camarades de classe qu'elle ne connaissait pas du collège, et notamment plus en détails celui de la blonde qui l'avait accueillie. Livia Cromwell. Et elle le portait divinement bien, son nom. Chaque syllabe résonnait lorsque Camille le scanda dans sa tête, incarné par une élégance infernale et lancinante. Elle découvrit l'entièreté de sa silhouette alors que l'intéressée se leva à la fin du cours, les jambes engourdies. Livia était élancée et fine, d'une minceur contrôlée et adulée, conforme aux préceptes de la société, son corps tonifié ne laissait dépasser qu'une belle poitrine galbée dans son chemisier noir. Ses cheveux étaient blonds, d'une teinte naturelle et vive, les longueurs davantage dorées par le soleil rencontré pendant ses vacances. Ils étaient si longs, lui arrivant facilement sous les seins, mais à cet instant elle les avait sommairement attachés en une queue de cheval basse, quelques mèches encadraient son visage en lame de couteau aux pommettes saillantes si bien que de profil, on ne distinguait pas ses yeux. Pourtant, il était difficile de s'en défaire de ce regard fulgurant et torve, elle avait de petits yeux noirs qui en avaient troublé plus d'un. Dominante, perchée sur ses talons, elle dépassait Ashley de quelques centimètres. Lui, son regard l'avait attendri, similaire à celui d'un animal apeuré. Camille ne pouvait nier une liaison entre eux, le beau contraste qu'ils créaient tous les deux dans un véritable clair-obscur. Elle ignorait la nature de leur relation mais elle existait bel et bien, ils allaient si bien ensemble et elle ne voyait pas pour quelles raisons l'un aurait résisté à l'autre. Ce fut son tour d'être enivrée par Livia quand celle-ci, heureuse d'avoir retrouvé son empire, proposa de fêter la rentrée chez elle. Ses parents absents jusqu'à la fin de la semaine, c'était le moment idéal pour une dernière série d'excès avant de s'accommoder de nouveau au rythme scolaire et à ses injonctions, avait-elle expliqué si convaincante. À sa grande surprise, elle qui se présumait invisible pour ce genre de personne, Camille fut conviée.
21h15 Appartement des CromwellCraving²
« Moi aussi, j'ai quelque chose pour toi, »
Le coin de sa bouche s'étira lentement et elle esquissa un sourire triomphal avant de se mordre la lèvre. Elle retrouva sa traditionnelle mine rogue et conquérante après avoir baissé sa garde lorsque son roi lui avait tendu un fin bracelet de perles et de coquillages ramené de vacances en guise de présent. Elle fut touchée bien que pour lui ça ne représentait pas grand chose, considérant qu'il lui offrait déjà beaucoup de sa personne, il oscilla entre pitié et empathie car comme lui, elle n'avait sûrement pas l'habitude de ce genre d'attention. Installé en face d'elle sur le balcon, Ash tira une nouvelle fois sur son joint bien chargé qu'il désirait depuis des semaines et encore plus depuis que la rousse était revenue. Mais ça n'apaisa pas sa colère, ça n'était plus suffisant. Il vit sa reine fouiller dans son sac à main et ce qu'elle en sortit le baigna d'abord dans un amer mélange de honte et de dégoût envers lui-même, parce que ça lui avait tant manqué. Cette Neige était si belle, entassée dans ce minuscule paquet transparent que Livia agitait devant lui comme un bout de viande devant une bête affamée. Il en crevait d'envie et savait qu'il était inutile de résister. Il tendit vivement le bras pour attraper ce qui lui permettrait d'oublier son nom.
« Pas si vite, dit-elle soudainement contrariée, elle recula sa main tenant fermement la cocaïne. Et nous, nos retrouvailles ?— Plus tard. Là j'ai vraiment besoin de me vider la tête, » répondit-il d'un ton sec en lui arrachant le sachet des mains.Elle grimaça, insatisfaite. Elle avait pensé lui proposer cela comme récompense qu'elle méritait pour lui avoir apporté son exutoire, mais ça ne fonctionnait pas de cette manière entre eux. Cela ne devait jamais être une récompense, une corvée et quand il s'offrait à elle, ce n'était pas pour la gratifier. Livia Cromwell souhaitait et méritait mieux que ça. Elle voulait qu'il soit de nouveau charmé, obsédé par sa peau, son corps, ses caresses et ça finirait par revenir parce qu'elle était une drogue, elle aussi. Quant à celles qu'elle lui procurait, ça n'avait jamais été un problème non plus. L'argent n'était pas un problème pour elle et elle préférait le gaver de substances de qualité plutôt qu'il attende dans la rue pour de la merde, et ça lui faisait peur, la drogue des quartiers, à cette bourgeoise. Et au moins chez elle, pendant ses soirées, elle pouvait aussi profiter de quelques flocons de temps en temps. Ashley rangea sa Neige dans la poche de sa chemise et se leva pour se planter devant Livia. Il adorait quand elle faisait la gueule parce qu'elle n'était plus son centre d'attention.
« Pour nos retrouvailles, je préfère être clean et ne pas voir la moitié du lycée dans ton salon. Maintenant, si madame est pressée, murmura-t-il en s'approchant de son oreille, ce qui la fit rire.— Que je ne te surprenne pas avec une profane ! » rétorqua Livia en lui attrapant le visage d'une main, un sourire narquois traversa son visage.
Les profanes. C'est le surnom qu'elle donnait au sang neuf de ses soirées, ceux et celles invités pour la première fois, amateurs de drogues ou de rencontres nocturnes, parfois des étudiants d'autres établissements ou les petits nouveaux de Läckberg et parmi eux, des potentielles futures conquêtes pour Ashley. Ce qu'elle pouvait être jalouse. La nouveauté c'était rare par ici. Il ria à son tour et l'embrassa sur la joue avant d'écraser son joint dans le cendrier et de retourner à l'intérieur avec elle. Lorsqu'ils se trouvèrent dans le salon qui commençait à se remplir d'individus et d'alcools, la sonnette retentit.
« Nathen, tu peux aller ouvrir ? » demanda-t-elle en haussant la voix pour couvrir celles des autres tandis qu'elle se dirigea dans la cuisine.De l'autre côté de la porte, les membres de la Tribu tentaient de réunir toute l'énergie qui les aiderait à tenir jusqu'au lendemain matin, car il était peu probable qu'ils quittent cette fête sordide à une heure convenable, avec en prime, Ashley en bon état. Ils avaient pris l'habitude à force, chacun trouvait de quoi s'occuper pour rendre la nuit moins fastidieuse. Seulement cette fois, Camille était présente et elle ignorait comment s'articulaient les soirées chez Livia, elle était une profane. Elle n'était pas naïve, elle avait déjà participé à ce genre de festivités dans son précédent lycée sous l'œil désapprobateur de son père. Elle savait de quoi elles étaient composées et ce qui s'y passaient. Mais une fois de plus, son immuable espoir avait pris le dessus et l'avait persuadée que cette nuit serait une belle occasion de faire connaissance avec ses camarades et surtout de se rapprocher de ses amis, d'observer ce qu'ils faisaient chez Livia Cromwell. Elle se sentait rassurée, là, entourée par les quatre adolescents sur le pallier, ils avaient même insisté pour qu'elle fasse le trajet avec eux. Alors aucune raison que ça se passe mal, qu'elle se répétait. Le fou entra en scène. Lorsque la porte s'ouvrit, Camille découvrit un jeune homme appuyé d'une main contre le mur dans une posture insouciante et molle mais étrangement séduisante. En effet, il dégageait un indéniable charisme provenant essentiellement de sa gueule d'ange déchu à l'expression impénétrable avec laquelle il les scrutait. La rousse se demanda un instant s'il n'était pas le frère de Livia, considérant la similitude de certains attributs physiques. Il était blond lui aussi, les cheveux courts et ondulés mais de longueurs inégales, ébouriffés et ramenés en arrière, ce qui accentuait son attitude nonchalante et il avait le regard terne pour de grands yeux noisettes. Dessinant la largeur du seuil de l'appartement de ses bras musclés aux épaules larges, il paraissait si imposant alors qu'il ressemblait davantage à un enfant avec son visage allongé et délicat à la peau veloutée parsemée de rougeurs, au nez droit et aux lèvres charnues et bien rosées. Alors que le visage de Nathen se détendit devant la rouquine dont le minois ne lui était pas familier mais qu'il trouva fort ravissant, Sora se rapprocha de Camille comme pour la protéger.
« Une rousse collée à la Tribu... marmonna le blond de manière inaudible pour les autres, revenant sur la description que Livia lui avait faite de Camille. Je présume que t'es Camille, la nouvelle. »
Bon dieu ce qu'elle détestait qu'on l'appelle comme ça. Une foutue étiquette qui lui collait à la peau depuis trois ans comme si c'était ce qu'il y avait de plus distingué chez elle et c'était d'autant plus agaçant d'être nommée ainsi dans sa propre ville. Nathen les laissa entrer, détachant sa main du mur dans un geste presque élégant, Naomi fut la seule à le saluer.
« Je te présente Nathen Sanderson, le...le meilleur ami de Livia, dit-elle à Camille, faisant s'envoler ses hypothèses sur l'identité du garçon. Le concerné baissa le regard vers Naomi, un sourcil levé. Si seulement ce qu'elle disait était vrai...— Ravi de te connaître, » il adressa un sourire sincère à la rousse avant de disparaître avec les autres dans la foule qui remplissait désormais le séjour de Livia.
Une petite heure plus tard, après avoir réussi à faire connaissance avec d'autres invités et tenté autant qu'elle le pouvait de mener une conversation avec ses amis sans aborder ses trois années d'absence, Camille déambula dans l'appartement à la recherche d'Ashley. Elle n'avait consommé qu'une bière, souhaitant garder le total contrôle d'elle-même pour cette première soirée. À vrai dire, elle ne se sentait pas très à l'aise dans cet endroit. Il y avait maintenant beaucoup de monde, beaucoup plus que Livia l'avait supposé, et elle se sentait un peu fatiguée et nauséeuse à cause de l'odeur d'alcool renversé et de cigarette qui régnait dans le séjour de l'appartement. De plus, la musique dont le niveau sonore était assez élevé et toutes les voix qui se chevauchaient lui avaient filé la migraine. Elle ne s'amusait pas vraiment et elle n'avait pas appris grand chose sur la Tribu. Ses amis n'avaient fait que discuter, boire quelques verres et afficher une tronche qui transpirait l'ennui. Mais elle avait tout de même discerné une certaine inimitié de leur part envers Nathen, quelque chose de répulsif, alors qu'à ses yeux il semblait tellement inoffensif et sympathique. Elle ne comprenait pas. Pour en finir avec les inconvénients de cette fête et à l'inverse de celles de son ancienne école, Camille avait compris que des drogues circulaient ici, outre le cannabis qui accompagnait parfois le tabac. Elle ne savait pas réellement de quoi il s'agissait mais le peu qu'elle avait aperçu l'avait refroidie sur le champ. Elle réussit à se détendre en ne voyant aucune de ces saloperies tombées entre les mains de ses amis, elle le savait, ce n'était pas leur genre, non. Livia invitait tout bonnement n'importe qui.
Quant au brun qu'elle poursuivait, il avait passé un court moment avec ses amis lorsqu'ils étaient arrivés mais ne lui avait adressé aucune parole ni même un regard. Or c'était notamment lui qu'elle aspirait observer pendant cette soirée et découvrir ses habitudes, ce qu'il aimait boire ou comment il se comportait avec Livia. Elle emprunta le long couloir derrière le salon qui s'avérait mener à trois autres pièces, cet appartement était vraiment immense. La rousse surprit une silhouette inconnue pénétrer dans la pièce du fond qui faisait office de chambre d'amis. Elle s'y avança et, collée au mur, y passa discrètement la tête de peur de surprendre des gens qu'elle ne connaissait pas. Pourtant elle y trouva bel et bien le sujet de sa quête. La chambre était uniquement illuminée par la lampe de chevet posée sur le petit bureau auquel Ashley était installé, le couvrant d'un halo jaunâtre alors que le reste demeurait dans une certaine obscurité, si bien qu'il ne pouvait pas remarquer Camille. De plus, entre eux se tenait la silhouette appartenant à un jeune homme plutôt éméché, mais elle pouvait suffisamment examiner Ashley. Avant de glisser dans la Neige, elle nota qu'il semblait plus calme que lorsqu'elle se trouvait face à lui, son expression était concentrée, fixant d'abord le bureau pour se tourner ensuite, un peu surpris, vers l'individu qui cherchait simplement les toilettes. Camille ne put s'empêcher de le trouver irrésistiblement beau attablé de cette manière, les épaules en arrière et le menton baissé et vêtu légèrement de cette chemise aux manches courtes retroussées et entrouverte, dévoilant une partie de son torse sur lequel on devinait un tatouage.Il était divinement et incontestablement beau, mais pas à l'instar de Nathen selon la rouquine, qui se trouvait un peu bête d'être aussi aisément séduite. Ashley provoquait déjà cette fascination ensorcelante quand ils avaient quatorze ans, elle ne savait pas l'expliquer. Ses yeux se décalèrent subséquemment de quelques centimètres vers la droite et ce qu'elle vit fissura dans une note très aiguë son immuable espoir.Il y avait de la Neige sur la table, découpée en trois petites traînées parallèles. Néanmoins ce ne fut rien à côté de la conversation qui se lança entre les deux garçons, lui faisant l'effet d'un étau en fer rouillé autour du corps, lui tordant les tripes dans une lenteur douloureuse.
« Désolé mec, je consomme toujours en solo, prononça Ashley face au regard intéressé de son interlocuteur à propos de sa poudre. — Pas de problème je comprends, répondit-il en levant les mains. Son alcoolémie avancée rendait son articulation difficile et il souriait bêtement. Chacun sa Caroline ! — "sa Caroline" ? questionna le brun dans un meilleur état malgré des yeux rouges et cernés. — C'est comme ça que j'appelle ma came quand je... quand y'a du monde quoi ou par message, il se mit à rire comme si on venait de lui balancer une vanne. C'est un code. Et la tienne elle s'appelle comment ? demanda-t-il, après quoi Ash détourna le regard vers les tracés qu'ils venaient d'effectuer, grattant la surface du bureau avec la carte qui l'y avait aidé. Sa réflexion ne fut pas longue et un rictus se dessina sur son visage alors qu'il s'approchait de la Neige. — Elle s'appelle Camille. »
La Camille de chair et d'os recula secrètement et s'adossa contre le mur, tétanisée. Ses yeux s'écarquillèrent, illustrant son effroi. Elle avait finalement obtenu ce pourquoi elle était venue ici, découvrir comment la Tribu vivait, ce qui avait changé et ce qu'ils faisaient chez Livia. Mais elle n'était pas seulement choquée de ce qu'elle avait vu, elle se sentait sale et désarmée. Les larmes lui montèrent d'un coup, accompagnées d'une respiration de plus en plus forte, il fallait qu'elle quitte cet endroit. Elle entendit renifler et l'autre jeune homme sortir de la chambre lorsqu'elle décampa du couloir d'une marche rapide. Des millions de pensées lui traversèrent le cerveau et l'une d'elle la fit se maudire d'être partie trois ans plutôt. Elle se hâta de quitter la maison de Livia après avoir récupérer ses affaires sous le regard interloqué de ses amis devant ses joues humides. La dernière chose qu'elle saisit fut la voix d'Adèlia dans l'entrée et à laquelle elle rétorqua qu'elle voulait rentrer dormir. C'était la première fois depuis son retour qu'elle entendait son prénom dans la bouche d'Ashley, et il l'avait roulé dans la boue. .
1 LOWENSTEIN : William Lowenstein existe réellement. C'est un spécialiste en Médecine Interne et addictologie, connu pour ses travaux sur les traitements médicamenteux de l'addiction à l'héroïne.2 CRAVING : envie, désir irrépressible et violent de reprendre de la drogue et qui survient généralement après une période d'abstinence.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro