11 - Dimanche matin
La maison de son enfance était devenue une inconnue. Isidore éprouva beaucoup de difficultés à s’endormir, il eut encore plus de mal à demeurer allongé après s’être réveillé aux aurores. Mélodramatique, incapable de retrouver le sommeil, il se désola d’être coincé dans un village en rase campagne sans transport ni divertissement en cette journée de congé. Il y avait pourtant de quoi s’occuper : entre autres, l’église, le marché, la promenade dominicale en forêt. Le hameau n’était pas loin de tout, car les bus étaient peu nombreux, mais certains circulaient le dimanche. La proximité avec une grande ville était même suffisante pour faire bénéficier le village de routes tout à fait correctes. La veille, l'avocat ronchon avait ainsi parcouru tout le chemin sans rencontrer nid de poule ou dos d’âne qui aurait immobilisé son véhicule. C’était sa propre négligence qui l'avait bloqué. À présent, son aversion – frôlant la mauvaise foi – envers le milieu rural l’empêchait l’empêchait de trouver des activités pour tromper son ennui.
Après un tour dans le jardin pendant que le soleil finissait d’apparaître à l’horizon, le citadin séquestré revint dans sa prison provinciale, le bas de son jogging humide de la rosée matinale. Il erra une heure, mug de thé qui refroidissait dans une main, en enchaînant les cigarettes de l’autre. Depuis sa toute dernière demeure, la tante Lilibel devait hurler à la trahison de son neveu contre sa maison terrestre. L’odeur de tabac allait imprégner chaque rideau, et la fumée donner un aspect sale, grisâtre, à tous les meubles. Une seule phrase résumait la pensée d'Isidore à l’évocation de l’éventuelle déchéance mobilière : « Rien à péter ! »
Le fumeur se réjouit d'avoir glissé dans son sac de voyage trois paquets de clopes et une bouteille d'eau. Le strict minimum à sa survie jusqu’au lendemain. Il arrangea vaguement quelques papiers dans le bureau, puis, poussé par la curiosité, il gravit le petit escalier qu'il avait découvert en tirant sur une ficelle. Elle pendouillait au milieu du couloir du deuxième étage. Isidore s'en souvenait à présent : cette trappe menait à un vaste grenier.
Une odeur de poussière et de renfermé accueillit l’explorateur. L’unique lucarne, au joint récent, laissait filtrer la luminosité de début de matinée. Elle donnait un air sinistre aux boîtes en carton de tailles diverses, parfaitement étiquetées, et qui s’empilaient, s’alignaient, comme des soldats aux ordres de la Générale Dumont. Celle qui ne reviendrait plus les visiter.
Le nouveau propriétaire ouvrit le velux pour aérer la pièce. Il passa en revue l’armée de cartons. Sur deux d'entre eux, rien n’était indiqué. Bien évidemment, ce fut leur contenu qu'Isidore décida de vérifier. D’autres boîtes se trouvaient dans ces boîtes. Ça frisait la psychose maniaque ! Dans un coffret en bois décoré à l’orientale, des petites babioles s’entassaient : un collier de nouilles peintes, des cailloux sur lesquels une main enfantine et malhabile avait dessiné aux feutres de couleurs, des coquillages de toutes sortes, des marrons desséchés, des morceaux de branches aux formes bizarres… Les yeux de l’avocat devinrent soudain humides. Il cligna rapidement pour reprendre le contrôle.
Arrête de ramasser des cochonneries dans la forêt, disait sa tante préférée avec un sourire narquois en acceptant ses offrandes. Puis elle les alignait sur le dessus de la cheminée. Quelques semaines plus tard, le même endroit était libre pour d’autres présents du gamin. Devenu plus grand, il avait toujours été persuadé que Lilibel jetait les anciens cadeaux pour faire de la place aux nouveaux. Pourquoi avait-elle conservé tout ça ?
Isidore s’intéressa ensuite à quelques courriers personnels. Il avait fouillé dans un dossier rouge glissé près du coffret à souvenirs. Avec un intérêt étonné, il prit connaissance de lettres d'amour vieilles d’un demi-siècle ! D’après la date de la première missive, Lilibel avait à peine treize ans. L’âge de l'expéditeur était certainement peu ou prou le même que celui de sa dulcinée, puisqu'en 1968, on parlait de sa première année d’université. Presque toute sa vie, la demoiselle avait gardé précieusement les feuillets jaunis par le temps.
« Incroyable ! s'exclama le neveu à voix haute. Qui aurait cru qu’elle était si sentimentale ? »
En se demandant s'il avait vraiment connu sa tante, l’héritier s’adossa à une poutre du grenier et laissa son regard s’envoler par la lucarne. Le soleil continua sa balade dans le ciel. Il était près de midi quand un homme hagard ressortit du grenier de mademoiselle Dumont. Couvert de poussière et de nostalgie, il fêta le début de ses excavations avec une cigarette. La faim le surprit au détour d'une bouffée de nicotine. Sans aucun embarras, Isidore se dirigea vers la boutique de ses voisins bourguignons, afin de faire ses emplettes.
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