Hélios marchait d'un pas lent et silencieux à travers les collines vierges de toutes culture ou habitation. Ce jeune homme de 21 ans avançait sans se hâter vers le sommet de la plus haute colline des alentours, en haut de laquelle s'élevait fièrement un immense arbre au feuillage presque doré : un ginkgo.

- C'est une belle journée, n'est-pas ? demanda-t-il en guise de salut à son arrivée.

Seul le bruissement léger des feuilles se fit entendre ; mais Hélios continua, comme si ce son lui avait apporté une réelle réponse :

- Tu sais, ils ont prévu une éclipse totale de Soleil pour cette après midi.

Cette fois-ci, aucun bruit. Le vent s'était tu. Le jeune homme aux cheveux blonds ne sembla pas s'en apercevoir, absorbé par l'envol d'un oiseau.

- Je me suis donc dit qu'on pourrait la regarder ensemble, poursuivit-il d'une vois douce.

Il se laissa glisser contre le tronc du ginkgo avec beaucoup de précaution : il ne souhaitait en aucun cas détériorer l'arbre qui paraissait pourtant si solide.

~~<><><>~~

Hélios n'avait plus dit un seul mot pendant deux longues heures. De temps à autre un faible soupir franchissait ses lèvres, né d'une pensée douloureuse.

- Ça va commencer, annonça-t-il enfin, troublant le silence.

Il farfouilla dans les poches de sa veste, en sortit une paire de lunettes de protection en carton bleu et se les mis.

- Je n'en ai pas pour toi, mais c'est seulement parce que tu n'en as pas besoin... s'excusa-t-il, un sourire triste et las sur le visage.

Le Ciel devint sombre en quelques minutes, tandis que la Lune semblait grignoter petit à petit le Soleil. Hélios admirait cet inoubliable spectacle naturel avec un émerveillement sans bornes, jetant parfois un furtif regard vers sa droite, comme pour vérifier que ce qu'il était venu voir était toujours à la même place.

~~<><><>~~

La Reine de la Nuit avait à présent totalement recouvert l'Empereur du Jour ; leur union formait un disque noir duquel jaillissait des rayons blancs aveuglants. Le Ciel, Royaume de cette rare fusion, ne semblait plus savoir de quelle couleur se parer pour l'accompagner dans sa fascinante beauté. Se décidant pour un sombre gris bleuté, les Étoiles, petites sujettes de la Lune, l'approuvèrent en brillant d'un éclat blanchâtre.

~~<><><>~~

Puis tout cela se mit à s'effacer aussi rapidement que ç'avait été assemblé. Les deux Astres du Temps se séparèrent dans un mouvement à la fois tellement bref et infini, qu'on pouvait se demander si, justement, ils n'avaient pas eux-même arrêté le Temps pour l'effectuer. Le Ciel redevint progressivement d'un bleu azur, et les petites lumières qui l'ornaient quelques secondes plus tôt s'éteignirent une à une.

Tout cela s'était déroulé dans un silence complet. Quand Hélios se rendit compte que c'était bel et bien terminé il cligna plusieurs fois des yeux, encore abasourdit. Il se leva d'un geste machinal en enlevant ses lunettes, son regard gris ne semblant regarder qu'à l'intérieur de lui-même ; comme si la fin de l'Éclipse avait fait apparaître une pensée étrange et triste en lui. Puis, reprenant ses esprits, il se tourna vers qui il était venu rendre visite.

- Tu sais j'ai compris une chose, là, tout de suite, annonça-t-il alors que des larmes commençaient à remplir ses yeux.

Il marqua un temps de pause, et plusieurs gouttes d'eau salée dévalèrent ses joues tandis qu'il se mordait la lèvre inférieur pour les retenir. Puis il continua, la voix entrecoupée par quelques sanglots :

- J'ai compris ce que tu étais, Sélène. Une Éclipse. Et comme une Éclipse, tu es partie trop vite. Beaucoup trop vite... !

Et il tomba à genoux face à la tombe de sa sœur, le visage ravagé par les larmes.