Chapitre 14
Dawn
J'ai cinq ans, peut-être moins. Le jardin de notre maison est baigné dans une lumière douce, dorée, presque irréelle. J'observe la scène comme à travers une vitre, détachée mais profondément ancrée dans ce moment. Tout semble paisible, figé dans une bulle d'insouciance.
Mon père est accroupi près de moi. Ses bras solides reposent sur ses genoux, et son regard bienveillant suit mes mouvements hésitants. Ses cheveux noirs, légèrement désordonnés, brillent sous les rayons du soleil. Je tiens un petit oiseau entre mes mains d'enfant, si fragile qu'il semble sur le point de disparaître. Ses plumes brun clair sont froissées, et son corps ne bouge presque plus. Je sens la pulsation infime de son cœur, lente et mourante.
— Dawn, ma chérie, pose-le, dit mon père d'une voix calme.
Je le vois sourire doucement, mais je ressens aussi une note de tristesse dans ses paroles. Il pense que c'est inutile. Je le sais. Pourtant, une certitude étrange s'éveille en moi, comme si je pouvais changer le cours de ce moment.
— Tu ne peux rien faire, continue-t-il, en posant une main chaude et rassurante sur mon épaule. Parfois, il faut accepter ce que la nature décide.
Mais je ne peux pas accepter. Quelque chose dans mon petit corps refuse cette idée. Je secoue la tête, le regard rivé sur l'oiseau. Mon souffle devient irrégulier, mes mains tremblent.
— Je peux l'aider, papa, dis-je, ma voix à peine plus qu'un murmure.
Il rit doucement, comme s'il voulait me rassurer. Ses yeux pétillent d'une tendresse sincère.
— Ma petite faiseuse de miracles, plaisante-t-il. Qu'est-ce que tu vas inventer cette fois ?
Je ferme les yeux, mes petits doigts se refermant avec précaution autour du corps de l'oiseau. Une chaleur étrange monte en moi, comme un feu doux qui commence dans mon ventre et se diffuse lentement dans mes bras. Je ne sais pas ce que je fais. Je sais juste que je dois continuer.
Et puis, l'impossible arrive. L'oiseau bouge. Juste un frémissement au début, puis un battement d'ailes hésitant. Je rouvre les yeux, et mon cœur bondit. Il redresse la tête, ses petits yeux noirs croisent les miens, et d'un mouvement vif, il s'élance hors de mes mains. Ses plumes effleurent mes doigts avant qu'il ne disparaisse dans le ciel.
— Tu as vu, papa ?! Il est vivant ! m'écrié-je, une joie pure éclatant dans ma voix.
Mais mon père ne rit pas. Quand je me retourne vers lui, quelque chose a changé dans mon souvenir. Le sourire a disparu. Son visage s'est figé, et ses yeux sont grands ouverts, fixant mes mains comme s'il voyait quelque chose d'impossible. Une ombre traverse son regard, une peur qu'il ne cherche même pas à cacher.
— Qu'est-ce que tu as fait... ? murmure-t-il enfin, presque inaudible.
Je reste figée, le cœur battant. Sa main, si rassurante un instant plus tôt, glisse de mon épaule, lente, précautionneuse, comme si ma peau le brûlait. Ses yeux se plissent légèrement, et je vois dans son expression quelque chose que je ne peux comprendre à cet âge. Une inquiétude sourde, mêlée de répulsion.
La scène change. Je la vois se distordre autour de moi, l'image d'un père aimant s'effaçant pour laisser place à quelque chose d'autre. Ce regard, ce silence lourd, cette distance qu'il installe entre nous. Je sens une froideur s'installer dans ma poitrine.
Le jardin, qui était si lumineux, semble perdre de son éclat. Les feuilles des arbres bruissent sous une brise inexistante, et l'oiseau qui s'éloigne dans le ciel me paraît désormais irréel. Je ne suis plus une petite faiseuse de miracles. Je suis... autre chose. Différente. Peut-être même effrayante.
Un hurlement déchire l'air, perçant comme une lame à travers la tranquillité du souvenir. La lumière dorée du jardin s'efface brusquement, emportant avec elle la chaleur et l'insouciance de mon enfance. Une sirène, lointaine mais insistante, se mêle au bruit sourd et métallique de la tôle froissée, aux crissements des pneus sur le bitume mouillé. Le monde entier semble vaciller.
Mon souffle s'accélère, et un poids écrasant m'écrase la poitrine. Les images du jardin se brouillent, disparaissent, laissant place à une obscurité oppressante. Mon corps se tend instinctivement, cherchant un point d'ancrage, mais il n'y a rien. Juste cette sensation de vide, et ce son obsédant : une alarme, ou peut-être une sirène, qui résonne au loin.
Une douleur sourde pulse dans ma tête, me ramenant à la réalité. Mes paupières lourdes tremblent avant de s'ouvrir complètement. Une lumière tamisée m'accueille, incertaine, presque étrangère. Où suis-je ?
Je tente de bouger, mais mon corps refuse. Une faiblesse étrange s'est emparée de moi, comme si toute mon énergie avait été aspirée. Une vague de panique monte en moi, accompagnée de souvenirs fragmentés. La lumière dorée... des éclats de chaos... et après, plus rien. L'obscurité m'avale, froide et silencieuse. Mon corps semble flotter dans une mer de néant. Je ne ressens ni douleur, ni peur, juste une étrange impression de suspension. Combien de temps s'écoule ? Je l'ignore.
Je prends une inspiration tremblante, mes doigts s'accrochant au drap qui me recouvre. Mon bras nu, exposé à l'air frais, est couvert de frissons. Je balaie lentement la pièce du regard, tentant de comprendre. Les murs sont tapissés de symboles étranges, presque hypnotiques, qui semblent danser sous l'éclat faiblard de quelques bougies. Des étagères poussiéreuses regorgent d'objets antiques, des artefacts inconnus alignés avec une précision déconcertante.
Un parfum de cuir vieilli et de cire fondue flotte dans l'air, donnant à l'endroit une aura d'ancienneté. Chaque détail renforce mon sentiment de décalage. Je ne reconnais rien ici. Tout est étranger, comme arraché à un autre temps. Où suis-je ?
Je me redresse légèrement, l'effort suffisant à provoquer un vertige. Ma tête tourne, et je dois fermer les yeux pour ne pas céder à la nausée. Mon esprit s'accroche désespérément aux bribes de réalité. Une lumière dorée, éblouissante et incontrôlable. Le chaos du musée. Les éclats de voix, une panique sourde dans la foule. Et lui. Nox Iskander. Son regard gris, son visage tendu comme s'il portait le poids de mille décisions impossibles.
Mon souffle s'accélère alors que mes pensées tentent de rassembler les fragments épars de ma mémoire. Comment suis-je arrivée ici ? Chaque respiration m'apporte un peu plus de clarté, mais la panique reste tapie, prête à bondir. Je serre le drap contre moi, cherchant un réconfort futile dans sa texture rugueuse.
Je balaie la pièce d'un regard plus attentif. L'atmosphère est lourde, chargée de quelque chose d'indéfinissable. Mon regard s'arrête sur une statuette dorée, posée au centre d'un bureau encombré. Même avec ses fissures visibles, elle dégage une sorte d'autorité silencieuse. Mon cœur se serre lorsque je la reconnais : c'est la même que celle que j'ai vue au musée, celle qui a réagi à ma présence.
Un frisson me parcourt l'échine. Je me souviens de l'énergie écrasante, de cette lumière dorée qui semblait vouloir m'engloutir. Et maintenant, elle est là, comme si rien ne s'était passé.
Je me redresse lentement, mes jambes flageolantes sous mon propre poids. Chaque pas est un effort, mais la curiosité me pousse à avancer. Je m'approche de la statuette, tendant une main tremblante, mais je m'arrête à quelques centimètres. Quelque chose m'en empêche, comme une barrière invisible. Ou peut-être est-ce simplement la peur.
Mon esprit s'emballe. Pourquoi cette statuette est-elle ici ? Et pourquoi est-elle brisée en deux ? Rien de tout cela n'a de sens.
Le son de l'eau qui s'écoule brise le silence. Ma curiosité prend le dessus avant que mon esprit rationnel ne puisse protester. La vapeur, légère et translucide, s'échappe d'une porte entrouverte. Je m'approche à pas feutrés, mes pieds nus glissant presque sur le sol frais.
Quand je passe ma tête par l'ouverture, la scène me coupe le souffle.
Nox est là, sous la douche. L'eau ruisselle sur lui, formant des cascades scintillantes qui épousent chaque courbe de son corps. Ses épaules larges et son dos musclé se tendent sous le jet puissant, sa silhouette découpée dans un contraste presque irréel. Il penche la tête en avant, les mains appuyées contre le carrelage, ses muscles tendus comme s'il luttait contre un poids invisible.
Je devrais partir. Je sais que je ne devrais pas être ici, mais mes jambes refusent de bouger. Je reste figée, hypnotisée par ce moment volé. Pourquoi suis-je incapable de détourner les yeux ? Ce n'est pas seulement sa présence qui m'attire, mais quelque chose de plus profond. Comme si, malgré tout ce mystère, il était un fragment de quelque chose que je cherche depuis toujours.
Puis il bouge.
Un frisson me parcourt alors qu'il redresse la tête, ses cheveux noirs collant à sa nuque. Quand il se retourne légèrement, un éclair de surprise traverse son visage lorsqu'il prend conscience de ma présence.
— Dawn ?
Sa voix est rauque, presque incrédule.
Je recule d'un pas, le cœur battant à tout rompre, mais il a déjà attrapé une serviette posée à portée de main pour l'enrouler autour de ses hanches dans un mouvement fluide, masquant ainsi sa nudité.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
Son ton est sec, presque accusateur.
Je balbutie, cherchant une excuse cohérente.
— Je... Je ne savais pas que tu, vous... J'ai entendu l'eau, et...
Mes joues me brûlent, et je baisse les yeux, évitant son regard.
Un silence s'installe, et je le sens bouger. Quand je lève timidement les yeux, il est tout près, ses cheveux encore mouillés et des gouttes d'eau glissant sur sa peau.
— Tu n'es pas censée être debout, murmure-t-il, son ton adouci par une pointe d'inquiétude.
— Je... je voulais savoir où j'étais.
Mon regard s'accroche au sien, cherchant des réponses. Son expression se durcit légèrement, comme s'il pesait ses mots avant de répondre.
— Tu es en sécurité. C'est tout ce qui compte pour l'instant.
Mais rien dans son ton ou sa posture ne m'apaise. Au contraire, la tension entre nous semble s'intensifier, chargée de tout ce qui reste non dit.
Je me rends compte trop tard que je suis toujours figée dans l'encadrement de la porte, incapable de bouger ou de détourner les yeux.
— Sors, Dawn.
Sa voix est basse, presque grondante, mais elle explose dans l'espace comme une gifle. Je me fige. Ce n'est pas un ordre crié, ce n'est pas une supplication non plus. C'est un mur. Infranchissable.
— Je... je suis désolée, murmuré-je d'une voix faible.
Son regard est un mur, mais derrière cette froideur, il y a autre chose. Une fatigue ? Une douleur ? J'ai l'impression d'effleurer une faille, un instant fugace, avant qu'il ne referme son masque sur moi. Et cela me terrifie autant que cela me trouble.
Je recule, heurtant presque le chambranle de la porte, incapable de répliquer.
Pourquoi ai-je l'impression d'avoir fait quelque chose d'interdit ?
Je détourne les yeux, brûlée par la froideur de son ton, et m'échappe dans la pièce principale.
La vapeur s'accroche encore à ma peau, comme un rappel moite et étouffant de ce que je viens de voir. Je regagne le salon d'un pas précipité, presque tremblante.
Je m'effondre sur le canapé, mes mains crispées sur mes genoux, cherchant à calmer mon souffle. L'image de Nox refuse de quitter mon esprit. L'eau ruisselant sur ses épaules. Ses muscles tendus comme s'il portait le poids du monde. Ce regard... ce regard qui m'a transpercée.
— C'est quoi ton problème, Dawn ? soufflé-je à voix basse, presque hystérique.
Mais ce n'était pas juste le découvrir dans un moment si intime qui m'a troublée. C'était ce qu'il dégageait. Une force brute, indomptable, et pourtant... une solitude tangible. Comme si cet homme, ce Nox, portait un poids invisible que je ne peux même pas imaginer.
Pourquoi cela me touche autant ? Pourquoi ai-je envie de comprendre ce qu'il cache ?
Mais pas le temps de m'appesantir plus sur le trouble qu'il a déclenché en moi, que je sens la présence de Nox avant même qu'il n'entre dans la pièce. Sa silhouette, sombre et imposante, me rappelle que les réponses que je cherche ne viendront pas seules.
— Tu es debout, dit-il doucement, ses yeux scrutant chaque mouvement comme s'il cherchait des signes de faiblesse.
— Et vous, vous êtes... étrange, rétorqué-je, une pointe de défi dans la voix.
Je fais un pas vers lui, cherchant à combler cette distance invisible qui semble nous séparer. Mais il recule légèrement, une hésitation presque imperceptible dans sa posture.
— Où suis-je ? demandé-je, ma voix plus forte cette fois.
Il ne répond pas immédiatement. Je le vois serrer la mâchoire, comme s'il pesait ses mots.
— C'est un endroit sûr, répond-il finalement.
— Ce n'est pas une réponse, répliqué-je en avançant encore.
Il tressaille, ses yeux s'attardant un instant sur mes mains qui se tendent légèrement dans sa direction. Avant que je ne puisse comprendre ce qui se passe, son corps vacille.
Non, il ne vacille pas... il se dissout.
Une brume sombre et éthérée s'élève là où il se tenait, s'enroulant sur elle-même avant de disparaître à quelques mètres, juste à ma gauche. Nox réapparaît dans un souffle, intact, comme s'il n'avait jamais bougé.
— Qu'est-ce que... ? soufflé-je, reculant instinctivement.
Il reste immobile, son regard intense rivé au mien.
— Ne t'approche pas, avertit-il, sa voix un mélange de contrôle et de tension.
Je le fixe, le cœur battant à tout rompre. Mon esprit essaie de rationaliser ce que je viens de voir, mais il n'y a aucune logique à cela.
— Qu'est-ce que vous êtes ?
Ma question reste suspendue entre nous, mais la réponse, elle, ne vient pas.
— Qu'est-ce que vous êtes ? répété-je, ma voix tremblant légèrement sous l'effet de la confusion et de l'adrénaline.
Il ne répond pas tout de suite. Ses traits restent figés, comme sculptés dans la pierre. Son silence me pèse, alimentant ma panique.
— Tu n'es pas humain, continué-je, plus pour moi-même que pour lui. Mais alors... quoi ?
Nox fait un pas vers moi, et je recule instinctivement, mes talons butant contre le bord du canapé. Ses yeux, d'un gris insondable, semblent contenir un monde entier, une profondeur à la fois envoûtante et effrayante.
— Ce que je suis n'a pas d'importance, murmure-t-il finalement, sa voix basse comme un grondement lointain. Ce qui compte, c'est que tu es en sécurité ici.
Je ris nerveusement, un éclat presque hystérique.
— En sécurité ? Vous vous êtes littéralement... dissous sous mes yeux. Comment ça peut être "sécurisant" ?
Il ferme les yeux un instant, sa mâchoire se contractant. Quand il les rouvre, une ombre de regret traverse son regard.
— Je n'ai pas choisi ça, Dawn.
— Choisi quoi ? d'être une énigme vivante ?
Je me redresse, mes mains tremblantes se crispant sur le dossier du canapé.
— Cette lumière dorée, dis-je en baissant les yeux vers elles, ma voix plus calme mais chargée d'une intensité nouvelle. J'ai ressenti quelque chose, comme si...
Je m'interromps, incapable de mettre des mots sur cette sensation viscérale.
— Vous saviez ce qui allait se passer, n'est-ce pas ?
Il détourne le regard, sa posture se raidissant comme sous le poids d'un fardeau invisible.
— Je ne voulais pas que tu sois mêlée à ça, murmure-t-il, presque inaudible.
— Trop tard, Nox. Je suis mêlée à tout ça, et j'exige des explications. Maintenant.
Ma voix claque dans l'espace, résonnant entre les murs ornés de symboles anciens. Pour la première fois, je le vois vaciller, pas physiquement, mais dans son assurance.
— Tu as quelque chose de spécial, commence-t-il, son regard revenant vers moi, brûlant d'une intensité presque palpable. De différent des autres.
Un rire nerveux m'échappe, sans aucune joie.
— Génial. Et c'est censé m'aider à quoi, exactement ? Vous croyez que ça répond à mes questions ?
Mon ton est sec, plus tranchant que je ne l'aurais voulu, mais son sérieux me coupe le souffle.
— Tu savais ce qui allait se passer, n'est-ce pas ? soufflé-je, ma voix tremblant malgré moi.
Nox reste immobile, son regard gris fixé quelque part au-delà de moi. Le silence, lourd et pesant, me tombe dessus comme une chape de plomb. Je m'avance, réduisant la distance entre nous malgré la peur qui me noue l'estomac.
— Réponds ! Pourquoi tu refuses de m'aider ?! crié-je, la panique éraillant ma voix.
Lentement, il relève la tête. Son visage est figé, mais je devine la fatigue dans ses traits. Une fatigue qui semble venue de loin, de trop loin.
— Ce n'est pas aussi simple, murmure-t-il.
Je serre les poings, sentant la colère se mêler à la peur qui me ronge.
— Pas aussi simple ? Tu disparais dans une... une brume noire, mes mains s'illuminent plus qu'un sapin de noël, dieu sais comment je suis arrivée ici, fais en désignant l'endroit, et tu me parles de sécurité. Et je devrais me contenter de ça ?!
Sa mâchoire se contracte légèrement. Il semble prêt à dire quelque chose, mais il se tait. Le silence, encore. Ses yeux glissent brièvement vers mes mains.
— Qu'est-ce que je suis, Nox ? murmuré-je, les mots comme un poison sur ma langue.
Ses épaules se tendent. Je m'avance d'un pas, réduisant la distance entre nous. Il recule, juste assez pour que je le remarque.
— Pourquoi tu me fuis ?
— Je ne te fuis pas, répond-il enfin, sa voix rauque à peine plus forte qu'un murmure.
— Ah non ? Alors explique-moi. Cette lumière dorée... je l'ai sentie, et toi, tu savais. Je l'ai vu dans tes yeux.
Il détourne le regard, son souffle plus court, comme s'il luttait contre quelque chose d'invisible.
— Dawn, lâche-t-il, ce n'est pas... ça te brisera si je te dis tout maintenant.
La colère explose en moi, brûlante.
— Tu n'as pas le droit de décider ça pour moi ! hurlé-je, les larmes me piquant les yeux.
Cette fois, il me regarde. Vraiment me regarde. Ses pupilles semblent s'obscurcir, comme si quelque chose de profond et de dangereux y remuait. J'avance d'un pas dans sa direction, mais il disparaît.
Un souffle d'air glacial me coupe la respiration. Là où il se tenait une seconde plus tôt, il n'y a plus qu'une brume noire, épaisse et ondulante, qui s'effiloche dans l'air.
— Quoi... ?
Je recule instinctivement, mon cœur battant à tout rompre. La brume se reforme, à quelques mètres, et Nox réapparaît dans un souffle. Accroupi. Essoufflé. Ses doigts sont crispés contre son front, et sa respiration saccadée le secoue comme un homme au bord de l'effondrement.
— Nox ? murmuré-je, terrifiée. Qu'est-ce qui ne va pas ?
Il lève les yeux vers moi. Son regard, d'un gris brûlant, me transperce. Mais cette fois, derrière l'intensité, je vois quelque chose que je n'avais jamais vu chez lui : la peur. Une peur brute, presque viscérale. Comme si... comme si c'était moi la menace.
— Ne me touche pas, Dawn, lâche-t-il d'une voix brisée. Pas maintenant.
Je m'immobilise, mon bras tendu vers lui.
— Pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ?
Je hurle presque, incapable de contrôler les tremblements dans ma voix. Mais lui reste là, immobile, le souffle rauque, comme s'il portait un poids que je ne peux même pas imaginer.
— Je ne peux pas... risquer ça, murmure-t-il pour lui-même.
— Je dois partir, dit-il soudain, sa voix rauque brisant le silence.
— Partir ? Maintenant ? Vous plaisantez ?! explosé-je, incapable de retenir la colère qui monte.
Il se redresse, lentement, comme s'il rassemblait ses forces.
— Ce ne sera pas long.
— Et moi ? hurlé-je. Vous me laissez ici, enfermée, sans aucune explication ?!
Il hésite. Juste un instant. Ses yeux cherchent les miens, et je vois quelque chose s'y briser.
— Je fais ça pour toi, murmure-t-il enfin, avant de disparaître à nouveau dans un tourbillon d'ombres.
Cette fois, il ne revient pas.
Le silence me tombe dessus, brutal, absolu. Mon regard reste accroché à l'endroit où il se tenait une seconde plus tôt, incapable d'accepter qu'il est vraiment parti.
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