Chapitre 13
Nox
Le bruit sec de la téléportation s'éteint, ne laissant derrière lui qu'un silence lourd, chargé d'électricité. Je reste immobile quelques secondes, le souffle court, mes pensées en désordre. La lumière dorée, aveuglante, semble encore imprégner l'air, comme si l'espace même en portait la trace. C'est une sensation nouvelle, dérangeante. Elle ne m'avait jamais marqué ainsi auparavant.
Autour de moi, le sanctuaire reprend vie. Les murs, ornés de glyphes et de talismans, semblent vibrer légèrement sous l'effet de l'énergie résiduelle. J'ai pris des risques. En téléportant tout, Dawn, le chariot et son contenu, j'ai forcé mes limites. Mais je ne pouvais pas la laisser là-bas, exposée, vulnérable. Pas cette fois.
Dawn est inconsciente, son corps frêle reposant dans mes bras. Je la dépose avec précaution sur le lit de la pièce principale, un lit qui n'a servi qu'à accumuler la poussière jusqu'à aujourd'hui. Elle est enveloppée dans un drap sombre, sa silhouette presque irréelle sous la lumière tamisée. Sa poitrine se soulève lentement, ses traits sont détendus malgré la tension que je sais qu'elle a dû subir.
Je me redresse, mes yeux glissant sur son visage. Pâle. Épuisée. Mais vivante. C'est ce qui compte, pour l'instant. Je sais qu'elle dormira pendant des heures, probablement une demi-journée. Ce n'est pas la première fois que je la vois dans cet état. Les souvenirs de ses vies passées me hantent. Ce même corps, si semblable, brisé par l'effort de contenir une force qui la dépasse.
Je m'éloigne d'elle à contrecœur, mon regard se posant sur le chariot. Les artefacts récupérés durant le cours sont en désordre, certains fendus, d'autres encore vibrants sous l'effet de l'explosion. Le bracelet qui a réagi sur elle est en partie éteint, mais il pulse légèrement, comme s'il possédait sa propre vie. Chaque objet semble murmurer, me rappelant l'ampleur de ce qui vient de se passer.
Je prends une inspiration tremblante et me détourne. Le sanctuaire est censé être un refuge, un espace neutre où aucune magie extérieure ne devrait pouvoir pénétrer. Pourtant, il me semble aujourd'hui plus oppressant que jamais. Je passe une main sur mon visage, essayant de calmer mon esprit, mais les images reviennent : sa silhouette irradiant de lumière dorée, le chaos de la pièce, et ce pouvoir, cette énergie brute que je n'ai jamais vue auparavant.
Mon regard retourne à Dawn, paisible malgré la tempête qu'elle a déclenchée. Une fois encore, elle m'entraîne dans un cercle sans fin, un cycle que je ne parviens pas à briser. Pourtant, cette fois, tout semble différent. Inexplicablement différent.
Je m'éloigne à contrecœur du lit, laissant Dawn sombrer dans un sommeil qui, je l'espère, sera réparateur. Mes pas me mènent instinctivement vers le chariot. Les artefacts que j'ai embarqués vibrent encore d'une énergie résiduelle. Je m'approche de mon bureau, une masse imposante en bois sombre, dont la surface est encombrée de livres, de parchemins, et d'un seul objet qui semble me narguer par sa simplicité : une statuette dorée.
Elle trône au centre, immobile, mais son poids semble écrasant. Même dans cette obscurité relative, les fissures sur sa surface capturent la lumière des rares lueurs de la rue, lui donnant un éclat spectral.
Je m'approche lentement, mes mains crispées sur le bord du chariot. Une tension sourde bourdonne dans mon crâne. La soirée ne devrait pas être différente des autres : lire, analyser, chercher. Et pourtant, quelque chose me ronge.
Mes doigts hésitent à effleurer la statuette. L'instinct, ou peut-être l'expérience, me murmure qu'un contact pourrait déclencher une chaîne d'événements que je ne contrôlerai pas.
C'est ridicule. Je devrais être habitué à ce genre d'artefacts. Je devrais être immunisé.
Mais je ne le suis pas.
Une voix familière éclate dans mon esprit, perçant le silence comme une flèche bien ajustée.
— Tu as pris tout ça avec toi ? murmure une voix familière. Dawn, les artefacts... Tu comptes sauver l'univers entier aussi ?
Khepri. Toujours là pour me rappeler mes échecs.
Je ne réponds pas.
— Toujours aussi dramatique, Nox. Ce n'est qu'un bout de métal.
Je ferme les yeux, m'appuyant contre le dossier de ma chaise.
— Tu es toujours là, hein ? dis-je, ma voix rauque dans le vide de la pièce.
— Où voudrais-tu que j'aille ? ricane-t-il. Je suis toi. Ou peut-être... une meilleure version de toi.
Je ne réponds pas, mais sa présence me pèse comme une pierre.
— Alors ? Vas-tu rester là à contempler tes échecs ou enfin faire quelque chose ?
Sa voix est doucereuse, venimeuse. Elle s'insinue dans les recoins de mon esprit que je préfère ignorer.
Je tends la main vers la statuette, mais je m'arrête à mi-chemin.
— C'est intéressant, reprend Khepri. Tu te dis protecteur, guide, mais regarde-toi. Paralysé par une simple décision.
— Tais-toi, grogné-je.
Il rit doucement, et ce son résonne dans chaque fibre de mon être.
— Pourquoi ? rétorque-t-il, sa voix coulante et pleine de venin. Parce que j'ai raison ? Regarde-toi, Nox. Tu es un gardien qui ne peut même pas protéger ses propres pensées, et encore moins... elle.
Je serre les poings, mes ongles mordant ma paume. Il a tort. Il doit avoir tort.
Mais ses mots s'accrochent à moi, des crochets invisibles tirant sur mes doutes.
Je tends la main vers elle, hésitant. La surface est encore chaude, mais rien ne semble s'en dégager. Je ne perçois aucune énergie résiduelle. Pourtant, je n'ose pas la prendre. Une peur irrationnelle me paralyse. La faim, elle, se fait ressentir. Violente. Impérieuse. Les ombres en moi deviennent trop grandes et habituellement je sortirai assouvir ce besoin pour ne pas sombrer dans la folie. Mais pas ce soir, je ne peux pas laisser Dawn ici, seule. Alors je me mets à faire les cents pas dans la grande pièce qui me sert de chez moi.
Le silence que d'habitude j'affectionne me dévore. Il est une lame. Chaque pas que je fais en est une entaille. Il ne coupe pas immédiatement ; il effleure, glisse contre la peau, mais je sais qu'à terme, il me blessera profondément. Le bruit de mes bottes résonne sur le parquet, rythmé par le battement régulier de mon cœur. La faim est là, tapie sous ma peau, brûlante, insidieuse. Elle ne cesse de me rappeler que je suis une anomalie dans ce monde.
Je pensais que marcher pourrait m'aider à la dompter, au moins temporairement. Une illusion, bien sûr. Elle est toujours là. Et avec elle, cette tension insupportable qui s'est installée depuis que j'ai vu Dawn s'illuminer.
Khepri s'insinue dans mes pensées, moqueur comme toujours :
— Tu vas rester là à tourner en rond comme un idiot ou essayer de comprendre ce qui s'est passé ? Parce que, spoiler, tu es à deux doigts de tout perdre.
Je serre les dents, ignorant son ton condescendant, et décide de ne pas répondre.
Je prends un parchemin ancien sur mon bureau et commence à chercher des références aux artefacts de ce genre. Rien. Chaque mot que je lis semble glisser sur mon esprit sans laisser de trace, comme si la vérité que je cherche se dérobait à chaque instant.
Khepri ne se lasse pas de son sarcasme.
— Admets-le, Nox. Cette lumière dorée... c'était nouveau, n'est-ce pas ? Une première dans toutes vos petites vies tragiques. Intéressant, non ?
Je relève les yeux vers la statuette dorée fendue en deux. Elle trône là, inerte en apparence, mais je sais que son pouvoir est loin d'être éteint. Je murmure à voix basse, plus pour moi-même que pour Khepri :
— Ce n'est pas possible... Comment cette lumière peut-elle être apparue maintenant ?
— Peut-être parce qu'elle change, souffle Khepri. Peut-être parce que cette fois, elle est plus puissante que jamais. Et toi, tu es encore plus incapable qu'avant. Mais continue de tourner les pages de tes vieux grimoires, ça te va bien.
Je me détourne de lui, incapable de supporter sa voix dans mon esprit. Pourtant, ses mots résonnent. Cette lumière, cette énergie, n'a jamais fait partie de ses vies passées. Cela signifie qu'elle évolue. Et si elle évolue, cela veut dire qu'elle est plus dangereuse. Plus imprévisible.
Je repousse ma chaise avec un grincement sec et me lève brusquement. Les souvenirs affluent, violents et incontrôlables.
Une plaine vaste et désolée, baignée dans une lumière rougeâtre. Le ciel est couvert d'un nuage de poussière et de cendres, et l'air est lourd de l'odeur métallique du sang. Les cris des mourants résonnent autour de moi, mais mon attention est fixée sur une seule personne.
Dawn.
Elle est à genoux au milieu du champ de bataille, ses vêtements déchirés et tachés de sang. Ses mains tremblent alors qu'elle tente de se relever, mais son corps est à bout de forces. Autour d'elle, une ondulation douce émane de ses paumes, insufflant un dernier souffle de vie aux soldats gisant près d'elle. Chaque vie sauvée semble lui coûter une partie d'elle-même.
Je m'approche d'elle, le cœur serré. Je connais déjà la fin de cette scène, mais je ne peux m'empêcher de revivre chaque détail avec une netteté cruelle.
— Dawn, arrête ! crie-je en tentant de la rejoindre.
Elle lève les yeux vers moi, son regard brûlant de détermination malgré les larmes qui coulent sur ses joues.
— Si je m'étais arrêté, ils seraient tous morts, répond-elle d'une voix brisée.
Je tends la main vers elle, mais c'est trop tard. L'espace se tord autour d'elle et un bourdonnement résonne de plus en plus intensément à mes oreilles. Son corps tremble sous l'effort, et je sais que si elle continue, aucun de nous ne survivra, pas même ceux qu'elle s'est employée à sauver.
Je fais ce que je dois faire. Ce que je fais toujours.
D'un geste rapide, je sors une lame cachée sous mon manteau. Je m'agenouille devant elle, nos regards se croisent. Il n'y a ni haine ni peur dans ses yeux. Seulement une acceptation douloureuse.
— Je suis désolé, murmuré-je.
La lame s'enfonce dans sa poitrine. Elle halète, son souffle se brisant en un cri étouffé, mais ses mains se posent sur les miennes. Même à cet instant, elle me pardonne.
Son corps s'effondre, et la lumière s'éteint. Pas de lumière dorée cette fois. Juste l'obscurité.
Je rouvre les yeux, assis à mon bureau, la gorge nouée. Notre dernière rencontre est gravée dans mon esprit, indélébile, comme les autres. Mais cette fois, quelque chose est différent. Je n'ai jamais vu cette lumière dorée auparavant, et elle me terrifie plus que tout.
Je passe une main tremblante sur mon visage. Cette fois, elle est différente. Plus forte. Plus imprévisible. Et moi, je suis toujours le même. Incapable de trouver une solution, condamné à répéter les mêmes erreurs.
Je me redresse, repoussant ma chaise avec un grincement sec. Kephri lui rit, de ce son sifflant qui résonne à l'intérieur de mon crâne comme un écho obsédant.
— Alors, Nox, raille-t-il. Tu as trouvé une réponse dans ces pages poussiéreuses? Tu sais que la vérité n'est pas là.
— Et où est-elle alors ? lancé-je, ma voix plus forte que je ne l'aurais voulu.
Khepri reste silencieux, mais je sens son sourire. Il sait que je n'ai pas de réponse.
La lampe à côté de moi vacille légèrement, comme si elle répondait à mon agitation.
Je passe une main sur mon visage, ma paume glissant sur ma peau froide et tendue. Le vide qui me tenaille est insupportable. Ce besoin, cette faim, brûle sous ma peau, un rappel constant de ce que je suis. Chaque fibre de mon être réclame que je sorte, que je trouve ce dont j'ai besoin pour calmer cette tempête intérieure. Je vacille légèrement, ma vision se trouble un instant. Pour le bien de tous je dois me maîtriser, la contenir.
Avant de me détourner pour quitter la pièce, je retourne près du lit. Mon regard glisse sur elle, immobile, perdue dans un sommeil profond. Son souffle, légèrement irrégulier, attire mon attention. Un instant, je m'accroupis à son niveau, tendant la main pour effleurer son poignet. Le contact est rassurant. Sa peau est tiède, son pouls faible mais régulier. Une preuve qu'elle est encore là, malgré tout.
Je reste ainsi quelques secondes, figé entre la crainte de la voir disparaître et la certitude que je ne peux rien faire pour l'aider. La réalité me frappe : je suis impuissant, comme toujours.
Je me redresse, les épaules lourdes, et m'éloigne enfin. Les muscles tendus, je me dirige vers la salle de bain. L'eau glacée. Peut-être qu'elle suffira à étouffer ce feu, à apaiser ce besoin, ne serait-ce que temporairement. Je tourne le robinet, le bruit assourdissant du jet emplissant la pièce. D'un geste brusque, j'arrache mes et les laisse tomber au sol, puis je me glisse sous l'eau. Le froid mord ma peau comme des aiguilles, mais c'est un soulagement bienvenu, une distraction nécessaire pour effacer la chaleur oppressante de mes pensées. Je ferme les yeux, laissant l'eau marteler mon visage, espérant qu'elle emportera mes doutes avec elle.
Cette fois, je dois trouver un moyen
Cette fois, je dois la sauver.
Mais si je devais tout détruire pour y parvenir... ?
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