5 h 45 le 21 octobre 2021

Albert remplaçait l'écran publicitaire numérique. L'appareillage dans l'abri de bus avait été saccagé. Il bouillonnait de colère, le grand patron devait passer dans la matinée pour sa visite annuelle. On lui avait ordonné de commencer son parcours deux heures plus tôt afin de réparer les éventuels défauts. Albert était poseur d'affichage publicitaire depuis déjà dix ans.

Comme à son habitude, le big boss vérifierait le tout premier, le dernier dispositif d'affichage, puis se rendrait au restaurant pour un long et copieux repas ! Quand on était riche, on payait des sous-fifres afin de cacher la misère ou perfectionner les défauts.

Albert termina de verrouiller la machine, puis leva les yeux pour regarder la pleine lune. Elle avait une teinte orangée avec des taches marron. Il ne pouvait détacher son regard de l'astre semblant palpiter ! La nuit des suicides, songea-t-il. Une étude sérieuse avait suggéré qu'il existait une association entre la pleine lune et certaines affections psychiatriques, en particulier la crise schizophrénique. C'était plausible, son oncle était encore plus désagréable que d'habitude les nuits de pleine lune. Sa tante s'était suicidée une nuit de pleine lune, mais cela pouvait avoir un rapport avec les incessantes gifles ? Il ne les avait appréciés ni l'un ni l'autre. Il soupçonnait un adultère des deux côtés !

Il baissa le regard pour ranger tout son outillage dans la sacoche. La publicité de la toute nouvelle berline Conventia s'afficha sur l'écran. La concession automobile française suivait de près les autres marques, mais le style, l'empattement, le design révolutionnaire la sortaient du lot.

Le prix du modèle sport se situait entre la Megane Renault toutes options et la XF Jaguar bas de gamme, approximativement quarante-cinq mille euros ! Certains trouveraient le prix exorbitant, d'autres, satisfaits de la garantie moteur, cent mille kilomètres.

Le compagnon de sa sœur possédait la K500 Conventia, berline soixante-quinze chevaux qui affichait cent trente milles kilomètre au compteur. Il n'avait changé que la distribution !

Albert devait se contenter d'une Renault Twingo.

Il entendit des cris en provenance de l'hôpital Pellegrin à environ trois cents mètres. Albert aperçut une course poursuite au travers des grilles, un homme d'un certain âge semblait poursuivre une jeune infirmière.

La sacoche lui échappa des doigts pour tomber sur le bitume. Il se penchait pour la ramasser quand un impact brutal contre le grillage de l'hôpital le fit sursauter.

Le vieil homme avait plaqué sauvagement l'infirmière sur un capot de voiture pour lui déchirer des lambeaux de chair à la gorge. Albert trébucha en arrière pour tomber sur les fesses. Il n'arrivait pas à concevoir la rage dont il était témoin. La femme tentait de hurler, mais sa voix se perdait dans des éclaboussements de sang.

Deux agents de la sécurité agrippèrent le meurtrier pour tenter vainement de le retirer de sa proie. Le sexagénaire fit volte-face la bouche en sang pour égorger l'un des jeunes hommes qui ne parvint pas à se libérer.

Albert était pétrifié. Il ne pouvait quitter du regard la dentition ensanglantée recouverte de morceaux de viande. Le second agent de la sécurité ne tarda pas à trépasser à son tour. Il reprit conscience avec la réalité lorsque les trois cadavres se relevaient pour rejoindre leur agresseur au grillage. Le quatuor gesticulait les bras au travers du grillage en gémissant. Albert était devenu leur prochaine cible !

Les sirènes de voitures de police résonnèrent au loin.

Albert devait immortaliser la situation, personne ne le croirait ! Il fouilla dans ses poches à la recherche de son portable.

— Merde, t'es ou ?

Il se rappela l'avoir mis dans la poche intérieure de sa veste. Il le retira pour lever l'appareil, mais le quatuor s'enfuyait sur le côté pour disparaître derrière le mur du parking. Albert entendit le bruit de la voiture de nettoyage exécutant son parcours.

Il courut sans hésitation au grillage pour passer le bras au travers. Il put ainsi assister en mode enregistrement vidéo au quatuor percutant inlassablement la machine. L'un des agents de la sécurité perdit l'équilibre pour tomber sous le véhicule qui lui écrasa la tête. Le conducteur stoppa son véhicule pour hésiter à descendre. L'infirmière à la blouse déchirée parvint à ouvrir la portière. Le trio l'éjecta violemment du véhicule pour se jeter sur lui.

La sirène d'une voiture de police stoppant dans le dos du poseur d'affichage le fit sursauter.

— Monsieur, veuillez vous écarter du grillage tout en levant les bras, ordonna l'un des policiers.

Albert voulut s'exécuter, mais coinça l'une de ses manches dans le grillage.

— Je suis coincé !

Le poseur d'affiche aperçut le trio abandonnant leur cadavre pour se diriger vers lui.

— Aidez-moi, vite ! Les, les, zombis arrivent.

— Veuillez lâcher ce que vous tenez dans la main gauche !

Albert tirait vainement sur sa manche que l'infirmière lui saisissait le poignet pour lui arracher trois doigts de ses dents. Les policiers observaient méduser l'action inconcevable. Albert tomba en arrière tout en hurlant de douleur. L'infirmière fut rejointe par un patient et l'agent de sécurité.

Le chauffeur du véhicule d'intervention policière rejoignit la voiture pour rendre compte de la situation au commissariat !