Toutes les nuits, je rêve de la bataille de Poudlard. Je rêve de ce fameux jour où tout a basculé, de cet instant où s'est décidé le destin de notre temps, et pour combien de générations encore ?

L'espace d'une seconde, alors que le chaos faisait rage, j'ai cru qu'une victoire pourrait être possible pour nous. Lorsque j'ai retiré l'épée de Gryffondor du Choixpeau, et que j'ai senti les vertèbres de cet ignoble serpent céder sous mes doigts... Quelque chose a été détruit à ce moment-là. Quelque chose de pourri, de noir, de profondément maléfique, s'est dissout dans l'air ambiant et a délivré ce monde pour toujours.

Mais ce n'était pas suffisant. Seule une partie de l'âme de Voldemort est morte ce jour-là. La dernière, peut-être. Mais ce n'était pas suffisant pour garantir notre victoire. Et moi, Neville Londubat, j'ai hurlé de joie au milieu du champ de bataille...

Comme j'ai été stupide. La joie, je ne suis même plus sûr de savoir ce que c'est aujourd'hui. Ma joie s'est envolée en même temps que celle de Luna. Lorsque je l'ai trouvée, à moitié délirante, alors que les combats faisaient rage, et qu'elle ne divaguait plus que sur Dean et sur la nécessité de le tuer...

Sur le moment, je ne l'ai pas crue. Comment l'aurais-je pu ? Dean avait toujours été notre ami. Il se battait à nos côtés à cet instant même. Et il y avait tellement de folie autour de moi...

Aujourd'hui, je regrette amèrement de ne pas avoir écouté Luna. Je ne compte plus mes regrets, mais celui-ci surpasse tous les autres. Si je lui avais fait confiance, si j'avais neutralisé Dean alors qu'il était encore temps... Combien de vies auraient été épargnées ? Quel calvaire aurais-je pu éviter à Luna...

- Londubat ! s'écrie la voix horriblement flûtée de Bellatrix Lestrange. Il est temps.

Elle ponctue sa remarque d'une petite pointe d'Endoloris, juste pour s'amuser. Cela ne me fait plus réagir depuis longtemps. Dès le lendemain de la victoire, Bellatrix m'a réclamé comme son jouet personnel. Elle a fait venir mes parents depuis Sainte-Mangouste, et les a torturés sous mes yeux en espérant raviver en eux un peu du cauchemar qu'elle leur avait déjà fait subir.

Je l'ai suppliée, bien sûr. Je suis tombé à genoux en lui promettant de faire tout ce qu'elle voulait. En un sens, je suis donc devenu un collaborateur, moi aussi. Exactement comme Dean. On me laisse libre dans le château : Bellatrix sait très bien que je ne tenterai rien tant qu'elle tiendra mes parents entre ses mains. En échange, on me laisse m'occuper d'eux. Ma captivité défend ma grand-mère de se rebeller. Et, depuis l'annonce de sa grossesse, j'ai même eu le droit de retrouver Luna.

Ces retrouvailles ne sont pas de mon fait. C'est Luna qui a demandé à m'avoir à ses côtés. Depuis son réveil miraculeux et son arrivée dans la Grande Salle aux yeux de tous, elle incarne une sorte de reine noire que personne n'ose aborder. Dans les couloirs, je sais qu'il se murmure qu'elle est devenue folle – je veux dire, vraiment folle. Que ce que Voldemort et ses sbires lui ont fait l'ont brisée. Que dès qu'elle aura accouché, Voldemort l'éliminera comme on le ferait d'un vulgaire emballage.

Je ne suis pas d'accord. Je crois que s'il y a bien une personne qui tient encore debout dans ce château, c'est Luna. Personne n'est moins brisé qu'elle. Maintenant qu'elle a repris contact avec la réalité, elle se dresse devant tout et tout le monde, car elle se sait intouchable. Voldemort ne lui fera pas le moindre mal tant que son enfant chéri ne sera pas venu au monde. Tout le monde pense que c'est parce qu'il désire un héritier à son empire maléfique. Mais je sais bien que c'est faux. Pour moi, la vérité est encore plus glaçante.

S'il y a bien une seule chose que nous savons avec certitude sur Lord Voldemort, c'est qu'il a tout fait pour devenir immortel. Il a bâti sa légende et l'a nourrie à son usage exclusif. Sa personnalité exclut par nature le moindre désir d'avoir un héritier, qui serait susceptible un jour de devenir son rival. Non. Voldemort veut vivre pour toujours, sans partage, sans égal. S'il garde Luna en vie jusqu'au terme de sa grossesse, c'est parce qu'il espère toujours la briser.

Je l'ai vu, dans ses yeux. Lorsque Luna a débarqué devant lui dans la Grande Salle, sur ses jambes et en pleine possession de ses moyens. La palette d'émotions sur le visage de Voldemort était indescriptible : surprise, contrariété, amusement, admiration...

Il prend Luna comme un défi. Il a fait d'elle sa compagne parce qu'elle est la seule qui lui résiste. Il l'éliminera uniquement le jour où elle lui cèdera. D'après Bellatrix, ce jour vient enfin d'arriver. Luna va avoir son bébé. Voldemort n'attend sa naissance que pour l'arracher des bras de sa mère et l'assassiner sous ses yeux.

Je me lève pour quitter les appartements de Bellatrix, le cœur au bord des lèvres. Voldemort a accordé à Luna la faveur de m'avoir à ses côtés autant qu'elle le voulait. Cela ne me surprend pas qu'elle veuille que je sois présent aujourd'hui, en cet instant crucial. Mais je ne veux pas assister au drame qui est sur le point de se nouer sous mes yeux.

Depuis des mois déjà, Luna me répète que rien n'est perdu. Que son enfant représente l'avenir, qu'il incarne l'espoir, comme s'il était une espèce de messie. Qu'il causera la perte de tous ceux qui nous ont fait du mal... Ces idées se sont répandues en dehors des murs de sa chambre, je le sais. Ginny Weasley, Parvati Patil, et bien d'autres ont contribué à les propager. Désormais, c'est toute l'école qui me semble avoir plongé dans la folie : Poudlard attend, surexcité, que naisse le nouvel Elu qui viendra tous les sauver... N'ont-ils pas retenu ce qui est arrivé à leur précédent élu ?

Un poignard dans le cœur, je songe à Harry. C'était toi, le héros, Harry. Jusqu'au bout, tu te seras battu pour nous. Qu'as-tu ressenti, lors de tes derniers instants ? Te battais-tu encore, ou est-ce que tu avais renoncé ? Je crois que tu avais renoncé, et c'est peut-être ça qui me déchire le plus... Je revois ton regard, la dernière fois que nous nous sommes vus, lorsque tu m'as ordonné de tuer le serpent... Tu avais l'air si déterminé à mourir, alors. Quelqu'un d'aussi certain de sa mort avait nécessairement renoncé à se battre. Suis-je sur le point de connaitre le même destin moi aussi ?

Je ne laisserai pas l'enfant de Luna être assassiné sous mes yeux sans réagir. Je ne laisserai pas ces salopards de Mangemorts : Bellatrix, les Carrow, Drago Malefoy, Dean Thomas et toute leur bande, organiser un feu de joie et danser autour des restes de ma bien-aimée et de son bébé...

Mais qu'est-ce que je peux faire ?

Des mois de captivité m'ont permis de bien éprouver la brûlure de mes chaines. Mes parents ? Ils ont perdu la raison depuis longtemps. Prolonger leur vie sous le règne de leurs ennemis qui peuvent les torturer à chaque instant, cela revient à leur infliger moi-même cette torture. Moi, leur propre fils...

Ma grand-mère ? Elle est âgée. Aurait honte de son petit-fils si elle me voyait. Elle préfèrerait une mort digne, pour moi comme pour elle, plutôt que ce reliquat de vie auquel je me suis accroché.

Oui, j'ai pris ma décision, aujourd'hui. Les chaines que Bellatrix a jetées sur moi ne me retiennent plus. Je n'ai plus peur de voir mes proches mourir autour de moi, et moi non plus, je n'ai plus peur de mourir. Seule importe Luna. Ce soir, quand l'attention de tous sera concentrée sur l'enfant nouveau-né, je frapperai, et tant pis pour ma vie. Je sauverai Luna et le bébé si je le peux. Même s'il est l'enfant de Voldemort, c'est un innocent qui n'a pas demandé à naître...

C'est avec cette certitude que je pénètre dans la chambre de Luna, où une dizaine de personnes se sont déjà rassemblées. Il y a le Seigneur des Ténèbres, bien sûr. Drago Malefoy et Ginny, qui l'accompagne partout en sa qualité d'épouse (je me retiens de vomir à cette pensée). Dean Thomas et son chien de compagnie, Seamus (encore plus répugnant). Et, bien sûr, quelques autres Mangemorts, Bellatrix Lestrange, et moi.

Luna est allongée seule au creux d'un immense lit, entièrement vêtue de blanc. La mise en scène a tout d'un drame céleste. Elle ressemble à un ange envoyé sur Terre pour nous apporter la paix. Ses traits crispés par l'effort n'expriment aucune douleur, mais l'anticipation, une joie presque féroce, comme si la chose qui allait sortir d'entre ses cuisses était une arme de destruction massive pointée droit sur nous.

Sans demander la permission, je me glisse entre les participants et m'assoit à son chevet. Je lui prends la main :

- Comment vas-tu ? je demande, fébrile.

J'étais tellement préoccupé par ma mort imminente que j'en avais presque oublié l'accouchement. Luna va accoucher. Elle va devenir mère, accueillir une nouvelle vie en ce monde... Cela me parait si incroyable que l'espace d'un instant, le temps semble suspendu. Et puis une nouvelle contraction secoue les traits de Luna, qui serre ma main dans la sienne.

Personne ne prononce un seul mot dans la pièce. La tension est électrique, je peux presque entendre le roulis d'un orage au dehors. Ginny me jette des regards inquiets : elle non plus n'a jamais vraiment su s'il fallait croire à la folie messianique de Luna ou non... Malefoy aussi semble tendu, sans doute parce qu'il assiste là à la naissance d'un potentiel rival auprès du mage noir. Quel imbécile... Dean, lui, sourit d'anticipation, sans doute complice à l'avance du meurtre que son maitre désire perpétrer. Seamus aussi doit être au courant, car il se tort d'angoisse à mesure que le travail avance.

Enfin, dans une dernière poussée libératrice, Luna accouche, seule, d'un nourrisson qu'elle recueille entre ses bras fragiles.

Je serre les poings. Je suis prêt à accueillir le héros en moi. Cet Elu qui m'a toujours fait défaut, dans l'ombre duquel j'ai vécu toute ma vie, je suis prêt à devenir lui, aujourd'hui. Je guette la réaction de Voldemort, et l'instant où il dressera sa baguette pour prendre la vie du petit...

Cet instant ne vient pas. Tous restent muets de stupeur, silencieux, lorsque Luna expose son enfant aux yeux du monde. C'est un garçon en parfaite santé. Il remue vigoureusement entre les bras de sa mère, la bouche ouverte sur un cri énergique qui s'apaise dès qu'elle lui glisse un doigt à téter. Sa peau est aussi brune que l'acajou le plus pur.

Lentement, irrésistiblement, tous les regards convergent vers Dean. Je sens la situation basculer avec le même poids que lors de cette fameuse bataille, lorsque j'avais cru mettre un terme à la guerre en tuant le serpent d'un coup d'épée. Voldemort encaisse un nouveau coup fatal aujourd'hui. Et brusquement, tout se met en place : la captivité de Luna chez les Malefoy en même temps que Dean, sa terreur à l'encontre du jeune homme après sa libération, et ce bébé qui semble naitre à présent avec deux mois d'avance...

Mais l'enfant que tient Luna a parfaitement atteint ses neuf mois de gestations. Il n'a pas été conçu en mai, lorsque les viols de Voldemort à Poudlard ont commencé, mais en mars, dans la cave des Malefoy. Luna avait déjà été violée à de nombreuses reprises cette fois-là, par Voldemort et ses sbires. Mais aussi par Dean Thomas.

Malgré moi, j'éclate de rire. L'horreur de la situation me terrasse. A chaque fois que je songe à ce que tous ces hommes ont fait subir à ma Luna, je brûle de fureur, et pourtant, je réalise aujourd'hui que comme tous les autres, je me suis fait avoir. Je n'ai pas su envisager la vérité sous l'angle le plus terrible. Les bras serrés autour de son enfant, Luna exprime nos pensées à tous par un sourire :

- Votre ego est si grand, dit-elle tranquillement au Seigneur des Ténèbres, que pas une seconde, vous n'avez imaginé que le père puisse ne pas être vous.

Voldemort se crispe de rage. Il déteste l'imprévu. Mon corps tout entier figé dans un cri silencieux, je redoute le pire. Je songe au plan de Luna et je renonce à y croire dans le même instant. Comment a-t-elle pu croire que cette révélation nous sauverait tous ? Comment a-t-elle pu croire que cette naissance illégitime anéantirait le Seigneur des Ténèbres et mettrait fin à la guerre ?

La panique se coule en moi, me pénètre, prend corps, mais c'est alors que je remarque un détail que personne d'autre n'aurait pu voir. Un détail que Luna, sans aucun doute, avait anticipé.

Le regard de Seamus. Le regard fou, halluciné de Seamus, lorsqu'il réalise que l'enfant que tient Luna dans ses bras est celui de Dean.

Pétrifié, j'ancre mon regard à celui de Seamus, mais il ne peut pas me voir. Ses émotions défilent comme les pages d'un livre ouvert : compréhension, horreur, réalisation, enfin, des crimes dont Dean s'est rendu coupable...

Seamus est l'esclave de Dean. Plus personne ne l'ignore dans l'école à présent : Seamus s'est vendu pour son amour maléfique, il est devenu moins que l'ombre de lui-même, par dévotion totale envers lui. Mais jusqu'à présent, Seamus n'avait jamais été mis en face des conséquences concrètes des actes de Dean. Il n'a pas vu les corps dans les cachots du château. Il n'a pas vu Luna se faire violer sous ses yeux. Non, il a toujours pu fuir la réalité, et tant que cela lui a été permis de le faire, il s'est enfui, il a fermé les yeux, il a renoncé à sa conscience pour rester auprès du monstre qu'il aimait.

Seamus ne peut plus fuir à présent. Il a devant lui les conséquences matérielles des actions de Dean. Plus que jamais aujourd'hui, il est forcé d'imaginer Dean en train de violer Luna, exactement comme ces images qui me torturent la nuit, qui m'obsèdent : lui en elle, et j'en ai la nausée...

Seamus change littéralement de couleur. Il contemple le bébé que Luna tend posément vers Dean, bras offerts, comme pour lui faire endosser la paternité de ses crimes. Et alors, je le vois. Le basculement dans l'esprit de Seamus. Quelque chose qui se brise, enfin, quelque chose qui attendait depuis des années déjà, et qui cède sous la pression de l'évidence.

Seamus pète les plombs. Dean ne le voit pas, ne s'en rend compte que trop tard. Seamus lui dérobe sa baguette et le tue d'un éclair de lumière verte.

Dans la surprise totale qui s'ensuit, je ne réalise pas que c'est le plan de Luna qui s'accomplit sous mes yeux : toutes ces réactions humaines qu'elle a su prévoir, lire en chacun d'entre nous, avant même que nous n'en soyons conscients...

Seamus a tué Dean. Luna l'avait prédit. A présent, dans l'interstice instable offert par cette diversion, tout devient possible. Même ce que je n'aurais jamais cru possible.

Sans un mot, Drago Malefoy dégaine à son tour sa baguette et assassine Lord Voldemort.

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Bonjour amis lecteurs, 

Le prochain chapitre sera très probablement le dernier. 

Je voulais juste attirer votre attention sur un argument que je développe un peu dans ce chapitre : la psychologie de Voldemort, qui a passé sa vie à construire son propre culte et à se rendre immortel. Jamais un homme avec une telle personnalité n'aurait eu un enfant avec qui que ce soit, un enfant qui risquerait de devenir son rival. Si vous voulez mon avis, c'est le meilleur argument que l'on puisse utiliser pour démonter à quel point "Harry Potter et l'Enfant Maudit" est une immonde bouse sans la moindre logique dès le fondement de son intrigue...

Voilà voilà ^^

Je vous laisse méditer là-dessus x)

A bientôt, 

Nat'